CA Paris, 25e ch. B, 11 mars 1994, n° 25968-93
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Levallois Parfums (Sté)
Défendeur :
Guerlain (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pinot
Conseillers :
M. Weill, Mme Colombet
Avoués :
SCP Bernabé Ricard, SCP Fanet
Avocats :
Mes Cimadevilla, Fourment.
LA COUR statue sur l'appel à jour fixe relevé par la société Levallois Parfums du jugement contradictoire, assorti de l'exécution provisoire, rendu le 17 septembre 1993 par le Tribunal de commerce de Paris (15e Chambre) qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société Guerlain, et, accueillant la demande reconventionnelle de celle-ci, a dit que Levallois Parfums en ayant exposé et offert à la vente des coffrets cadeaux gratuits revêtus de la marque Guerlain, les avoir détériorés et en avoir modifié le contenu, s'était livrée à des agissements déloyaux et avait délibérément violé ses engagements contractuels, a validé la notification de rupture anticipée du contrat de distributeur agréé souscrit pour chacun des points de vente exploité par Levallois Parfums, a condamné celle-ci à payer à Guerlain la somme de 28 953,54 F, au titre du solde des livraisons impayées, avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 1991 et encore 20 000 F à titre de dommages-intérêts, outre 20 000 F par application de l'article 700 du NCPC.
Référence faite aux énonciations du jugement pour l'exposé des éléments du litige et des prétentions initiales des parties, il suffit de rappeler les points caractéristiques suivants.
La société Guerlain, dont les produits de parfumerie et de beauté jouissent d'une réputation et d'un prestige incontestés et la société Levallois Parfums étaient liées dans le dernier état de leurs relations par deux contrats de distributeur agréé concernant des parfumeries exploitées sous l'enseigne Carmina et Carmina Bis pour la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1991.
Ayant appris dans le courant du mois de décembre 1991 que Levallois Parfums procédait dans les deux parfumeries à la vente de coffrets cadeaux, après les avoir volontairement altérés, alors que ces objets étaient interdits à la vente, par lettre du 20 décembre 1991, Guerlain estimant que ces agissements frauduleux portaient atteinte à son image de marque et qu'ils constituaient une tromperie caractérisée à l'égard du consommateur a notifié à Levallois Parfums la rupture des conventions portant sur les deux points de vente et a sollicité la reprise des stocks de produit portant sa marque ainsi que le matériel de démonstration resté sa propriété ;
C'est dans ces conditions que Levallois Parfums a saisi le tribunal pour qu'il soit fait injonction à Guerlain de reprendre la vente des produits de parfumerie soins et maquillage dans les deux points de vente et obtenir la réparation de son préjudice financier évalué à 300 000 F.
Pour estimer fondée la rupture des deux contrats de distributeur agréé, le tribunal a retenu pour l'essentiel, que Levallois Parfums avait agi fautivement en se livrant délibérément à des altérations des coffrets litigieux afin de dissimuler la mention suivant laquelle ils étaient interdits à la vente, ceci dans chaque point de vente.
Appelante, Levallois Parfums soutient :
- que les faits qui lui sont reprochés n'ont pas la gravité alléguée par Guerlain, qu'ils ont un caractère exceptionnel,
- qu'ils sont la conséquence directe du comportement discriminatoire de Guerlain ;
- que la rupture abusive des conventions traduit l'usage abusif fait par Guerlain de sa puissance économique s'analysant comme un refus de vente,
- que le comportement déloyal et abusif de Guerlain lui a causé un préjudice considérable constitué par un manque à gagner résultant de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de commercialiser les produits Guerlain et de la perte de la clientèle attachée à cette marque,
- que les comptes présentés par Guerlain sont erronés,
- qu'en réglant la somme de 127 595,32 F elle a soldé le compte ;
Poursuivant donc l'infirmation de la décision déférée elle demande à la Cour de faire injonction à Guerlain de reprendre la vente des produits de sa marque par les deux points de vente, de condamner Guerlain à lui payer 950 000 F à titre de dommages-intérêts, de la débouter de sa demande reconventionnelle et enfin de la condamner à payer 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Intimée et appelante incidente, Guerlain conclut à la confirmation de la décision déférée, à la condamnation de Levallois Parfums à lui payer 20 000 F à titre de dommages-intérêts et 28 953,54 F au titre du solde des livraisons restées impayées avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 1992, date de la mise en demeure et encore 35 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant qu'il est constant que les coffrets litigieux avaient été remis le 16 septembre 1991 par Guerlain aux participants d'une réunion de présentation de nouveaux produits à laquelle assistaient la dirigeante de Levallois Parfums et deux vendeurs; que ces coffrets ont été altérés dans leur présentation la mention " offert par Guerlain - vente interdite " ayant été supprimée ;
Considérant qu'en procédant ainsi, Levallois Parfums a délibérément enfreint ses obligations contractuelles tenant notamment à ne commercialiser les produits que sous leur présentation d'origine, sans altération ;
Que Levallois Parfums ne saurait soutenir que seuls deux coffrets étaient en cause, que ces agissements présentent un caractère exceptionnel ne justifiant pas la rupture des conventions ;
Mais considérant que Guerlain était légitimement fondée à procéder à la résiliation des deux contrats dans la mesure où de tels agissements commis en violation des engagements contractuels, étaient manifestement de nature à porter atteinte à l'image de ses produits de haute qualité et à nuire à sa clientèle puisque les altérations avaient pour but d'éliminer l'interdiction de commercialisation;
Considérant que Levallois Parfums ne saurait sérieusement soutenir que son comportement aurait été justifié par les pratiques discriminatoires commises par Guerlain à son égard ; qu'en effet il n'est nullement établi au vu des documents et pièces contradictoirement débattus, que Guerlain ait tardé à assurer les livraisons, ait refusé de fournir des présentoirs ou se soit opposée à la politique des prix pratiqués par Levallois Parfums ; que de tels griefs, à les supposer fondés, ce qui n'est pas [le cas], ne pouvaient en aucun cas justifier les agissements déloyaux commis par le distributeur agréé ;
Considérant que la rupture du contrat lui étant exclusivement imputable Levallois Parfums ne peut voir prospérer sa demande de dommages-intérêts ;
Considérant, sur les comptes, qu'il apparaît que les conditions de reprise des produits en fin de contrat telles que prévues à l'article 9 susvisé renvoie aux conditions générales de reprise de Guerlain ;
Qu'il ne saurait être reproché à cette dernière d'avoir opéré un abattement de 25 % sur le prix d'achat des produits, puisque l'article 9 susvisé renvoie aux conditions générales de reprise de Guerlain ;
Qu'il ne peut être fait grief à Guerlain d'avoir réintégré la ristourne de l'année 1991 puisque les échéances postérieures du 12 février 1992 ont été impayées ;
Que Levallois Parfums reste redevable de la somme de 28 953,54 F avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 1992 ;
Considérant que la demande de dommages-intérêts de Guerlain doit être écartée en l'absence d'élément justifiant de son existence et de son étendue ;
Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande de faire bénéficier Guerlain des dispositions de l'article 700 du NCPC ;
Considérant que Levallois Parfums qui succombe ne peut prétendre au bénéfice de l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs : confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; rejette toute demande autre plus ample ou contraire ; condamne Levallois Parfums aux dépens d'appel et admet la SCP Fanet au bénéfice de l'article 699 du NCPC.