CA Paris, 5e ch. B, 16 décembre 1993, n° 92-20922
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Diffujambes (EURL)
Défendeur :
Dejussel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
Mme Garnier, M. Bouche
Avoués :
SCP Ménard-Scelle-Millet, Me Jobin
Avocats :
Mes Richard, Huellou.
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Diffujambes a interjeté appel d'un jugement réputé contradictoire rendu le 28 septembre 1990 par le Tribunal de Grande Instance de Thonon-les-Bains, statuant en matière commerciale, qui
- a déclaré irrecevables comme tardives ses conclusions,
- a prononcé la nullité de la convention de réservation de franchise qu'elle avait conclu le 4 septembre 1989 avec Mme Jocelyne Berlioz épouse Dejussel,
- l'a condamné à verser à celle-ci les sommes suivantes :
. 23 270 F avec intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 1989,
. 2 946,63 F à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 1979,
. 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par arrêt en date du 1er octobre 1992, la Cour d'Appel de Chambéry vu la clause attributive de compétence territoriale figurant dans la convention du 4 septembre 1989 s'est déclarée incompétente et a renvoyé l'affaire devant la présente Cour.
Le 4 septembre 1989, Mme Dejussel a conclu avec l'Eurl Diffujambes une " convention préalable d'une réservation de franchise " en vue de l'exploitation des méthodes et de la vente des produits de l'Institut des Jambes - Mme Delille, en exclusivité sur le territoire d'Annemasse et de son agglomération.
En exécution de cette convention, Mme Dejussel a versé au franchiseur le 12 septembre 1989 une somme de 20 000 F hors taxes à titre d'acompte sur le droit d'entrée de 60 000 F hors taxes.
Mme Dejussel expose :
- qu'elle s'est rendue à Paris du 9 au 13 octobre 1989 pour y suivre les cours de formation dispensés par l'institut,
- qu'à son retour elle a constaté que l'institut Santé Beauté sis à Annemasse, 1 avenue de la République et exploité par Mme Krempp Brinca vendait les produits de Mme Delille et appliquait ses méthodes.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 novembre 1989, elle a mis l'Eurl Diffujambes en demeure de lui rembourser l'acompte ainsi que les frais de transport et de séjour engagés lors du stage de formation.
Par courrier du 6 novembre 1989, Mme Delille a répondu :
- que Mme Brinca était une " ancienne cliente du temps de la distribution libre " qui n'avait jamais acheté d'appareil et ne possédait pas la méthode Institut des Jambes,
- que Mme Brinca avait seulement acheté quelques produits entre 1979 et 1983,
- que celle-ci n'avait signé aucun contrat ni reçu l'autorisation d'utiliser la marque.
Elle a ajouté que conformément au contrat, la zone d'exclusivité était respectée.
Par acte du 30 janvier 1990, Mme Dejussel a assigné l'Eurl Diffujambes.
C'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement déféré.
L'Eurl Diffujambes expose au soutien de son appel :
- que Mme Brinca n'a conclu aucun contrat avec elle et n'a jamais reçu l'autorisation d'utiliser la marque,
- que le contrat de franchise porte sur les méthodes et non sur les produits qui sont en vente libre,
- qu'elle-même a respecté les obligations lui incombant et notamment l'exclusivité territoriale,
- que Mme Dejussel ne peut prétendre avoir été " victime " d'un vice du consentement.
Elle demande à la Cour :
- de débouter Mme Dejussel de ses prétentions,
- de la condamner à lui rembourser les sommes qu'elle-même lui a versées en exécution du jugement avec intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 1989,
- de la condamner en outre à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Mme Dejussel, intimée, fait valoir :
- que l'Eurl Diffujambes n'a pas respecté la zone d'exclusivité qu'elle lui avait consentie,
- que son consentement a été donné par erreur sur la substance même de la chose objet du contrat (produits et méthodes de l'institut, caractère nouveau et exclusif de ce produit dans la région d'Annemasse),
- qu'elle a été victime des manœuvres dolosives de Mme Delille et n'aurait pas contracté si elle avait eu connaissance des accords préalablement passés entre celle-ci et Mme Krempp Brinca et toujours appliqués.
Elle prie la Cour :
- de confirmer le jugement à l'exception de la disposition qui l'a déboutée de sa demande en réparation du préjudice moral et professionnel qu'elle a subi,
- subsidiairement, de prononcer la nullité de la convention sur le fondement des articles 1116, 1117 et 1304 du code civil,
- plus subsidiairement de prononcer la résolution du contrat,
- de condamner l'Eurl Diffujambes à lui verser les sommes suivantes :
. 23 270 F avec intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 1989,
. 2 946,63 F en remboursement des frais qu'elle a engagés, avec intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 1989,
. 30 000 F en réparation du préjudice moral et professionnel qu'elle a subi,
. 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
. 14 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Considérant qu'aux termes de la convention préalable de réservation de franchise, Mme Dejussel a déclaré avoir " pris connaissance de tous les éléments de la franchise ... dont copie jointe " et accepter de devenir franchisé,
Qu'elle n'est donc pas fondée à prétendre avoir ignoré lors de la signature du pré-contrat certaines caractéristiques de cette franchise ;
Considérant qu'il résulte des documents définissant les obligations des parties :
- que le franchiseur s'est engagé à conférer au franchisé " l'exclusivité liée à un secteur défini ",
- que la carte annexée au pré-contrat délimitait le " secteur consacré à Mme Dejussel en exclusivité ",
- que la franchise a pour objet " les méthodes de traitement de l'Institut des Jambes de Mme Delille " et constitue un " contrat de prestations de service ",
- que les produits de cet institut " commercialisés depuis 1963 sont en vente libre, mais doivent être obligatoirement vendus dans les magasins attenant aux instituts ... franchisés ainsi que tous les produits de la ligne Mme Delille " ;
Considérant que Mme Dejussel verse aux débats un témoignage écrit de Mme Josiane Bel qui atteste le 3 novembre 1989, avoir remarqué dans le " bottin " une publicité concernant l'Institut des Jambes de Paris, effectué par l'Institut Santé Beauté sis à Annemasse et s'être rendue dans ce centre le 27 octobre 1989 ; qu'elle précise : " Mme Krempp Brinca m'a expliqué les principes et les méthodes de l'Institut des Jambes et m'a déclaré qu'elle appliquait celles-ci depuis plus de 10 ans ... (elle) m'a alors proposé les cures Frigibas ainsi que d'autres produits crème et gel Institut des Jambes soit à appliquer dans son Institut soit à faire à domicile " ;
Considérant que le 24 novembre 1989, Mme Dejussel a fait délivrer une sommation interpellative à Mme Krempp Brinca,
Qu'il résulte du procès-verbal dressé par la société civile professionnelle Vinit Devove, huissier de justice :
- que Mme Krempp Brinca a fait paraître dans les pages jaunes du dernier annuaire téléphonique une publicité indiquant qu'elle employait la méthode Institut des Jambes de Paris,
- qu'elle affichait dans ses locaux un diplôme délivré le 10 avril 1979 par cet institut,
- qu'elle exposait dans une vitrine à l'intérieur de son magasin et proposait à la vente des trousses de voyages Frigibas portant l'inscription " Institut des jambes - Mme Delille ",
- que figurait sur l'enseigne apposée à l'extérieur sur l'immeuble sis 1 avenue de la République la mention " Institut des Jambes - Paris ",
- que Mme Krempp Brinca n'a pas contesté avoir indiqué à Mme Bel le 27 octobre 1989, quelle vendait le traitement de l'Institut des Jambes, ses produits et pouvait les appliquer à cette personne dans son institut,
Que sur interpellation, Mme Krempp Brinca a notamment précisé à l'huissier :
- qu'elle diffusait les produits et traitements de l'Institut des Jambes depuis 1979,
- qu'elle avait acheté ces produits à Mme Delille et finissait d'écouler le stock existant,
- qu'elle avait été autorisée par l'Institut des Jambes à faire figurer sur l'enseigne la mention " Institut des Jambes - Paris " et retirerait cette mention après écoulement du stock,
- que le diplôme lui avait été remis pour lui permettre de diffuser les produits de cet institut ;
Considérant qu'il s'ensuit qu'en 1989 Mme Krempp Brinca utilisait la marque et les signes distinctifs de l'Institut des Jambes d'une part, pratiquait elle-même des soins à l'aide de ces produits d'autre part ;
Considérant que l'exclusivité de l'utilisation de la marque, des signes distinctifs, s'y rapportant et des méthodes spécifiques du franchiseur, sur un territoire délimité contractuellement, constituait un élément essentiel, déterminant du consentement de Mme Dejussel qui n'aurait pas contracté si elle avait su que ces signes et méthodes étaient encore utilisés par un centre de soins, même non franchisé, implanté depuis 10 ans sur le secteur - qui lui était concédé, et qui par conséquent drainait soit directement soit par voie de publicité une partie de la clientèle locale qu'elle estimait pouvoir à juste titre attirer dans son propre institut;
Qu'il convient donc de prononcer la nullité du contrat sur le fondement de l'article 1110 du code civilet de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'Eurl Diffujambes à rembourser l'acompte versé par Mme Dejussel ainsi que les frais de transports et de séjours qu'elle a engagés pour suivre le stage de formation à Paris et qui sont justifiés par les documents produits (attestation de stage, billet SNCF, notes d'hôtel et de restaurants) ;
Considérant que Mme Dejussel qui ne produit aucun document probant établissant la réalité du préjudice moral et professionnel qu'elle allègue, sera déboutée de ce chef de demande ;
Considérant qu'il n'est pas établi que l'Eurl Diffujambes qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, a agi de mauvaise foi en interjetant appel,
Qu'il convient de rejeter la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive formée par Mme Dejussel ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de celle-ci les frais irrépétibles qu'elle a engagés et que la Cour fixe, compte tenu des éléments de la procédure à 3 000 F ;
Considérant que l'Eurl Diffujambes qui succombe, n'est pas fondée à solliciter le remboursement des sommes qu'elle aurait versées en exécution du jugement et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant, Condamne l'Eurl Diffujambes à verser à Mme Dejussel une somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Déboute l'Eurl Diffujambes de ses demandes et Mme Dejussel du surplus des siennes ; Condamne l'Eurl Diffujambes à payer les dépens engagés devant la Cour d'appel de Chambéry et la présente Cour ; Admet la société civile professionnelle Jobin, avoué près la Cour d'appel de Paris et la société civile professionnelle Buttin Richard Fillard, avoués près la Cour d'appel de Chambéry au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.