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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 10 février 1994, n° 92-016335

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Baselli Motor Sport (SA), Taddéï (ès qual.)

Défendeur :

VAG France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Couderette, Borra

Conseiller :

Mme Cabat

Avoués :

SCP Barrier-Monin, SCP Roblin Chaix de Lavarenne

Avocats :

Mes Bourgeon, Vogel.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 16 avr. …

16 avril 1992

LA COUR statue sur l'appel principal formé par la Société Baselli Motor Sport (BMS) et sur l'appel incident formé par la Société VAG France à l'encontre du jugement rendu le 16 avril 1992 par la 3e chambre 2e section du Tribunal de Grande Instance de Paris qui a condamné VAG France à payer à BMS la somme de 600 000 F à titre de dommages-intérêts, celle de 7 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et a rejeté toutes les autres demandes des parties.

La Cour se réfère expressément pour l'exposé des faits et des prétentions des parties au jugement déféré en rappelant que le litige porte sur les conditions dans lesquelles est intervenue la résiliation du contrat de concession conclu le 4 juillet 1986 pour la zone de Nice entre VAG France, importateur en France des véhicules de marque Volkswagen et Audi, et la Société BMS, qui avait satisfait aux conditions d'entrée dans le réseau local. Ce dernier comptait deux autres concessionnaires. Aucun d'eux ne bénéficiait d'une large exclusivité. BMS qui reprochait cependant à VAG de ne pas préserver sa " zone d'influence directe ", tirait profit de la disparition de l'un des deux concurrents pendant l'année 1988 avant de se retrouver en présence d'un troisième concessionnaire alors qu'elle avait créé au prix d'un lourd investissement un nouveau point de vente dans le centre ville. De son côté VAG, estimant trop fragile la structure financière de BMS, lui notifiait le 29 décembre 1988 la résiliation du contrat avec un préavis d'un an au cours duquel elle réduisait fortement l'encours fournisseur pour voitures neuves.

Le 10 août 1989 une procédure de redressement judiciaire était ouverte à l'encontre de BMS. Le même jour VAG lui notifiait la résiliation du contrat avec effet immédiat, au mépris des dispositions de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 et malgré la mise en garde de l'administrateur judiciaire. Le 13 septembre 1991 une ordonnance du Juge commissaire condamnait VAG à exécuter toutes commandes de voitures neuves et de pièces de rechange mais était frappée d'opposition. Le Tribunal de Commerce de Nice déboutait VAG de cette opposition le 11 janvier 1990. Le 28 juin 1990, il arrêtait un plan de redressement.

Le Tribunal de Grande Instance a essentiellement retenu que VAG a respecté ses obligations contractuelles jusqu'au dépôt de bilan de BMS, dont elle n'est pas responsable, mais que ces agissements pendant la seconde partie du préavis ont été préjudiciables à l'entreprise BMS.

La Société BMS, appelante principale, fait grief à VAG, non d'avoir usé de son droit de résilier unilatéralement le contrat de concession à durée indéterminée, mais d'en avoir abusé. Selon elle, VAG n'a pas respecté l'obligation d'exclusivité de sa représentation sur le territoire contractuellement concédé, a fautivement incité BMS a des investissements dont elle a délibérément compromis l'amortissement, a tenté de justifier la résiliation par des motifs fallacieux, enfin n'a pas respecté le préavis contractuel.

Concluant à l'infirmation du jugement, elle sollicite la condamnation de VAG à réparer le préjudice qu'elle lui a causé lequel doit être estimé à dire d'expert en lui versant une indemnité provisionnelle de un million de francs outre la somme de 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Société VAG France, intimée, appelante à titre incident, soutient que le contrat de concession qu'elle a consenti à conclure avec BMS ne comportait pas d'exclusivité territoriale. Se défendant d'avoir incité BMS a un investissement excessif, elle souligne qu'elle n'avait pas à motiver la résiliation de la convention de concession à durée indéterminée et prétend avoir respecté ses obligations contractuelles pendant la période de préavis jusqu'au prononcé du règlement judiciaire.

Ensuite, c'est BMS qui aurait multiplié les impayés. Elle demande en conséquence à la Cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté les prétentions de BMS mais de l'infirmer pour le surplus et de condamner BMS à lui payer la somme de 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Me Taddéï, représentant des créanciers de la Société BMS, demande acte de son intervention volontaire et fait siennes les conclusions de BMS.

Ceci étant exposé,

LA COUR,

1°) SUR LE NON-RESPECT DE L'EXCLUSIVITE DANS LE TERRITOIRE CONCEDE

Considérant que BMS soutient que VAG a non seulement négligé de protéger son droit de représentation exclusive mais au contraire a encouragé sa violation par un concurrent ;

Considérant que l'exclusivité concédée à BMS est régie par les dispositions combinées de l'article III des conditions particulières de vente et des annexes A-1 et A-2 du contrat ;

Qu'il en résulte que le droit de vente objet de celui-ci s'exerce dans une " zone de responsabilité " partagée avec deux autres concessionnaires, SMA et RAS, lesquels peuvent être remplacés à l'expiration de leurs contrats ;

Qu'à l'intérieur de cette zone, il est attribué à chacun des concessionnaires une " zone d'influence directe ou de vente active " et une " zone d'influence indirecte ", les forces de vente respectives pouvant toutefois intervenir indifféremment dans ces deux types de zones ;

Mais que seul le titulaire d'une zone d'influence directe bénéficie du droit exclusif d'y vendre du " matériel VW-Audi " à tout acheteur se présentant directement pour l'acquérir ;

Considérant que BMS se plaint des atteintes portées par SMA à son droit exclusif dans sa zone d'influence directe, ce concessionnaire y disposant d'un point de vente proche du sien à l'enseigne RTS et d'un atelier de réparation route de Turin, lequel a exercé une activité de vente à partir de 1988 ;

Considérant cependant que BMS ne rapporte pas la preuve de ce que ce concurrent ait, dans cette zone qui était pour lui d'influence indirecte, vendu autrement que sur demande ou sur information comme le lui permettait le contrat ;

Considérant que la simple pose par SMA de panneaux indicateurs, bien que inévitablement nuisible à BMS en raison de la relative proximité des installations respectives, ne s'analyse pas en une action promotionnelle ou de prospection interdite par le contrat et pouvant être qualifiée d'acte de concurrence déloyale ;

Considérant en conséquence que maintenant, après la conclusion du contrat avec BMS, la concession antérieurement accordée à SMA, et dont BMS avait reconnu être informée, VAG n'a pas contrevenu à la loi des parties ;

Que si défavorable que fût le contrat pour le nouveau concessionnaire, en raison de la portée extrêmement restreinte de l'exclusivité qui lui était consentie, il n'en demeure pas moins que BMS en a expressément accepté la rigueur ;

Qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté le moyen tiré par BMS d'une violation de la clause d'exclusivité du contrat de concession ;

2°) SUR LA CREATION D'UN HALL D'EXPOSITION SUPPLEMENTAIRE

Considérant que BMS impute à VAG la responsabilité de l'échec de l'opération " Module Automobile de Prestige " lancée, selon elle, à l'initiative du concédant puis désapprouvée trop tardivement par ce dernier ;

Considérant qu'il ressort de la correspondance échangée entre les parties que si, le 6 février 1987, VAG a demandé à BMS de mettre en service des moyens nouveaux pour traiter la part de marché rendue disponible à partir de Janvier 1988 par le départ d'un concessionnaire, elle décidait en même temps de prendre directement en charge " le suivi financier " afin de surveiller la situation préoccupante depuis l'origine de BMS ;

Qu'après avoir marqué son accord le 15 décembre 1987, sous diverses réserves, notamment d'ordre financier, sur la création du nouveau local d'exposition, dès le 3 février 1988, VAG refusait son agrément au vu du projet présenté, lequel ne lui paraissait apporter " aucune structure après-vente supplémentaire " ;

Que le 21 mars 1988 VAG confirmait, à la suite d'une étude prévisionnelle sur quatre ans, que l'acquisition du droit au bail du local d'exposition constituait un investissement non rentable et elle soulignait de nouveau la faiblesse structurelle de BMS due à l'insuffisance de son autofinancement et à son surendettement;

Que dans ces conditions la lettre par laquelle le 15 septembre 1988 VAG annonçait à BMS l'attribution d'un budget de lancement de 120 000 F ne pouvait être considérée comme un encouragement, ce d'autant moins que VAG prenait soin de rappeler que l'investissement avait été réalisé malgré son avis contraire et que le montage financier n'en assurait pas la pérennité;

Que le bien-fondé de cette analyse a été confirmé par les faits et suffit à expliquer l'échec, dont la cause ne réside pas dans la désignation d'un troisième concessionnaire, permise par le contrat, et intervenue à un moment proche de celui où BMS a dû céder le local ;

Que force est de constater que l'insuffisance structurelle des moyens financiers de BMS ne lui a pas permis de fournir l'effort nécessaire pour tirer parti de la disparition temporaire d'un des concessionnaires, la croissance du chiffre d'affaires ayant aggravé le déséquilibre de la Trésorerie ;

Qu'il s'ensuit que les premiers juges ont justement écarté le grief fait à VAG d'un comportement fautif à l'occasion de l'investissement en cause;

3°) SUR L'ABUS DE DROIT DE RESILIER LE CONTRAT

Considérant que le contrat étant à durée indéterminée pouvait être à tout moment dénoncé sous réserve du respect d'un délai de préavis suffisant sans que l'auteur de la rupture eût à motiver sa décision.

Considérant que VAG a notifié le 29 novembre 1988 à BMS la résiliation du contrat avec effet au 31 décembre 1989 en invoquant, bien qu'elle ne fût pas tenue de le faire, l'incapacité financière dans laquelle se trouvait ce concessionnaire de procéder aux investissements nécessaires pour assurer une représentation suffisante de sa marque ;

Considérant que cette justification, loin de révéler un détournement ou un usage anormal du droit de résiliation, repose au contraire, compte tenu de la motivation qui précède, sur des éléments exacts ;

Que la durée d'un an du préavis est suffisante ;

Qu'en conséquence la dénonciation de la convention par VAG n'a pas revêtu un caractère fautif ;

4°) SUR L'EXECUTION DU CONTRAT PENDANT LE PREAVIS

Considérant que BMS a recherché et accepté, s'endettant dès l'origine, un contrat de concession dont les conditions restrictives limitaient ses chances de développement ;

Que les difficultés financières sans cesse croissantes qui l'ont conduit au dépôt de bilan ne se rattachent pas à une faute de VAG ;

Considérant toutefois qu'à partir du prononcé du redressement judiciaire, le 10 août 1989, VAG a adopté à l'égard de BMS un comportement dont les premiers juges ont relevé le caractère fautif et préjudiciable par des motifs exacts que la Cour adopte;

Qu'en effet, à supposer que VAG ait ignoré l'existence du jugement d'ouverture lorsque, à la date même où il a été rendu, elle a de nouveau notifié à BMS la résiliation du contrat, cette fois avec effet immédiat, elle n'en a pas moins par la suite multiplié les manœuvres pour se soustraire à l'obligation de poursuivre l'exécution du contrat;

Que le dommage causé à BMS par ces agissements a été justement évalué à la somme de 600 000 F ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus qu'il y a lieu de confirmer le jugement attaqué ;

Considérant que les parties, qui succombent dans leurs prétentions respectives et seront condamnées au dépens, ne peuvent prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Donne acte à Me Taddéï ès-qualités de son intervention ; Dit les appels principal et incident mal fondés ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Rejette toutes prétentions des parties incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue ; Dit que les dépens d'appel seront supportés dans la proportion des trois cinquièmes par BMS et des deux cinquièmes par VAG ; Admet les avoués de la cause au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.