CA Paris, 5e ch. A, 12 janvier 1994, n° 660-93
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Adeve (SARL)
Défendeur :
Ada (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chavanac
Conseillers :
Mmes Briottet, Vigneron
Avoués :
Me Bodin Casalis, SCP Regnier Sevestre
Avocats :
Mes Douet, Zylbers.
Suivant déclaration remise au Secrétariat Greffe le 20 novembre 1992, la société Adeve a interjeté appel du jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 11 mai 1992 qui a :
- déclaré résiliés aux torts partagés des parties, les contrats de franchise signés les 27 février et 24 mai 1989 entre les sociétés Ada et Adeve ;
- condamné avec exécution provisoire cette dernière société à payer à la société Ada les sommes de :
- 37 692,80 F avec les intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 1991, au titre des redevances impayées ;
- 280 938 F à titre de dommages intérêts pour rupture brutale des contrats ;
- prononcé une astreinte de 10.000 F par jour pendant un mois à compter du 31ème jour suivant la signification du jugement ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- condamné la société Adeve à payer à la société Ada la somme de 7.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;
Ensemble, sur l'appel incident formé par la société Ada.
Après conclusion préalable les 12 novembre 1988 et 2 janvier 1989, de deux protocoles accordant à MM. Verstraete et De Lorraine, agissant pour le compte de la société Adeve en cours de constitution, une option respectivement sur les territoires d'Amiens et de Saint-Quentin, deux conventions ont été signées les 27 février et 24 mai 1989 par lesquelles, la société Ada concédait sur ces mêmes territoires, mais de manière non exclusive, à la société Adeve, la franchise pour l'exploitation sous son enseigne, d'une agence de location de véhicules d'occasion.
Stipulant à la charge de chacune des parties les obligations spécifiques des contrats de franchise, ces conventions étaient conclues pour une durée de sept années, avec résiliation possible de la part du franchiseur en cas d'inexécution de ses engagements par le franchisé.
Celui-ci était notamment tenu de verser un droit d'entrée dans la chaîne d'un montant de 65 000 F HT ainsi qu'une redevance mensuelle égale à 5 % du chiffre d'affaires en contrepartie de la licence de marque concédée, de l'assistance technique permanente du franchiseur et de la mise à disposition par ce dernier du savoir-faire remis à jour d'une manière permanente.
Le 22 octobre 1990, Adeve émettait un certain nombre de critiques quant aux conditions dans lesquelles Ada exécutait ses obligations d'assistance technique et commerciale, et, le 3 janvier 1991 la société franchisée résiliait les deux contrats.
Par acte du 12 novembre 1991, Ada a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Paris, la société Adeve en paiement des sommes dues à la date de la résiliation des contrats et en règlement de dommages-intérêts.
Appelante du jugement rendu, la société Adeve conclut à son infirmation et au prononcé de la nullité des contrats de franchise pour absence de cause et indétermination du prix ; subsidiairement, elle demande à la Cour de constater la résiliation des contrats aux torts exclusifs du franchiseur et de débouter la société Ada de l'intégralité de ses demandes, avec condamnation de cette société au paiement des sommes de 800.000 F à titre de dommages-intérêts et 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
La société Ada, intimée et appelante à titre incident, conclut au prononcé de la résiliation des contrats aux torts exclusifs de la société Adeve et à la condamnation de cette société au paiement des sommes de :
- 561.876 F au titre de la résiliation avant terme,
- 500.000 F pour violation de la clause de non-concurrence,
- 20.000 F en remboursement des frais non compris dans les dépens ;
Sur quoi :
Considérant qu'au soutien de sa demande en nullité des contrats, la société Adeve fait valoir que ces conventions ne conféreraient aucune exclusivité territoriale, que la franchise ne contiendrait aucun savoir-faire original et enfin que l'obligation à elle faite d'acquérir 50 % des véhicules nécessaires à son activité auprès d'une Centrale d'Achats sans que le prix en soit préalablement fixé, rendrait indéterminable l'objet des contrats ;
Mais considérant sur le premier point, qu'outre le fait que l'exclusivité d'exploitation de l'enseigne sur le territoire concédé n'est pas indispensable à la validité du contrat de franchise, il résulte des dispositions mêmes des conventions en litige (p. 30 de chacun des contrats) que pour la concession de St-Quentin, une dérogation expresse était apportée à l'art. 1-2 de la convention, stipulant au profit de la société Adeve une exclusivité sur le territoire délimité ; qu'en ce qui concerne la concession d'Amiens, le franchiseur s'était engagé à ne pas installer de nouvelle agence dans le secteur attribué à Adeve, sans le consentement du franchisé ;
Considérant sur l'inexistence alléguée du savoir-faire que la réalité des connaissances spécifiques acquises par Ada dans la location des voitures d'occasion résulte à l'évidence des documents rassemblés en forme de recueil et mis à la disposition des franchisés avec mise à jour périodique pour tenir compte de l'évolution desdites connaissances ainsi que de celle du marché; que l'expérience ainsi accumulée tant dans la fourniture des véhicules indispensables à l'exercice de l'activité que dans la prospection de la clientèle potentielle et dans la gestion des agences témoigne de l'existence d'un savoir-faire suffisamment substantiel et original pour constituer l'objet d'une concession de franchise;
Considérant enfin sur l'indétermination des obligations contractées, qu'il échet de relever que le franchisé n'est tenu de s'approvisionner en véhicules d'occasion auprès de la Centrale d'Achats qu'à hauteur de 50 % de ses besoins, ce qui lui donne toute latitude pour ne retenir dans les offres du franchiseur que les unités qui lui conviennent après, éventuellement, discussion sur les prix proposés ou de s'adresser à la concurrence, et de conserver ainsi la libre gestion de son commerce;
Considérant qu'à titre subsidiaire, la société Adeve soutient qu'Ada n'aurait pas respecté les obligations contractées notamment quant à la tenue du stage de formation qui aurait été abrégé, quant à l'assistance technique tant à l'ouverture des agences que pendant la durée d'exécution des contrats et enfin quant aux normes de qualité des véhicules vendus ;
Qu'elle fait valoir en outre qu'Ada aurait manqué à son obligation de conseil en fournissant aux futurs associés de la société Adeve des comptes prévisionnels manifestement majorés pour les inviter à contracter ;
Qu'elle déduit de l'ensemble de ces éléments que la résiliation des contrats devrait être prononcée aux torts de la société Ada ;
Considérant qu'il échet tout d'abord de relever que la société Adeve a unilatéralement rompu, après deux années d'exercice, des contrats conclus pour une durée de sept années et ce, alors qu'elle ne disposait d'aucune clause contractuelle lui permettant d'agir ainsi et sans recourir à justice ;
Qu'en outre, il est constant que contrairement aux stipulations de l'art. 8 de chacun des contrats, la société Adeve n'a pas réglé dans le mois de leur établissement, les factures relatives aux redevances dûes au franchiseur ;
Que les fautes ainsi commises rendent cette société responsable des résiliations intervenues ;
Considérant sur les fautes alléguées à l'encontre du franchiseur, qu'à l'appui de ses affirmations, Adeve ne produit que trois lettres de son gérant en date des 5 septembre 1989, 22 octobre 1990 et 3 janvier 1991 (lettre de rupture), faisant état d'un certain nombre de manquements d'Ada ;
Que ces lettres ne sont assorties d'aucun autre élément de preuve de nature à donner une quelconque consistance aux critiques élevées, en dehors de factures réglées par Adeve à divers fournisseurs pour l'agencement des locaux et la diffusion de prospectus publicitaires ;
Considérant que si contractuellement, il est prévu une assistance " technique " du franchiseur lors de l'ouverture de l'agence pour l'installation de celle-ci, les honoraires relatifs à cette assistance et la réalisation des devis établis demeurent à la charge du franchisé (art. 4-4) ;
Que le fait pour Adeve de s'être adressé à meilleur compte auprès d'autres fournisseurs de matériels pour cet agencement ne saurait permettre à cette société de revendiquer utilement un défaut d'assistance à l'encontre de son franchiseur.
Considérant que les arguments de même nature allégués pendant l'exécution des contrats ne sont pas davantage démontrées, cependant qu'Ada établit par les documents versés aux débats que ses préposés ont répondu par une visite sur les lieux à chacune des sollicitations du franchisé (lettre du 20 nov. 1990 : 5 visites de M. Regner à St Quentin en 1990 et 7 de Mme Meynot en 1989-1990 à Amiens) ;
Considérant que l'insuffisance de formation n'est pas non plus prouvée par Adeve, alors que le franchiseur démontre que des sessions de formation ont été organisées à plusieurs reprises en 1989 et 1990, stages auxquels le gérant de la société franchisée reconnaît avoir participé (lettre de rupture du 3 janvier 1990 p.2) tout en contestant leur coût et leur utilité ;
Considérant de même qu'Adeve n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de son affirmation relative à la qualité insuffisante des véhicules vendus, cependant qu'il est établi par ailleurs que durant le temps d'exécution du contrat, cette société a porté de 9 à 20 son parc de véhicules et que son gérant reconnaît dans sa lettre du 22 octobre 1990 que " la centrale d'achat était la seule branche à peu près appréciée " ;
Considérant enfin, sur les critiques élevées à l'encontre des budgets prévisionnels qu'il y a lieu de noter tout d'abord qu'en application des dispositions de l'art 4-3-2 des contrats, ces comptes sont établis par le franchisé avec seulement l'aide du franchiseur pour leur élaboration ;
Que l'examen des documents versés aux débats fait apparaître qu'ils ont été très exactement exécutés ;
Chiffre d'affaires prévisionnel 1re année : 660.000 F,
Chiffre d'affaires réalisé 1re année : 666.000 F,
Chiffre d'affaires prévisionnel 2e année : 700.000 F,
Chiffre d'affaires réalisé 2e année : 750.000 F,
Considérant qu'ainsi, il apparaît que l'ensemble des critiques faites par Adeve pour justifier sa résiliation unilatérale des contrats ne sont pas établies ;
Que cette résiliation non conforme aux obligations contractées doit donc être mise à sa charge exclusive et que le jugement doit être réformé de ce chef ;
Considérant sur les conséquences de la rupture des conventions, qu'il convient de maintenir la condamnation d'Adeve au paiement des redevances non réglées pour un montant (non contesté et au demeurant établi) de 37.692 F ;
Considérant sur le préjudice subi par Ada du fait de cette rupture, que la société franchisée était en droit de percevoir jusqu'à la fin du contrat, une redevance égale à 5 % du Chiffre d'affaires réalisé, soit pour les deux agences sur un chiffre d'affaires global de 1.500.000 F en 1990, une somme annuelle de 75.000 F et pour les 5 années restant à courir une somme totale de : 375.000 F ;
Considérant qu'Ada fait grief à Adeve de ne pas avoir respecté la clause de non-concurrence énoncée à l'article 13 du contrat en poursuivant dans les mêmes locaux une activité similaire de location de véhicules d'occasion, bénéficiant ainsi indûment de la clientèle acquise grâce au savoir-faire transmis et gênant considérablement le franchiseur dans l'implantation d'une nouvelle agence à son enseigne dans le secteur ;
Considérant qu'il est constant que Adeve a poursuivi la même activité que celle objet de la franchise et ce dans les mêmes locaux (avec en outre un logo proche de celui d'Ada) ;
Que cette inobservation flagrante des stipulations de l'article 13 des contrats a causé un préjudice commercial à la société Ada qui doit être réparé par l'allocation d'une indemnité de 150.000 F ;
Considérant qu'il est équitable d'octroyer à la société Ada une somme de 10.000 F en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel ;
Considérant que succombant en son recours et tenue des dépens, la société Adeve doit être déboutée de sa demande présentée du même chef ;
Par ces motifs : Réforme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré les contrats des 27 février et 24 mai 1989, résiliés aux torts partagés des parties et débouté la Sté Ada des demandes non accueillies ; le confirme pour le surplus ; Et statuant à nouveau des chefs réformés ; Déclare résiliés aux torts exclusifs de la société Adeve les contrats sus-visés ; Condamne la société Adeve à payer à la société Ada outre la somme de 37.692 F déjà retenue par le jugement déféré, la somme de : 375.000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive des contrats et celle de 150.000 F pour violation de la clause de non-concurrence ; La condamne en outre à payer à la société Ada la somme complémentaire de 10.000 F en remboursement des frais irrépétibles d'appel ; Rejette les demandes en nullité des conventions, paiement de dommages-intérêts et remboursement de frais irrépétibles formées par la société Adeve ; Condamne cette dernière société aux dépens ; Autorise Maitre Bodin Casalis, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.