CA Paris, 1re ch. B, 4 février 1994, n° 92-8796
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fiat Auto France (SA)
Défendeur :
Carrosserie Corroy (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tailhan
Conseillers :
Mme Collomp, M. Pluyette
Avoués :
Me Ribaut, SCP Roblin-Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Meyung-Vitoux, Bourgeon
LA COUR statue sur les appels principal et incident respectivement interjetés par la société Fiat Auto France et par la société Carrosserie Corroy d'un jugement rendu le 10 février 1992 par le Tribunal de Commerce de Paris qui a :
- " Dit que la Société Fiat Auto France doit réparation à la société Carrosserie Corroy pour avoir abusivement amputé en 1987 le territoire concédé à cette société par contrat du 30 décembre 1985,
- Avant dire droit, sur le montant des dommages et intérêts réclamés à ce titre par la société Carrosserie Corroy, nommé Monsieur Amouroux Bernard 4, rue François Ponsard à 75116 Paris en qualité d'expert, avec la mission précisée ci-après :
- se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;
- fournir tous éléments, techniques, factuels ou comptables de nature à permettre au Tribunal d'évaluer le préjudice subi par la Société Carrosserie Corroy par suite de la réduction de son territoire, en faisant notamment ressortir la perte du potentiel de vente sur ce territoire, l'évaluation du chiffre d'affaires et de la marge brute perdus, l'estimation des charges liées à l'exploitation dudit territoire dont le concessionnaire a pu faire l'économie de toutes données de nature à éclairer le Tribunal et ce avec exécution provisoire de la mesure d'instruction ;
- Condamné la société Fiat Auto France à payer à la société Carrosserie Corroy une provision de 500.000 F, moyennant en cas d'appel la fourniture d'une caution en contrepartie de l'exécution provisoire ;
- Dit que la société Fiat Auto France n'a pas commis d'abus dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de concession et a rejeté toutes les autres demandes de la société Carrosserie Corroy, tout en lui allouant la somme de 20.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ".
La société Carrosserie Corroy était concessionnaire de la société Fiat Auto à Metz depuis 1978 ; en 1981 sont intervenues des discussions entre les parties pour étendre la concession à l'arrondissement de Metz-Ville moyennant une réorganisation commerciale des services de vente, une extension des locaux ainsi que la fourniture d'une caution bancaire ; le contrat de concession comprenant cette extension géographique a été renouvelé de 1982 à 1985 nonobstant des résultats commerciaux jugés insuffisants par Fiat et des difficultés rencontrées pour la restructuration du service commercial.
Pour se conformer à la réglementation européenne, les parties ont signé le 30 décembre 1985 un nouveau contrat de concession exclusive au profit de la société Carrosserie Corroy, prenant effet au 1er janvier 1986, comprenant toujours l'extension sur Metz-Ville. Aux termes de cette convention, il était notamment prévu deux stipulations :
- l'une, article 7 § 2, donnant au concédant à défaut de résiliation de plein droit, la faculté soit de modifier la zone soit de retirer l'exclusivité territoriale pour tout ou partie de la zone si le pourcentage obtenu d'immatriculations de véhicules contractuels réalisé par le concessionnaire pendant une période de six mois était inférieure à 80 % du pourcentage réalisé pendant cette même période dans la région dans laquelle le concessionnaire a son siège ;
- l'autre, article 6, stipulant une clause de résiliation de plein droit du contrat, à tout moment, moyennant un préavis de douze mois à l'avance ;
Le 30 juillet 1987, Fiat a notifié au garage Carrosserie Corroy sa décision de lui retirer, à compter du 1er août 1987, une partie du territoire de sa concession dans Metz-Ville en invoquant l'article 7 § 2 de leur convention, à savoir un pourcentage d'immatriculation inférieur à 80 % de celui obtenu dans la région de son siège, pour la période s'étendant du 30 novembre 1986 au 31 mai 1987 ; puis, le 1er septembre 1989, Fiat a notifié à son cocontractant qu'elle mettait fin au contrat de concession au 2 septembre 1990 en application des dispositions de l'article 6 du contrat du 30 décembre 1985 ;
Par acte d'huissier de justice du 25 avril 1990, la société Carrosserie Corroy a fait assigner la société Fiat pour demander réparation des préjudices consécutifs à ces décisions qu'elle considère comme étant sans droit et abusives ; c'est dans cet état qu'est intervenu le jugement déféré ;
Au soutien de son appel, la société Fiat fait valoir, sur la décision du 30 juillet 1987, que la zone d'exclusivité concédée à la société Carrosserie Corroy avait pour contrepartie des engagements qui n'ont pas été exécutés et que l'insuffisance de pourcentage d'immatriculations réalisé par la société Carrosserie Corroy de 1985 à 1987 est démontrée, la Région devant être prise en considération étant, sans équivoque, la référence à la notion administrative et à la Région prise en tant que collectivité locale ; elle fait observer que cette notion correspond également à la répartition géographique faite par un organisme indépendant, " l'Association Auxiliaire de l'Automobile ", dite AAA ;
La société Fiat fait valoir enfin qu'une mesure d'expertise pourrait être ordonnée si la Cour ne s'estime pas suffisamment informée par les pièces versées ; sur la résiliation du contrat du 30 décembre 1985, elle conclut à la confirmation du jugement ainsi qu'à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à hauteur de 30.000 F ;
En réplique, la société Carrosserie Corroy soulève la nullité des stipulations de l'article 7 § 2 du contrat en soutenant qu'elles sont contraires à l'article 1129 du Code civil pour avoir convenu une obligation insuffisamment déterminée ou potestative et contraires au règlement CEE 123-85 pour être restrictives de concurrence et pour ne pas devoir être considérées comme une " justification objective " au sens de l'exemption catégorielle ; elle demande, sur ce point, à titre subsidiaire, que la Cour saisisse la Commission de Bruxelles ou la Cour de Justice des Communautés du point de savoir si le contrat litigieux en son article 7 § 2 est ou non compatible avec les dispositions de l'article 85 du Traité de Rome ; la société Carrosserie Corroy fait valoir, sur le fond, que la société Fiat ne pouvait pas, de bonne foi, sanctionner ainsi les insuffisances d'immatriculation prétendues ;
Sur la décision de résiliation du contrat du 30 décembre 1985, la société Carrosserie Corroy soutient que la société Fiat a rompu abusivement leur convention en se fondant sur " des mots fallacieux " et inexacts ; elle demande, en conséquence, l'infirmation du jugement sur ce point et l'extension de la mission d'expertise pour évaluer son préjudice ;
Par voie d'appel incident, la société Carrosserie Corroy sollicite, en outre, la somme de 500.000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial qu'elle prétend avoir subi du fait d'inexécutions " flagrantes " de leurs conventions commises par la société Fiat en favorisant délibérément son concurrent direct, le garage Albrecht, installé à Metz-Ville sur son territoire depuis octobre 1987 afin de la remplacer ; elle demande enfin l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à son profit ;
Sur ce, LA COUR,
Se référant pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions et moyens des parties au jugement déféré et aux conclusions d'appel ;
Sur l'application de l'article 7 paragraphe 2 du contrat :
Considérant que pour s'opposer aux demandes de la société Carrosserie Corroy, la société Fiat soutient que les demandes en nullité formées à cet égard par la société intimée son irrecevables en cause d'appel comme étant nouvelles et prescrites ;
Mais considérant que pour demander la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la décision de son cocontractant de restreindre sa zone géographique de concession, la société Carrosserie Corroy a contesté en première instance l'application des dispositions contractuelles de l'article 7 § 2 en soutenant que la société Fiat avait à tort fait référence à la région dite économique ;
Considérant qu'en cause d'appel, pour demander la réparation du même préjudice, la société Carrosserie Corroy fait alors valoir que cette référence ne devait pas être prise en considération pour imposer une limitation territoriale de sa concession car elle doit être déclarée nulle ;
Qu'il s'ensuit que la société Carrosserie Corroy n'a pas modifié ses demandes de première instance mais a seulement développé des prétentions qui tendent aux mêmes fins même si leur fondement juridique est différent ; qu'elles sont donc recevables en application des articles 565 et 566 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant sur le moyen de prescription de cinq ans, que la société Fiat fait valoir que les règles définies par l'article 1129 du Code Civil et par le règlement communautaire 123-85 ont été édictées pour la seule protection de la partie supposée la plus faible, le concessionnaire et non au titre d'un ordre public économique relevant de la prescription trentenaire ;
Mais considérant que les dispositions de droit communautaire (article 85 et 85-2 du Traité de Rome) invoquées par la société Carrosserie Corroy au soutien de son moyen de nullité de l'article 7 § 2 du contrat ont le caractère de loi de police économique prescrites pour mettre en œuvre un ordre économique communautaire de la concurrence impératif, sans se limiter à la seule protection d'un intérêt particulier ; qu'en conséquence, le moyen d'irrecevabilité tiré d'une prescription de cinq ans de l'action en nullité n'est pas fondé ;
Sur la validité de la clause de l'article 7 § 2 du contrat de concession exclusive :
Considérant que pour opposer la nullité de la clause imposant un minimum de 80 % de pénétration par référence à la " Région " dans laquelle le concessionnaire a son siège, la société Carrosserie Corroy fait valoir, en premier lieu, que cette contrainte constitue une obligation indéterminée et donc nulle par application des dispositions de l'article 1129 du Code civil ; qu'elle soutient ;
- que la référence à une " Région " n'est pas définie et que rien ne permet d'affirmer qu'il s'agit, comme le prétend la société Fiat, de la région au sens administratif,
- que les pièces produites démontrent que chaque constructeur recoure pour l'organisation de sa distribution à des découpages régionaux qui ne coïncident pas avec les régions administratives ;
- qu'au moment des faits, la société Carrosserie Corroy dépendait de la Direction Commerciale de la Zone Fiat de Nancy, qui coiffait la région de l'ensemble Nord-Est de la France et qui regroupait 41 concessions alors que la région administrative " Lorraine " n'en regroupe que 19 et que c'est donc à tort que Fiat s'est référée à cette région dans son courrier du 30 juillet 1987 ;
- que l'incertitude est d'autant plus établie que Fiat lui a adressé régulièrement des statistiques situant ses performances par rapport à l'ensemble de la Direction Commerciale de Nancy ;
- qu'enfin la référence aux statistiques de l'AAA serait sans incidence sur le présent litige ;
Mais considérant que pour l'application de la stipulation contractuelle critiquée, il convient de rechercher la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ; que des termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus au contrat ; que ce qui est ambigu s'interprète par ce qui est d'usage (art. 1156 et suivants du Code civil) ;
Considérant que la finalité d'une telle clause dite de résultat, est de développer un système de concurrence entre concessionnaires exclusifs d'un même réseau ou entre réseaux d'une même marque d'automobile et d'apprécier leurs activités par une comparaison de leurs résultats respectifs de vente dans la région où ils ont leur siège ; qu'en conséquence, la détermination de cette région géographique doit les placer dans une situation comparable ;
Considérant que pour l'établissement de ses statistiques, la société Fiat se réfère, d'une part, aux résultats :
- des directions commerciales de zone (DCZ), au nombre de sept pour toute la France, comportant chacune un très grand nombre de concession réparties sur un vaste territoire géographique ce qui représente une très grande variété de situation locale ; qu'ainsi, le DCZ Nancy se compose de 48 concessions, dont les sièges sont situés en des lieux très différents, dans le Jura, à Reims, dans les Ardennes, en Alsace ou comme en l'espèce pour la société Carrosserie Corroy en Lorraine ;
- des régions économiques regroupant un plus petit nombre de concessions et correspondant à un ensemble économique d'une même région administrative ; qu'à cet égard, la société Carrosserie Corroy est classée dans la " région économique Lorraine ", composée de 19 concessions automobiles Fiat ;
et, d'autre part,
- aux données d'un organisme indépendant l'AAA ;
Considérant que dans ses correspondances avec la société Carrosserie Corroy, notamment en 1986 et 1987, la société Fiat a fait le plus souvent référence expresse à " la moyenne régionale économique " pour lui faire grief de ne pas avoir atteint le pourcentage minimum de 80 % de pénétration de la marque sur le territoire de sa concession ; que la société Carrosserie Corroy n'a jamais contesté la référence à cette région économique ni critiqué les chiffres qui lui ont été notifiés ; qu'elle n'a jamais remis en cause ses propres résultats même après la décision du 30 juillet 1987 ;
Considérant que la zone " région économique Lorraine " correspond sensiblement aux critères de répartition faite par l'AAA, en fonction des usages dans la profession ;
Considérant qu'il s'ensuit que même si les constructeurs opèrent pour les besoins de leur organisation commerciale d'autres découpages qui ne coïncident pas toujours avec les régions administratives et même si des statistiques par DCZ et par régions économiques ont été adressées à la société Carrosserie Corroy, il se déduit de l'ensemble des pièces versées au dossier et des explications des parties, que celles-ci ont en l'espèce adopté et accepté comme critère de référence de la " Région " pour l'appréciation du seuil de 80 % " la moyenne de la région économique Lorraine " et non la moyenne de la DCZ Nancy, dont par ailleurs les résultats généraux comparables ne sont pas sensiblement différents ;
Qu'en conséquence, en toute hypothèse, le moyen de nullité tiré d'une indétermination de l'obligation contraire à l'article 1129 du Code civil n'est pas fondé ;
Considérant qu'en second lieu, la société Carrosserie Corroy soutient que l'article 7 § 2 est contraire au droit communautaire et donc nul ; qu'elle fait valoir essentiellement que les mesures dont se prévaut la société Fiat ne peuvent sanctionner que des obligations exemptées, que les dispositions de l'article 7 ont pour effet de réintroduire une obligation de résultat que le règlement CEE 123-85 a eu pour objet d'écarter, que cette clause, restrictive de concurrence, est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres au sens de l'article 85 du Traité de Rome ; qu'elle estime " que le seul fait qu'un concessionnaire enregistre sur son territoire, sur une période quelconque de six mois, c'est à dire une période courte susceptible d'être influencée par des facteurs particuliers des résultats divergents de 20 % seulement de ceux de la marque au plan national, ne saurait être considérée comme une " justification objective " au sens de " l'exemption catégorielle ", dès lors qu'elles accroissent la dépendance économique du distributeur au-delà des limites exemptées ;
Mais considérant que par arrêt rendu le 18 décembre 1986 (Société VAG contre établissement Magne), la Cour de Justice des Communautés Européennes a jugé que :
" le règlement numéro 123-85 se limite à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de certains types de clauses d'exclusivité et de non concurrence, dans leurs accords... de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 85 § 1. Les dispositions du règlement numéro 123-85 n'imposent toutefois pas aux opérateurs économiques de faire usage de ces possibilités. Elles n'ont pas non plus pour effet de modifier le contenu d'un tel accord ou de le rendre nul lorsque toutes les conditions du règlement ne sont pas remplies...
Les conséquences de la nullité de plein droit des clauses contractuelles incompatibles avec l'article 85 § 1 pour tous les autres éléments de l'accord ou pour d'autres obligations qui en découlent ne relèvent pas du droit communautaire.
Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier en vertu du droit national applicable, la portée et les conséquences, pour l'ensemble des relations contractuelles, d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles en vertu de l'article 85 § 2 " ;
Qu'elle a dit pour droit :
" Le règlement numéro 123-85... n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à y adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à établir des conditions qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l'interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévue par l'article 85 § 1 et 2 du Traité CEE " ;
Considérant qu'il s'ensuit, comme le relève à juste titre la société Fiat que le règlement numéro 123-85 n'a ni caractère exhaustif, ni caractère contraignant;
Considérant que l'article 5 de ce règlement numéro 123-85 relatif au droit d'une partie d'exercer la " résiliation extraordinaire de l'accord " autorise le concédant à énumérer dans le contrat proposé aux distributeurs, les cas d'inexécution des obligations dans lesquelles la résiliation de plein droit ou d'autres mesures pourront intervenir, lorsqu'aucun de ces cas n'est expressément prohibé par l'accord d'exemption ;
Considérant que l'obligation prévue à l'article 7.2.a du contrat, de réaliser pour une période donnée de six mois un certain pourcentage (80 %) d'immatriculation par rapport au pourcentage d'immatriculation de véhicules contractuels dans la région où le concessionnaire a son siège n'est prohibée par aucune disposition du règlement européen;
Que cette clause ne saurait comme le soutient à tort la société Carrosserie Corroy être contraire à l'article 85 § 1 du Traité de Romequi dispose : " sont incompatibles avec le Marché Commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché Commun " ;
Considérant en effet que la société Carrosserie Corroy ne justifie pas avoir fait l'objet d'un traitement inéquitable ou d'une discrimination sans justification objective par rapport aux autres concessionnaires de la marque dans la région considérée ; qu'à cet égard, les facteurs particuliers invoqués par la société Carrosserie Corroy pour soutenir qu'elle subissait des incidences négatives sur son territoire (vente au personnel des usines Citroën et Peugeot majorant artificiellement la part de marché de ces deux marques) ne constituent pas un traitement inéquitable par rapport aux autres concessionnaires de la marque Fiatdès lors que l'ensemble de la région économique considérée se trouve confrontée aux conséquences de l'implantation de ces usines Citroën ou Peugeot dans la région considérée étant en outre relevé que ces usines ne sont pas situées dans le secteur de la société Carrosserie Corroy ;
Considérant que l'obligation de résultat prévue à l'article 7 § 2 du contrat ne dépend pas de critères subjectifs ou potestatifs unilatéralement fixés par le concédant mais est fonction des performances réalisées sur un semestre par la marque dans la région Lorraine considérée;
Qu'au surplus, les actions intempestives de concurrence que le garage Albrecht aurait entrepris sur le territoire de la société Carrosserie Corroy, lesquelles concernent ce dernier à titre personnel, sont sans incidences sur la décision prise par la société Fiat le 30 juillet 1987, la concession exclusive pour la ville de Metz n'ayant été donnée qu'en octobre 1987 soit postérieurement à cette date ;
Qu'enfin, il résulte des écritures de la société Carrosserie Corroy que la société Fiat occupait seulement une part de 5 % du marché français, ce qui en l'espèce, n'était pas comme le soutient la société intimée une part significative de ce marché national ;
Qu'il s'ensuit que la clause litigieuse ne saurait avoir un effet sensible, actuel ou même potentiel sur le commerce intercommunautaire et fausser le jeu de la concurrence;
Considérant que, sans qu'il y ait lieu à saisir pour avis ou pour interprétation la Commission de Bruxelles ou la Cour de Justice des Communautés Européennes, le moyen de nullité de l'article 7 § 2 du contrat du 30 décembre 1985 doit être rejeté comme mal fondé ;
Sur le fond :
Considérant que pour justifier la décision de réduction du territoire de la société Carrosserie Corroy prise le 30 juillet 1987, la société Fiat Auto fait valoir, en premier lieu, que le concessionnaire n'a pas tenu ses engagements de restructurer sa concession commerciale et de créer un réseau d'agents devant lui permettre d'atteindre ses objectifs ; qu'elle fait observer que ce n'est qu'en 1986 que la société Carrosserie Corroy a construit l'atelier de carrosserie promis par elle depuis 1982 ; qu'elle considère que ces défaillances et ces inexécutions d'obligations contractuelles essentielles dans la commune volonté des parties justifient l'application de la clause de l'article 7 § 2 après les multiples rappels et mise en garde intervenus depuis plusieurs années ;
Mais considérant que pour notifier à la société Carrosserie Corroy, le 30 juillet 1987, la réduction de son territoire en application de l'article 7 § 2 de leur contrat, la société Fiat s'est exclusivement fondée sur la constatation que l'objectif de pénétration minimum de 80 % d'immatriculation n'avait pas été atteint lors de la période du 30 novembre 1986 au 31 mai 1987 ; qu'il ne lui a été notifié aucun autre grief même si les correspondances antérieures et les entretiens postérieurs ont fait état des insuffisances dans la réorganisation du réseau et de la concession ; qu'en conséquence, la société Fiat ne peut pas se prévaloir de ces manquements pour expliquer aujourd'hui sa décision et pour prétendre que l'extension territoriale consentie en 1982 n'avait plus de cause ou de contrepartie en 1987 ;
Considérant que la société Fiat se prévaut, en second lieu, d'une insuffisance des résultats commerciaux obtenus par son concessionnaire ;
Mais considérant que si la société Fiat verse aux débats des statistiques pour la région économique Lorraine faisant état pour la concession " Moulins les Metz ", de pourcentages inférieurs à la moyenne de la région, il n'est pas produit des chiffres précis relatifs aux immatriculations de véhicules concernés par l'application de l'article 7 § 2 du contrat ; qu'il y a lieu d'ordonner, ainsi que le demande la société Fiat à titre subsidiaire, une mesure d'instruction pour déterminer le pourcentage précis de pénétration, notamment, pour la période à laquelle s'est référée la société Fiat dans sa lettre du 30 juillet 1989 ; que cette mesure d'expertise sera précisée au dispositif de l'arrêt ; qu'il convient donc de surseoir à statuer sur la demande d'infirmation du jugement de ce chef dans l'attente des résultats de cette mesure d'instruction ;
Sur la résiliation du contrat de concession :
Considérant que par lettre du 1er septembre 1989, la société Fiat a notifié à la société Carrosserie Corroy sa décision de résilier leur contrat, en application de l'article 6 de celui-ci, et à effet au 2 septembre 1990 pour respecter le délai de préavis contractuel d'un an ;
Considérant que pour demander l'infirmation du jugement l'ayant débouté de ses demandes de dommages-intérêts pour résiliation abusive, la société Carrosserie Corroy soutient, d'une part, que la société Fiat a fait preuve d'une mauvaise exécution de ses obligations contractuelles en favorisant activement ou passivement le garage Albrecht ; qu'elle demande la somme de 500.000 F en réparation de ce préjudice commercial ; qu'elle fait valoir d'autre part, que la société Fiat s'est fondée sur un motif fallacieux - l'insuffisance de ses résultats - pour résilier son contrat, ce qui en l'espèce constitue une atteinte à l'obligation générale de loyauté prescrite à l'article 1134 alinéa 3 du Code civil ;
Mais considérant que le Tribunal de Commerce a rejeté l'ensemble de ces prétentions par des motifs pertinents que la Cour adopte ;
Qu'en effet, le contrat du 30 décembre 1985 stipule :
" Article 6 - Durée du contrat Le présent contrat est conclu pour une durée indéterminée, prenant effet le 1er janvier 1986. Chaque partie pourra y mettre fin à n'importe quel moment, sans indemnité d'aucune sorte à quelque titre que ce soit, à charge pour celle des parties qui voudra user de ce droit, de prévenir l'autre partie par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au moins douze mois à l'avance. "
Qu'en conséquence, la société Fiat pouvait dénoncer ce contrat sans être tenue de motiver sa décision de résiliation dès lors que le délai de préavis était respecté et que celle-ci n'était pas constitutive d'un abus de droit, ce qu'il appartient à la société Carrosserie Corroy de prouver, le cas échéant ;
Considérant en premier lieu que la société Carrosserie Corroy n'établit pas en preuve que son contractant a favorisé activement ou passivement son concurrent, le garage Albrecht, alors qu'il lui appartenait personnellement de faire cesser la concurrence et la publicité entreprise par ce garage si elle considérait les procédés utilisés comme étant déloyaux ou fautifs ; qu'il appartenait de même au concessionnaire de prendre lui-même toutes les initiatives utiles tant auprès de la société Fiat que des tiers pour rétablir ou promouvoir son image de marque ; que l'incident relatif au championnat de France de motocross organisé en juin 1989, de portée mineure, a été réglé par la société Fiat au mieux des intérêts de la société Carrosserie Corroy ;
Qu'en conséquence la demande de 500.000 F sur la prétention d'une inexécution par la société Fiat de ses obligations contractuelles est mal fondée ;
Considérant, d'autre part, ainsi que le relèvent à juste titre les premiers juges, que la décision de résiliation a été précédée de divers avertissements adressés à la société Carrosserie Corroy concernant l'insuffisance des équipes de vente, les démissions multiples enregistrées dans cette concession et l'inorganisation d'un réseau d'agent pour couvrir son territoire, qui même après l'amputation partielle reprochée à Fiat demeurait néanmoins important ;
Que c'est à tort que la société Carrosserie Corroy prétend que le concédant s'est fondé sur un motif fallacieux pour résilier le contrat ; que les critiques tenant au comportement personnel du garage Albrecht sont donc sans portée ;
Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré sur ce point ;
Considérant qu'il y a lieu de réserver l'examen des demandes faites au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.
Par ces motifs : Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Carrosserie Corroy fondées sur : - une résiliation abusive du contrat du 30 décembre 1985 ; - des inexécutions contractuelles de la société Fiat ; Dit que pour l'application de l'article 7 § 2 du contrat, la " Région " est pour les parties au litige " la région économique Lorraine " et non la DCZ ; Réserve le surplus des demandes et ordonne avant dire droit une mesure d'expertise ; Désigne en qualité d'expert Monsieur Bernard Amouroux, 4 rue François Ponsard, Paris 16ème avec pour mission : - Entendre les parties ou leurs conseils ainsi que tous sachants s'il y a lieu, se faire communiquer tous documents et pièces utiles pour l'accomplissement de sa mission ; - Au regard de la clause de l'article 7 § 2 du contrat du 30 décembre 1985, déterminer pour la région économique Lorraine la moyenne du pourcentage obtenu d'immatriculations de véhicules contractuels ainsi que le pourcentage d'immatriculations de véhicules contractuels réalisé par la société Carrosserie Corroy ; dire si la société Carrosserie Corroy a obtenu ou non le pourcentage de 80 % ; - Déterminer ces chiffres et les résultats obtenus au cours des périodes suivantes : 1) du 30 novembre 1986 au 31 mai 1987 ; 2) du 1er janvier au 31 juillet 1987 ; 3) du 1er juillet au 31 décembre 1986 ; en 1985 et en 1986, - Donner s'il y a lieu toutes informations ou comparaisons utiles ; - Dit que l'expert accomplira sa mission sous le contrôle de Monsieur le Conseiller Pluyette conformément aux dispositions des articles 155 à 174, 263 et suivants du nouveau Code de procédure civile et qu'il déposera son rapport au Secrétariat-Greffe de la Cour avant le 1er juin 1994 ; Fixe à 10.000 F la provision à valoir sur les honoraires de l'expert que la société Fiat Auto devra consigner au Secrétariat-Greffe de la Cour avant le 1er mars 1994.