CA Rennes, 2e ch., 30 mars 1994, n° 5494-89
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Legros (Époux), Cops, Socoser (SARL), Thomas Cops et Compagnie (SNC)
Défendeur :
Uni-Inter (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Casorla
Conseillers :
MM. Roy, Froment
Avoués :
Me Castres, Brebion
Avocats :
Mes Gautier, SCP Cornet Vincent Doucet Pittard Martin Robiou du Pont
Statuant sur l'appel interjeté le 19 septembre 1989 par Legros et autres à l'encontre d'un jugement rendu le 11 mai 1989 par le Tribunal de commerce de Nantes qui a décerné acte à Monsieur Paul Legros, Madame Marie-Louise Legros, Madame Josette Cops, la société Socoser et la société Thomas Cops et Cie, de ce qu'ils concluent, contraints et forcés, dans l'attente de l'arrêt de la Cour de Cassation, a accueilli la société Uni-Inter en ses demandes et les dit partiellement fondées, a accueilli Monsieur Paul Legros, Madame Marie Louise Legros, Madame Josette Cops, la société Socoser et la société Thomas Cops et Cie en leur demande reconventionnelle, l'a dit non fondée et les a débouté, a dit que les contrats signés entre la société Uni-Inter et Monsieur Paul Legros, Madame Marie Louise Legros, Madame Josette Cops, la société Socoser et la société Thomas Cops et Cie sont résiliés aux torts exclusifs de ces derniers, a condamné solidairement Monsieur Paul Legros, Madame Marie-Louise Legros, Madame Josette Cops, la société Socoser et la Société Thomas Cops et Cie à payer à la société Uni Inter la somme de 31 161 F représentant les sommes dues pour la période allant du 1er février au 5 avril 1983, a condamné solidairement Monsieur Paul Legros, Madame Marie-Louise Legros, Madame Josette Cops, la société Socoser et la société Thomas Cops et Cie à payer à la société Uni-Inter la somme de 431 460 F à titre de dommages et intérêts, à ordonné l'exécution provisoire de la décision nonobstant opposition ou appel et sans caution, a condamné solidairement Monsieur Paul Legros, Madame Marie Louise Legros, Madame Josette Cops la société Socoser et la société Thomas Cops et Cie à payer à la société Uni-Inter une somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, a condamné solidairement Monsieur Paul Legros, Madame Marie-Louise Legros, Madame Josette Cops, la société Socoser et la société Thomas Cops aux entiers dépens ;
Considérant qu'il résulte des énonciations non contredites du jugement attaqué, des écritures des parties et des pièces par elles régulièrement produites qu'aux termes de contrats de franchise et d'avenants intervenus entre 1974 et 1981, la SARL Uni Inter aux droits de laquelle se trouve actuellement la SA Uni Inter, a conclu divers contrats de franchise avec les divers requis ; que ces contrats ont consenti l'exploitation de cabinets de courtage matrimonial, exploités en franchise Uni-Inter par les différents requis sur le Luxembourg, la ville de Verdun, la ville de Forbach, la ville d'Epinal, la ville de Metz et la ville de Nancy, que des divergences importantes se sont au fil du temps manifestées entre les parties amenant celles-ci à constater en avril 1983 que plus aucune autre solution que celle de la résiliation du contrat s'imposait ;
Considérant qu'aux termes de leurs conclusions les époux Legros, Madame Cops, la société Socoser, la société Thomas Cops et Cie, appelants, demandent à la Cour de réformer purement et simplement le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nantes le 11 mai 1989, de dire et juger que la rupture des contrats de franchise en date du 5 avril 1983 est imputable au comportement fautif de la société Uni-Inter, de dire et juger nulle ou en tout cas non applicable, la clause de non-concurrence, stipulée aux contrats de franchise, en tout état de cause, de dire et juger que la société Uni-Inter ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un quelconque préjudice lié à la violation de la clause de non-concurrence ou à des actes de concurrence déloyale, en conséquence, de la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions, de décerner acte à la société Socoser de ce qu'elle reconnaît devoir à la société Uni-Inter au titre des redevances de franchises, la somme de 22 664 F, y additant, de condamner la société Uni Inter au paiement de la somme de 17 790 F TTC au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de condamner la société Uni Inter, aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Castres avoués, conformément aux dispositions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ;
Ils font valoir que le franchiseur titulaire de la marque, de l'enseigne ou de tout autre signe distinctif, dont il accorde l'usage au franchisé, doit lui garantir la paisible jouissance de ses droits, que c'est ainsi que la norme Afnor Z 20 000 3.2.2.2.1. en matière de franchise, prévoit que le franchiseur a l'obligation d'agir par tous les moyens appropriés pour défendre la marque et faire cesser les atteintes dont elle pourrait être l'objet de la part des tiers, qu'en l'espèce le franchiseur n'a à aucun moment pris les initiatives qu'imposait la défense de l'image du réseau et notamment n'a pas utilisé le droit de réponse dont elle était seule titulaire à l'encontre de la campagne de presse menée à son encontre, qu'également, l'étude des contrats de franchise Uni-Inter révèle que le franchiseur était propriétaire du fichier et que celui-ci ne faisait l'objet que d'un dépôt entre les mains des franchisés qui, à l'expiration du contrat pour quelque cause que ce soit, se devaient dans les 15 jours, de restituer toutes les fiches en dépôt, qu'en sa qualité de propriétaire du fichier, la société Uni Inter se devait d'en assurer à ses franchisés la jouissance paisible, qu'en l'espèce, il est constant qu'au cours de l'exercice 82, la société Uni-Inter n'a pu garantir la confidentialité de son fichier national, qu'à partir du moment où ce fichier tombe dans le domaine public ou est détourné à des fins étrangères, le franchiseur manque ainsi à l'une de ses obligations essentielles, que la société Uni-Inter ne pouvait valablement modifier les modalités contractuelles de calcul de la redevance d'exploitation qu'avec l'accord des franchisés, qu'en décidant d'imposer unilatéralement une telle modification concernant un élément essentiel du contrat de franchise, la société Uni Inter a commis une grave faute de nature à justifier la réaction des franchisés de l'Est de la France, qu'en présence de ces manquements graves à ses obligations essentielles et de la décision du franchiseur de modifier les bases de calcul de la redevance d'exploitation, les franchisés étaient en droit de suspendre pour certains d'entre eux l'exécution de leur propre obligation à l'égard du franchiseur à compter du 1er février 1983 dès lors que les nombreux avertissements préalables et mises en demeure qui lui avaient été adressés tout au long de l'année 1982 et début 1983 étaient restés lettre morte, qu'ainsi la résolution des contrats de franchise intervenue le 5 avril 1983 doit être considérée comme intervenue aux torts exclusifs de la société Uni Inter, que d'autre part, la clause de non-concurrence imposée aux franchisés de l'Est de la France, illimitée dans l'espace dès lors qu'elle s'étend à l'ensemble du territoire français, doit être considérée comme impliquant une interdiction générale et absolue d'exercer pendant une durée de 3 années leur activité professionnelle de conseiller matrimonial et doit en conséquence être déclarée nulle, que l'application de cette clause aurait pour effet, en interdisant aux franchisés de poursuivre leur activité en quel que lieu que ce soit sur le territoire français, de les déposséder du fonds d'agence matrimoniale qu'ils exploitaient, qu'en se fondant aussi bien sur la volonté des parties que sur les dispositions de l'article 1162 du code civil, la clause de non-concurrence ne peut qu'être déclarée inapplicable en ce qu'elle visait à interdire aux ex-franchisés de la société Uni-Inter la poursuite de leur exploitation et à les priver de la clientèle qui leur appartenait qu'en tout état de cause dans la mesure où la rupture des contrats de franchise est imputable à la société Uni-Inter celle-ci ne peut exiger de ses franchisés le respect de leurs obligations, notamment de non-concurrence dès lors qu'elle n'a pas pour sa part rempli ses propres obligations contractuelles à leur égard ;
Aux termes de ses conclusions, la SA Uni-Inter, intimée, demande à la Cour, et réformant partiellement la décision entreprise, de condamner conjointement et solidairement les appelants à payer à la société Uni-Inter la somme 178 981 F au titre des redevances impayées, de condamner les appelants à verser à la société Uni-Inter la somme principale de 1 500 000 F à titre de dommages et intérêts, de condamner les appelants conjointement et solidairement à verser à la société Uni-Inter la somme de 50 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de condamner les appelants aux dépends d'appel qui seront recouvrés, en ce qui concerne Maître Chaudet, avoué, dans les conditions prévues par les articles 699 et suivants du nouveau Code de procédure civile ;
Elle fait valoir que les appelants ne contestent pas ne pas avoir réglé à échéance les redevances, puisqu'ils offrent même près de neuf ans après les échéances d'en régler une partie, qu'il est donc incontestable que les appelants ont violé les termes du contrat de franchise, les appelants n'ont pas exécuté leurs obligations d'envoi des fiches clients au siège de la société Uni-Inter de même, il n'est pas contesté que les appelants ont failli complètement à leur obligation de collaboration avec le cabinet Uni-Inter, que le contrat de franchise intervenu entre les parties prévoit que chacun de ces manquements autorise la résiliation anticipée du contrat quinze jours après une mise en demeure par lettre recommandée, que par conséquent, le contrat a été justement résilié par la société Uni-Inter aux torts et griefs exclusifs des appelants, que d'autre part, le fait de ne pas réagir vigoureusement à une campagne de presse ne saurait être considéré comme une faute objective du franchiseur, que les appelants prétendent également que le fichier de la clientèle Uni-Inter aurait été diffusé dans d'autres cabinets, que ce faisant les appelants ne rapportent absolument aucune preuve de ce qu'ils avancent, que de surcroît les deux reproches que les franchisés font à la société Uni-Inter ne sont pas contractuellement prévus comme des causes de résiliation anticipée, que de plus les contrats de franchise liant les appelantes à la société Uni-Inter prévoient une clause de non-concurrence qui a été violée par les appelants, qu'en effet en contradiction avec les clauses qui leur ont été expressément rappelées, les appelants se sont maintenus en place et ont constitué leur propre réseau de courage matrimonial qu'ils ont au surplus étendu, procédant à des créations d'agences matrimoniales dans d'autres villes situées toutes dans l'Est de la France, que ce faisant, ils ont contrevenu aux clauses de non concurrence expressément stipulées aux contrats, qu'en outre, les appelants n'ont pas manqué d'utiliser purement et simplement tout le savoir-faire qu'ils avaient acquis grâce à la société Uni-Inter avec laquelle ils avaient collaboré pendant de nombreuses années, acquérant de celle-ci la connaissance de leur métier, que cette pratique est constitutive d'un acte de concurrence déloyale qui vient s'ajouter à l'acte de concurrence interdite, qu'il semble bien que sur un plan strictement pratique les appelants constituent en réalité un groupement économique unique d'importance valeur qui prospère encore aujourd'hui, il va sans dire que le préjudice de la société Uni-Inter est considérable d'autant plus que celle-ci a eu et a toujours d'ailleurs les plus grandes difficultés à implanter de nouvelles agences matrimoniales dans l'Est de la France, eu égard à la très forte pénétration de son ancien franchisé, lequel n'a pas hésité à violer ses engagements contractuels, que les contractants peuvent choisir de restreindre l'application de la clause de non-concurrence déjà précisée, quant à la nature de l'activité interdite, soit dans le temps, soit dans l'espace, sans porter atteinte à sa validité, c'est ce qu'a fait la société Uni-Inter qui a limité la clause de non-concurrence à une durée de trois ans, cette clause limitée dans le temps et acceptée par les franchisés est parfaitement valable et doit tenir lieu de loi à ceux-ci, qu'ainsi le préjudice subi par la société Uni-Inter est constitué d'une part par les redevances impayées par les appelants, ce préjudice résulte également de la violation de la clause de non-concurrence prévue au contrat de franchise d'une part et d'un comportement constitutif d'un acte de concurrence déloyale d'autre part ;
Sur ce
Sur l'imputabilité de la rupture
Considérant que les contrats de franchise prévoyaient qu'en cas de contestation, il devait être préalablement recouru à un arbitre ;
Que les consorts Legros n'ont pas respecté cette clause en suspendant unilatéralement leur paiement et en cessant d'adresser les nouvelles fiches d'adhérents ;
Que les manquements allégués à l'encontre de la société Uni-Inter n'apparaissent au demeurant pas suffisamment justifiés puisqu'à l'appui de leur allégation relative à une formidable campagne de dénigrement par voie de presse, les consorts Legros se bornent à produire quelques journaux à diffusion hebdomadaire relatant les difficultés rencontrées par une adhérente d'une agence matrimoniale qui assurait ainsi indirectement sa propre publicité, et que les autres pièces produites concernent aussi bien l'ensemble de la profession que le réseau Uni-Inter en particulier ;
Qu'il n'est pas non plus établi que les divulgations de quelques fiches aient été volontairement effectuées par le franchiseur qui n'avait aucun intérêt a le faire, ni qu'il soit responsable des fuites constatées et dénoncées à juste titre par Monsieur Legros mais qui ne pouvait de toute façon tirer argument de ce fait pour cesser brutalement de remplir ses obligations contractuelles ;
Que la modification tarifaire devait également conduire les consorts Legros à susciter une sentence arbitrale mais sans leur permettre de suspendre leurs obligations ;
Considérant que le Tribunal a donc à juste titre considéré que les contrats de franchise avaient été résiliés aux torts exclusifs des cabinets franchisés et que le jugement sera confirmé de ce chef ;
Sur la clause de non-concurrence
Considérant qu'une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de franchise est valide, puisqu'elle vise en l'occurrence à protéger non seulement l'emplacement exploité sous l'enseigne du franchiseur mais aussi la notoriété acquise sous sa marque;
Que compte tenu du fonctionnement en réseau sur l'ensemble de la France, les limitations géographiques apportées n'apparaissent pas illicites, qu'il y aura seulement lieu de restreindre la durée prévue de trois ans à une seule année au regard des nouvelles normes Européennes;
Sur les actes de concurrence interdite et déloyale,
Considérant qu'il est établi au regard des pièces produites que les consorts Legros n'ont pas attendu l'issue du procès pour réorienter leur activité de courtage matrimonial sous la nouvelle enseigne " Marielle " aux endroits même ou étaient exploités les cabinets Uni-Inter démontrant ainsi la réalité de leur intention qui était bien de s'affranchir des contraintes imposées par le franchiseur pour développer après scission leur propre réseau tout en profitant immédiatement du savoir-faire acquis et de l'antériorité de leur installation sous l'autre enseigne ;
Que le préjudice subi par le franchiseur en relation directe et causale avec ces agissements est avéré, puisque celui-ci a été non seulement privé subitement du produit des redevances et des frais de contribution publicitaire, mais aussi privé des nouvelles fiches destinées à alimenter et actualiser le fichier national, et enfin privé de la notoriété jusqu'alors acquise dans la région Est par la création d'un réseau immédiatement concurrent ;
Que tenant compte de la réduction de la durée de la clause, le préjudice subi par la société Uni Inter sera mieux apprécié à la somme de 300 000 F ;
Sur le paiement des redevances
Considérant que le règlement des redevances de concession a été interrompu à compter du 1er février 1983 (et non 1982 comme mentionnée par erreur matérielle dans l'ordonnance de référé) jusqu'au 1er avril 1983, date de constatation de la résiliation ;
Que la société Socoser justifie, sans être sérieusement contredite sur ce point, que la société Thomas a réglé l'ensemble des sommes dues sur cette période et qu'elle-même ne reconnaît rester devoir à ce titre qu'une somme de 22 664 F ;
Qu'il y aura lieu de réformer la décision de ce chef ;
Considérant qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser les parties supporter leur frais d'appel ;
Par ces motifs LA COUR, Accueille en partie l'appel ; Confirme le jugement en ce qu'il a constaté la résiliation des contrats de franchise aux torts des franchisés ; Réforme sur le surplus ; Condamne solidairement Paul Legros, Marie-Louise Legros, Josette Cops, la société Socoser et la société Thomas Cops et Cie à payer à la société Uni-Inter : - la somme de 22 664 F au titre des redevances, - celle de 300 000 F à titre de dommages et intérêts, pour concurrence déloyale ; Confirme le jugement en ce qui concerne la condamnation des consorts Legros aux frais non taxables de première instance (30 000 F) mais dit que s'agissant de ceux d'appel chacune des parties les conservera à sa charge respective ; Condamne solidairement les consorts Legros aux dépens qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.