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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 14 mars 1994, n° 1745-92

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tuileries briqueteries du Lauragais Guiraud frères (SA)

Défendeur :

Bernier et Cie - Diffusions commerciales (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foulon

Conseillers :

MM. Lebreuil, Milhet

Avoués :

SCP Sorel-Dessart, SCP Nidecker-Prieu

Avocats :

Mes Dublanche, Catoni

T. com. Toulouse, du 27 févr. 1992

27 février 1992

Statuant sur l'appel dont la régularité n'est pas contestée, interjeté par la société Tuileries briqueteries du Lauragais Guiraud frères (STBL) d'un jugement en date du 27 février 1992 par lequel le Tribunal de commerce de Toulouse l'a condamnée à payer à la société Bernier et Cie la somme de 2 443 433,30 F à titre d'indemnité de rupture et celle de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que suivant contrat du 27 juin 1967, intitulé " contrat d'agent commercial " et visant expressément le décret du 23 décembre 1958, la STBL a donné mandat à M. Alain Bernier de vendre ses produits dans un secteur géographique déterminé ;

Que ce contrat, conclu pour une durée déterminée de deux ans avec effet à compter du 1er septembre 1967 a été renouvelé à plusieurs reprises ;

Que le 26 mai 1981, la STBL a conclu avec la SARL Bernier représentée par M. Alain Bernier un contrat de représentation commerciale pour le même secteur géographique augmenté de deux départements.

Que cette nouvelle convention a été conclue pour une durée déterminée de deux ans avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 1981 et qu'il était renouvelable par tacite reconduction, pour des périodes successives égales, étant précisé que chaque partie pouvait reprendre sa liberté à chaque terme, avec préavis de six mois par lettre recommandée avec accusé de réception ;

Que divers avenants ont été établis courant 1983 et qu'un dernier contrat a été conclu entre les parties le 1er août 1988 contenant les mêmes stipulations que le précédent, du moins quant à sa durée ;

Que par lettre recommandée en date du 20 juin 1990, la STBL a informé la SARL Bernier de sa décision de ne pas reconduire ce contrat à son échéance du 1er janvier 1991 ;

Que c'est dans ces conditions que par acte du 12 juin 1991, la SARL Bernier l'a faite assigner en paiement d'une indemnité compensatrice et de dommages-intérêts pour brusque rupture ;

Attendu que les premiers juges ont fait droit à cette assignation en considérant pour l'essentiel qu'un contrat à durée déterminée, renouvelé plusieurs fois par tacite reconduction, devait être assimilé à un contrat à durée indéterminée dont la rupture ouvre droit, pour l'agent commercial qui en est victime, à une indemnité compensatrice.

Attendu que la STBL leur fait grief de s'être ainsi prononcés alors pourtant :

- Que le contrat du 1er août 1988 était différent de celui du 26 mai 1981 et que même s'il y avait eu reconduction, celle-ci valait conclusion d'un nouveau contrat distinct du précédent.

- Que le non-renouvellement à son échéance d'un contrat à durée déterminée, même renouvelé par tacite reconduction, ne constituait pas une résiliation et n'ouvrait droit à aucune indemnité.

- Que ce non-renouvellement n'était pas en lui-même constitutif d'un abus de droit et que la preuve de cet abus n'était pas rapportée, l'intention de nuire n'étant pas caractérisée.

Attendu qu'elle conclut à la réformation de la décision déférée et à la condamnation de la société Bernier au paiement de la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que la société Bernier, intimée, soutient au contraire que les relations contractuelles, qui se sont poursuivies pendant 23 ans, étaient en réalité à durée indéterminée, que les clauses de durée insérées dans les conventions n'avaient pas d'autre objet que de ruiner la protection instituée par le décret de 1958, qu'elles doivent être qualifiées de fraude à la loi et qu'en toute hypothèse, la rupture était abusive ;

Attendu qu'elle conclut à la confirmation du jugement critiqué et demande en outre que la STBL soit condamnée à lui payer l'intégralité des frais de caution bancaire qu'elle a été contrainte d'exposer, les intérêts au taux légal sur l'indemnité de rupture à compter du 1er janvier 1991, et la somme de 30 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi,

Attendu qu'il est constant, même si les contrats signés avant 1981 ont été conclus avec M. Alain Bernier, que c'est la société Bernier qui a collaboré avec la STBL depuis 1967 ;

Que c'est cette société et elle seule qui a reçu les commissions versées depuis 1968 et que c'est à elle, et non par à M. Bernier, que la STBL adressait les courriers justifiant de la déclaration auprès de l'administration des contributions directes des commissions payées ;

Que l'introduction dans le contrat du 1er août 1988 d'une clause intuitu personae liant sa validité à l'exercice effectif par M. Alain Bernier des fonctions d'animation et de direction de l'activité d'agent commercial de la société ne modifie pas l'économie des conventions précédemment souscrites ;

Qu'il en est de même en ce qui concerne les quelques modifications au demeurant mineures intervenues en ce qui concerne la géographie d'activité ;

Que les aménagements dont s'agit, justifiés par l'évolution de la STBL et par son développement, ne sont d'ailleurs pas toujours traduits par de nouveaux contrats et ont fréquemment fait l'objet de simples lettres ou avenants ;

Attendu qu'il doit en être déduit que c'est la même convention, initialement conclue pour une durée de deux ans, qui s'est poursuivie pendant plusieurs années par tacite reconduction ;

Attendu que ce contrat a néanmoins conservé le caractère d'un contrat à durée déterminée dont le non-renouvellement, à son terme, n'est pas constitutif d'une résiliation et n'ouvre pas droit en principe à l'indemnité compensatrice prévue par l'article 3 du décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958;

Attendu qu'il n'en demeure pas moins vrai :

D'une part que le mandant ne saurait s'affranchir du paiement de cette indemnité en prévoyant de manière systématique une clause de tacite reconduction des contrats à durée déterminée ou en concluant à intervalles réguliers des conventions successives ne différant des précédentes que sur des points de détail ; que dans un tel cas, la durée même de la collaboration des parties constitue la preuve d'une fraude à la loi, et qu'il convient d'annuler la clause de durée déterminée comme contraire à l'article 3 susvisé du décret de 1958 ;

D'autre part et en toutes hypothèses, que l'exercice d'un droit est constitutif d'un abus et doit être sanctionné par l'allocation de dommages-intérêts ;

Que la société Bernier prouve le caractère abusif du non-renouvellement de son mandat en démontrant qu'il n'était justifié par aucune circonstances particulières, que son mandant avait poursuivi son activité, et qu'il n'allègue aucune difficulté d'ordre économique pouvant justifier la rupture des relations contractuelles ; qu'il a en réalité détourné à son profit la clientèle de l'intimée en la faisant suivre par un salarié sur le secteur qu'il lui avait précédemment confié ;

Attendu que la société Bernier est dès lors bien fondée à demander réparation du préjudice qui lui a été causé par la rupture des relations contractuelles et qui a été justement évalué par les premiers juges à la somme de 2 443 133,30 F HT correspondant aux deux tiers des trois dernières années de commissions ;

Attendu pour le surplus :

1) que la société Bernier est en droit d'exiger les remboursements des frais de caution bancaire qu'elle a été contrainte d'exposer pour parvenir à l'exécution provisoire du jugement dont appel ;

2) que les intérêts au taux légal sur l'indemnité de rupture ne sont dus qu'à compter de ce jugement, conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du Code civil ;

3) que la société appelante doit être condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société Bernier la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 modifié du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR : Reçoit l'appel jugé régulier ; Le déclare mal fondé ; Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ; Et y ajoutant : Condamne la STBL à rembourser à la société Bernier les frais de caution bancaire qu'elle a été contrainte d'exposer pour parvenir à l'exécution provisoire du jugement entrepris ; Dit que l'indemnité de rupture de 2 443 133,30 F (deux millions quatre cent quarante trois mille cent trente trois francs trente centimes) portera intérêts au taux légal à compter de ce jugement ; Condamne la STBL aux dépens d'appel et autorise la SCP d'avoués Nidecker Prieu, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante ; Condamne en outre la STBL à payer à la société Bernier la somme de 10 000 F (dix mille francs) par application de l'article 700 modifié du nouveau Code de procédure civile.