CA Paris, 5e ch. C, 24 février 1994, n° 92-014978
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Patchouli (SARL)
Défendeur :
Boucheron Parfums (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Couderette
Conseillers :
Mme Cabat, M. Bouche
Avoués :
Me Hanine, SCP Gaultier-Kistner
Avocats :
Mes Bettan, Lardin.
LA COUR, statue sur l'appel formé par la SARL Patchouli à l'encontre d'un jugement rendu le 13 mai 1992 par le Tribunal de commerce de Paris qui l'a déboutée de ses demandes formées contre la société Boucheron Parfums en la condamnant à payer à cette dernière la somme de 10 000 F au titre de l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Le litige porte sur l'existence d'un refus de vente de parfums Boucheron dont se plaint la société Patchouli ;
Cette dernière, appelante, reprend ce moyen devant la Cour en soutenant qu'en infraction à l'article 85 du Traité de Rome, la société Boucheron Parfums n'a pas retenu des critères objectifs de caractère qualitatifs mais seulement des critères quantitatifs pour lui refuser la vente de ses parfums dans la parfumerie Patchouli sise à Neuilly;
Aussi la société Patchouli prie-t-elle la Cour, après infirmation de la décision entreprise, de condamner la société Boucheron Parfums au paiement de la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 11 860 F représentant ses frais irrépétibles ; elle sollicite également la condamnation de la même à honorer la commande passée le 12 février 1991 et ce sous astreinte comminatoire et définitive de 2 000 F par jour à compter du présent arrêt ;
La société Boucheron Parfums, intimée, conclut à la confirmation de la décision entreprise en formant contre la société Patchouli une demande en paiement de ses frais irrépétibles chiffrés à 12 000 F ;
A ces fins, elle fait valoir que depuis le 1er janvier 1993, la distribution de ses produits s'effectue en exécution de contrats de concessions exclusives après dénonciation de l'intégralité des contrats d'agrément antérieurs, ce qui priverait d'objet la présente procédure ; pour ce qui concerne la période antérieure, la société Boucheron Parfums soutient que la décision rendue le 17 novembre 1991 par la Commission des Communautés Européennes constitue une dérogation accordée conformément aux conditions de l'article 85-3 du Traité de Rome, qui a un caractère individuel comme concernant le contrat Yves Saint Laurent ;
Qu'elle en déduit que la CEE n'a pas exclu le critère de limitation quantitative des points de distribution sélective ;
Elle rappelle aussi la licéité des listes chronologiques d'attente qu'elle avait antérieurement établies, en affirmant qu'une telle pratique ne revêt aucun caractère discriminatoire ;
La société Patchouli réplique que la société Boucheron n'apporte pas la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective dont elle fait état ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'il n'est nullement contesté par la société Boucheron que la société Patchouli s'est vue refuser l'agrément pour son établissement de Neuilly en fonction de critères quantitatifs et non qualitatifs ; qu'au travers de ses diverses correspondances, la société Boucheron lui a en effet fait savoir que les établissements ayant déjà obtenu son agrément sur cette commune constituaient un nombre suffisant compte tenu de ce que la densité locale de distribution était supérieure à la densité moyenne nationale de distribution de ses produits ;
Considérant que comme le soutient utilement la société Patchouli, il s'agit d'une pratique discriminatoire contraire au Traité de Rome en son article 85 ;
Qu'en effet, le critère quantitatif ainsi indiqué par la société Boucheron n'aurait pu revêtir un caractère objectif que si ce fabricant avait démontré que lui-même s'imposait de manière uniforme un taux maximum de densité de distributeurs, cette densité devant répondre à des critères objectifs tels que le taux de densité de la population ou les facteurs locaux de commercialité;
Qu'à défaut de ce faire, la société Boucheron Parfums exclut un candidat sur des critères dont elle ne démontre pas la licéité ;
Qu'elle a commis un refus de vente, la commande du 12 février 1991 n'ayant jamais été honorée et ayant été rejetée par courrier du 27 février 1991 ;
Considérant que la société Boucheron établit que depuis le 1er janvier 1993, elle a institué sur le plan national un réseau de concessionnaires exclusifs, qui rend désormais impossible l'exécution en nature du contrat de vente litigieux ;
Que la société Patchouli sera donc déboutée de cette demande, l'inexécution devant se résoudre en dommages-intérêts ;
Considérant qu'il n'apparaît pas nécessaire d'ordonner une expertise aux fins de recueillir les éléments de détermination du préjudice subi par la société Patchouli ;
Qu'en effet, compte tenu de la date à laquelle cette dernière a porté sa candidature pour la première fois, à laquelle elle a formulé sa première commande, et à laquelle a été institué un nouveau réseau de distribution exclusive, la Cour estime que son préjudice s'élève à la somme de 50 000 F ;
Considérant que la société Boucheron qui succombe et qui sera condamnée aux dépens, ne peut prétendre à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que par contre, l'équité commande d'indemniser la société Patchouli de ses frais irrépétibles à hauteur de 10 000 F ;
Par ces motifs, LA COUR, infirme en toutes ses dispositions la décision déférée, statuant à nouveau, condamne la société Boucheron Parfums à payer à la société Patchouli la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts outre la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; déboute les parties de leurs demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue, condamne la société Boucheron Parfums aux dépens de première instance et d'appel et admet pour ceux-ci, Me Hanine, titulaire d'un office d'avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.