CA Pau, 2e ch. sect. 1, 28 juin 1994, n° 2938-94
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Anglade
Défendeur :
Dupré
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Biecher
Conseillers :
Mmes Massieu, Grenier
Avoués :
SCP Longin, Me Galinon
Avocats :
SCP Montama-Chevallier-Fillastre-Larroze, Me Claverie.
Attendu que par acte sous seing privé du 24 novembre 1989 enregistré le 2 mars 1990, Mme Anglade a donné en location-gérance à Mlle Dupré un fonds de commerce de café-bar-restaurant exploité à Luz-Saint-Sauveur, à l'enseigne " Café Mathilde ", pour une durée de 3 ans à compter du 3 janvier 1990 ;
Attendu que par lettre du 12 juin 1991, Mlle Dupré a dénoncé ce contrat pour le 31 décembre suivant, et elle a assigné Mme Anglade le 20 août 1992 devant le Tribunal de commerce de Tarbes pour obtenir restitution du dépôt de garantie de 20 000 F ;
Attendu que par jugement du 15 février 1993, Mme Anglade a été condamnée à cette restitution, le tribunal n'ayant pas retenu les causes de sa demande reconventionnelle à savoir :
- paiement de 5 295 F HT pour frais de remise en état des lieux et révision des machines après le départ de la locataire, au motif qu'il n'y avait pas eu état des lieux contradictoire,
- paiement de 18 000 F HT, représentant le coût d'une terrasse extérieure en bois installée par Mlle Dupré, au motif que cette terrasse implantée sur la voie publique et l'été seulement, ne peut être assimilée à un élément ajouté et lié à l'immeuble restant la propriété du bailleur ;
- paiement de 84 000 F pour non-respect de la clause de non rétablissement, au motif que Mme Anglade n'apportait pas la preuve de cette réinstallation,
- restitution des livres comptables, au motif que la clause relative au " contrôle comptable " était mal rédigée et devait être interprétée en faveur du locataire ;
Attendu que Mme Anglade a régulièrement relevé appel de cette décision et qu'elle a critiqué l'ensemble des motifs retenus par les premiers juges (5 juillet 1993) ;
Que le 18 octobre 1993, Mlle Dupré s'est prévalue de la nullité du contrat liant les parties en faisant valoir qu'il avait été conclu " sous condition d'obtention avant le 31 décembre 1989 de l'autorisation de concéder en gérance libre par M. le président du Tribunal de grande instance de Tarbes ", Mme Anglade n'étant pas commerçante depuis plus de 7 ans ; que l'ordonnance portant autorisation n'a été délivrée que le 20 février 1990, sans qu'elle en soit informée ; que dès lors, la location-gérance a été consentie en violation des dispositions d'ordre public de la loi du 20 mars 1956, et elle est nulle d'une nullité absolue, avec comme conséquence en application de l'article 1131 du Code civil, la nullité de toutes les obligations en découlant ;
Attendu que Mme Anglade réplique que Mlle Dupré, dûment avertie de l'absence d'autorisation au 31 décembre 1989, a " en pleine connaissance de cause, renoncé à cette condition résolutoire " ;
Qu'elle rappelle que la dispense a été sollicitée avant que le contrat ne prenne effet, ce qui rend inopérant les moyens par Mlle Dupré dont elle invoque " la turpitude " ;
Attendu que l'intimée réplique qu'il n'est pas établi qu'elle ait été informée du retard dans l'octroi de la dispense, et que le respect de la loi du 20 mars 1956 incombe au seul loueur de fonds, de sorte qu'il ne peut rien être reproché au preneur ;
Qu'elle conclut à la restitution pure et simple de la somme de 20 000 F remise en vertu d'une convention nulle, et réclame une indemnité de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Que dans ses écritures du 15 décembre 1993, elle reprend les motifs retenus par les premiers juges ;
Attendu que selon les articles 11, 4 et 5 de la loi du 20 mars 1956, est nulle la location-gérance par un bailleur ne justifiant pas des conditions d'ancienneté de l'article 4 et n'ayant pas obtenu la dérogation de l'article 5 ;
Attendu qu'en l'espèce, Mme Anglade qui exploitait le fonds litigieux depuis le 1er juillet 1983, a présenté requête aux fins de dispense le 23 novembre 1989 au président du Tribunal de grande instance de Tarbes; que cette requête a été communiquée le 30 au Parquet qui l'a visée, sans opposition le 16 février 1990; que l'ordonnance conforme à la demande est en date du 20 février 1990;
Attendu que Mlle Dupré ne se prévaut pas de la non résiliation de la condition d'obtention de cette autorisation avant le 31 décembre 1989, mais uniquement de la nullité de la convention pour défaut d'autorisation ;
Attendu que certes la loi de 1956 est d'ordre public, mais elle est destinée au premier chef, à protéger les tiers;
Qu'en l'espèce, la locataire n'ignorait pas la situation de sa bailleresseet ne s'est pas préoccupée de la condition résolutoire lors de l'entrée dans les lieux ;
Qu'au contraire, elle a exécuté le contrat et s'en est prévalu tout au long de la procédure qu'elle a elle-même engagée le 20 août 1992 pour ne s'aviser que le 18 octobre 1993 en cause d'appel que la nullité du bail pourrait être invoquée;
Attendu que le retard d'obtention de l'autorisation apparaît imputable au Parquet ; que cependant le président a rendu une ordonnance conforme à la requête et aux réquisitions du Parquet;
Attendu enfin, qu'aucun tiers n'a été lésé par la gérance litigieuse;
Attendu que dans un tel concours de circonstances indépendantes de la volonté des parties et surtout de la bailleresse, la locataire n'est pas fondée à invoquer à son seul profit la nullité de la convention;
Attendu qu'il convient au contraire de faire application de celle-ci aux relations des parties et d'examiner les diverses réclamations ;
Les frais de remise en état des lieux :
Attendu que Mme Anglade fonde cette demande sur l'article 1731 du Code civil qui fait obligation au preneur de restituer les lieux loués en bon état d'entretien ;
Qu'elle la justifie au moyen de sa lettre adressée le 21 décembre 1992 à Mlle Dupré pour lui rappeler cette obligation et dresser la liste des travaux à réaliser, et de la liste des " dépenses effectuées " pour 5 295 F ;
Attendu que Mlle Dupré réplique que l'appelante " ne produit en cause d'appel aucun élément de nature à modifier les constatations effectuées pas les premiers juges (15-12-93) ;
Et attendu en effet que Mme Anglade qui ne produit aucun document permettant d'apprécier l'état des lieux lors du départ de la locataire, et justifiant les dépenses alléguées, doit être déboutée de sa demande ;
La demande afférente à une terrasse :
Attendu que l'article 6 du contrat stipule que " tous travaux, améliorations, embellissements de toute nature, aménagement et installations nouvelles qui pourraient être apportés aux lieux loués " resteront propriété du bailleur sans indemnité ;
Que Mme Anglade produit un devis de 1988 ;
Attendu que Mlle Dupré a repris les motifs des premiers juges ;
Attendu qu'il est constant que la terrasse litigieuse était implantée sur le domaine public ; qu'elle ne peut donc être assimilée à un embellissement ou aménagement des lieux loués proprement dits, de sorte que la bailleresse doit être déboutée de sa demande ;
La clause de non réinstallation :
Attendu que Mme Anglade fait grief à Mlle Dupré de s'être réinstallée " avec son concubin Serge Balet, de l'autre côté de la place St Clément à Luz, et après avoir créé un fonds de café bar restaurant d'y avoir transféré la clientèle ", alors que le contrat lui faisait interdiction de se réinstaller directement ou indirectement dans un rayon de 10 kms pendant 2 ans ;
Attendu que Mlle Dupré a répliqué qu'il n'est pas démontré qu'elle ait un quelconque intérêt dans l'affaire de M. Balet et elle fait valoir que le commerce litigieux, une " bodega, parfaitement spécifique " ne peut concurrencer une activité de restaurant ;
Or, attendu que Mme Anglade verse aux débats :
- un procès verbal de séance du conseil municipal de Luz en date du 16 mai 1991 faisant part du projet de " M. Serge Balet et Mlle Laurence Dupré " d'installer une " bodega (auberge espagnole) " place St Clément,
- un extrait K bis du registre du commerce portant l'immatriculation au 10 février 1992 par M. Balet d'une activité de " restaurant " à l'enseigne " Tasca bodega ", place St Clément à Luz à compter du 15 janvier 1992,
- trois attestations établissant que M. Balet et Mlle Dupré ont travaillé ensemble au café Mathilde puis à la Tasca bodega (Cazaux, Mathis, Ilhero) ;
Attendu que Mlle Dupré qui a mis fin au contrat le 31 décembre 1991 ne pouvait se réinstaller avant le 31 décembre 1993 ;
Qu'il est avéré qu'elle s'est indirectement réinstallée à quelques mètres des lieux loués à partir du 15 janvier 1992, pour une activité similaire ;
Attendu que Mme Anglade est donc fondée à lui demander réparation pour ce manquement à une obligation contractuelle ;
Que la somme demandée égale au montant de la redevance contractuelle pendant la durée de l'interdiction, doit être accordée à hauteur de 3 500 F x 24 = 84 000 F HT ;
La restitution des livres comptables :
Attendu que Mme Anglade soutient que la clause relative à cette restitution est sans ambiguïté et doit être exécutée par Mlle Dupré ; qu'elle demande à la Cour de " constater que Mlle Dupré n'a pas restitué les documents comptables liés à sa gestion du fonds ", mais elle n'en demande plus la restitution ;
Attendu que Mlle Dupré n'a pas répondu à ce chef de demande ;
Attendu que la clause litigieuse est ainsi rédigée " En fin de gérance, le preneur s'engage à restituer les livres comptables au bailleur " ; qu'elle n'est guère explicite, et Mme Anglade n'apporte aucune précision quant à la nature des " documents " qu'elle revendique ;
Que la Cour, comme le tribunal, rejettera la demande, faute d'objet précis ;
La restitution du dépôt de garantie :
Attendu que le dépôt de garantie de 20 000 F dû à Mlle Dupré viendra en compensation de l'indemnité de 84 000 F due par la locataire ;
Les demandes accessoires :
Attendu que chaque partie succombant partiellement en ses prétentions, il n'y a lieu ni à dommages-intérêts pour procédures abusives, ni à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement rendu le 15 février 1993 par le Tribunal de commerce de Tarbes en toutes ses dispositions à l'exception de celle relative à la clause de non réinstallation, Statuant à nouveau sur ce point, Condamne Mlle Dupré à payer à Mme Anglade une indemnité de 84 000 F, Ajoutant, Déboute les parties de leurs demandes en dommages-intérêts supplémentaires et en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Fait masse des dépens et les met pour moitié à la charge de chacune des parties.