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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 3 octobre 2000, n° 99-04790

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vernhes

Défendeur :

Verjo (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

MM. Derdeyn, Chassery

Avoués :

Me Auche-Hedou, SCP Jougla-Jougla

Avocats :

Mes Auby, Teissedre.

T. com. Montpellier, du 27 août 1999

27 août 1999

Faits et procédure

Le 15 septembre 1993, Christian Vernhes, coiffeur à Villefranche de Rouergue (Aveyron) concluait avec la société Verjo un contrat de franchise "Barber Shop" pour un salon situé 8, rue Notre Dame à Villefranche de Rouergue. Ce contrat était conclu pour une durée de 3 ans commençant à courir au 1er novembre 1993.

Le 10 avril 1995, Christian Vernhes signait avec la société Verjo un second contrat de franchise "Barber Shop" d'une durée de trois ans, pour un second salon de coiffure, sis 37 rue de la République à Villefranche de Rouergue.

En mai 1995, Vernhes avisait la société Verjo de la modification de ses projets et proposait plusieurs solutions : abandon du projet d'ouverture du deuxième salon et dénonciation du premier contrat de franchise de 1993, autorisation d'ouverture du deuxième salon sans l'enseigne "Barber Shop ", autorisation d'ouverture du deuxième salon mais jusqu 'au 1er novembre 1996 avec possibilité de rupture du contrat de franchise à cette date.

N'obtenant pas l'accord de la société Verjo par courrier du 4 juillet 1995, Christian Vernhes résiliait les deux contrats de franchise.

Sur assignation délivrée à la requête de la société Verjo, le tribunal de commerce de Montpellier a, par jugement du 11 septembre 1996, désigné M. Sourina, ensuite remplacé par M. Dewintre, en qualité d'expert.

A la suite du dépôt du rapport de l'expert le tribunal de commerce de Montpellier a, par jugement en date du 27 août 1999 :

- homologué le rapport de l'expert en ce qu 'il a reconnu imputer la responsabilité de la rupture anticipée à M. Vernhes,

- condamné M Vernhes à payer à la société Verjo la somme de 159.695F à titre de dommages et intérêts outre celle de 6.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le 30 septembre 1999, Christian Vernhes a relevé appel de cette décision.

La société Verjo a formé un appel incident.

Prétentions et moyens des parties :

Il est expressément fait visa aux conclusions déposées et notifiées le 22 août 2000 par Christian Vernhes et le 29 août 2000 par la société Verjo,

Christian Vernhes demande à la Cour de réformer le jugement déféré, à titre principal, de prononcer la nullité des deux contrats souscrits et de condamner la société Verjo à lui restituer la somme de 112.254,77 F; à titre subsidiaire, de dire que la société Verjo n'a pas respecté ses obligations contractuelles et de la condamner à lui payer la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts; en tout état de cause, de condamner la société Verjo à lui payer la somme de 20.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, Christian Vernhes fait valoir, à titre principal, que la loi du 31 décembre 1989, dite loi Doubin n 'a pas été respectée et que, de surcroît, les contrats sont contraires aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et à la concurrence, qu'enfin, les contrats sont, en réalité, sans cause.

A titre subsidiaire, Christian Vernhes fait valoir que la société Verjo n 'a pas respecté ses engagements et que de plus, elle a manqué à son devoir de loyauté.

La société Verjo demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a imputé la responsabilité de la rupture à Christian Vernhes, de le réformer quant au montant des dommages et intérêts et de condamner Christian Vernhes à lui payer la somme de 260.580 F à titre de dommages et intérêts, outre celle de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de ses demandes, la société Verjo soutient qu'il ne saurait y avoir annulation des contrats, ni par application de la loi Doubin puisqu'il n 'est pas démontré que Christian Vernhes se serait engagé sans que son consentement ait été totalement éclairé ni par application de l'ordonnance du 31 décembre 1986.

La société Verjo soutient également qu'elle a transmis un réel savoir-faire et une assistance technique.

Enfin, la société Verjo soutient que son préjudice doit être évalué à une somme supérieure à celle retenue par les premiers juges.

Discussion

Il y a lieu, tout d'abord, de noter qu'un commerçant est réputé avisé et prudent lorsque, pour les besoins de son commerce, il s'engage et signe des contrats.

Or, en l'espèce, Christian Vernhes a signé deux contrats qui portent mention, juste au-dessus de sa signature dans le contrat du 15 septembre 1993, et trois lignes avant sa signature dans celui du 10 avril 1995, "que conformément aux dispositions de la loi N° 89-1008 du 31 décembre 1989 et du décret n° 91-337 du 4 avril 1991, M. Christian Vernhes, reconnaît qu'il lui a été communiqué, dans les délais légaux, le présent contrat ainsi que tous les documents et informations lui permettant de s'engager personnellement en toute connaissance de cause et sans aucune équivoque possible ".

La signature d'une telle mention suffirait à établir que les dispositions de la loi Doubin et de son décret d'application concernant l'information précontractuelle ont été respectées par la société Verjo si cette dernière ne communiquait pas (pièces annexée aux conclusions) ce qu 'elle a réellement donné comme document au titre de l'information précontractuelle, en application de l'article 1er de la loi Doubin.

Or, ce document est affligeant de pauvreté par rapport aux exigences de la loi Doubin et de son décret d'application. Ainsi, le paragraphe création et développement du savoir-faire" ne donne en réalité aucune indication permettant d'apprécier l'expérience professionnelle acquise puisqu'il y est simplement dit que "Guy Barber (dirigeant de la société Verjo) a, jusqu 'en 1984 étape par étape, acquis et perfectionné son savoir-faire" sans qu'il soit précisé quel est ce savoir-faire, pas plus d'ailleurs, que les étapes et les méthodes utilisées du perfectionnement affirmé.

De même, les perspectives de développement sont limitées à une seule phrase: "la transmission du savoir-faire et à son utilisation ".

Bien plus, aucune information n'est donnée quant à l'état général et local du marché, ni d'ailleurs, sur la nature et le montant des dépenses spécifiques à l'enseigne, alors que le contrat de franchise exige que l'activité se fasse dans un salon qui présente un décor et un aménagement fixés par le franchiseur, outre des tenues vestimentaires identiques pour le personnel ce qui induit l'existence nécessaire d'investissements.

C'est de façon inopérante sur ce point que la société Verjo soutient qu'elle n'avait aucune obligation de préciser l'état local du marché puisque Christian Vernhes, coiffeur depuis 1979 à Villefranche de Rouergue, le connaissait.En effet, si Christian Vernhes pratiquait la coiffure, rien ne permettait de penser qu 'il connaissait les méthodes de gestion des salons modernes, ce que devait lui apporter la franchise, et il ne pouvait, de plus, connaître l'état du marché local par rapport au style de coiffure proposé par Barber Shop. Surtout force est de constater que la loi n'a prévu aucune exception quant à la fourniture de renseignements complets et sincères,

Christian Vernhes n'a pas reçu la totalité des informations pré-contractuelles exigées par la loi Doubin et la Cour ne peut que s'étonner, à défaut de précisions données, sur les conditions de la signature par Christian Vernhes, des reconnaissances d'avoir obtenu les documents.

L'obligation précontractuelle de renseignements prévue par la loi du 31 décembre 1989 dite loi Doubin et par le décret d'application du 4 avril 1991 a pour finalité la protection du futur franchisé et est, en cas de non respect pénalement sanctionnée, ce qui démontre le caractère d'ordre public de ces textes et il s'ensuit que l'inexécution, dans le délai légal, par le franchiseur, de l'intégralité de cette obligation précontractuelle de renseignements constitue, en elle-même, une infraction à l'ordre public qui suffit à entraîner la nullité du contrat par application de l'article 6 du code civil,

Les contrats de franchise signés par Christian Vernhes le 15 septembre 1993 et 10 avril 1995 avec la société Verjo sont frappés de nullité puisque l'information précontractuelle n'a pas été intégralement donnée.

Comme les contrats sont nuls par application de la Loi Doubin, de son décret d'application, et de l'article 6 du code civil, il n 'y a pas lieu d'envisager les moyens et arguments visant aux mêmes fins, la nullité des contrats, présentés par Christian Vernhes et tirés de l'application de l'ordonnance du 31 décembre 1986 ou du défaut de cause des contrats.

De même, les moyens et arguments tirés de la transmission d'un réel savoir-faire et d'une technique présentés par la société Verjo sont sans objet du fait de la nullité des contrats.

Comme les contrats de franchise sont nuls, il convient de remettre les choses en l'état, comme si les contrats n'avaient jamais existé.

Aucune difficulté ne peut surgir en ce qui concerne le contrat du 10 avril 1995 puisque, en réalité, ce contrat n'a jamais connu de commencement d'exécution et que Christian Vernhes n 'a rien payé à la société Verjo laquelle ne lui a fourni aucune prestation.

En revanche, force est de constater que Christian Vernhes se trouve dans l'impossibilité matérielle de restituer les prestations reçues par application du contrat du 15 septembre 1993, lequel a été exécuté pendant 16 mois. En effet, Christian Vernhes ne peut à l'évidence, restituer les prestations d'utilisation de la marque et de produits, de publicité, de formation, d'information ou d'exécution des modèles de coiffure Barber Shop.

Dès lors, comme ces restitutions s'avèrent matériellement impossibles, il convient de préciser que la société Verjo ne sera pas tenue d'en restituer la contrepartie.

En conséquence, la société Verjo ne sera tenue qu'à la restitution du droit d'entrée payé par Vernhes Christian,

L'équité commande d'allouer à Vernhes Christian la somme de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme reçoit l'appel, Au fond, Réforme le jugement déféré, Dit nuls les contrats de franchise conclus les 15 septembre 1993 et 10 avril 1995 entre Christian Vernhes et la société Verjo. Condamne la société Verjo à payer à Christian Vernhes la somme de 20.000 F HT, montant du droit d'entrée versé, Condamne la société Verjo à payer à Christian Vernhes la somme de 5.000 F TTC au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne la société Verjo aux entiers dépens de première instance et d'appel, Dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.