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Décisions

CA Amiens, 3e ch. com., 11 février 1994, n° 2186-91

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Coopérateurs de Normandie Picardie (SA), Les Coopérateurs de Champagne (SA), Fédération nationale des coopératives de consommateurs, La GMF Banque (SA)

Défendeur :

Gédis (SA), Sauvan (ès qual.), Becheret (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cachelot

Conseillers :

Mme Planchon, M. Roche

Avoués :

SCP Selosse Bouvet, André, SCP Le Roy, SCP Million, Mes Lemal, Caussain

Avocats :

Mes Mettetal, Brisac, Samuellian.

T. com. Amiens, du 31 mai 1991

31 mai 1991

La société Les Coopérateurs de Normandie Picardie venant aux droits et obligations des sociétés Les Coopérateurs de Normandie et Les Coopérateurs de Picardie par suite de la fusion de ces deux sociétés ainsi que la société Les Coopérateurs de Champagne, ont interjeté appel d'un jugement rendu le 31 mai 1991, par le Tribunal de commerce d'Amiens, qui :

- les a condamnées in solidum à réparer le préjudice causé à la société Gédis par l'inexécution des engagements que ces sociétés avaient pris conjointement à son profit aux termes de l'article 4 paragraphe B et de l'article 5 premier alinéa de l'acte sous seing privé passé le 29 avril 1987, entre elles et cinq autres sociétés coopératives d'une part, M. Frydman ou toute autre personne physique ou morale qu'il se substituerait d'autre part, et qu'elles ont réitérés par acte sous seing privé passé le 12 novembre 1987 entre elles d'une part, M. Frydman agissant tant en son nom personnel qu'au nom de toute personne physique ou morale qu'il entendrait se substituer d'autre part,

- a dit que ce préjudice ne pouvait être évalué à moins de 125 millions de francs et les a en conséquence condamnées in solidum à payer cette somme à la société Gédis à titre de dommages-intérêts, outre les dépens et la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les faits de la cause, la procédure et les prétentions des parties ont été exactement et complètement exposés par les premiers juges en des énonciations auxquelles la Cour se réfère.

Il suffit de rappeler que M. Armand Frydman qui s'est substitué la société Au Petit Paris, ayant le 7 mai 1987, levé la promesse de vente des actions représentant 90 % du capital de la société Gédis qui lui avait été consentie le 29 avril 1987 par huit sociétés coopératives, trois d'entre elles, les sociétés Coopérateurs de Champagne, de Normandie et de Picardie ont, par convention du 12 novembre 1987, confirmé à la société Gédis l'engagement pris le 29 avril 1987 de réserver leurs achats de produits non alimentaires destinés à être vendus dans leurs succursales classiques et leurs supermarchés pour cinq ans au moins à compter rétroactivement du 10 mai 1987 sous réserve que les conditions de prix et de services de la société Gédis soient comparables à celles du marché, en tenant compte dans la comparaison éventuelle de l'ensemble des prestations offertes par Gédis à ces coopératives.

Par conclusions récapitulatives du 26 mai 1992, la société Les Coopérateurs de Champagne après avoir rappelé les faits de la cause et les relations contractuelles ayant existé entre les parties expose :

Sur les différents rapports d'expertise judiciaire :

- que le rapport de M. Morainville sur Les Coopérateurs de Normandie ne constitue pas un rapport d'expertise judiciaire mais de simples notes préliminaires puisque l'expertise a été interrompue à la suite de l'infirmation de l'ordonnance ayant prescrit cette mesure ; que par ailleurs de nombreuses données comptables sont actuellement disponibles alors qu'elles ne l'étaient pas à l'époque de l'expertise,

- que le rapport de l'expert Lecointe sur Les Coopérateurs de Picardie comporte des chiffres inexploitables en ce qui concerne l'évaluation des achats effectués auprès de fournisseurs autres que la société Gédis dans le domaine non alimentaire ; que l'expert n'indique pas dans ces chiffres quelle part correspond à des achats effectués auprès des grossistes par opposition à d'autres sources d'approvisionnement telles que les achats directs auprès des fabricants, ne précise pas si ces achats ont été effectués à des conditions ou non comparables à celles offertes par Gédis et ne donne pas d'indication en ce qui concerne le préjudice pouvant avoir résulté pour la société Gédis de cette violation de la clause d'exclusivité,

- que le rapport de M. Wolff sur Les Coopérateurs de Champagne qui porte sur les exercices 1987 et 1988 ne permet pas de résoudre le litige actuellement soumis à l'appréciation de la Cour, puisqu'aucune indication n'est donnée sur les conditions d'approvisionnement ainsi que sur les questions de savoir si les articles figuraient sur le catalogue Gédis ou non, si ces approvisionnements ont été faits auprès de grossistes concurrents de la société Gédis ou directement auprès de fabricants.

Sur les fautes de la société Gédis :

Les Coopérateurs de Champagne reprochent à la société Gédis un certain nombre de carences :

- En matière de nombre d'articles référencés à son catalogue :

Selon Les Coopérateurs de Champagne, en l'espace de trois ans le catalogue de la société Gédis serait passé de 6 871 références à 3 375 références, soit une diminution de plus de 50 % et dix familles d'articles auraient totalement cessé d'être proposées par cette société ; qu'il ne pourrait leur être reproché dès lors de ne pas lui avoir acheté des articles ne figurant pas à son catalogue.

- En matière de prix et de conditions de vente moins favorables que chez d'autres grossistes.

- En matière d'approvisionnement :

Absence de réapprovisionnement en cours de saison, absence de livraison aux magasins et retards de livraisons.

Sur le principe même d'une condamnation des Coopératives Régionales :

Les Coopérateurs de Champagne soutiennent que la convention d'exclusivité figurant au contrat d'approvisionnement d'articles non alimentaires des succursales et supermarchés :

- est nulle pour indétermination du prix en application de l'article 1129 du Code civil,

- ne concernait pas les hypermarchés et magasins spécialisés,

- ne concernait la société Gédis qu'en sa qualité de grossiste et non les approvisionnements directs qu'auraient pu faire les sociétés coopératives auprès des fabricants,

- supposait que la société Gédis offre des conditions de prix, de catalogue et d'approvisionnement comparables à celles du marché ce qui n'a pas été le cas ; que pourtant la société Les Coopérateurs de Champagne qui s'était engagée à maintenir quelles que soient les circonstances un volume d'achats auprès de la société Gédis égal à 100 000 000 de F par an a tenu son engagement.

La société Les Coopérateurs de Champagne a cependant été contrainte de s'adresser à d'autres grossistes que la société Gédis dès lors que celle-ci n'offrait aucune marchandise pour des familles entières d'articles ou n'offrait plus que des familles d'articles incomplets.

Elle reproche en outre au Tribunal de commerce d'avoir écarté les rapports d'expertise privés produits devant les premiers juges et émanant d'experts notoirement compétents et respectés dans le domaine de la distribution, rapports dont l'examen aurait dû normalement conduire la juridiction consulaire à ordonner une expertise judiciaire.

La société Les Coopérateurs de Champagne prie en conséquence la Cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre des coopératives régionales.

Subsidiairement sur le quantum de la condamnation prononcée :

La société Les Coopérateurs de Champagne qui estime cette condamnation exorbitante fait observer :

- Sur l'application de la clause pénale :

- que les parties avaient pris soin de régler, dans le cadre d'une clause pénale les conséquences d'un éventuel manquement aux règles contractuelles relatives à l'exclusivité d'approvisionnement et que le contrat fait la loi des parties,

- que l'application de cette clause pendant toute la période des manquements allégués, en admettant qu'il y ait eu des manquements, conduit à une évaluation des dommages-intérêts s'élevant à 3 471 554 F pour Les Coopérateurs de Champagne et 2 603 657 F en ce qui concerne Les Coopérateurs de Normandie Picardie soit à un chiffre total de 6 075 211 F,

- que c'est à tort que le Tribunal de commerce a considéré que cette clause pénale ne serait pas applicable dans la mesure où elle figure dans un acte conclu entre M. Frydman d'une part et les sociétés coopératives d'autre part, alors que précisément cet acte qui prévoyait l'exclusivité dont a profité la société Gédis comportait pour M. Frydman la faculté de transférer le bénéfice de la convention à tout substitué et qu'il a fait usage de cette faculté au bénéfice de la société Gédis.

- Sur l'évaluation par le Tribunal de commerce d'Amiens des dommages-intérêts :

La société Les Coopérateurs de Champagne estime paradoxale la décision du Tribunal de commerce d'Amiens qui écarte les rapports d'expertises privées produits par Les Coopérateurs et retient les documents établis par l'expert comptable de la société Gédis sans même avoir recours à une mesure d'instruction alors qu'aucun des experts désignés dans la présente affaire n'a pu avoir accès à la comptabilité de la société Gédis et n'a pu fournir à la Cour des éléments suffisants pour des raisons tenant soit au libellé des missions, soit au fait qu'ils n'ont pu les accomplir complètement.

La société Les Coopérateurs de Champagne prie en conséquence la Cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et :

Principalement :

- déclarer la société Gédis mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions,

Subsidiairement :

- ordonner une mesure d'expertise confiée à un collège d'experts, près la Cour de cassation comprenant un expert financier et un expert en distribution,

En tous les cas :

- condamner la société Gédis aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à lui payer la somme de 300 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Les Coopérateurs de Normandie Picardie conclut à titre principal à l'absence de fondement de l'action en dommages-intérêts initiée à son encontre par la société Gédis faisant valoir que la convention d'exclusivité du 12 novembre 1987 :

- ne concernait que les succursales classiques et supermarchés et non les hypermarchés et magasins spécialisés,

- ne concernait que la société Gédis en sa qualité de grossiste et non les approvisionnements directs qu'auraient pu faire les sociétés coopératives auprès de fabricants,

- supposait que la société Gédis offrait des conditions de prix comparables à celles du marché ce qui n'a pas été le cas ainsi qu'il résulte des rapports d'expertise privés versés aux débats.

La société Les Coopérateurs de Normandie Picardie soutient subsidiairement que la condamnation prononcée par les premiers juges est particulièrement exorbitante d'une part et surtout parce que les parties avaient pris soin de régler, dans le cadre d'une clause pénale, les conséquences d'un éventuel manquement aux engagements contractuels relatifs à l'exclusivité d'approvisionnement (article 4 de l'accord d'origine du 12 novembre 1987), le montant maximum des dommages-intérêts étant de 2 603 713 F d'autre part, parce que les premiers juges ont évalué le montant des dommages-intérêts en retenant les conclusions de l'expert comptable de la société Gédis à l'exclusion du rapport d'expertise privé produit par les sociétés coopératives et sans même avoir recours à une mesure d'instruction.

La société Les Coopérateurs de Normandie Picardie fait observer par ailleurs que la condamnation à l'encontre des sociétés coopératives a été prononcée in solidum alors que les prétendues fautes alléguées étaient des fautes distinctes qui n'ont pas concouru à un entier dommage et sans même préciser la part qui incombait à chacune des sociétés.

Cette société prie en conséquence la Cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et :

Principalement :

- déclarer la société Gédis mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions,

Subsidiairement :

- ordonner une mesure d'expertise confiée à un collège d'experts dont au moins un expert financier et un expert en distribution avec mission de fournir tous éléments d'appréciation à la Cour, tant sur l'existence même des prétendus manquements à la clause d'exclusivité que sur les conditions que faisait la société Gédis aux coopératives concernées, ainsi que sur le quantum du prétendu préjudice subi par la société intimée,

- dire qu'il n'y a pas lieu, au cas où la Cour entrerait en voie de condamnation, à solidarité entre les sociétés coopératives défenderesses,

En tous les cas :

- condamner la société Gédis aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 150 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Fédération Nationale des Coopératives de Consommateurs (FNCC), association de la loi de 1901 chargée par ses statuts de veiller au respect des principes coopératifs ainsi que de grouper et d'organiser les sociétés coopératives de consommateurs en vue de leurs intérêts communs prie la Cour de lui donner acte de son intervention volontaire et du fait qu'elle s'associe à l'argumentation des sociétés coopératives régionales appelantes.

Faisant valoir que les appels régularisés par la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie d'une part et par la société Les Coopérateurs de Champagne d'autre part, ont été dirigés notamment contre :

- Me Sauvan, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Gédis,

- Me Bécheret, ès qualités de représentant des créanciers de la société Gédis mais que le plan de continuation de la société Gédis a été arrêté par jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 6 septembre 1990, Me Sauvan prie la Cour de lui donner acte de ce qu'il intervient en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société Gédis et Me Bécheret de ce qu'il agit en sa qualité de représentant des créanciers de cette société.

La société Gédis, Me Sauvan ès qualités et Me Bécheret ès qualités prient en premier lieu la Cour de déclarer irrecevable l'intervention accessoire de la FNCC dès lors que celle-ci n'établit nullement qu'elle ait intérêt pour la conservation de ses droits à soutenir les prétentions des Coopérateurs de Normandie Picardie ou des Coopérateurs de Champagne.

Répondant aux moyens formulés par les appelantes, la société Gédis fait valoir :

1) Sur la portée de l'engagement des sociétés coopératives :

- que si, contrairement à ce que celles-ci soutiennent, les premiers juges ont toujours considéré leur engagement comme concernant seulement leurs achats destinés à l'approvisionnement de leurs succursales classiques et supermarchés, à l'exclusion de leurs achats destinés à l'approvisionnement de leurs hypermarchés et magasins spécialisés, les appelants n'ont pas hésité à présenter fallacieusement certains de leurs supermarchés (d'une surface de vente comprise entre 400 et 2.499 m²) comme des hypermarchés (d'une surface de vente minimum de 2500 m²),

- que si l'engagement d'approvisionnement des coopérateurs a été pris par eux en faveur de la société Gédis " en sa qualité de grossiste ", il n'a jamais été dans l'intention des parties de considérer que les coopérateurs seraient autorisés à faire, si bon leur semblait, leurs achats de produits non alimentaires destinés à leurs succursales classiques et supermarchés auprès de fournisseurs non grossistes, quelles que fussent leurs conditions,

- qu'il est inexact que les premiers juges aient méconnu les limites de l'engagement de réserver leurs achats de produits non alimentaires à la société Gédis pris par les coopérateurs au paragraphe B de l'article 4 de l'acte sous seing privé du 29 avril 1987, réitéré le 12 novembre 1987, à savoir que la société Gédis leur offre des conditions comparables à celles du marché,

- que cet engagement d'approvisionnement exclusif n'est pas nul puisqu'il n'est que la mise en œuvre de l'obligation de garantie d'ordre public à la charge des coopératives et ne donnait nullement à la société Gédis la faculté d'imposer arbitrairement un prix quelconque aux coopérateurs,

2) Sur l'application de la clause pénale :

- que l'invocation par les coopérateurs de la clause pénale qui selon eux limiterait de façon forfaitaire à un montant minimum les dommages-intérêts à régler par eux à la société Gédis est sans effet dès lors que cette clause pénale concerne uniquement les indemnités pouvant être dues par les coopérateurs à l'acquéreur de leurs actions Gédis dénommé " le bénéficiaire " dans l'acte sous seing privé du 29 avril 1987 et " le fournisseur " dans l'acte sous seing privé du 12 novembre 1987 et ne vise nullement les dommages-intérêts pouvant être dus à la société Gédis par les coopérateurs pour violation des obligations contractées par elles en sa faveur ; qu'au surplus, il est de règle constante que la limitation forfaitaire du montant des dommages-intérêts résultant d'une clause pénale ne peut jamais être valablement invoquée par le débiteur lorsque comme en l'espèce celui-ci a manqué à ses obligations de propos délibéré, commettant ainsi une faute lourde assimilée au dol ; qu'enfin l'article 1152 du Code civil donne au juge le droit de ne pas s'en tenir à l'indemnité forfaitaire convenue lorsque celle-ci apparaît " manifestement dérisoire " ; qu'une indemnité de six millions serait en l'espèce manifestement dérisoire.

3) Sur l'évaluation du préjudice :

- que les premiers juges ont fait une exacte évaluation du préjudice subi par la société Gédis, le montant total des achats de produits non alimentaires fait par les coopérateurs tel qu'il a été calculé par les experts s'élevant à 210 936 517 F, somme qui est de beaucoup inférieure à la réalité, compte tenu du refus des coopérateurs de communiquer aux experts l'ensemble de leur comptabilité,

- que si l'on part des indications données par les trois experts judiciaires quant au montant vérifié par eux des achats de produits non alimentaires faits après le 10 mai 1987 par Les Coopérateurs de Champagne, de Normandie et de Picardie pour les besoins de leurs succursales classiques et supermarchés à d'autres fournisseurs que la société Gédis en les complétant uniquement par :

-- une évaluation sur la base de leurs calculs du montant de ces achats pour les mois de 1989 non vérifiés par eux,

-- le montant de ces achats faits en 1988 par Les Coopérateurs de Champagne pour leur supermarché de Nanteuil tel qu'indiqué par M. Wolff dans son rapport,

-- une évaluation modeste des achats des Coopérateurs de Picardie ayant concerné les produits non alimentaires pour lesquels ils ont refusé de donner le moindre renseignement à M. Lecointe,

on arrive à une évaluation totale de 363 545 000 F,

- que si l'on part des chiffres d'affaires annuels officiellement publiés par les coopérateurs appelants et du pourcentage de ces chiffres d'affaires correspondant normalement à des achats de produits non classiques et supermarchés d'après une note d'informations statistiques de la Fédération Nationale des Coopératives de Consommateurs de 1984, l'on arrive à un montant de 527 691 000 F comme ayant été celui des achats faits par les coopérateurs pour les besoins de leurs succursales classiques et supermarchés à d'autres fournisseurs que la société Gédis du 10 mai 1987 à fin 1989,

- que dans ces conditions, le montant de 425 millions de francs retenu par la société Gédis dans ses écritures comme ayant été celui des achats de produits non alimentaires faits par ces trois coopératives pour les besoins de leurs succursales classiques et supermarchés à d'autres fournisseurs qu'à elle-même, de mai 1987 à fin 1989 apparaît des plus modestes,

- que sur cette base, le préjudice subi par la société Gédis du fait de l'inexécution des obligations des coopérateurs envers elle, calculé par MM. Matt et Bellot, experts comptables dans leur note du 18 avril 1990, a été de 129 820 000 F, somme dont le décompte est détaillé dans ses écritures.

La société Gédis prie en conséquence la Cour de confirmer entièrement le jugement dont appel et de condamner in solidum les sociétés appelantes à lui payer :

- la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour appel abusif,

- les dépens de première instance et d'appel y compris les frais et honoraires des trois experts commis en référé par application de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile,

- la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions en réponse, la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie, la société Les Coopérateurs de Champagne et la FNCC soutiennent :

1) que la société Gédis n'a pas qualité pour invoquer les prétendus manquements à l'obligation d'approvisionnement exclusif, seul M. Frydman, cessionnaire des actions de Gédis ayant qualité pour obtenir réparation de ces manquements,

2) que la clause d'approvisionnement exclusif est nulle en application des articles 1129 et 1591 du Code civil pour indétermination du prix d'acquisition des marchandises, faute de référence à une donnée sérieuse, précise et objective ; que s'agissant d'une nullité absolue, elle n'est pas soumise à la prescription quinquennale,

3) que les achats effectués auprès de fournisseurs autres que Gédis ne constituent pas des manquements aux obligations contractuelles des sociétés coopératives,

4) que la sanction des prétendus manquements à l'obligation d'approvisionnement exclusif ne peut être que celle qu'ont prévue les stipulations contractuelles,

5) qu'au surplus les préjudices allégués par les intimés étant pour l'essentiel indirects (aggravations des frais financiers, conditions moins favorables consenties par les fournisseurs de la société Gédis, dépôt de bilan) ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation de leur part.

Les appelants prient en conséquence la Cour de :

- constater que Gédis n'a pas qualité pour agir en réparation des prétendus manquements à l'obligation d'approvisionnement exclusif,

- subsidiairement, déclarer nulle la clause d'approvisionnement exclusif,

- plus subsidiairement, constater que les sociétés coopératives n'ont pas manqué à leurs engagements d'approvisionnement exclusif,

- plus subsidiairement encore, déclarer que l'indemnisation doit être calculée en fonction des stipulations contractuelles,

- à titre infiniment subsidiaire, déclarer que les préjudices nés de l'aggravation des frais financiers, des conditions moins favorables consenties par les fournisseurs de Gédis et du dépôt de bilan de celle-ci constituent des préjudices indirects non réparables,

- statuer sur les dépens ainsi que précédemment requis.

Par conclusions en réplique, la société Gédis, Me Sauvan et Me Bécheret ès qualités font observer :

1) que le moyen des appelants relatif au défaut de qualité de la société Gédis pour demander réparation de leurs manquements à leurs obligations contractuelles n'est pas fondé, la clause d'approvisionnement exclusif figurant à l'article 4 paragraphe B de l'acte sous seing privé du 29 avril 1987 constituant une stipulation pour autrui conforme aux dispositions de l'article 1121 du Code civil ; qu'il est constant, par application des articles 1121, 1142 et 1147 du Code civil qu'en cas d'inexécution d'une stipulation pour autrui, le bénéficiaire de celle-ci et le stipulant ont chacun le droit d'agir en dommages-intérêts contre le promettant pour obtenir réparation des préjudices que cette inexécution leur cause respectivement,

2) que la clause d'approvisionnement figurant à l'article 4 paragraphe B de l'acte sous seing privé du 29 avril 1987 n'est pas nulle, l'article 1591 du Code civil ne concernant que les contrats de vente et un contrat cadre tel qu'un contrat d'approvisionnement exclusif ne constituant pas un contrat de vente par lui-même et la règle selon laquelle la nullité d'un contrat pour indétermination du prix n'étant pas applicable aux conventions ayant essentiellement pour objet des obligations de faire,

- que la clause d'approvisionnement exclusif relève essentiellement de l'obligation de faire dès lors qu'elle n'est qu'une modalité conventionnelle de mise en œuvre de l'obligation de garantie,

- que les produits non alimentaires en cause étant des produits de grande consommation offerts à la clientèle par de nombreux concurrents, la référence aux conditions du marché était en l'espèce une référence suffisamment " précise et objective " pour rendre les prix de vente à intervenir déterminables et interdire à la société Gédis toute fixation arbitraire de ceux-ci,

3) qu'il résulte des rapports des experts judiciaires que les achats de produits non alimentaires faits par les sociétés coopératives appelantes à d'autres fournisseurs que la société Gédis en violation de leurs obligations envers celle-ci s'élèvent à des sommes importantes (précédemment précisées),

4) qu'ainsi qu'il a été précédemment soutenu, la sanction du manquement des sociétés coopératives à la clause d'approvisionnement figurant à l'article 4 paragraphe B de la promesse de vente d'actions Gédis du 29 avril 1987 ne peut être limitée à une réparation forfaitaire résultant d'une clause pénale,

5) qu'il ne saurait être ajouté foi au rapport établi à la demande des sociétés coopératives par M. Marelli Ballou, ce rapport faisant étant de faits inexacts.

Les appelants font valoir, en réponse à ces conclusions :

1) Sur le défaut de qualité à agir de la société Gédis :

- qu'une même obligation ne peut, en cas d'inexécution, ouvrir deux droits à réparation cumulativement, qu'en l'espèce, conformément au principe de liberté contractuelle, les parties au contrat ont envisagé que la sanction de l'inexécution de l'obligation souscrite envers la société Gédis se traduirait par une indemnisation de M. Frydman (qui n'est autre que Gédis par la détention de 90 % du capital) ; qu'en donnant son accord au bénéfice de la stipulation, Gédis a accepté que le droit à réparation soit exercé par M. Frydman ; que celui-ci fait jouer la sanction contractuelle de l'inexécution de l'obligation d'approvisionnement exclusif en retenant le prix de cession des actions bien qu'il ait été condamné à le payer par le Tribunal de commerce d'Amiens (jugement du 30 mai 1991) et réclame cumulativement la sanction du même préjudice par Gédis interposé.

2) Sur la nullité de la convention d'approvisionnement exclusif :

- que l'action en réparation de Gédis est vouée à l'échec ; qu'en effet :

-- ou la clause d'approvisionnement exclusif n'est pas assimilable à une convention entraînant " essentiellement des obligations de faire ". L'article 1129 du Code civil lui est donc applicable. La nullité pour indétermination du prix est certaine,

-- ou la clause est considérée comme engendrant des obligations de faire,

- qu'elle est alors nulle car la clause d'achat d'un volume minimal de marchandises ne permet pas une libre négociation du prix,

- que si l'on admettait, au contraire, que les prix étaient librement négociables, alors la clause d'approvisionnement exclusif serait vidée de toute portée juridique puisqu'elle perdrait tout effet de contrainte à l'égard des acquéreurs. Il ne pourrait dont y avoir violation d'une obligation sans caractère contraignant.

3) Sur l'inexécution prétendue de l'engagement d'approvisionnement exclusif :

- que l'exposé de la société Gédis tendant à démontrer que l'approvisionnement des coopérateurs auprès d'elle s'est progressivement réduit prouve surtout que le nombre d'articles offerts par celle-ci diminuait de façon plus que sensible.

4) Sur la sanction de l'inexécution prétendue de l'engagement d'approvisionnement exclusif :

- que c'est contraint par les circonstances que M. Frydman alias Gédis avait lui-même créées que les appelantes n'ont pu s'approvisionner exclusivement chez Gédis ; que la faute étant celle du grossiste et non celle des coopérateurs, la responsabilité contractuelle de ceux-ci ne pouvait être engagée,

- qu'au surplus la clause pénale ne peut être écartée même si l'acquéreur a manqué à ses obligations " de propos délibéré ",

- qu'augmenter la clause pénale au détriment des parties auxquelles elle a été imposée irait à contre courant des voeux du législateur et de la pratique judiciaire alors surtout que toute modification est subordonnée à la justification du caractère manifestement dérisoire de la clause pénale ; que cette démonstration n'a pas été faite.

Par conclusions d'intervention volontaire, la société GMF Banque exposant qu'à la suite du jugement entrepris du 31 mai 1991, la société Gédis a fait pratiquer au préjudice des deux sociétés coopératives appelantes des mesures conservatoires et notamment des saisies-arrêts, qu'il a été décidé que toute mesure conservatoire ainsi prise par la société Gédis serait levée dans l'attente de l'arrêt de la fourniture d'un cautionnement et qu'elle a, dans ces conditions émis deux cautionnements, le premier en date du 24 octobre 1991 à concurrence de 50 000 000 F pour la société Les Coopérateurs de Champagne en faveur de Gédis et le second, le 29 octobre 1991 d'un même montant pour la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie prie la Cour de lui donner acte de son intervention volontaire et de la déclarer recevable, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et, par conséquence, constater l'extinction des cautionnements émis par elle en faveur de Gédis.

La société GMF Banque sollicite en outre la condamnation de la société Gédis aux dépens.

Par conclusions en réponse aux conclusions d'intervention volontaire de la société GMF Banque, les appelants demandent à la Cour de statuer ce qu'il appartiendra sur l'intervention volontaire de cette société mais de condamner la société Gédis, Me Sauvan et Me Bécheret ès qualités ou subsidiairement la société GMF Banque aux entiers dépens de cette intervention volontaire.

Par d'ultimes conclusions en réponse, la société Gédis fait valoir notamment :

Sur le défaut de qualité de la société Gédis à agir en réparation du préjudice que les sociétés coopératives appelantes lui ont causé en ne respectant pas les obligations résultant pour elles de l'article 4 paragraphe B de l'acte sous seing privé du 29 avril 1987 :

- qu'en cas d'inexécution d'une stipulation pour autrui, le bénéficiaire de celle-ci et le stipulant ont chacun le droit d'agir en dommages-intérêts contre le promettant pour obtenir réparation des préjudices que cette inexécution leur cause respectivement ; que bénéficiaire de la stipulation pour autrui faisant l'objet de l'article 4 paragraphe B de la promesse de vente d'actions du 29 avril 1987, la société Gédis n'a jamais renoncé à agir en réparation du préjudice que l'inexécution éventuelle des obligations contractées à son profit par les coopérateurs lui causerait ; qu'elle a donc qualité pour agir.

Sur la nullité de la clause figurant à l'article 4 paragraphe B de la promesse de vente du 29 avril 1987 :

- qu'une décision prononçant la nullité de cette clause irait à l'encontre de toute équité dès lors que les actions de la société Gédis faisant l'objet de la promesse de vente des coopératives n'auraient eu aucune valeur si celles-ci qui étaient pratiquement les seuls clients du fonds de la société Gédis n'avaient été tenues de maintenir le bénéfice de leur clientèle à cette société,

- que la lecture de l'article 1129 sur lequel la jurisprudence fonde la règle selon laquelle un contrat d'approvisionnement exclusif doit être déclaré nul lorsque le prix des ventes à intervenir n'est ni déterminé ni déterminable suffit à révéler que cet article ne vise pas la détermination du prix mais la détermination de la chose, ce qui est tout différent,

- qu'en tout cas, en l'état de la jurisprudence de la Cour de cassation, la clause faisant l'objet de l'article 4 paragraphe B de la promesse de vente du 29 avril 1987 apparaît valable pour plusieurs motifs :

-- une telle clause instituant un simple droit de propriété pour la société Gédis ne saurait être considérée comme entachée de nullité pour indétermination du prix,

. cette clause constitue une obligation de faire, modalité conventionnelle de l'obligation de garantie d'ordre public dont les sociétés coopératives promettantes étaient tenues par application des articles 1626 et suivants du Code civil,

-- les produits non alimentaires susceptibles d'être fournis par la société Gédis n'ont jamais été que des produits de grande consommation offerts à la clientèle par de nombreux concurrents et de ce fait, la référence aux conditions du marché était en l'espèce suffisamment précise et objective pour qu'en tout état de cause la clause litigieuse doive être considérée comme échappant à la nullité pour indétermination du prix.

Sur le caractère indirect de partie du dommage dont la société Gédis demande réparation :

- que les dommages dont la société Gédis demande réparation sont tous la suite directe de l'inexécution des obligations envers la société Gédis qui résultaient pour les sociétés coopératives de l'article 4 paragraphe B de la promesse de vente du 29 avril 1987.

Par conclusions en réplique les sociétés coopératives appelantes et la FNCC font observer :

Sur le défaut de qualité à agir :

- que le principe selon lequel le bénéficiaire d'une stipulation pour autrui et le stipulant peuvent agir en dommages-intérêts contre le promettant ne s'impose qu'en l'absence de volonté contraire des parties,

- qu'en l'espèce Les Coopérateurs et M. Frydman ont conventionnellement réservé à ce dernier l'action en responsabilité contractuelle ; que celle-ci protégeant des intérêts privés, la stipulation est pleinement licite ; qu'en acceptant le bénéfice de la stipulation, la société Gédis acceptait nécessairement l'ensemble des clauses du contrat,

- qu'il est clair qu'au travers de la société Gédis ou de la société Au Petit Paris, substituée à M. Frydman acquéreur des actions, celui-ci cherche à obtenir deux fois la réparation du préjudice allégué.

Sur la nullité de la clause d'exclusivité :

- que lorsque le souscripteur d'une obligation de s'approvisionner doit nécessairement le faire auprès du co-contractant pour un montant annuel HT de cent millions de francs, il est tenu dans cette limite, d'un approvisionnement obligatoire et non du simple respect d'une priorité,

- qu'à supposer que la clause litigieuse s'analyse en une simple priorité consentie à M. Frydman ou à toute personne substituée, elle serait de toute façon entachée de la plus grande imprécision tant les paramètres de comparaison étaient indéfinis alors que la précision du critère de fixation est une condition nécessaire de la validité de la clause d'approvisionnement exclusif.

Sur le caractère indirect de certains chefs de dommage :

- qu'il appartient au demandeur en indemnisation de démontrer que les conditions de son droit à réparation sont réunies,

- que les intimés ne peuvent donc se borner à affirmer, procédant ainsi par pétition de principe qu'il y a un lien direct de causalité entre les prétendus manquements contractuels et l'aggravation des frais financiers, les conditions moins favorables des fournisseurs ou le dépôt de bilan que la société Gédis aurait subi.

Sur ce,

Attendu que la société Gédis fait l'objet d'un plan de continuation arrêté par jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 6 septembre 1990 ; qu'il convient dès lors de donner acte à Me Sauvan de ce qu'il intervient en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société Gédis et à Me Bécheret de ce qu'il agit en sa qualité de représentant des créanciers de cette société ;

Attendu qu'il convient par ailleurs de donner acte à la société GMF Banque qui s'est portée caution solidaire des sociétés coopératives appelantes en faveur de la société Gédis de son intervention volontaire ;

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la Fédération Nationale des Coopératives de Consommateurs (FNCC) :

Attendu que la FNCC, association régie par la loi du 1er juillet 1901 qui regroupe les sociétés, union de sociétés coopératives de consommation française a notamment pour objet de grouper et d'organiser les sociétés coopératives de consommateurs affiliées et leurs unions en vue de la défense de leurs intérêts communs et de représenter le mouvement coopératif et les consommateurs auprès de toutes instances publiques et privées, nationales, européennes et internationales ;

Attendu qu'il résulte de l'extrait du procès-verbal de l'Assemblée Générale Ordinaire de la FNCC du 26 juin 1991 que celle-ci a mandaté son Président du Conseil d'Administration pour intervenir volontairement au procès aux côtés des sociétés Les Coopérateurs de Champagne et Les Coopérateurs de Normandie Picardie ;

Attendu que la FNCC a intérêt, pour la conservation de ses droits à soutenir ces sociétés et à appuyer leurs prétentions ; que cette intervention accessoire est donc recevable en vertu de l'article 330 du nouveau Code de procédure civile.

Sur la qualité à agir de la société Gédis :

Attendu que par convention du 29 avril 1987 réitérée le 12 novembre 1987, les sociétés coopératives appelantes ont promis de céder à M. Armand Frydman, avec faculté de substitution, les actions de la société Gédis qu'elles détenaient et qui représentaient approximativement 90 % du capital de cette société ;

Qu'eu égard au prix retenu pour la cession des actions, l'article 4 paragraphe B de cette convention stipule que les sociétés cédantes " consentent à G 10 (Gédis) et/ou à tout autre établissement substitué, en sa qualité de grossiste, un droit exclusif d'approvisionnement de leurs succursales classiques et supermarchés tant en articles dits permanents qu'articles dits saisonniers pour les produits non alimentaires vendus dans lesdits magasins, sous réserve que G 10 et/ou substitué offre des conditions de prix et de services comparables à celles du marché étant précisé que cette comparaison devra tenir compte de l'ensemble indissociable de prestations offertes par G 10 et notamment, la charge du stock, la gestion informatique, les délais de livraison, les envois au détail, les groupages, délais de règlement, taux de service, etc.... " ;

Que l'article 5 précise que : " Les engagements visés à l'article 4 sont souscrits pour une durée initiale de 5 années entières et consécutives commençant à courir le 10 mai 1987. " ;

Attendu qu'en sa qualité de bénéficiaire en vertu d'une stipulation pour autrui de la promesse d'approvisionnement exclusif contractée par les sociétés coopératives, la société Gédis dispose à leur encontre d'une action directe et personnelle en réparation de son préjudice ;

Attendu que c'est en vain que les appelantes soutiennent qu'il résulte des conventions précitées que les sociétés coopératives et M. Frydman ont conventionnellement réservé à ce dernier l'action en responsabilité contractuelle et qu'en acceptant le bénéfice de la stipulation pour autrui, la société Gédis a nécessairement accepté l'ensemble des clauses de ces conventions ;

Attendu en effet que si ces conventions contiennent une clause stipulant " qu'en cas de non-respect de l'engagement d'approvisionnement ... la société défaillante sera redevable envers le " fournisseur " (M. Frydman ou non substitué) d'une indemnité égale à sa quote-part dans l'annuité due par le " Fournisseur " pour l'acquisition des actions Gédis au moment de l'infraction, l'existence de cette clause ne peut priver la société Gédis qui n'y a pas renoncé de son action directe et personnelle en réparation de son préjudice distinct de celui causé à M. Frydman ou à la société Au Petit Paris qu'il s'est substitué, étant rappelé que celle-ci n'a acquis qu'environ 90 % des actions de la société Gédis.

Sur la validité de " l'engagement exclusif d'approvisionnement " pris par les sociétés coopératives :

Attendu que par acte du 29 avril 1987, réitéré le 12 novembre 1987, les sociétés coopératives appelantes ont consenti pour une durée de cinq ans renouvelable à la société Gédis, en sa qualité de grossiste, un " droit exclusif d'approvisionnement " de leurs succursales classiques et supermarchés, tant en articles dits permanents qu'en articles dits saisonniers pour les produits non alimentaires vendus dans lesdits magasins ;

Attendu que cet engagement, accepté par la société Gédis et constituant pour les sociétés coopératives une simple obligation de faire fixe le cadre des relations commerciales nouvelles établies entre les parties ; qu'il contient une clause selon laquelle les conditions de prix et de services offerts par la société Gédis doivent être comparables à celles du marché, étant précisé que cette comparaison doit tenir compte de l'ensemble indissociable de prestations fourni par la société Gédis relatives à la vente des produits ;

Attendu que cette clause, qualifiée de " clause d'achat préférentielle " par la société Les Coopérateurs de Champagne dans sa lettre du 7 avril 1989 adressée à la société Gédis permettait aux parties et en particulier aux sociétés coopératives, de déterminer le prix de vente des produits en fonction d'éléments objectifs, indépendants de leurs seules volontés, à savoir les offres de vente des concurrents de la société Gédis, puisque les sociétés coopératives étaient libérées de leur obligation d'approvisionnement auprès de cette société au cas où celle-ci ne leur offrait pas de prix et conditions de vente comparables à ceux de ses concurrents ; qu'à tout le moins, le prix de vente des produits n'était pas laissé à la seule disposition de la société Gédis qui ne pouvait imposer sa volonté aux sociétés coopératives ;

Attendu que c'est en vain que celles-ci prétendent que l'engagement d'achat d'un volume minimal annuel de marchandises qui n'a d'ailleurs été souscrit que par la société Les Coopérateurs de Champagne était de nature à permettre une fixation arbitraire du prix ;

Qu'il résulte en effet de l'économie générale des accords conclus entre les parties ainsi que du rapprochement des diverses clauses de l'acte du 29 avril 1987, réitéré par actes séparés le 12 novembre de la même année que la société Les Coopérateurs de Champagne n'a pris l'engagement d'effectuer un volume minimum d'opérations annuelles qu'aux conditions de prix et prestations déterminées par l'article 4 paragraphe B de cet acte ;

Attendu dès lors que les sociétés coopératives ne sont pas fondées à soutenir que l'engagement qu'elles ont souscrit est atteint de nullité.

Sur la portée de " l'engagement exclusif d'approvisionnement " :

Attendu que les sociétés coopératives soutiennent en premier lieu que l'engagement exclusif d'approvisionnement qu'elles ont consenti en faveur de la société Gédis ne concernait pas les hypermarchés et les magasins spécialisés mais uniquement les succursales classiques et les supermarchés ;

Attendu que la société Gédis ne conteste pas ce fait, admis par le Tribunal de commerce et qui résulte clairement de la lecture de l'article 4 paragraphe B de l'acte du 29 avril 1987 réitéré le 12 novembre 1987 mais fait valoir ainsi que les premiers juges l'ont retenu à juste titre qu'il résulte tant de la définition du " supermarché " donnée par la revue professionnelle " LSA " qui précise qu'un magasin de ce type a une surface de vente comprise entre 400 et 2.499 m² que de l'exemplaire de la revue GO Magazine édité par la société Les Coopérateurs de Champagne versé aux débats que le magasin Champion de Nanteuil les Meaux est un supermarché et non un hypermarché ;

Attendu que les sociétés coopératives prétendent en deuxième lieu que la convention d'exclusivité ne concernait la société Gédis que prise en sa qualité de grossiste, ce qui les autorisait à s'approvisionner directement auprès des fabricants ;

Mais attendu que si les accords conclus entre M. Frydman et les sociétés coopératives n'interdisaient pas à celles-ci de s'approvisionner directement auprès des fabricants, c'est à la condition que la société Gédis ne puisse pas leur fournir les produits non alimentaires dans les conditions prévues par ces accords; qu'admettre que les sociétés coopératives avaient la possibilité de s'approvisionner à leur seul choix, soit directement auprès de fabricants, soit auprès de la société Gédis retirerait au droit exclusif d'approvisionnement dont bénéficiait cette société tout ou partie de sa substance, étant rappelé que ce droit constituait la contrepartie de l'engagement d'achat des actions de cette sociétés pris par M. Frydman et était destiné à en garantir la valeur, la clientèle de la société Gédis étant composée à cette époque uniquement de sociétés coopératives ;

Attendu que les appelantes exposent en troisième lieu que la société Gédis ne peut leur reprocher d'avoir violé leur engagement d'approvisionnement exclusif que dans la mesure où elle rapporte la preuve qu'elle tenait ses produits à leur disposition à des conditions de prix et de services comparables à celles du marché ;

Mais attendu, ainsi que les premiers juges l'ont exactement retenu, par des motifs pertinents que la Cour adopte, qu'il résulte de l'analyse des accords conclus entre les parties que c'est aux sociétés coopératives qui avaient consenti à la société Gédis un " droit exclusif d'approvisionnement " qu'il appartenait de rapporter la preuve, qu'elles avaient obtenu de ceux-ci de meilleures conditions de prix et de services que celles offertes par la société Gédis, permettant ainsi à cette société soit d'aligner ses conditions sur celles de la concurrence, soit de refuser de les modifier, libérant alors les sociétés coopératives de leur engagement;

Attendu en effet qu'en raison tant de la nature des accords conclus que de la situation respective des parties sur le marché, il incombait aux sociétés coopératives, en leur qualité de client potentiel de recueillir, susciter et négocier les offres de la concurrence, ce que la société Gédis n'était pas en mesure de faire ;

Attendu qu'il résulte d'ailleurs de l'ensemble de la correspondance échangée entre les parties et notamment des lettres des 15 mars, 23 mars, 7 avril et 12 juillet 1989 adressées par la société Les Coopérateurs de Champagne à la société Gédis ainsi que de la lettre du 29 mars 1989 adressée par cette dernière à la société Les Coopérateurs de Champagne que c'est bien la procédure qui avait dès l'origine été convenue entre les parties ;

Attendu que le rapport établi par le " Groupe Calan Ramolino et Associés " à la demande des coopérateurs précise que les sociétés coopératives ont systématiquement procédé à des comparatifs de prix et de services et en cas de conditions moins avantageuses ont confirmé leur désaccord par lettre recommandée à la société Gédis ; que ce rapport ajoute que les coopérateurs n'ont pas " dans un esprit positif et constructif " manifesté leur mécontentement par écrit en 1987 et 1988, se contentant de le faire verbalement et que ce n'est qu'en 1989 qu'ils ont matérialisé par écrit leur désaccord sur la dégradation et la détérioration des prestations fournies par la société Gédis ;

Attendu cependant que les sociétés coopératives n'établissent pas, sauf dans de rares hypothèses à compter du mois de mars 1989, s'être mis en rapport avec la société Gédis afin de permettre à celle-ci de faire valoir son droit exclusif d'approvisionnement; que les sociétés coopératives ne justifient pas non plus, sauf cas exceptionnels, avoir été contraintes de s'adresser à d'autres fournisseurs en raison de l'insuffisance de nombre ou de la gamme des produits offerts à la vente par la société Gédis ou de conditions de délais incompatibles avec les exigences d'une bonne gestion ; qu'il apparaît au contraire que, dans la très grande majorité des cas, les sociétés coopératives se sont adressées à d'autres fournisseurs à l'insu de la société Gédis et sans s'assurer que celle-ci était dans l'impossibilité de les approvisionner dans les conditions prévues par leurs accords;

Attendu dès lors que les sociétés coopératives ne peuvent valablement justifier le non-respect de leur engagement exclusif d'approvisionnement par les manquements reprochés à la société Gédis dans l'exécution de ses obligations.

Sur le préjudice subi par la société Gédis :

Attendu que les sociétés coopératives soutiennent en premier lieu que l'indemnisation du préjudice que la société Gédis prétend avoir subi ne peut excéder les limites prévues par la clause pénale contenue dans les conventions des 29 avril et 12 novembre 1987 ;

Mais attendu, ainsi qu'il a été précédemment indiqué à propos de la qualité à agir de la société Gédis que tant dans l'acte du 29 avril que dans celui du 12 novembre 1987, la clause pénale est stipulée à la charge de la société coopérative défaillante et au profit du fournisseur ou du bénéficiaire c'est-à-dire l'acquéreur des actions de la société Gédis et non au profit de cette société qui n'est pas partie à ces actes et qui bénéficie du " droit exclusif d'approvisionnement " en vertu d'une stipulation pour autrui qu'elle a acceptée ;

Attendu qu'il convient de rappeler également que la société Gédis est une personne morale distincte de M. Frydman et de la société Au Petit Paris que celui-ci s'est substitué et qui ne détient que 89,80 % des actions de la société Gédis ;

Attendu que la société Gédis est en conséquence fondée à demander réparation de son préjudice personnel, distinct de celui qu'aurait subi M. Frydman ou son substitué et dont l'indemnisation doit être calculée indépendamment de l'existence de la clause pénale régissant les rapports entre les sociétés coopératives et l'acquéreur des actions de la société Gédis ;

Attendu que les sociétés coopératives font valoir en second lieu que le montant des dommages-intérêts qu'elles ont été condamnées à payer à la société Gédis en réparation du préjudice que cette société aurait subi est exorbitant ;

Attendu qu'il convient de rappeler que les sociétés coopératives ne contestent pas s'être approvisionnées chez d'autres fournisseurs que la société Gédis, soutenant seulement qu'elles étaient en droit de le faire ;

Attendu qu'il ne peut être contesté que dès le mois de mai 1987, date à laquelle ont pris effet les accords conclus entre les parties et acceptés par la société Gédis, les sociétés coopératives ont effectué des achats de produits non alimentaires destinés à être vendus dans leurs succursales classiques et leurs supermarchés, à d'autres fournisseurs que la société Gédis ; qu'il en est ainsi notamment pour la société Les Coopérateurs de Champagne qui indique elle-même dans la revue LSA du 24 février 1989 qu'elle s'est affiliée dès avril 1987 à la CIM, centrale d'achats non alimentaire de la société Promodès ; que, de même, la société Les Coopérateurs de Normandie a, par lettre du 7 février 1989 passé commande aux Ets Claverie d'articles textiles à livrer au cours de l'année 1989 à leurs " magasins de proximité " ; que l'existence d'approvisionnements extérieurs à la société Gédis ressort encore et surtout des investigations effectuées par les experts judiciaires ainsi que des rapports par eux établis ;

Attendu en effet que la société Gédis a obtenu en référé la nomination de trois experts judiciaires, M. Morainville pour Les Coopérateurs de Normandie, M. Lecointe pour Les Coopérateurs de Picardie et M. Wolff pour Les Coopérateurs de Champagne ;

Attendu, en ce qui concerne les opérations effectuées par M. Morainville que l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Rouen désignant cet expert a été infirmée par arrêt de la Cour d'appel de Rouen ; que cet arrêt ayant été cassé par la Cour de cassation, l'ordonnance a repris son plein et entier effet ;

Attendu il est vrai que par suite de l'infirmation de cette ordonnance, les opérations d'expertise ont été interrompues et non reprises ;

Qu'il résulte cependant de la note aux parties concernant l'avancement des travaux d'expertise en date du 30 octobre 1989 établie par M. Morainville ainsi que des explications fournies aux parties et au juge des référés sur les difficultés rencontrées que cet expert a pu déterminer, après des opérations menées contradictoirement, le chiffre d'achat hors taxes des produits non alimentaires acquis par Les Coopérateurs de Normandie pour la période s'étendant de mai 1987 à juin 1989, chiffre évalué à 76 163 482,45 F ; que si l'expert précise que selon le dire de Me Sigaudy, avocat des Coopérateurs, des achats inclus dans ce montant " pourraient " concerner les hypermarchés, il indique aussitôt qu'aucune précision ne lui a été communiquée à ce sujet ; que l'expert ajoute qu'il s'est heurté, au cours de ses opérations aux réticences de la société Les Coopérateurs de Normandie qui a refusé de lui communiquer un certain nombre de documents comptables qui lui auraient permis d'effectuer des évaluations plus précises et plus détaillées, ou qui n'ont pas été en mesure de lui apporter les informations utiles pour mener à bien ses investigations ;

Attendu, dans ces conditions, que la Cour retiendra comme base d'évaluation le chiffre d'achat hors taxes calculé par l'expert étant observé que celui-ci indique dans ses conclusions que les fournisseurs non alimentaires sont d'un nombre incontestablement supérieur aux soixante douze identifiés par Les Coopérateurs de Normandie et que dès lors, les données comptables recueillies ne représentent certainement pas le montant des achats non alimentaires effectués pendant la période ;

Attendu que la Cour retiendra également les conclusions pertinentes de l'expert Lecointe relatives à l'évaluation du montant des achats de produits non alimentaires effectués par Les Coopérateurs de Picardie du 1er mai 1987 au 30 septembre 1989 pour les besoins de leurs succursales classiques et de leurs supermarchés étant précisé que l'expert évalue ce montant à la somme de 37 089 095 F en y incluant la somme de 8 558 833 F correspondant aux achats de produits " litigieux " c'est-à-dire classés par Les Coopérateurs de Picardie parmi les produits alimentaires alors qu'il s'agit de produits non destinés à l'alimentation ; qu'à défaut de précisions contraires dans les accords conclus le 29 avril et 12 novembre 1987 la Cour estime en effet que ces produits ne peuvent être classés sous la rubrique produits alimentaires ;

Attendu, en ce qui concerne Les Coopérateurs de Champagne que l'expert Wolff après une étude sérieuse et précise dont la Cour adopte les conclusions a chiffré à la somme de 43 955 404 F pour la période du 11 mai au 31 décembre 1987 et de 53 728 536 F pour l'année 1988 soit au total à la somme de 97 683 480 F les achats de produits non alimentaires effectués par cette société coopérative chez d'autres fournisseurs que la société Gédis ; qu'il convient de retenir cette évaluation qui doit cependant être corrigée en y ajoutant la somme de 10 875 804 F correspondant au magasin de Nanteuil qui doit être classé dans la catégorie des supermarchés et non des hypermarchés pour les raisons précédemment indiquées ;

Attendu qu'il y a lieu en définitive, pour calculer le préjudice subi par la société Gédis du fait des manquements des sociétés coopératives à leur engagement d'approvisionnement exclusif, de retenir comme éléments de base les évaluations effectuées par les experts judiciaires du montant des achats faits par les sociétés coopératives ailleurs que chez ce fournisseur ;

Attendu en effet que les critiques dont les conclusions des experts font l'objet ne sont pas pertinentes dès lors qu'elles portent sur des points que ces experts n'ont pu examiner ou approfondir en raison de la carence des sociétés coopératives qui ne se sont prêtées qu'avec réticence aux opérations d'expertise, ou sur des questions sans incidence sur la solution du litige par suite du non-respect par les sociétés coopératives de la procédure prévue pour assurer le respect du " droit d'approvisionnement exclusif " de la société Gédis ;

Attendu cependant que les premiers juges ont relevé à juste titre que les évaluations effectuées par les trois experts judiciaires étaient incomplètes en raison notamment de ce que d'une part les sociétés coopératives ne leur avaient pas communiqué la liste exhaustive des fournisseurs autres que la société Gédis auprès desquels elles s'étaient approvisionnées en violation du droit d'approvisionnement exclusif de cette société et d'autre part de ce que les investigations effectuées par les experts n'avaient pu recouvrir l'ensemble de la période du 11 mai 1987 au 31 décembre 1989 ;

Attendu que pour compléter les investigations des experts judiciaires, la société Gédis produit aux débats une étude qu'elle a fait établir par MM. Bellot et Matt, experts comptables et commissaires aux comptes ; que les auteurs de cette étude à laquelle il convient de se reporter évaluent le montant des achats de produits non alimentaires faits par les sociétés coopératives pour les besoins de leurs succursales et de leurs supermarchés auprès d'autres fournisseurs que la société Gédis selon deux méthodes ;

Que la première méthode utilise les résultats obtenus par les experts judiciaires et les étend à l'ensemble de la période de référence considérée après la correction en fonction de l'inflation et de la diminution du montant des achats des trois coopératives auprès de la société Gédis en 1989, puis en réintégrant dans ces résultats le montant des achats relatifs au supermarché de Nanteuil appartenant aux Coopérateurs de Champagne ainsi que le montant des achats de produits estimés litigieux par la société Les Coopérateurs de Picardie (produits non comestibles classés parmi les produits alimentaires) ;

Que la seconde méthode consiste à évaluer le montant des achats faits par les sociétés coopératives pour les besoins de leurs succursales classiques et supermarchés auprès d'autres fournisseurs que la société Gédis au moyen de diverses données économiques issues à la fois des comptes publiés par ces sociétés, de ratios internes aux coopérateurs ainsi que de normes professionnelles ;

Attendu que l'évaluation du montant total des achats des sociétés coopératives s'élève, selon la première méthode à la somme de 363 545 000 F et selon la seconde à la somme de 527 691 000 F ; qu'en effectuant une synthèse entre les deux méthodes, MM. Bellot et Matt obtiennent un montant total arrondi à 435 000 000 F qui correspond selon leur étude à l'insuffisance du chiffre d'affaires hors taxes de la société Gédis pour cette période ;

Attendu que la Cour retiendra ce dernier montant pour les mêmes motifs que ceux énoncés par le Tribunal de commerce, s'agissant d'une évaluation résultant d'un travail sérieux effectué à partir de données recueillies par les experts judiciaires et complétées à partir d'éléments objectifs soumis à la discussion des parties ;

Attendu que la Cour adoptera également, comme les premiers juges, les conclusions de l'étude effectuée par MM. Bellot et Matt que la société Gédis produit à l'appui de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice subi par suite de sa perte de chiffre d'affaires, étude qui porte sur chaque chef de préjudice ;

Attendu que la Cour estime en effet qu'il n'y a pas lieu de recourir à une nouvelle expertise, les éléments figurant au dossier étant suffisants pour apprécier le préjudice subi par la société Gédis, les rapports de M. Meralli Ballou, de M. Strauch et du Cabinet Calan Ramolino versés aux débats par les sociétés coopératives ne contenant pas de critiques de nature à remettre en cause les conclusions des experts judiciaires servant de base aux demandes présentées par la société Gédis, et les sociétés coopératives qui n'ont pas au cours des expertises judiciaires communiqué aux experts tous les documents comptables en leur possession ne pouvant solliciter une nouvelle mesure d'instruction pour palier leur carence ;

Attendu cependant que si, comme le relève justement le Tribunal de commerce, l'insuffisance de chiffre d'affaires de la société Gédis imputable à la violation par les sociétés défenderesses de leurs obligations contractuelles, incompatible avec l'importance de la structure de cette société a causé à celle-ci de graves difficultés, il n'est pas établi que cette insuffisance de chiffre d'affaires ait, à elle seule, entraîné sa cessation des paiements ;

Attendu en effet qu'un certain nombre d'autres éléments sont également à l'origine des difficultés de la société Gédis ayant provoqué son dépôt de bilan et notamment la situation déjà obérée de celle-ci lorsque M. Frydman (ou son substitué) a acquis 89,80 % de ses actions, le fait que la situation de la plupart des sociétés coopératives s'est dégradée au cours de la même période, entraînant nécessairement une baisse des achats à la société Gédis ; que par ailleurs la gestion de cette société qui fait apparaître concomitamment une baisse du chiffre d'affaires et une augmentation des charges du personnel et la cession de son activité " colis épargne " en janvier 1988 alors que ce produit à forte marge connaissait un développement important ne sont pas étrangères à la dégradation de sa situation ;

Attendu que la Cour estime dans ces conditions que les sociétés coopératives ne sont responsables que pour moitié de la cessation des paiements de la société Gédis, cette société étant elle même responsable pour l'autre moitié ;

Attendu en conséquence que le montant des dommages-intérêts accordés à la société Gédis au titre du préjudice subi du fait des conséquences de son redressement judiciaire sera réduit de moitié ;

Attendu en définitive que la Cour possède les éléments suffisants pour évaluer à cent millions de francs (100 000 000 F) toutes causes réunies le préjudice direct subi par la société Gédis des chefs de perte de marge, frais financiers imputables à la perte de marge, frais financiers imputables à la dégradation du fonds de roulement, frais complémentaires dus à la dégradation des conditions d'achat ainsi que du fait des conséquences du redressement judiciaire ;

Attendu que la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie et la société Les Coopérateurs de Champagne seront condamnés in solidum à payer cette somme à la société Gédis, les manquements par elles commis à leur engagement exclusif d'achat ayant contribué à la réalisation de l'entier dommage de cette société ;

Attendu que dan leurs rapports personnels, la part de chacune des sociétés coopératives sera calculée en proportion du montant de leurs achats de produits non alimentaires réalisés chez d'autres fournisseurs que la société Gédis, montant figurant sur le tableau à la page 9 de l'étude de MM. Bellot et Matt.

Sur les dommages-intérêts pour appel abusif, les dépens et l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que la société Gédis ne justifiant pas du caractère abusif de l'appel interjeté par les sociétés coopératives sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef ;

Attendu que les sociétés coopératives qui succombent pour l'essentiel en leur appel seront condamnées in solidum aux dépens d'appel ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Gédis la totalité des sommes exposées par elle en cause d'appel et non comprises dans les dépens ; que les sociétés coopératives seront condamnées in solidum à lui payer la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement ; Déclare les appels recevables ; Donne acte à Me Sauvan de ce qu'il intervient en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société Gédis et à Me Bécheret de ce qu'il agit en sa qualité de représentant des créanciers de cette société ; Donne acte à la société GMF Banque de son intervention volontaire ; la déclare recevable ; Déclare recevable l'intervention volontaire accessoire de la Fédération Nationale des Coopératives de Consommateurs ; Déclare recevable l'action exercée par la société Gédis, ainsi que par Me Sauvan et Me Bécheret ès qualités contre les sociétés Les Coopérateurs de Normandie Picardie et Les Coopérateurs de Champagne en réparation du préjudice à elle causé par le non-respect par ces sociétés de leur engagement d'approvisionnement exclusif ; Déclare valide la clause figurant à l'article 4 paragraphe B de l'acte du 29 avril 1987, réitéré par acte du 12 novembre 1987 par laquelle les sociétés Les Coopérateurs de Normandie Picardie et Les Coopérateurs de Champagne ont consenti à la société Gédis un " droit exclusif d'approvisionnement " pour une durée de cinq ans ; Confirme le jugement en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés Les Coopérateurs de Normandie Picardie et Les Coopérateurs de Champagne à réparer le préjudice causé à la société Gédis par le non-respect de ce droit ; Infirmant le jugement sur le montant du préjudice, évalue ce préjudice à la somme totale de cent millions de francs toutes causes de préjudice réunies ; Condamne en conséquence in solidum la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie et la société Les Coopérateurs de Champagne à payer à la société Gédis la somme de cent millions de francs à titre de dommages-intérêts ; Dit que dans leurs rapports personnels, la part de chacune des sociétés coopératives sera calculée en proportion du montant de leurs achats de produits non alimentaires réalisé chez d'autres fournisseurs que la société Gédis ; Déboute la société GMF Banque de toutes ses demandes ; Déboute la société Gédis de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif ; Confirme le jugement sur la condamnation aux dépens ; Y ajoutant ;Condamne in solidum la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie et la société Les Coopérateurs de Champagne aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au produit de la SCP Million, avoué à la Cour, pour ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu de provision ; Confirme le jugement sur les condamnations de la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie et de la société Les Coopérateurs de Champagne au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Y ajoutant ; Condamne in solidum la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie et la société Les Coopérateurs de Champagne à payer à la société Gédis la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.