CA Paris, 16e ch. A, 4 octobre 2000, n° 1998-26846
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nicogi (SARL)
Défendeur :
Le Gan Vie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Duclaud
Conseillers :
Mmes Imbaud-Content, Cobert
Avoués :
SCP Gaultier-Kistner-Gaultier, SCP Valdelièvre-Garnier
Avocats :
Mes Bernard, Ruimy-Cahen.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Nicogi d'un jugement du Tribunal de grande instance de Paris (18e Chambre - 2e Section) du 30 octobre 1998 qui, statuant sur la validité d'un congé portant refus de renouvellement du bail consenti à ladite société Nicogi ayant conclu un contrat de franchise "Jean- Louis David", sans offre d'indemnité d'éviction, a :
- dit que la société Gan Vie, bailleresse, peut en tout état de cause, motiver son congé refusant le renouvellement du bail sans indemnité d'éviction, en déniant à la société Nicogi, le bénéfice du statut des baux commerciaux,
- dit que la société Nicogi n'avait pas droit au bénéfice du statut des baux commerciaux et en conséquence à l'allocation d'une indemnité d'éviction,
- constaté que le congé délivré le 10 août 1992 par la société Gan Vie a mis fin au bail en date du 24 mai 1984, concernant les locaux se situant 105 avenue Victor Hugo à Paris (16e), à compter du 1er juillet 1993,
- dit qu'à compter de cette date la société Nicogi était devenue occupante sans droit ni titre des locaux précités,
- condamné la société Nicogi à payer à la société Gan Vie une indemnité d'occupation annuelle de 61.000 francs outre les charges et les taxes de nature locatives en sus, à compter du 1er juillet 1993,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la présente décision,
- condamné la société Nicogi à supporter les entiers dépens avec distraction au profit des avocats qui en ont fait la demande dans les formes de l'article 699 du NCPC.
Les faits et la procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit.
Par acte sous seing privé en date à Paris du 24 mai 1984, la Société Athena, aux droits de laquelle se trouve la Société Gan Vie, a fait bail et donné à loyer à la Société La Coiffure d'Art divers locaux à usage commercial dépendant de l'immeuble sis à Paris, 105 Avenue Victor Hugo, moyennant diverses charges et conditions et un loyer annuel en principal de 47.000 F.
Par acte sous seing privé du 5 février 1987, la Société La Coiffure d'Art a cédé son fonds de commerce, incluant le droit au bail sus analysé à la société Nicogi moyennant le prix de 1.100.000 F, dont 950.000 francs en paiement des éléments incorporels.
La société Nicogi a conclu, le 17 mai 1990, avec la Société Gérôme Coiffure, titulaire avec la Société Estime CV des différentes marques et droits d'auteur Jean Louis David, un contrat de franchise qui a été renouvelé le 1er janvier 1996 pour huit ans.
Par acte extra judiciaire du 10 août 1992, la société Gan Vie a fait signifier à la société Nicogi une sommation visant les dispositions de l'article 9 du décret du 30 septembre 1953 d'avoir à remettre en état les locaux loués dans lesquels des travaux auraient été exécutés sans autorisation du bailleur et en contravention avec les stipulations contractuelles.
Le 3 décembre 1992, la société Gan Vie faisait signifier à sa locataire un congé avec refus de renouvellement et refus d'indemnité d'éviction motivé par les manquements de la société Nicogi, ledit congé étant à effet du 1er juillet 1993.
La société Nicogi a contesté judiciairement les griefs articulés de ce chef à son encontre par la société Gan Vie.
Le Tribunal d'instance du 16e arrondissement de Paris a rendu le 22 mars 1994, un jugement aux termes duquel il décidait que la sommation était injustifiée.
Cette décision n'étant pas frappée d'appel et étant devenue définitive, la société Nicogi a saisi le Tribunal de grande instance de Paris d'une demande tendant à voir condamner son bailleur à lui payer une indemnité d'éviction - fixée de plano à 7.000.000 francs - et à titre subsidiaire, à voir désigner tel expert avec mission d'usage en la matière.
La société Gan Vie s'est associée à la demande d'expertise formée à titre subsidiaire par le demandeur, "tous droits et moyens des parties réservés".
Par jugement en date du 28 juin 1996, le Tribunal de grande instance de Paris a statué sur le motif du congé du 3 décembre 1992 et l'estimant injustifié, a constaté qu'il avait néanmoins été valablement mis fin au bail à la date du 30 juin 1993.
Avant dire droit pour le surplus, et en réservant expressément tous les droits et moyens des parties, les premiers juges désignaient M. Marx en qualité d'expert, la mission de celui-ci étant spécifiée en ces termes :
"rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction en tenant compte, au vu des contrats de franchise signés de tous éléments préexistants à la signature desdits contrats ou non, du fonds de commerce exploité dans les lieux par la société Nicogi, en particulier de la clientèle"...
M. Michel Marx a déposé son rapport le 2 avril 1997, concluant à deux valeurs au titre de l'indemnité d'éviction selon que le Tribunal retiendrait ou non une modification des facteurs locaux de commercialité lesquels étaient allégués par la société Gan Vie et combattus par la société Nicogi - et à une valeur dégressive comprise entre 248.985 francs et 226.350 francs au titre de l'indemnité d'occupation.
La société Gan Vie a demandé, en ouverture de rapport, aux premiers juges d'écarter les prétentions de la société Nicogi au motif qu'elle n'avait pas la propriété de la clientèle, discutant, à titre très subsidiaire, des motifs de déplafonnement et de leur incidence sur les différents calculs liés à la fin du bail.
La société Nicogi a conclu au bénéfice de l'hypothèse la plus favorable de l'expertise Marx et a sollicité, en outre, de nouvelles indemnisations au titre de travaux non amortis.
Le débat essentiel a porté sur la détermination de la propriété de la clientèle de la société Nicogi ; de cet élément dépend la solution judiciaire, la démonstration de l'existence d'une clientèle propre à la société Nicogi ouvrant à celle-ci le droit à indemnité d'éviction et la démonstration inverse l'excluant du bénéfice du statut et, partant, de ce même droit à indemnité d'éviction.
C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement déféré lequel a dit que la société Nicogi n'avait pas droit au statut des baux commerciaux.
La société Nicogi, appelante, demande à la Cour de:
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel et y faisant droit,
- infirmer le jugement du 30 octobre 1998 en ce qu'il a dénié à la société Nicogi le bénéfice du statut des baux commerciaux et l'a déboutée en conséquence de sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction,
- fixer le montant de l'indemnité d'éviction due par la société Gan Vie à la société Nicogi à la somme de 2.282.096 francs et la condamner audit paiement,
- dire que la société Gan, Vie devra en outre rembourser à la société Nicogi les indemnités de licenciement du personnel sur justificatifs,
- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 61.000 francs annuels à compter du 1er juillet 1993,
- condamner la société Gan Vie à payer à la société Nicogi la somme de 50.000 francs en application de l'article 700 du NCPC.
- condamner la société Gan Vie en tous les dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par la SCP Gaultier Kistner conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.
La société Gan Vie, intimée, prie la Cour de :
- recevoir la société Gan Vie en ses conclusions et y faisant droit,
Vu les pièces versées aux débats,
- confirmer le jugement rendu le 30 octobre 1998 par la 18e chambre du Tribunal de grande instance de Paris en ce qu'il a dit que la société Nicogi n'avait pas droit au bénéfice du statut et l'a déboutée de toutes ses fins, demandes et conclusions,
- dire et juger la société Nicogi irrecevable et, en tous cas, mal fondée en son appel et l'en débouter purement et simplement,
Pour le surplus, statuant à nouveau,
- réformer le jugement entrepris et fixer le montant de l'indemnité d'occupation sur la base de 4.800F/m², hors précarité de la date d'effet du congé à parfaite libération des lieux, charges et taxes en sus,
- condamner la société Nicogi à payer à la société Gan Vie la somme de 50.000 francs en vertu des dispositions de l'article 700 du NCPC.
- s'entendre condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le montant sera recouvré directement par la SCP Valdelievre Garnier Avoués à la Cour dans les conditions de l'article 699 du NCPC,
A titre infiniment subsidiaire et au cas où, par extraordinaire, il serait reconnu à la Société Nicogi le droit à indemnité d'éviction,
- dire et juger que le montant de cette indemnité ne saurait être supérieur à 935.000 F, toutes causes confondues et que le montant de l'indemnité d'occupation courant du 1er juillet 1993 jusqu'à parfaite libération des lieux doit s'établir à la somme de 248.985 francs par an en principal.
- débouter la société Nicogi de toutes prétentions plus amples ou contraires.
Ceci étant exposé, LA COUR
I - Sur l'application du statut des baux commerciaux au franchisé "Nicogi":
Considérant que le jugement déféré a posé le principe selon lequel en l'absence de toutes dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles, autorisant la société Nicogi, liée par un accord de franchise à un franchiseur, à se prévaloir du statut des baux commerciaux, il convient de rechercher si la société locataire a eu ou conservé la propriété de son fonds de commerce et est fondée à se prévaloir d'une clientèle liée à son activité personnelle, voire à l'emplacement des locaux, indépendamment de la marque de son franchiseur ;
Que cette décision tire de son analyse des faits selon laquelle la société Nicogi ne répondait pas exigences de ce principe, et que dès lors, celle-ci n'étant pas propriétaire du fonds exploité dans les lieux en cause, ne pouvait bénéficier du statut des baux commerciaux ;
Que la société Gan Vie sollicite la confirmation du jugement déféré en s'appuyant sur son argumentation à savoir:
1°) la société Nicogi ne peut se prévaloir de l'existence d'une clientèle du fonds de commerce litigieux préalablement à son acquisition du fonds litigieux en 1987 et ce d'autant plus qu'entre 1981 et 1987 le gérant de la société Nicogi, Monsieur Nicolini a déjà été un franchisé "Jean-Louis David Diffusion" lors de l'exploitation d'un autre fonds ; la société Nicogi, n'apporte pas davantage la preuve de la création d'une clientèle personnelle en 1987, date d'acquisition du fonds en cause ni en 1990, date de signature du contrat de franchise "Jean-Louis David Diffusion",
2°) les clauses du contrat de franchise (renouvelé le 29 décembre 1996) sont si contraignantes que la société Nicogi n'a aucune autonomie, - l'intimée faisant observer que "les premiers juges ont relevé dans leur recensement non exhaustif des stipulations contractuelles dépouillant le franchisé de toute direction autonome du fonds, lui laissant la charge intégrale de toute responsabilité dans sa gestion mais lui ôtant toute faculté de céder son fonds librement",
3°) la société Nicogi n'a au surplus jamais sérieusement allégué que la qualité de l'emplacement serait prédominante par rapport à la marque objet de la franchise.
Que la société Gan Vie soutient aussi que le contrat de franchise dont il s'agit doit être qualifié de contrat de gérance salarié, invoquant un arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 1995 (D 1997, jurisprudence, p. 10) lequel, selon elle, a dit qu'il devait en être ainsi du fait que les juges du fond avaient constaté que "le propriétaire du fonds de commerce n'avait aucune liberté pour l'exploitation de son commerce et que les prix des marchandises étaient fixés par le fournisseur et qu'en l'espèce, les conditions du contrat de franchise permettaient de considérer que le franchisé était très "dirigé" par le franchiseur et qu'il ne disposait pas d'une indépendance de gestion permettant de caractériser un commerce indépendant" ;
Que selon la société Gan Vie, tel est le cas de la franchisée Nicogi ainsi que cela ressort de :
* l'annexe I des conditions spéciales du contrat imposant une gamme de produits, émanant de fournisseurs et à des prix imposés,
* des conditions générales du contrat
- imposant un décorateur et l'achat de "kit" (page 7)
- imposant une liste de produits d'usage à acquérir (page 28),
- clause relative à la cession du fonds et ses limites (page 35),
* du contrat-cadre :
- interdisant la vente de tous autres produits que ceux autorisés par le franchiseur (page 13),
- clause relative à la désignation et au maintien du responsable du salon (page 14),
- clause relative aux contrôles exercés par le franchiseur "à tout moment" (page 26).
Mais considérant que le fonds de commerce est un ensemble d'éléments de nature à attirer la clientèle intéressée par le produit vendu ou la prestation offerte en vue de l'enrichissement de celui qui assume le risque d'une telle entreprise, c'est-à-dire celui de la perte des investissements qu'il a faits pour l'acquérir, le maintenir et le développer ;
Considérant que dans le cas d'une exploitation de fonds après signature d'un accord de franchise, il faut observer que la sanction d'une éventuelle perte de clientèle voire d'un insuccès total, frappe directement le franchisé au point le cas échéant de mettre en péril l'existence de son fonds ;
Que dans ce cas de figure, le franchiseur n'est atteint que de manière différée, et, de manière limitée dans le temps, s'il est avisé, dans le cas d'une franchise afférente à la commercialisation de produits finis, et, de manière plus atténuée encore, dans le cas d'une franchise portant sur des prestations de service, sauf quel que soit l'objet du contrat de franchise, dépôt du bilan du franchisé dont celui-ci est quand même la première victime ;
Qu'il faut voir là la preuve que la clientèle attachée au fonds est celle de celui-ci, laquelle est donc autonome par rapport à celle du franchiseur ;
Considérant que cette constatation n'est pas en contradiction avec le fait qu'il y a interdépendance entre franchiseur et franchisé laquelle se traduit ainsi schématiquement ;
- sans fonds du franchisé, pas de création de clientèle pour le franchiseur, et,
- sans franchiseur, pas de clientèle pour le franchisé ;
Que cette interdépendance est d'ailleurs très réduite dans le cas d'un contrat de franchise de prestations de service, comme c'est le cas de la présente franchise "Jean-Louis David Diffusion" ; qu'en effet, la société Gérôme Coiffure, qui bénéficie d'une "licence de marques et transfert de savoir-faire et de droits d'auteur" de Jean-Louis David, met à la disposition du franchisé, la société Nicogi, un "savoir-faire" en contrepartie duquel ledit franchisé verse une redevance mensuelle fixe prévue dans le contrat de franchise du 17 mai 1990;
Qu'il est intéressant de noter à cet égard la stipulation suivante:
"la fabrication des coiffures réalisées par le franchisé sur sa clientèle étant par définition purement manuelle, elle s'effectue sous sa responsabilité et sous son seul contrôle, de sorte que ni la société Gérôme Coiffure, ni la société Estime CV (qui a cédé la licence de marque) ne peuvent être recherchées ou voir leur responsabilité engagée à ce titre" ;
Que cette observation incidente étant faite, il convient pour en revenir à l'interdépendance des parties en cause, de noter que si "le franchisé s'engage à n'acheter et à ne faire usage que des produits indiqués par Gérôme Coiffure", le fabriquant de ces produits est L'Oréal ;que quant aux accessoires, ils doivent être choisis au vu d'une sélection faite par la société Estim CV, mais là encore, ceux-ci ne sont pas fabriqués par celle-ci ;que la vente de ces produits ne rapporte que 15 % de leur montant à la société Gérôme Coiffure (Annexe 3 des conditions spéciales du contrat de franchise), ce qui représente un intérêt financier marginal pour celle-ci ;
Considérant par ailleurs qu'aucun élément de nature à caractériser une gérance salariée déguisée ne vient à l'appui d'un des moyens de la société Gan Vie ; que la société Nicogi se voit reconnaître à l'article 14 intitulé "Indépendance et responsabilité des parties" des conditions spéciales des contrats de franchise "Jean-Louis David Diffusion", la qualité de commerçant indépendant qui doit apposer sur sa vitrine sa dénomination sociale ainsi que ses documents destinés aux tiers ; que cette clause stipule que le franchisé est seul juge de ses décisions et assume seul la direction de son entreprise et qu'il conserve la responsabilité exclusive de la gestion et des résultats de son exploitation, de la tenue des livres de sa comptabilité, et, du respect des obligations légales et réglementation qui lui incombe ;qu'aucune clause ne limite sensiblement sa liberté de choix des membres de son personnel "coiffeur", la seule obligation pesant sur lui étant d'envoyer chaque nouveau coiffeur recruté suivre un stage dans le Centre de formation du franchiseur dans les deux mois de son recrutement ;que si pour tout employé autre que les coiffeurs (directeur, hôtesse, caissière, réceptionniste) qu'il se proposerait de recruter, il doit les envoyer préalablement à leur embauche leur faire suivre un stage de formation de trois jours (deux jours dans un Centre de formation, un jour dans un salon-pilote), il ne s'agit pas d'une sérieuse entrave à la liberté de choix de la société Nicogi mais une aide à sa décision ;qu'aucune clause ne lie le franchisé quant aux horaires d'ouverture et aux jours de congé; qu'enfin, pour s'en tenir à l'essentiel, par la clause de non concurrence après la fin du contrat (article 20 de la convention citée ci-dessus), le franchisé "s'interdit directement ou indirectement d'embaucher, de prendre à son service, de s'associer avec ou s'assurer de quelque façon que ce soit, le concours de toute personne étant au service de l'un quelconque des salons de Jean-Louis David, sans l'autorisation préalable expresse du salon de coiffure concerné"; que là encore, cette légère restriction à la liberté du franchisé, pas plus que la précédente et même cumulée avec elle, n'est de nature à faire perdre à la société Nicogi le caractère indépendant de son exploitation ;
Considérant qu'il s'ensuit de tout ce qui précède que la société Nicogi est propriétaire d'un fonds de commerce composé d'éléments lui appartenant en propre notamment celui essentiel de la clientèle qui s'y attache;
Que dès lors, le congé délivré par la société Gan Vie à la société Nicogi à effet du 1er juillet 1993, a mis fin aux relations contractuelles entre les parties à cette date, ouvrant droit au profit de la société Nicogi à perception d'une indemnité d'éviction, puisque est sans fondement le moyen tiré de la dénégation de l'application du statut du décret du 30 septembre 1953 soutenu par la société Gan Vie pour s'opposer au principe même de la demande de fixation de ladite indemnité motif pris de ce que la société Nicogi ne serait pas propriétaire d'un fonds de commerce comme l'exige l'article 1er du décret du 30 septembre 1953 ;
II - Sur le montant de l'indemnité d'éviction :
Considérant que dans sa recherche des éléments de nature à déterminer la valeur du droit au bail, l'expert judiciaire, Monsieur Marx, avance l'idée selon laquelle la construction de 8000 m² de bâtiments nouveaux dans le quartier paraît insuffisant pour conclure à une augmentation notable du flux de chalands à l'emplacement considéré ;
Considérant que la société Gan Vie fait grief à cet expert de ne pas avoir tenu compte de deux éléments objectifs contemporains du bail renouvelable au 1er juillet 1993 a savoir : édification de nouveaux logements en quantité importante à proximité, et, construction d'un parc de stationnement public en face des lieux litigieux ;
Mais considérant que sur les 8000 m² d'édification construits au cours du bail expiré, dans un rayon de quatre cents mètres autour des lieux loués, la moitié de cette surface est à usage d'habitation, et ne représente que trente appartements seulement, ce qui est insignifiant ;
Que quant au parking, construit en face des lieux loués, il faut observer qu'il ressort du rapport d'expertise (page 8) qu'il y a un second parc de stationnement à proximité à hauteur de la rue de la Pompe qui est plus ancien de sorte que le quartier bénéficiait déjà de facilités de stationnement non négligeables ; que par ailleurs, l'activité de salon de coiffure s'adresse aux habitants du quartier, - le contrat de franchise prévoyant d'ailleurs lui-même un périmètre de chalandise s'inspirant de celui-ci ; que l'amélioration des facilités de stationnement invoquée n'est pas dès lors un élément modifiant de manière notable la commercialité du fonds de coiffure dont il s'agit ;
Que la Cour retiendra donc le mode de calcul proposé par l'expert Marx à partir d'un loyer renouvelé plafonné ;
Considérant qu'aucune des parties ne critique la pondération des surfaces louées suggérée par ce technicien, ce qui donne une superficie de 50,30 m2 B ;
Considérant que la société Gan Vie ne développe aucun argument tendant à remettre en cause le chiffrage de Monsieur MARX dans l'hypothèse retenue par la Cour, à savoir celle où le loyer renouvelable aurait été plafonné ;
Considérant encore que la Cour constate, comme l'observe à bon escient l'expert Marx que l'éviction entraînera la perte du fonds, aucun transfert n'étant possible, et, suivant toujours le rapport d'expertise, dit que la valeur vénale de celui-ci est limitée à la valeur du droit au bail, le fonds même déficitaire ne pouvant avoir une valeur inférieure à un des éléments qui le compose ;
Que l'expert Marx doit être approuvé en ce qu'il a fixé la valeur du droit au bail, et partant du fonds dans le cas présent, à 1.865.000 F, les frais de remploi à 256.000 francs et le trouble commercial à 65.000 francs ;
Considérant que la Cour évaluera les frais de déménagement à la somme de 12.500 francs ;
Considérant que la société Nicogi, dès lors qu'elle va être fixée sur son sort par le présent arrêt, devra prendre des dispositions pour réduire son stock; que la Cour lui allouera à ce titre seulement la somme de 12.500 francs au lieu des 25.000 francs demandés ;
Considérant que la société Nicogi, qui n'a pas cru devoir verser ses bilans des exercices 1998 et 1999, ne permet pas à la Cour, qui doit apprécier son préjudice à la date la plus proche de l'éviction, de connaître l'évolution du montant des agencements non amortis depuis leur chiffrage dans le bilan intermédiaire du 31 mai 1997 ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande de ce chef ;
Considérant qu'en ce qui concerne les frais de licenciement du personnel, ils seront remboursés à la société Nicogi au vu de justificatifs ;
Considérant que le montant total de l'indemnité d'éviction sera donc:
- Droit au bail : 1.865.000 francs
- Frais de remploi : 256.000 francs
- Trouble commercial : 65.000 francs
- Frais de déménagement : 12.500 francs
- Stock : 12.500 francs
- Agencements non amortis :O franc
- Frais de licenciement du personnel : remboursement au vu des justificatifs : mémoire : 2.211.000 francs
III - Sur le montant de l'indemnité d'occupation :
Considérant que la société Nicogi soutient que l'indemnité d'occupation doit être fixée en application de l'article 20 du décret du 30 septembre 1953, dont en vertu de tous les éléments d'appréciation et en retenant un abattement d'usage pour précarité ;
Considérant que la société Gan Vie, après avoir rappelé que les premiers juges ont rejeté le mode de calcul de l'indemnité d'occupation qu'elle avait présenté au motif que l'article 20 du décret du 30 septembre 1953 n'était pas applicable en l'espèce, dit partager cette analyse "pour autant que l'indemnité de droit commun soit effectivement calculée pour compenser le préjudice causé du fait du maintien indu de l'occupation et en considération de la perte subie par elle contrainte d'immobiliser un bien qui, s'il était reloué le serait à la valeur du marché, soit sur la base de 4.800 francs par m² B jusqu'à parfaite libération des lieux" ;
Considérant, ceci étant, que le droit du bailleur au paiement de l'indemnité d'occupation est fondé sur l'article 20 du décret du 30 septembre 1953, dès lors que le droit à indemnité d'éviction du preneur est acquis, peu important que la reconnaissance de ce droit ne l'ait été qu'à l'issue du présent litige ;
Que l'indemnité d'occupation de l'article 20 n'a pas pour objet de réparer le préjudice consécutif à l'impossibilité pour le bailleur de jouir des lieux car celui-ci n'existe pas en raison du droit de rétention du locataire, mais a pour fin de représenter la contrepartie de la jouissance des lieux ;
Qu'il est de principe constant que l'article 23-6 du décret du 30 septembre 1953 ne saurait être applicable dans le cas d'une telle indemnité ;
Qu'il s'agit donc de rechercher la valeur locative des locaux à compter du 1er juillet 1993 ;
Que l'expert Marx a proposé de fixer ainsi qu'il suit l'indemnité d'occupation, étant observé que les lieux loués sont dans le tronçon le plus attractif de l'Avenue Victor Hugo, celui compris entre la Place Victor Hugo et la rue de Longchamp et de surcroît du meilleur côté, celui des numéros impairs, et, que la pondération des lieux à 50,30 m2 B n'est critiquée par aucune des parties :
- du 01/07/1993 au 30/06/1994: 50,30 x 5.500 francs x 90% (abattement de 10% pour précarité) = 248.985 francs
- du 01/07/1994 au 30/06/1995: 50,30 x 5.250 francs x 90% = 237.668 francs
- du 01/07/1995 au 30/06/1996: 50,30 x 5.000 francs x 90% = 226.350 francs
- à compter du 1er juillet 1996 : 50,30 x 4.800 x 90% = 217.296 francs soit 18.108 francs par mois;
Considérant que la société Gan Vie demande à la Cour de fixer l'indemnité d'occupation due à compter du 1er juillet 1993 sur la base de 4.800 francs le m2, soit à la somme de 148.985 francs par an en principal, et ce, après avoir écarté le principe d'un abattement pour précarité ;
Considérant que le chiffrage à 4.800 francs le m2 pondéré, compte tenu de l'emplacement de très grande qualité et des références citées par l'expert MARX, est raisonnable concernant toute la durée de l'indemnité d'occupation précaire ;
Qu'il y a cependant lieu de faire un abattement de 25% pour précarité de nature exceptionnelle en raison de la très grande incertitude de la société Nicogi sur le sort qui lui serait fait à l'issue du litige ;
Qu'il s'ensuit que la société Nicogi devra verser à compter du 1er juillet 1993 une indemnité d'occupation annuelle de : 50,30x4.800x0,75 = 181.080 francs
Soit 15.090 francs par mois, taxes et charges en sus
IV - Sur les demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure
Civile :
Considérant que l'équité commande de condamner la société Gan Vie à payer à la société Nicogi la somme de 20.000 francs en paiement de ses frais irrépétibles ;
Que la société Gan Vie, qui succombe en ses prétentions, ne saurait se voir allouer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Par ces motifs : Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, Dit que le congé délivré à la société Nicogi à effet du 1er juillet 1993 a mis fin aux relations contractuelles entre les parties à cette date, et ouvre droit au profit de la société Nicogi à perception d'une indemnité d'éviction, Fixe le montant de ladite indemnité d'éviction à la somme de 2.211.000 francs, Fixe le montant de l'indemnité d'occupation hors taxes et charges due par la société Nicogi à la somme de 181.080 francs par an, soit à raison de 15.090 francs par mois, et à compter du 1er juillet 1993 jusqu'à libération des lieux, Y ajoutant, Condamne la société Gan Vie à verser à la société Nicogi la somme de 20.000 francs par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Déboute la société Gan Vie de sa demande fondée sur ce texte, Condamne la société Gan Vie aux dépens de première instance, lesquels comprendront les frais d'expertise, et, d'appel ; autorise la SCP Gaultier Kistner Gaultier, Avoué, à les recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.