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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 17 février 1994, n° 92-5612

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Volvo automobiles France (SA)

Défendeur :

Chavanne de Dalmassy (ès qual.), Rambouillet automobiles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Me Gauclère, SCP Hadengue.

T. com. Paris, 11e ch., du 18 nov. 1991

18 novembre 1991

La société Rambouillet automobiles était liée depuis 1985 à la société Volvo France SA, en dernier lieu par un contrat de concession exclusive pour la vente de voiture particulières et pièces détachées sur un territoire limité sur certaines communes de départements des Yvelines et de l'Essonne ; ce contrat, visant les dispositions du règlement n° 123-85 de la Commission des Communautés Européennes du 12 décembre 1984, a été conclu le 1er janvier 1988 pour une durée indéterminée commençant à courir le 1er janvier 1988 avec préavis de résiliation ordinaire d'un an.

Selon l'article 6 de ce contrat, les parties avaient une possibilité de dénonciation extraordinaire trois mois après l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception, en cas de manquement de l'une ou l'autre des parties à leurs obligations contractuelles ; il était précisé que le contrat ne sera pas résilié si, dans ce délai de trois mois, le concessionnaire apporte la preuve de ce qu'il a régularisé sa situation et qu'il n'est plus en infraction avec les clauses contractuelles. Il était encore prévu dans cet article que dans tous les cas où se réaliserait l'une des causes de résiliation extraordinaire, Volvo aura la possibilité de saisir le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris afin de lui demander de constater purement et simplement acquise la clause résolutoire prévue contractuellement entre les parties.

Par lettre recommandée en date du 21 avril 1988, Volvo se référant à l'article 6 du contrat, informait Rambouillet automobiles de sa décision de résilier le contrat, " toutes relations contractuelles s'achevant en tout état de cause à l'issue du préavis de trois mois, soit le 21 juillet " compte tenu des manquements aux obligations contractuelles suivantes :

- quatre réclamations de clients entre mars et avril 1988 s'estimant victimes de tromperies,

- solde débiteur de 642 798,85 F

Il était en outre précisé dans cette lettre qu'au vu de la gravité des motifs de la résiliation, Volvo se réservait de demander en référé la réduction de la durée contractuelle de préavis.

Par courrier du 9 juin 1988, Rambouillet auto a contesté les manquements invoqués en relevant que le défaut de précision sur notamment le nom des plaignants ne lui permettait pas de se défendre utilement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 juin 1988, Volvo a dénoncé le contrat à compter de la réception de cette lettre " compte tenu de la mauvaise réputation qui se développe autour de la concession ".

C'est dans ces circonstances qu'après avoir protesté par lettre du 5 juillet 1988 et après avoir notifié une sommation interpellative le 11 juillet 1988, Rambouillet auto a assigné en référé Volvo.

Par ordonnance de référé du 9 août 1988, il a été enjoint à Volvo de rétablir les relations commerciales sans astreinte ; cette décision a été confirmée par la Cour d'appel de Paris le 3 novembre 1988 et le pourvoi formé par Volvo a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 9 avril 1991.

Durant cette procédure, Volvo a repris les relations contractuelles avec Rambouillet auto le 20 novembre 1988 puis a résilié le contrat avec préavis d'un an par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 février 1989 ; les relations ont ainsi cessé entre les parties le 16 février 1990.

Par ordonnance de référé du président du Tribunal de commerce de Paris, Volvo a été condamnée à payer la somme de 500 000 F à Rambouillet au titre de la liquidation de l'astreinte correspondant à la période du 9 août 1988 au 20 novembre 1988, date de reprise des relations commerciales ; cette somme a été payée par Volvo le 13 janvier 1989.

Par assignation du 20 octobre 1989, Rambouillet auto a saisi le juge du fond, le Tribunal de commerce de Paris, afin de voir dire que les résiliations des 21 avril et 20 juin 1988 sont abusives, que les relations contractuelles ont certes été reprises mais dans des circonstances anormales ; cette société demandait paiement de dommages-intérêts en raison de la rupture abusive et de la mauvaise exécution du contrat.

Sur cette assignation, Volvo concluait au débouté et formait une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour le comportement fautif de son concessionnaire, y compris après la fin des relations contractuelles le 16 février 1990 et en restitution de la somme versée au titre de la liquidation de l'astreinte.

Au cours de cette procédure, Rambouillet auto a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire le 30 octobre 1990 ; Maître Chavanne de Dalmassy a été attrait dans la cause par la société Volvo.

Par décision du 18 novembre 1991, le tribunal, dans sa motivation, a jugé que les résiliations des 21 avril et 20 juin 1988 sont abusives, a considéré que la résiliation des 21 avril et 20 juin 1988 prenait effet au 21 avril 1989 et a débouté Volvo de toutes ses demandes, en particulier de la restitution de la somme de 500 000 F à titre d'astreinte ; dans son dispositif, sur le préjudice subi par Rambouillet auto, le tribunal a avant dire droit, désigné un expert afin de recueillir tous éléments permettant de le déterminer pour la période du 21 avril 1988 au 20 avril 1989 et plus généralement, a demandé à l'expert de fournir tous éléments techniques, factuels ou comptables de nature à permettre de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer d'éventuels préjudice.

La société Volvo a interjeté appel de la décision.

Elle en sollicite la nullité au motif que le tribunal a répondu à l'argumentation développée par la société Rambouillet lorsqu'elle était in bonis alors que Maître Chavanne de Dalmassy qui avait seul qualité pour agir et qui avait été régulièrement attrait dans la procédure n'avait pas conclu et a été considéré comme non comparant ; elle soutient que seules ses demandes reconventionnelles auraient dû être examinées et à ce titre demande d'évoquer sur ces chefs de demandes qui n'ont pas été examinées et d'inscrire au passif de la liquidation judiciaire de Rambouillet auto les créances suivantes :

1- la somme de 342 238,94 F correspondant au relevé de compte établi au 22 février 1990 outre intérêts de droit à compter du 6 février jusqu'au jour du jugement déclaratif,

2- la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale à raison de l'installation non autorisée d'un point de vente hors du secteur,

3- la somme de 500 000 F correspondant à l'astreinte liquidée et versée le 13 janvier 1989 outre intérêts de droit à compter de cette date jusqu'au jour du jugement déclaratif dès lors que cette astreinte n'avait pas lieu d'être prononcée puisque la résiliation extraordinaire était justifiée et que sont valables les résiliations des 21 avril et 20 juin 1988,

4- la somme de 740 000 F à titre de dommages-intérêts pour préjudice commercial subi à raison du maintien des relations contractuelles avec Rambouillet auto jusqu'en février 1990,

5- la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour atteinte à son image de marque,

6- la somme de 48 171 F à titre de remboursement des sommes versées par elle aux clients mécontents.

Très subsidiairement, elle sollicite de dire qu'en tout état de cause, la dénonciation avec préavis d'un an est valable, de dire en conséquence que Rambouillet auto est redevable de la somme de 400 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale à raison du maintien illicite du panneau Volvo postérieurement au 16 février 1990 et de la somme de 230 400 F à titre de dommages-intérêts pour préjudice commercial en raison de l'indisponibilité du secteur depuis le 16 février 1990.

Elle sollicite enfin d'inscrire encore au passif de la liquidation la somme de 100 000 F pour procédures abusives et celle de 800 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Très subsidiairement, elle sollicite l'infirmation du jugement en soutenant que les résiliations reprochées étaient justifiées par les fautes lourdes du concessionnaire ; elle prétend en conséquence ses demandes de dommages-intérêts ci-dessus exposées et encore plus subsidiairement, si le principe d'un préjudice était retenu, de dire qu'il a déjà été indemnisé par exécution en nature par la poursuite de relations contractuelles.

En réplique, le mandataire liquidateur, par écritures du 22 septembre 1993, conclut au rejet de la demande en nullité du jugement et à la confirmation de la décision ; il sollicite paiement des sommes suivantes :

- 3 805 040 F au titre de la perte du chiffre d'affaires,

- 1 514 484,04 F au titre des investissements réalisés,

- 1 900 000 F à titres de dommages-intérêts pour la perte de la valeur du fonds de commerce,

- 335 832 F au titre des licenciements de personnel,

- 1 126 023,91 F au titre de la perte de stock des véhicules d'occasion,

- 407 391,22 F au titre de la perte de stock de pièces détachées,

- 819 119 F au titre de la publicité,

- 400 000 F au titre des primes quadrimestrielles,

- 500 000 F au titre du préjudice commercial, économique et moral,

- 1 500 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de maintien des relations contractuelles en dépit des décisions de justice,

A titre subsidiaire, il sollicite la nomination d'un expert ; il demande enfin paiement de la somme de 80 000F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR, qui pour plus ample exposé se réfère à la décision critiquée et aux écritures d'appel des parties,

Sur la nullité du jugement :

Considérant que, comme le fait valoir à juste titre Maître Chavanne de Dalmassy, c'est par erreur que les premiers juges ont indiqué qu'il n'était pas comparant ; qu'en effet, il résulte du dossier de première instance que par courrier du 23 avril 1991, le conseil de la société Rambouillet avait sollicité un renvoi pour conclure au nom du mandataire liquidateur et que des écritures portant la date de l'audience du 6 juin 1991 mais ne comportant cependant pas de date de réception au greffe ont été prises au nom du liquidateur ;

Qu'ainsi la demande en nullité n'est pas fondée dès lors que les moyens développées par la société Rambouillet ont été repris par le mandataire liquidateur au cours de la procédure de première instance.

Sur les demandes en rupture abusive :

Considérant que Volvo fait grief aux premiers juges d'avoir estimé que la lettre de résiliation du 21 avril 1988 à effet au 20 juillet 1988 ne respectait ni les conditions de forme ni les conditions de fond prévues par l'article 6 du contrat pour mettre fin de manière anticipée au contrat ; qu'elle soutient, au contraire, avoir indiqué les motifs de la résiliation dans sa lettre et avoir des motifs suffisamment graves pour justifier le recours à la résiliation extraordinaire.

Considérant que si, conformément à l'article 6 susvisé et comme le relèvent les premiers juges, celui à qui est dénoncée la résiliation extraordinaire pour des manquements graves a la possibilité de remédier à ces manquements et ainsi de faire échec à cette résiliation, ce délai est cependant expiré de plein droit sans nécessité d'une nouvelle lettre de résiliation, contrairement à ce qui est soutenu par les premiers juges si les manquements n'ont pas été réparés dans ce délai ;

Considérant qu'en outre, les motifs de la résiliation doivent être clairement indiqués afin que celui à qui le contrat est dénoncé puisse dans le délai imparti y remédier ; que toutefois, il ne peut être exigé un exposé complet de tous les détails justifiant la résiliation ; qu'en effet, il convient seulement que le concessionnaire soit informé et puisse sans délai s'il estime n'avoir pas suffisamment d'indications interroger son cocontractant ; qu'un défaut de réponse de ce dernier serait, s'il mettait ainsi son concessionnaire dans l'impossibilité de régulariser les manquements reprochés dans ce délai, alors susceptible de priver d'effet la résiliation de plein droit.

Considérant qu'en l'espèce, il ne peut être fait reproche à Volvo de ne pas avoir indiqué quels étaient les noms des clients s'estimant victimes de tromperies ; qu'en effet, le premier motif du manquement contractuel était clairement indiqué et le concessionnaire avait la faculté de demander des précisions sur les auteurs de ces plaintes ; que ce n'est que par lettre du 9 juin 1988 qu'il a manifesté son désaccord en indiquant que le défaut de noms l'empêchait de se défendre utilement ; que cette réaction tardive ne saurait avoir pour conséquence de priver la lettre de résiliation de tout effet ; qu'en outre, le second motif de résiliation, l'importance du solde débiteur, était là encore clairement exprimé ; que la lettre du 21 avril respectant les conditions de forme de l'article 6 du contrat, il convient d'examiner le bien fondé des motifs invoqués.

Considérant que sur le grief du solde débiteur la Cour relève que les premiers juges ont à juste titre estimé que ce manquement avait été réparé dans le délai des trois mois dans la mesure où il a été réduit de 45 % ; qu'en effet, de 642 798,85 F au 20 avril 1988, il est passé à 280 761,26 F au 20 juin 1988 ; que cette diminution importante du solde débiteur démontre que sur ce point Volvo n'avait pas de motif de résiliation extraordinaire.

Considérant que sur le second grief, les tromperies dont auraient été victimes des clients de Rambouillet, en mars et avril 1988, Volvo se fonde essentiellement sur les plaintes suivantes :

- de Mme Grenet qui, le 18 mars 1988, demande l'intervention de Volvo en raison de " la négligence et de l'incompétence professionnelle de Rambouillet automobiles ",

- de M. Tonnele, le 22 mars 1988 pour le retard dans la livraison d'un véhicule acquis au début de l'année 1988,

- de M. Guimard, le 29 mars 1988 se plaignant d'un échange standard de moteur non réalisé puisqu'en définitive un moteur d'une autre nature avait été installé,

- de M. Delpech, le 7 avril 1988 à qui Rambouillet avait indiqué que la boite de vitesse était changée alors que cela était inexact,

Qu'à ces griefs, l'intimé réplique d'une part que M. Guimard avait payé partiellement avec des chèques sans provision et que le véhicule a été livré avec retard à M. Tonnele en raison de grève qui avait lieu en Suède, d'autre part qu'il est inévitable de trouver des clients mécontents ;

Considérant, toutefois, que les explications données par l'intimé et non prouvées ne l'exonèrent pas de sa responsabilité dans la mauvaise image du service Volvo qui se développait durant cette période ; qu'en effet, Volvo a été obligée d'intervenir à plusieurs reprises comme le démontrent les exemples ci-dessus cités, pour essayer de rétablir auprès de clients une relation de confiance ; que ces manquements, de par leur répétition, constituaient des manquements contractuels suffisamment graves pour justifier l'utilisation de la résiliation extraordinaire de l'article 6 ;

Considérant que néanmoins, par son comportement ultérieur, Rambouillet aurait pu remédier à cette mauvaise image de marque, non pas auprès des clients ci-dessus cités puisque Volvo était déjà intervenue mais en évitant de nouveaux litiges avec des clients, ce qui n'a pas été le cas comme le démontre Volvo en versant aux débats d'autres plaintes de clients postérieures à la lettre du 21 avril 1988 ; qu'il s'ensuit que la résiliation extraordinaire à effet au 21 juillet 1988 était justifiée et ne présente aucun caractère abusif.

Sur la résiliation immédiate au 20 juin 1988 :

Considérant que le comportement du concessionnaire continuait, comme il vient d'être dit, à porter atteinte à l'image de Volvo, que, cependant, ce comportement n'était pas d'une gravité telle qu'il ait été de nature à justifier une rupture immédiate, sans décision judiciaire, alors que le contrat par son article 6 précisait que le juge du référé pouvait constater l'acquisition de la clause résolutoire et que dans sa lettre du 21 avril 1988, Volvo s'était réservée également cette possibilité pour résilier durant la période de préavis;

Considérant en conséquence, qu'en notifiant une rupture immédiate du contrat par lettre du 20 juin 1988, Volvo a rompu de manière abusive le contrat qui était régulièrement dénoncé pour le 21 juillet 1988; qu'elle se doit donc de réparer le préjudice ainsi causé à Rambouillet.

Sur les demandes en réparation du préjudice et les demandes formées par Volvo :

Considérant que Volvo demande d'évoquer ; que toutefois, une expertise est en cours devant les premiers juges ; que le rapport a d'ailleurs été déposé mais n'a pas été discuté par les parties au cours de la procédure d'appel ; que cette demande d'évocation n'est donc pas justifiée ; qu'il convient de renvoyer les parties devant les premiers juges pour qu'il soit statué sur les demandes en paiement formées par chacune des parties au regard de la régularité de la résiliation extraordinaire à effet au 21 juillet 1988.

Considérant qu'il ne paraît pas contraire à l'équité de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens engagés dans cette instance d'appel,

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges : Rejette l'exception de nullité du jugement, Confirme la décision critiquée en ce qu'elle a dit que la résiliation en date du 20 juin 1988 est abusive, La réforme pour le surplus, Dit que la résiliation extraordinaire du contrat de concession à effet au 21 juillet 1988 est régulière et justifiée, Dit en conséquence que le préjudice subi par la société Rambouillet automobiles du fait de la rupture abusive doit s'apprécier durant la période du 20 juin 1988 au 21 juillet 1988, Dit n'y avoir lieu d'évoquer, Renvoie devant les premiers juges pour qu'il soit statué sur les demandes en paiement formées par chacune des parties au regard du rapport de l'expert désigné par le tribunal, Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du NCPC. Condamne Maître Chavanne de Dalmassy, ès qualités, aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP d'avoués Teytaud, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.