CA Angers, 1re ch. A, 17 mai 1994, n° 09301364
ANGERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cofotex (SARL)
Défendeur :
Catimini (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Panatard
Conseillers :
MM. Chesneau, Jutteau
Avoués :
SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier, Langlois
Avocats :
Mes Arnaud, Cornet.
Par échange de courriers des 9 et 16 janvier 1991, la SA Catimini a vendu à la SARL Cofotex 33.000 pièces de vêtements qui lui restaient sur les collections de 1989 et 1990.
La SARL Cofotex s'était engagée à revendre ces vêtements uniquement à l'exportation ainsi que dans la ville de Troyes et sa proche région.
Constatant que la SARL Cofotex revendait sans respecter la limitation contractuelle, la SA Catimini l'a assignée en référé devant le président du Tribunal de commerce d'Angers et a obtenu le 18 octobre 1991, une ordonnance faisant interdiction sous astreinte à la SARL Cofotex de revendre en dehors des zones prévues au contrat.
Cette ordonnance n'ayant pas eu d'effet malgré sa notification, la SA Catimini a assigné la SARL Cofotex le 20 mai 1992 devant le Tribunal de commerce d'Angers afin d'obtenir sa condamnation à 500.000 F de dommages et intérêts.
La SARL Cofotex lui opposait l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui prohibe les clauses restrictives de concurrence et prétendait que rien n'établissait que les produits en cause n'aient pas été revendus à des détaillants à partir de la région de Troyes, ce qui fait que la SARL Cofotex aurait respecté ses obligations contractuelles.
Le tribunal, par jugement du 19 mai 1993, a uniquement retenu que la SARL Cofotex avait la possibilité de dénoncer les termes du contrat et, constatant qu'elle ne l'avait pas fait, l'a condamnée à payer à la SA Catimini, 350.000 F de dommages et intérêts, 10.000 F " conformément à l'ordonnance du 18/10/91 " et 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL Cofotex a relevé appel de cette décision.
Elle soulève d'abord l'illicéité au regard du droit de la concurrence, du contrat conclu avec la SA Catimini pour les motifs suivants :
- il contient une clause " d'interdiction territoriale absolue " qui fait l'objet d'une prohibition d'ordre public.
- il est contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui interdit les conventions visant à limiter la concurrence.
- il contrevient, pour les mêmes raisons, aux dispositions de l'article 85-1 du traité de la CEE.
- la SA Catimini, pour justifier de la conformité aux dispositions des articles 10 et 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des clauses restrictives qu'elle a imposées à la SARL Cofotex, doit démontrer que le réseau de franchise ou de distribution sélective qu'elle a créé est lui même " licite ".
- les clauses limitant la zone d'activité des distributeurs sont contraires aux règles de la concurrence.
La SARL Cofotex fait en outre observer :
- qu'elle n'a, à aucun moment, prospecté à l'intérieur du réseau de distribution de la SA Catimini.
- que l'interdiction ne concerne que la SARL Cofotex et non les revendeurs auxquels elle a cédé la marchandise.
- que la preuve n'est pas rapportée de ce que les marchandises dont il a été constaté par huissier la mise en vente dans une zone interdite par le contrat, n'aient pas été revendues par la SARL Cofotex à partir de la région de Troyes, ce qui impliquerait que la SARL Cofotex ait respecté le contrat.
- que la preuve est même rapportée de ce que les marchandises litigieuses ont été revendues avant la prise d'effet du contrat.
- que la SA Catimini a elle-même organisé la vente sur le territoire français de ses produits de fin de série. (Il lui est répondu que ce réseau spécifique a été créé postérieurement aux faits litigieux et en raison précisément de l'attitude des soldeurs professionnels.)
Elle ajoute que soit prononcée la nullité de l'accord d'interdiction de distribution des 9 et 16 janvier 1991 et la condamnation de la SA Catimini à lui verser une indemnité de 15.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Catimini prétend démontrer que son réseau est licite en affirmant qu'il répond aux trois critères suivants :
- utilisation d'une enseigne commune et présentation uniforme des locaux,
- communication d'un savoir-faire,
- fourniture d'une assistance commerciale et technique,
(Il lui est répondu qu'elle ne produit aucun contrat signé d'un franchisé.)
Elle en déduit que les distributeurs, même s'ils ne sont pas membres du réseau et ont acquis " légalement " les marchandises, ne peuvent " désorganiser le marché par des interventions sauvages ".
Elle estime que les clauses du contrat ne sont pas contraires au droit de la concurrence en soulignant que la SARL Cofotex commercialise des produits passés de mode qui doivent, en conséquence, être écoulés par un réseau spécifique.
Elle demande que son préjudice soit évalué à 500.000 F et sollicite 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs
La SARL Cofotex a demandé, dans ses conclusions et par sommation du 9 décembre 1993, la communication des contrats de franchises de la SA Catimini.
Elle n'a obtenu que la production, d'un contrat type non signé, insuffisant pour établir la preuve de l'existence d'un réseau de franchise.
La SARL Cofotex ne peut cependant nier l'existence d'un réseau de distribution des produits Catimini constitué par des boutiques à l'enseigne Catimini réparties sur une part importante du territoire français, car ses propres courriers y font expressément référence.
Il résulte des échanges de correspondances qui constituent l'ensemble des éléments contractuels depuis l'année 1987, début des relations commerciales, que le principe des contrats conclus était exclusivement l'écoulement des invendus, des fins de séries et des articles présentant des défauts.
La SA Catimini était donc fondée à exiger que l'écoulement de ces stocks ne vienne pas compromettre l'organisation du circuit de distribution normal, peu important que ce circuit soit organisé sous forme de réseau de franchise ou de distribution exclusive.
Elle était également fondée à exiger qu'il ne vienne pas non plus compromettre l'image de marque de ses produits dont il n'est pas contesté qu'il s'agissait de produits " haut de gamme ".
Ces exigences n'avaient pour effet ni d'empêcher ni de restreindre ni de fausser le jeu de la concurrence car elles ne concernaient pas la même catégorie de produits que ceux qui étaient commercialisés par le réseau de distribution à l'enseigne Catimini.
Elles ne peuvent dont être qualifiées de pratiques anticoncurrentielles au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ni au sens du droit communautaire car elles ont uniquement pour objet d'éviter la désorganisation d'un circuit de distribution de produits liés à la mode vestimentaire et donc particulièrement vulnérable.
Le " fax " adressé le 9 janvier 1991 par la SARL Cofotex à la SA Catimini définit de manière extrêmement précise la nature des relations contractuelles : la SARL Cofotex y propose à la SA Catimini l'agrément d'un revendeur, " la poire en deux ", à Puteaux, dans lequel elle déclare avoir toute confiance.
Dans les échanges de courriers antérieurs, il était toujours rappelé que la SARL Cofotex devait veiller à ce qu'aucune pièce ne soit vendue dans les villes où se trouvait un magasin à l'enseigne Catimini.
La nature des relations contractuelles est ainsi nettement définie : la SARL Cofotex avait pour obligation, en contrepartie de tarifs liés à la nature des produits, d'assurer l'écoulement de ceux-ci dans des conditions qui préservent le réseau Catimini ;
Les limitations imposées ont toujours été négociées pour chaque contrat et de manière spécifique pour le contrat en cause étant réduites aux seuls endroits où la vente des soldes risquait de désorganiser le marché local.
Le " fax " de la SARL Cofotex du 3 juin 1991 constitue l'aveu, par celle-ci, non seulement qu'elle avait l'obligation contractuelle de surveiller les conditions de revente des produits mais aussi qu'elle avait la possibilité de faire respecter cette obligation par ses revendeurs puisqu'elle s'engageait à " faire le nécessaire pour retirer la marchandise " des points de vente qui " gênaient " la SA Catimini, en particulier la " solderie Palaf Soldes " qui disposaient de magasins à Tours, Orléans et Le Mans.
La SARL Cofotex ne peut faire état du nouveau réseau d'écoulement des invendus organisé par la SA Catimini car sa mise en place est postérieure à la rupture des relations contractuelles entre les deux sociétés et a été rendue nécessaire du fait des difficultés créées par les soldeurs professionnels auxquels la SA Catimini avait l'habitude de s'adresser et en particulier aux difficultés créées par la SARL Cofotex.
Les constats d'huissiers établissent, notamment pour les points de revente " Palaf Soldes ", que la SARL Cofotex n'a pas respecté les accords.
Elle a donc causé à la SA Catimini un préjudice dont elle doit réparation.
Le tribunal a évalué, sans explications, ce préjudice à 350.000 F.
La SA Catimini demande qu'il soit élevé à 500.000 F en faisant uniquement référence au fait que le marché litigieux se chiffrait à 1.000.000 F et que le prix de vente consenti à la SARL Cofotex était trois fois moins élevé que celui habituellement pratiqué à l'égard des franchisés.
Il faut pour évaluer ce préjudice, tenir compte des éléments suivants :
- nombre de points de vente dans lesquels il est établi que les produits de marque Catimini ont été commercialisés dans des conditions non conformes aux stipulations contractuelles.
- nature particulière des produits vendus qui ne concernent pas exactement la même clientèle que les produits de premier choix correspondant à la mode de la saison en cours.
- atteinte à l'image de la marque par la présence de ces produits réputés " haut de gamme " dans des établissements qualifiés de " solderies ".
Il ressort, en définitive, après analyse des documents versés aux débats par les parties, que le Tribunal de commerce a fait une évaluation équitable de ce préjudice.
Le jugement sera en conséquence confirmé.
Il sera cependant réformé en ce qu'il a condamné la SARL Cofotex à payer à la SA Catimini une somme de 10.000 F " au titre de l'ordonnance du 18 octobre 1991 ", condamnation dont on ne saisit pas le fondement et dont le maintien n'est pas sollicité par la SA Catimini.
Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dans les conditions qui figurent au dispositif.
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement ; Confirme le jugement entrepris en son principe et condamne la SARL Cofotex à payer à la SA Catimini la somme de 350.000 F toutes causes de préjudice confondues ; Condamne la SARL Cofotex, par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à verser une indemnité de 5.000 F à la SA Catimini. Condamne la SARL Cofotex aux dépens ; Autorise la SCP Gontier et Langlois à les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.