CA Paris, 5e ch. B, 31 mars 1994, n° 92-14808
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Soviaco (SA)
Défendeur :
Somea (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
MM. Bouche, Le Févre
Avoués :
SCP Bommart Forster, SCP Garrabos Alizard
Avocats :
Mes Monteran, Baruc.
Dans le courant de l'année 1986 la société SEM, exploitant un rayon de boucherie dans un magasin d'alimentation d'Ozoir la Ferrière à l'enseigne Franprix appartenant à la société Magasins Economique d'Arpajon (Somea) a passé plusieurs commandes à la société Soviaco, exploitant un abattoir, pour un montant de 58 647,09 F.
La société SEM n'ayant pas payé les viandes livrées et ayant été déclarée en liquidation judiciaire, la société Soviaco a demandé à la société Somea le paiement des factures.
Par ordonnance du 15 mai 1987, le président du Tribunal de commerce de Paris, statuant en référé, a condamné la société Somea à payer à la société Soviaco par provision le montant des factures.
La Cour d'appel a confirmé cette ordonnance par arrêt du 17 décembre 1987 annulé par un arrêt de la Cour de cassation en date du 4 décembre 1990.
Le Tribunal de commerce de Melun, saisi au fond, a débouté, par jugement du 25 mai 1992, la société Soviaco de toutes ses demandes, l'a condamnée à rembourser à la société Somea 58 687,09 F avec intérêts de droit à compter de ce jugement et à payer à la société Somea 5 000 F de dommages et intérêts et 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Soviaco a interjeté appel par acte du 17 juin 1992.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions signifiées le 16 octobre 1992, la Soviaco demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de qualifier la convention du 3 février 1986 liant la société SEM et la société Somea de location-gérance déguisée, de condamner la société Somea à verser à la société Soviaco la somme principale de 58 647,09 F avec intérêts légaux à compter du 9 décembre 1986, de lui donner acte de ce qu'elle reconnaît avoir été réglée de ces sommes par la société Somea, de condamner la société Somea à lui verser la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du retard de paiement ainsi que 10 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'appelante soutient que la société Somea est propriétaire du fonds de commerce et solidairement responsables ainsi des dettes de la société SEM à défaut de publication de la location-gérance accordée à cette société. Elle observe que la Cour de cassation s'est bornée, pour casser l'arrêt du 17 décembre 1987, à constater que la qualification du contrat donnait lieu à une contestation sérieuse ne relevant pas de la juridiction des référés ;
Elle prétend qu'à cet effet le contrat du 3 février 1986 intitulé " contrat de concession de point de vente " conclu entre les sociétés SEM et Somea répond à la définition de la location-gérance puisque le concédant exploitait préalablement le fonds et que la clientèle demeurait sa propriété exclusive.
La société Somea est ainsi tenue solidairement, selon elle, des dettes de la société SEM en application de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956.
Par conclusions en réplique et d'appel incident signifiées le 16 décembre 1992, la société Somea demande à la Cour de confirmer la décision entreprise, et, y ajoutant, de condamner la société Soviaco à payer à la société Somea les sommes de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle fait valoir que la société SEM, concessionnaire, devait " se conformer à la discipline générale en vigueur dans l'établissement " et ne bénéficiait d'aucune autonomie de gestion, que la convention était renouvelable de trois mois en trois mois, que la société Somea, concédante, n'exploitait pas préalablement un " fonds de commerce de boucherie ", que " les recettes journalières éventuellement encaissées par les employés du concessionnaire " devaient être " centralisées chaque soir à la caisse principale du magasin ", n'entraient pas dans le chiffre d'affaires de la société SEM et étaient portées au crédit d'un compte SEM ouvert dans les livres de la société Somea. Celle-ci en conclut que le contrat n'était qu'une location à titre précaire d'un emplacement situé à l'intérieur de son supermarché. Elle rappelle enfin que les stands exploités par des tiers dans des magasins à grande surface donnent lieu à la signature de " conventions de rayon " ou de " contrats de stand " et non de location-gérance.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que le " contrat de stand " n'a pas d'existence juridique qui le distingue des autres conventions du droit français ; que la convention du 3 février 1986 par laquelle la société Somea autorise la société SEM à ouvrir et tenir un rayon de boucherie à l'intérieur de son commerce général d'alimentation dit supermarché à l'enseigne Franprix, ne peut être qu'une location d'espace, un mandat, ou une location-gérance d'une fraction de son propre fonds de commerce.
Considérant que la location d'espace implique une autonomie complète du locataire exploitant sa propre clientèle et payant un loyer dont il se conçoit peu qu'il puisse se résumer à une " redevance de 8 % des recettes " même TVA en sus ; que la convention précise que la société Somea se réserve le droit de modifier et réduire le point de vente concédé, en assure à ses frais l'agencement et en conserve la direction ; que les parties s'accordent à reconnaître que la société SEM n'avait pas de clientèle propre et exploitait celle de la société Somea ; que la société SEM n'avait donc pas de fonds de commerce autonome ;
Considérant qu'à l'inverse un mandat suppose que la société ait agi au nom ou en tous cas pour le compte de la société Somea ; qu'il n'est pas contesté que la société SEM ait passé les commandes en son nom et pour son compte ; qu'elle constituait une entité juridique autonome ayant sa propre comptabilité ; que la centralisation journalière des recettes du supermarché, englobant celles du rayon boucherie, était suivie d'une rétrocession hebdomadaire par la société Somea à la société SEM de ses recettes de boucherie amputées de la redevance susvisée de 8 % ; que la société SEM disposait donc du produit de ses ventes ;
Qu'elle n'agissait donc pas comme mandataire de la société Somea mais exploitait pour son propre compte le rayon boucherie du supermarché Franprix de la société Somea ;
Considérant que l'article 1er de la loi du 20 mars 1956 régissant la location-gérance soumet aux dispositions de cette loi, " nonobstant toute clause contraire, tout contrat ou convention par lequel le propriétaire ou l'exploitant d'un fonds de commerce ... en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l'exploite à ses risques et périls " ; qu'il résulte de ce texte d'une part qu'un contrat doit être qualifié de location-gérance s'il correspond à la définition légale même s'il est qualifié différemment par les parties , d'autre part que la location-gérance d'un fonds de commerce ne peut être que partielle;
Considérant que la société Somea exploitait un fonds de commerce général d'alimentation dont le rayon boucherie était un élément; que l'autonomie de l'exploitation de ce rayon répond à la définition de la location-gérance; que la société Soviaco est fondée à soutenir que la société SEM était locataire-gérante d'une partie du fonds de la société Somea.
Considérant qu'il importe peu que la société Somea n'ait pas exploité ou fait exploiter un rayon boucherie dans son supermarché avant de conclure le contrat du 3 février 1986, dès lors que ce rayon n'est qu'un élément du fonds de commerce général d'alimentation exploité par la société Somea et dont l'ouverture remonte à plus de deux ans; qu'il n'est en effet pas contesté que la société Somea avait toute latitude pour ouvrir ou fermer des rayons spécifiques d'alimentation dans son supermarché et que le rayon boucherie n'était qu'un rayon alimentaire parmi d'autres au sein de la " grande surface " exploitée par la société Somea;
Que la disposition de l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 exigeant du bailleur qu'il justifie d'une exploitation d'au moins deux années avant de consentir une location-gérance, ne saurait être opposée par la société Somea à la société Soviaco ; qu'elle a pour but d'assurer la protection du locataire-gérant, en évitant des mises de fonds en location-gérance avant que la clientèle ne soit constituée et peut être écartée de surcroît par décision judiciaire ; que la société Somea, bailleresse, ne saurait au surplus se prévaloir de sa carence pour se soustraire à ses obligations ;
Considérant qu'il résulte de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 que le bailleur, qui a omis de faire publier un contrat de location-gérance, est solidairement responsable du paiement des factures impayées correspondant à l'exploitation du fonds ; que la société Somea reconnaît que la convention du 3 février 1986 n'a pas donné lieu à la publicitéqui aurait mis en garde les tiers contre l'apparence fallacieuse d'absence d'autonomie qu'elle a créée ; que la demande formulée à son encontre est fondée ;
Considérant qu'il importe peu que la créance de la société Soviaco ait ou non été déclarée au passif de la société SEM; que le codébiteur solidaire qu'est la société Somea, ne pouvant opposer au créancier commun par application de l'article 1208 du Code civil que des exceptions personnelles ou résultant de la nature même de l'obligation ce que ne peut être l'exception tirée de l'absence de déclaration au passif d'un coobligé;
Considérant que la société Soviaco ne prouve pas l'existence d'un dommage que l'allocation d'intérêts au taux légal ne couvre pas ; que la défense de la société Somea n'est pas abusive ;
Considérant qu'il est équitable de fixer à 10 000 F la somme due par la société Somea à la société Soviaco au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Condamne la société Magasins Economiques d'Arpajon (Somea) à payer à la société Soviaco la somme de 58 647,09 F avec intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 1986, Donne acte à la société Soviaco de ce qu'elle reconnaît avoir été réglée de cette somme, Déboute la société Magasins Economiques d'Arpajon Somea à payer à la société Soviaco la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes contraires ou complémentaires, Condamne la société Magasins Economiques d'Arpajon Somea en tous les dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Bommart Forster, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.