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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 28 mars 1994, n° 92-3291

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Gurrieri (Époux)

Défendeur :

Interbrew France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Manier

Conseillers :

M. Baumet, Mme Brenot

Avoués :

Me Ramillon, SCP Grimaud

Avocats :

Mes Durand, Borg.

T. com. Romans, du 27 mai 1992

27 mai 1992

Les époux Monique Ruol et Carmel Gurrieri qui ont acheté le 10 janvier 1985 un fonds de commerce d'hôtel bar restaurant à Peyrins, payé pour partie au moyen d'un prêt de 260.000 F accordé par le Crédit Lyonnais, ont consenti une inscription de nantissement sur le fonds à hauteur de 25 % du prêt, et signé par le même acte, une convention d'exclusivité d'achat de bières auprès de la société Chabeuil Boisson.

Cette convention était la contrepartie de l'engagement pris par la société Brasserie Sébastien Artois, qui s'est portée caution à concurrence de 50 % du solde du prêt consenti par le Crédit Lyonnais et 50 % des intérêts, frais et accessoires de ce prêt.

Alors qu'ayant cédé leur fonds de commerce le 20 juillet 1989 et remboursé le montant du prêt au Crédit Lyonnais, les époux Gurrieri-Ruol réclamaient au notaire le solde du prix, ils apprenaient que les fonds étaient bloqués en raison de l'opposition formée par la société Interbrew France, qui vient aux droits de la Brasserie Sébastien Artois, pour la somme de 65.000 F correspondant à l'indemnité de rupture du contrat de fourniture.

Par acte du 1er février 1991, les époux Gurrieri ont fait assigner la SA Interbrew France devant le Tribunal de Commerce de Romans, pour voir ordonner la mainlevée de l'inscription de nantissement, déclarer nulle la convention d'achat exclusif, tant à raison de ce que la caution ne se justifie plus, que du fait de la liquidation judiciaire de la société Chabeuil Boissons, et condamner la société Interbrew France à lui payer la somme de 5.000 F à titre de dommages-intérêts et la même somme au titre de l'article 700 du NCPC.

Par jugement du 27 mai 1992, le Tribunal a rejeté les demandes des époux Gurrieri et la demande faite en application de l'article 700 du NCPC par la société Interbrew France.

Les époux Gurrieri ont fait appel de ce jugement le 29 juillet 1992.

Il soutiennent qu'ils se sont toujours conformés à la convention : remboursement du prêt et respect de la clause d'achat exclusif jusqu'à la cessation d'activité de la société Chabeuil Boissons.

Ils se sont alors trouvés dans l'impossibilité de s'approvisionner auprès du dépositaire désigné dans la convention, et la société Brasserie Sébastien Artois ne leur a donné aucune indication pour se fournir auprès d'un autre dépositaire.

Selon eux, c'est la société Brasserie Sébastien Artois qui est à l'origine de la rupture du contrat ; ils estiment que l'opposition sur le prix de vente est injustifiée et même abusive et que la mainlevée de l'inscription de nantissement doit être ordonnée, la dette principale étant éteinte.

Ils font encore valoir que l'engagement d'achat exclusif pour une durée de 9 ans, alors que le prêt n'était que de 7 ans, est léonin.

Ils demandent à la Cour de dire que la rupture est imputable à la société Sébastien Artois, d'ordonner la mainlevée de l'inscription de nantissement, subsidiairement de déclarer nulle la convention d'achat exclusif et condamner la société Interbrew France à leur payer 5.000 F à titre de dommages-intérêts et 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société Interbrew France répond que les époux Gurrieri ont suspendu leur approvisionnement exclusif pour les bières et vendu leurs fonds de commerce sans transmettre à leur successeur l'engagement d'achat exclusif, et ce avant le terme du délai de 9 ans ; l'opposition qu'elle a été amenée à faire est donc justifiée.

Elle indique qu'il y avait possibilité de choix entre approvisionnement direct du dépôt de la Brasserie et approvisionnement par l'intermédiaire d'un distributeur et que la liquidation de Chabeuil Boissons ne constituait pas un obstacle à l'exécution du contrat de fourniture.

Dès lors que le contrat n'a pas été reporté sur les successeurs, il a été rompu unilatéralement du fait des époux Gurrieri ; elle ajoute que l'existence et la durée de l'engagement de caution ne sont pas affectées par le remboursement anticipé du prêt, la cause du contrat s'analysant au moment de sa formation.

Elle prétend que la mainlevée du nantissement n'a pas lieu d'être ordonnée, puisqu'elle reste créancière d'une obligation qui doit prendre fin en avril 1994.

Enfin, elle soutient que la liquidation judiciaire de la société Chabeuil Boissons est sans effet sur la convention.

Elle conclut à la confirmation du jugement sauf à condamner les époux Gurrieri à lui payer la somme de 10.000 F à titre de dommages-intérêts et 5.000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Motifs et Décision :

L'acte du 10 janvier 1985 comportant vente du fonds de commerce contient en page 12 un paragraphe intitulé " cautionnement de la Brasserie Sébastien Artois " rédigé ainsi :

" Au moyen de cautions, la Brasserie Sébastien Artois et son entrepositaire entendent faciliter l'obtention pour M. et Mme Gurrieri d'un crédit dont les conditions sont décrites ci-après :

(annexes 2 et 3).

En contrepartie de ces avantages financiers, M. et Mme Gurrieri concluent deux accords d'achat exclusif, l'un de bière, uniquement en faveur de la Brasserie Sébastien Artois, le second d'autres boissons que les bières, en faveur de l'entrepositaire.

Annexe 2 : " la Brasserie Sébastien Artois déclare s'être constituée caution à concurrence de 50 % du solde restant dû et des intérêts sur un prêt de 260.000 F dont M. Gurrieri sera débiteur envers le Crédit Lyonnais. "

Annexe 3 : " Dans le cadre de sa politique commerciale, la Brasserie Sébastien Artois accorde ou fait consentir des crédits à la clientèle de débitants de boissons. Saisie des préoccupations financières de son client et garantie par les engagements pris à son égard par l'entrepositaire, la Brasserie a obtenu le concours de la banque qui en échange de l'engagement de caution donné par la Brasserie a accepté de réaliser ce prêt.

En contrepartie des avantages financiers consentis par la Brasserie, le client confirme sa volonté d'entretenir des relations commerciales durables avec celle-ci en prenant à son égard les engagements exclusifs suivants : ...

Le client se fournira soit auprès de la Brasserie, soit auprès de tel entrepositaire qui lui sera désigné. La Brasserie désigne pour l'exécution du présent contrat Chabeuil Boissons... "

Il résulte de ces dispositions que le contrat d'exclusivité était consenti en contrepartie des avantages financiers obtenus pour le client, en l'espèce, l'octroi d'un prêt par le Crédit Lyonnais et la caution par la Brasserie, à concurrence de 50 % du solde restant dû sur ce prêt.

Dans la mesure où le prêt était remboursé par anticipation, il est certain que la contrepartie acceptée par les emprunteurs n'avait plus de cause et que les époux Gurrieri, par l'effet de l'extinction de la dette et du cautionnement étaient déchargés à l'égard de la Brasserie Sébastien Artois de leur engagement d'approvisionnement exclusif.

Par ailleurs, alors que le contrat prévoyait que la fourniture devait s'effectuer auprès du dépositaire désigné par la société Brasserie Sébastien Artois, celle-ci, après que la société Chabeuil Boissons ait cessé ses livraisons en raison de la procédure collective dont elle faisait l'objet, n'a pas désigné d'autre dépositaire aux époux Gurrieri, contrairement à la convention ci-dessus.

En conséquence, il n'y a pas eu faute dans l'exécution du contrat, imputable aux époux Gurrieri, justifiant l'application de la clause pénale.

Les demandes de mainlevée de l'inscription de nantissement et de l'opposition entre les mains du notaire formées par les époux Gurrieri sont donc fondées.

Ces mesures maintenus abusivement leur ont causé un préjudice qui sera justement réparé par l'allocation de la somme de 10.000 F.

Il paraît inéquitable de laisser à leur charge les frais exposés pour les besoins de la procédure et non compris dans les dépens ; il leur sera alloué 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Dit que le maintien de l'inscription de nantissement sur le fonds de commerce dont s'agit et de l'opposition sur le prix de vente entre les mains du notaire, du chef de la société Interbrew France est injustifiée ; en tant que de besoin, en ordonne la mainlevée, Condamne la société Interbrew France à payer aux époux Gurrieri-Ruol la somme de 10.000 F (dix mille francs) à titre de dommages-intérêts et celle de 5.000 F (cinq mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC, La condamne aux dépens de première instance et d'appel, Autorise Me Ramillon, Avoué, à recouvrer directement contre elles les frais avancés sans avoir reçu provision.