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Décisions

CA Agen, 1re ch., 9 mai 1994, n° 92001815

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ford New Holland France (SA)

Défendeur :

Rouby

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fourcheraud

Conseillers :

Mmes Coleno, Girot

Avoués :

Me Brunet, SCP Tandonnet

Avocats :

Mes Du Parc, Sendek.

T. com. Marmande, du 20 oct. 1992

20 octobre 1992

Attendu que la SA Ford New Holland France a, dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas critiquées, relevé appel du jugement contradictoirement rendu le 20 octobre 1992 par le tribunal de Commerce de Marmande qui, saisi par elle d'une demande dirigée à l'encontre de Michel Rouby pour avoir paiement de la somme de 612 001,80 F à la suite de la rupture du contrat de concession a, après avoir ordonné une expertise, homologué le rapport de l'expert Mallet, fixé la créance de Ford New Holland France sur Rouby à la somme de 151 450,34 F, rejeté la demande reconventionnelle de Rouby pour rupture abusive de contrat de concession et a accueilli la demande reconventionnelle de Rouby pour concurrence déloyale et a fixé la créance de Rouby sur Ford Holland France à la somme de 1 574 096,51 F et, après compensation, a condamné cette dernière société à payer à Michel Rouby la somme principale de 1 422 646,17 F avec les intérêts légaux à compter du jugement ainsi que celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Attendu que l'appelante demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il lui a reconnu une créance résiduelle de 455 385,37 F et en ce qu'il lui a considéré que la résiliation du contrat de distribution avait été prononcée dans des conditions exemptes de tous abus de le réformer pour le surplus, de fixer la créance reconventionnelle au titre des stocks à la somme de 303 935,03 F et après compensation de condamner Rouby à lui payer 151 950,34 F avec intérêts au taux contractuel depuis le 3 avril 1985, de dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles tant pendant la durée de vie du contrat principal que pendant la durée du préavis et qu'au surplus la preuve de l'existence d'un préjudice subi par Rouby n'est pas apportée et qu'en conséquence il y a lieu de la débouter de sa demande de dommages et intérêts ;

Qu'enfin, à titre infiniment subsidiaire, au cas où la Cour retiendrait l'existence de fautes, ordonner le cantonnement des dommages et intérêts à 100 000 F et, à défaut, ordonner une expertise, en condamnant Rouby à lui payer 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que Monsieur Rouby demande à la Cour de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Marmande en ce qu'il a condamné la société Ford New Holland à régler à Monsieur Rouby, après compensation, la somme de 1 422 646,17 F avec intérêts légaux à compter du jugement, au titre de dommages et intérêts pour violation du contrat d'exclusivité,

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Marmande en ce qu'il a écarté la demande reconventionnelle de Monsieur Rouby pour rupture abusive du contrat,

- déclarer recevable et bien fondé l'appel incident de Monsieur Rouby et condamner la société Ford New Holland à payer à Monsieur Rouby la somme de 2 000 000,00 F à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat,

- condamner la Société Ford New Holland à régler à Monsieur Rouby la somme de 20 000,00 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Attendu que Monsieur Rouby ayant été déclaré en redressement judiciaire le 21 mai 1991 et un plan de redressement étant intervenu le 18 février 1992, Maître Guguen, désigné comme commissaire à l'exécution du plan intervient à la procédure et demande de lui allouer le bénéfice des écritures prises par Monsieur Rouby ;

Attendu que, pour plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des fins et moyens des parties, la Cour se réfère expressément au jugement rendu et aux conclusions déposées ;

Sur ce :

Attendu que, pour une bonne compréhension du litige, il convient de rappeler que Michel Rouby était concessionnaire de la SA New Holland France dans l'arrondissement de Marmande et le département du Lot-et-Garonne depuis environ dix-neuf ans lorsque, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 octobre 1985, la société New Holland France lui a signifié sa décision de mettre fin au contrat de distribution sélective renouvelé pour la dernière fois le 1er septembre 1993 ;

Que, postérieurement à cette date, des rapports ont subsisté entre les parties, notamment en vue de l'apurement des comptes et de la reprise des éléments du stock ;

Que, par exploit du 3 avril 1987, la Société New Holland France a saisi le Tribunal de Commerce pour obtenir paiement de la somme principale de 612 001,80 F outre les intérêts à compter de la rupture du contrat, ramenée à 455 385,37 F par conclusions d'actualisation ;

Que Michel Rouby formulait une demande reconventionnelle en paiement de diverses sommes ;

Que, par jugement avant dire droit, le Tribunal a ordonné une expertise destinée à évaluer le stock et, à la suite du rapport, les parties ont à nouveau été convoquées et le Tribunal a rendu la décision qui est déférée à la Cour ;

Attendu que la Société New Holland reproche aux premiers juges d'avoir estimé qu'en omettant de prendre les sanctions qui s'imposaient contre les concessionnaires fautifs d'actes de concurrence déloyale sur le secteur exclusif de Rouby elle avait engagé sa responsabilité ;

Qu'elle soutient en effet que l'exclusivité absolue n'existe pas dans la mesure où il n'est pas possible à un distributeur contacté par un acheteur de refuser de le livrer au motif qu'il n'est pas géographiquement situé dans le ressort de sa concession ;

Qu'elle invoque, en outre, l'article 2 du contrat, qui dispose notamment que : " le concessionnaire s'engage à limiter géographiquement ses ventes aux utilisateurs qui seront situés dans les territoires concédés. New Holland ne pourra cependant être rendue responsable en ce qui concerne les ventes dans ce même territoire en exclusivité, par d'autres concessionnaires ou par d'autres tiers, des matériels visés au présent contrat ", pour prétendre que cette clause exonératoire de responsabilité s'impose aux parties comme étant l'expression de sa volonté contractuelle ;

Qu'elle soutient en outre qu'il n'est pas possible de considérer qu'elle soit restée inerte face aux agissements qui lui étaient dénoncés et encore moins de prétendre à l'existence d'une collusion avec la SASO ;

Attendu cependant que, même si un concessionnaire approché par un client ne relevant pas du secteur géographique qui lui est concédé ne peut refuser de le livrer, comme le soutient la Société New Holland, il convient de relever que dans l'article 2 cité en entier dans les conclusions de l'appelante, il est stipulé qu' " au cas où le concessionnaire vendrait les matériels visés au présent contrat dans un territoire autre que ceux qui lui sont concédés, New Holland se réserve le droit d'apporter une solution au litige ainsi intervenu entre les concessionnaires par toutes mesures pécuniaires ou autres qu'elle jugera utile et sa décision sera sans appel ";

Attendu en l'espèce qu'il est constant et non discuté que la Société New Holland a été informée par Rouby suivant télex du 29 septembre 1983 des incursions de la Société SASO sur le territoire concédé;

Que, dès lors, la société New Holland ne peut sérieusement prétendre, au motif qu'elle a adressé un télex, puis une lettre à la société SASO, dans lesquels elle lui demandait de ne pas agir hors de son secteur sans avoir un accord préalable de son collègue ou de l'inspecteur régional (lettre du 19 janvier 1984) et en attente de solutions satisfaisantes de ne rien vendre ni livrer en dehors des territoires qui lui ont été concédés (télex du 2 juillet 1984) avoir pris des mesures susceptibles d'apporter une solution du litige ainsi intervenu entre ses concessionnaires alors qu'elle s'en était réservée expressément le droit en prévoyant des mesures pécuniaires ou autres par une décision non susceptibles d'appel et alors que, de nouveau informée en février 1985 des incursions de la société SASO, elle ne justifie d'aucune mesure à l'encontre de celle-ci alors que, pourtant, dans ses conclusions déposées le 22 septembre 1993, elle reconnaît que, pour la campagne 1985, cinq moissonneuses-batteuses et quatre cueilleurs ont été vendues par la société SASO sur le territoire concédé à Rouby;

Qu'il n'est pas démontré, ni même allégué que les ventes reprochées à la société SASO sur le territoire concédé à Rouby aient été réalisées postérieurement à l'envoi de la lettre de résiliation du 23 octobre 1985 et dès lors l'article 2C du contrat ne peut trouver application en l'espèce ;

Que le fait que l'article 3 G du contrat de 1983 ait prévu qu'en aucun cas FNH ne sera tenue pour responsable dans le cas des ventes faites par tout autre concessionnaire dans les territoires concédés ne saurait avoir pour effet d'empêcher le concessionnaire victime de tels agissements de rechercher la responsabilité du concédant alors que celui-ci s'était expressément réservé le droit d'apporter une solution au litige et qu'il ressort des faits de l'espèce qu'il a manqué à cette obligation contractuellement prévue ;

Qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la société New Holland, par son inaction, avait engagé sa responsabilité et devait réparer le préjudice causé, de ce fait, à Rouby;

Attendu que la société New Holland estime, pour sa part, que le chiffre d'affaires représenté pour les cinq moissonneuses batteuses et les quatre cueilleurs qu'elle reconnaît avoir été vendues par la société SASO sur le territoire concédé à Rouby s'élèverait à 2 830 000F et que, compte tenu des remises consenties, de l'ordre de 30 %, la marge réalisée par le concessionnaire serait de l'ordre de 22 % et c'est pourquoi, à titre infiniment subsidiaire, elle a sollicité la réduction à 600 000 F de l'indemnité ;

Que Rouby, bien qu'il estime inférieure à la réalité de son préjudice l'indemnisation retenue par le Tribunal, conclut à la confirmation de la décision sur ce point ;

Attendu que, pour fixer le préjudice, les premiers juges ont retenu un document émanant de Rouby, dénommé état des matériels New Holland vendus par la SASO et qui retient un chiffre d'affaires total de 5 427 919 F HT et des commissions dues suivant conditions New Holland de 29 % soit 1 574 096,51 F HT.

Attendu que de la comparaison entre celui-ci et les pièces versées, il ressort que SASO a bien vendu une moissonneuse batteuse 8070 avec un cueilleur 5 rangs à Gozza le 21 février 1985, une moissonneuse batteuse TF 42 sans cueilleur à Denadai le 29 mars 1985 et une moissonneuse batteuse 8070 à Gola le 29 janvier 1985 ;

Que, s'agissant du client Marmier, Rouby faisait état de la vente d'une moissonneuse batteuse TF 42 dans son télex du 29 septembre 1983 ;

Que, dans son télex du 8 février 1985 Rouby faisait état notamment de la vente d'une moissonneuse batteuse chez Dubourg à Anzex et chez Gallet à Saint-Gayrand, d'un cueilleur chez Dumon à Brugnac et chez Bertheleme à Tomeboeuf ainsi que d'une presse-balles rondes chez Bouhet à Duras ;

Que ces ventes ont bien été effectuées dans le territoire bénéficiant de l'exclusivité exclusive au profit de Rouby ;

Attendu cependant qu'il convient de relever que la presse-balles rondes vendue à Bouhet ne fait pas partie du matériel exclusif prévu à l'article 3 ;

Que par ailleurs aucun renseignement et aucune réclamation ne figure concernant un certain Ibanez auquel une moissonneuse TF 42 aurait été vendue alors au surplus qu'il demeure dans le canton de Mezin non visé par l'exclusivité ;

Attendu en définitive qu'au vu des pièces produites, des tarifs de New Holland versées pour les années 1983, 1984, 1985 et 1986, la Cour possède les éléments suffisants pour fixer à un million de francs la réparation du préjudice subi par Rouby ;

Que le tribunal, à bon droit, nonobstant la mise en redressement judiciaire, a retenu le principe de la compensation entre cette somme et celle due par Rouby, dès lors que ces créances dérivent du même contrat et dès lors qu'il est établi que la société New Holland avait bien déclaré sa créance le 11 juin 1991 pour 151 450,34 F et c'est aussi à bon droit qu'il a retenu la somme ainsi déclarée, qui ne peut être modifiée ;

Qu'il convient, par ailleurs, de relever que la société New Holland ne précise pas le fondement des intérêts conventionnels qu'elle réclame, alors qu'il s'agit d'un apurement de compte entre les parties et que sa réclamation initiale était quatre fois plus élevée que la somme effectivement due par Rouby ;

Qu'il s'ensuit en définitive, qu'après compensation, la société New Holland sera condamnée à payer à Rouby : 100 000 - 151 450,34 = 848 549,70 F avec les intérêts au taux légal à compter du jugement et la décision sera donc confirmée aussi sur ce point ;

Attendu, enfin que la convention par laquelle un fabricant confie, pour une durée indéterminée, l'exclusivité de la vente de ses produits à une société qui les lui achète pour les revendre à son compte, constitue non un mandat d'intérêt commun, mais une concession de vente exclusive, à laquelle, chacune des parties peut à toute époque mettre fin librement, sous la seule réserve de ne pas agir abusivement ;

Attendu en l'espèce qu'il est constant et non discuté que la société New Holland a mis fin au contrat en respectant le délai de 12 mois prévu à l'article 2-a ;

Que le concédant n'ayant pas à se justifier, il ne saurait être fait grief à la société New Holland de ne pas avoir motivé sa décision de résiliation ;

Que cette décision de résiliation n'est pas concomitante avec les violations dénoncées par Rouby de son secteur d'exclusivité par la société SASO dès lors que le préavis a été adressé le 23 octobre 1985 alors que les premières réclamations de Rouby remontent au 23 septembre 1983 et les dernières au 8 février 1985 ;

Que la société New Holland était parfaitement libre du choix de son concessionnaire pour remplacer Rouby et il ne saurait être tiré du fait qu'elle ait choisi le concurrent de celui-ci, à savoir la société SASO, la preuve qu'en réalité il y aurait collusion frauduleuse entre celle-ci et le concédant et ce au seul motif que la société New Holland n'aurait pas eu une attitude suffisamment ferme lors des incursions de la société SASO dans le secteur exclusif de Rouby ;

Qu'il s'ensuit que, Rouby n'apportant pas la preuve d'un abus de droit, il sera débouté de sa demande en résiliation du contrat d'exclusivité aux torts et griefs de la société New Holland et le jugement sera confirmé sur ce point ;

Attendu que chacune des parties succombant partiellement devant la Cour les dépens d'appel seront partagés par moitié ;

Attendu qu'il n'existe pas de considération d'équité justifiant qu'il soit fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Donne acte à Me Guguen, ès-qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de Michel Rouby ; Rejette l'appel incident ; Accueille partiellement l'appel principal ; Réforme le jugement en ce qui concerne le montant de la créance de Michel Rouby sur la SA New Holland France ; Fixe celle-ci à la somme de 848 549,70 F ; Confirme le jugement dans toutes ses autres dispositions ; Fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront supportés par moitié entre les parties et recouvrés par les avoués en la cause, selon les modalités prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.