CA Versailles, 14e ch., 11 février 1994, n° 3656-93
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Club Franchise Distribution (SARL)
Défendeur :
SEPT (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Magendie
Conseillers :
Mme Gabet-Sabatier, M. Boilevin
Avoués :
Me Jupin, SCP Jullien & Lecharny & Rol
Avocats :
Mes Chemouny, Leloup
Faits et procédure
Le 7 juillet 1990, un contrat de franchise était signé entre les Sociétés CFD et SEPT aux termes duquel la première concédait à la seconde le droit d'utiliser la marque et l'enseigne Lav'Club ainsi que les méthodes et le savoir-faire qui y étaient attachés.
C'est en vertu de ce contrat que la SEPT exploite une laverie libre-service dépendant de son fonds de commerce sise au 21 rue Saint Ferdinand à Paris sous l'enseigne Lav'Club.
Courant 1991, la SEPT a décidé d'ouvrir deux laveries sous l'enseigne Sun'Lav : l'une rue du Ranelagh (Paris 16ème), l'autre 152 de la rue de Paris à Boulogne.
CFD a reproché à la SEPT d'avoir ce faisant, violé les engagements stipulés dans le contrat de franchise et a saisi le Tribunal de Commerce de Nanterre aux fins de voir ordonner la fermeture de ces deux laveries libre-service.
SEPT a sollicité du Tribunal le débouté de la CFD et lui a demandé, à titre reconventionnel, de prononcer la nullité du contrat du 7 juillet 1990.
Par jugement du 21 octobre 1992, le Tribunal a rejeté les demandes de l'une et l'autre parties.
C'est de ce jugement que la CFD et la SEPT ont interjeté appel.
Exposé des thèses en présence et des demandes des parties
Le franchiseur fait valoir à l'appui de son appel que, par l'ouverture des laveries Sun'Lav, la SEPT a violé la clause de loyauté figurant au contrat.
Par cette clause la CFD avait souhaité interdire à la Société SEPT toute activité concurrente pendant toute la durée du contrat et réduire cette interdiction à un rayon de 400 mètres, un an après l'expiration du contrat. Une telle prohibition est conforme à l'économie générale du contrat et à la volonté des parties que le juge aurait dû rechercher et qui l'aurait conduit à accueillir sa demande.
La Société CFD sollicite en revanche la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la SEPT de sa demande en nullité du contrat, le dol qui suppose l'existence de manœuvres dolosives n'est nullement établi ; s'agissant de la cause, celle-ci existait lors de la conclusion du contrat puisque la franchise utilise la marque et l'enseigne Lav'Club ainsi que les éléments distinctifs de rattachement au réseau de franchise Lav'Club. Elle fait valoir enfin que la demande de résiliation n'est pas fondée car l'ouverture du magasin dont se prévaut la SEPT est conforme aux stipulations du contrat de franchise.
La Société CFD demande en conséquence à la Cour :
- d'infirmer partiellement le jugement du Tribunal de Commerce de Nanterre en ce qu'il a débouté la Société CFD de ses demandes à l'encontre de la Société SEPT,
Et statuant à nouveau :
- de dire et juger que la Société SEPT a violé la clause de loyauté insérée dans son contrat de franchise,
- d'ordonner la fermeture des laveries libre-service installés par la Société SEPT au numéro 152 de la rue de Paris à Boulogne ainsi que rue du Ranelagh à Paris XVIe et ce sous astreinte de 3 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- de condamner la Société SEPT à payer à la Société CFD la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir,
- de débouter la Société SEPT de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- de condamner la société SEPT à payer à la Société CFD la somme de 20.000 F hors taxes par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- de condamner la société SEPT aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera effectué pour ceux la concernant par la SCP Jullien & Lecharny & Rol, société titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le franchisé, après avoir réfuté l'argumentation de la société CFD en ce qui concerne la prétendue violation du contrat fondée sur une interprétation erronée de la clause de loyauté, soutient, à l'appui de son appel, que le contrat est nul pour dol et absence de cause.
Pour dol d'abord dans la mesure où les chiffres qui lui ont été donnés sont faux, notamment en ce qui concerne la marge nette d'amortissement, et dans la mesure où il n'a pas obtenu des informations suffisantes du franchiseur.
Pour défaut de cause ensuite, puisque la CFD n'était pas en mesure, au moment de la conclusion du contrat, de fournir à son franchisé une contrepartie aux prestations financières et d'activité qu'elle exigeait de lui : il n'y a eu aucune transmission de savoir-faire, aucune assistance technique n'était donnée, enfin CFD ne dispose pas d'une marque utile.
Susbsidiairement, si la Cour devait constater que le contrat n'est pas nul, elle devrait le résilier pour inexécution de ses engagements par la CFD, puisque celle-ci n'a pas été en mesure de fournir ce qu'elle avait fourni à la SEPT.
La SEPT demande en conséquence à la Cour :
- de débouter la CFD de toutes ses demandes, fins et conclusions dans le cadre de son appel et confirmer le jugement de première instance sur ce point,
- de déclarer recevable et bien fondée la demande reconventionnelle de la SEPT ; y faisant droit, d'infirmer le présent jugement, et de ce fait :
a) prononcer la nullité pour dol et absence de cause du contrat du 7 juillet 1991conclu entre la société SEPT et la société CFD et en conséquence, condamner la société CFD à verser à la société SEPT les sommes de :
- 61 000 F à titre de restitution,
- 7 113 F à titre de remboursement des réparations,
- 584 036 F à titre de dommages et intérêt.
b) subsidiairement, et le pour le cas où la Cour d'appel ne croirait pas devoir prononcer la nullité du contrat, déclarer celui-ci résilié aux torts de la société CFD et en conséquence condamner celle-ci à payer à la Société SEPT les sommes de :
- 7 113 F à titre de remboursement des réparations,
- 584 036 F à titre de dommages intérêts.
- de condamner la Société CFD à payer à la société SEPT, la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- de condamner la société CFD aux entiers dépens de première instance et d'appel avec autorisation pour ces derniers donnée à Maître Johny Jupin, Avoué près la Cour de Versailles, de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce, LA COUR
Sur la nullité pour défaut de cause invoquée par la SEPT.
Considérant que la CFD devait être en mesure au moment de la conclusion du contrat, de fournir au franchisé la contrepartie aux prestations financières et d'activité qu'elle exigeait de ce dernier ; que la SEPT était en effet en droit d'exiger du franchiseur la transmission des méthodes et du savoir-faire attachés à la marque Lav'Club ;
Considérant que le contrat de franchise fait référence (page 1) à la marque " Lav'Club " créée par la Société CDF et " qui désigne des magasins exploités en laverie libre-service " ; qu'il est encore stipulé (page 2) que la Société C.D.F. concède au franchisé une exclusivité qui lui assure le droit d'utiliser la marque et l'enseigne Lav'Club dans le magasin situé : 21 rue Saint Ferdinand - Paris 17e ;
Considérant qu'il résulte de ces stipulations que la marque constituait une des caractéristiques déterminantes en contrepartie de laquelle le franchisé s'était engagé ; qu'en effet, la marque lui offrait une protection plus efficace que celle attachée à l'enseigne ou au nom commercial qui sont uniquement protégés dans le cadre de la concurrence déloyale ;
Considérant que le dépôt d'une marque, valablement effectuée et enregistrée, confère à son titulaire, mais uniquement pour les produits et services désignés, un droit de propriété opposable à tous sur le territoire national ;
Considérant qu'il résulte des pièces produites aux débats que la marque Lav'Club a été déposée le 06 avril 1983 à l'INPI sous les classes 9 et 42 ; que la classe n'ayant qu'une valeur administrative, il convient seulement de se référer au libellé des produits et services désignés par le déposant ;
Considérant d'une part, que l'on peut s'étonner que l'INPI ait pu enregistrer une marque portant la mention " services divers ", contraire au principe de spécialité de la marque et, partant, inopérante pour la désignation des services à protéger ;
Considérant d'autre part, que la désignation indiquée à savoir " appareils automatiques déclenchés par l'introduction d'une pièce de monnaie ou un jeton " est tout aussi inopérante au regard de l'activité exercée dans le cadre du contrat de franchise, en raison du fait que ce contrat portait sur des prestations de services et non sur la commercialisation de matériels ;
Considérant par suite, qu'aucun droit de propriété pour les services ne pouvant résulter pour la Société CFD du dépôt de la marque effectué dans de telles conditions, elle ne pouvait, contrairement aux stipulations du contrat, conférer au franchisé plus de droits qu'elle n'en possède elle-même, ce qui rendait illusoire le droit d'utilisation de la marque qu'elle leur accordait;
Sur la transmission du savoir-faire
Considérant que le franchiseur garantit au franchisé la jouissance d'un savoir-faire qu'il entretient et développe, étant précisé que ledit savoir-faire, qui est en connaissance, c'est-à-dire d'une création intellectuelle, doit présenter un caractère substantiel et doit en outre être identifié, ce qui conditionne sa transmissibilité ;
Considérant que la SEPT indique, sans être démentie, qu'il n'existe pas de journal interne et que le manuel d'installation est non seulement incomplet mais dangereux ; que le suivi de ce manuel avait d'ailleurs occasionné de nombreux déboires à d'autres franchisés dont Madame Jambers, ainsi qu'il résulte d'un courrier de cette dernière en date du 15 février 1989, produits aux débats ;
Considérant encore que la SEPT fait état, sans être véritablement démentie, du caractère insuffisant des conseils prodigués par le franchiseur pour l'alimentation en eau et en électricité de la laverie (débit des machines, courant nécessaire, débits d'évacuation des eaux usées, élimination des solvants), tandis que les précautions d'isolation à prendre contre les odeurs et les nuisances du bruit des machines ne sont pas précisées ;
Considérant de surcroît que les annuaires de la franchise versés aux débats relatifs aux années 1985 à 1992 traduisent de la part du franchiseur une certaine difficulté à donner, d'une année sur l'autre, des informations fiables sur la population minimale d'implantation pour une franchise, les variations indiquées étant trop importantes pour être significatives ;
Considérant enfin, qu'il apparaît que le franchiseur s'abstient d'informer les franchisés sur des éléments importants qui les concernent pourtant au premier chef ; que c'est ainsi que l'un d'eux, Madame Jambers s'était vu obligée de demander au franchiseur des informations sur l'évolution de la réglementation concernant les installations utilisées dans les laveries ; que le même franchisé reprochait encore au franchiseur de ne pas l'avoir avisée de la faillite de son principal interlocuteur financier ;
Considérant que les nombreuses pièces produites aux débats font également état :
- d'une mauvaise implantation territoriale des laveries (Madame Jambers),
- de la non-fourniture des matériels d'instruction (Madame Gabrieleff),
- de l'absence de formation d'un savoir-faire original et spécifique car toutes les laveries, franchisées ou non ont reçu les mêmes panneaux d'instructions destinés à la clientèle, les mêmes machines, les mêmes monnayeurs, les mêmes distributeurs de jetons (Mme Joyeux),
- de la lenteur et de la mauvaise efficacité du service après-vente (Monsieur Lenult) ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le franchiseur n'était pas en mesure de transmettre un savoir-faire lors de la conclusions du contrat ;
Considérant que cette défaillance, comme celle relative à la marque, affectent les obligations essentielles et spécifiques du contrat de franchise, le privant de cause, et doivent entraîner sa résolution;
Sur les conséquences de la résolution
Considérant que la disposition rétroactive du contrat conduit à la remise en l'état antérieur, c'est-à-dire à la restitution aux parties des sommes versées en exécution du contrat nul, censé n'avoir jamais existé ;
Considérant que la CFD devra en conséquence restituer à la SEPT les sommes versées par celle-ci en cours d'exécution du contrat, à savoir :
- 45 000 F à titre de droit d'entrée,
- 16 000 F représentant les redevances sur 15 mois,
- 7 113 F en remboursement des réparations justifiées par les factures produites aux débats ;
Considérant en revanche, que la demande de dommages-intérêts formée par la Société SEPT doit être rejetée ; que l'annulation prononcée ne saurait en effet dissimuler que la SEPT a profité en fait, dans le cadre du contrat de franchisé litigieux, d'une enseigne et qu'elle a utilisé les signes de ralliement au réseau de franchisé, bénéficié de l'agencement des magasins Lav'Club et des méthodes de gestion de ce type de magasin ; que n'établissant pas l'existence d'un préjudice, sa demande doit être rejetée ;
Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
Considérant que l'équité justifie de ne pas laisser à la charge de la Société SEPT les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement ; Dit que la Société SEPT recevable et fondée en son appel ; Infirmant le jugement entrepris et statuant à nouveau : Annule contrat de franchise du 7 juillet 1990 ; Condamne la Société CFD à payer à la Société SEPT : - soixante et un mille francs (61.000 F) à titre de restitution, - sept mille cent treize francs (7 113 F) à titre de remboursement des réparations ; - Déboute la SEPT de sa demande en dommages-intérêts ; Condamne la Société CDF à payer à la Société SEPT, quinze mille francs (15 000 F) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la Société CFD aux dépens, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile étant accordée à Maître Jupin, Avoué.