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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. civ., 9 septembre 1994, n° 91-16835

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Delrieu, Via Sabatiri (SARL), Mariotti (ès qual.)

Défendeur :

San Marina (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bihl

Conseillers :

Mme Hubac, M. Astier

Avoués :

SCP Aube-Martin - Bottai & Gereux, Me Magnan

Avocats :

Me Benelli, Me Honnorat, Me Gast.

T. com. Versailles, du 5 sept. 1991

5 septembre 1991

LA COUR,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel interjeté par la Sté Via Sabatiri et M. André Delrieu à l'encontre d'un jugement sur le fond rendu le 5 septembre 1991 par le Tribunal de commerce de Marseille dont le dispositif est le suivant :

" Condamne solidairement la SARL Via Sabatiri et M. André Delrieu, à payer à la SA San Marina la somme de 300 000 F (trois cent mille francs) en principal avec intérêts au taux légal à compter du jour de l'enregistrement du contrat de prêt ; outre la somme de 10 000 F (dix mille francs) à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F (cinq mille francs) au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Déboute la SARL Via Sabatiri et M. André Delrieu, des fins de leur demande reconventionnelle ;

Condamne la SARL Via Sabatiri et M. André Delrieu aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance ;

Ordonne l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement, excepté toutefois en ce qui concerne les condamnations prononcées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et au titre des dépens ;

Rejette pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement " ;

Se référant expressément pour la relation détaillée des faits et de la procédure antérieure à la décision entreprise et pour l'énoncé complet des demandes et moyens des parties aux écritures qu'elles ont échangées en cause d'appel ;

Attendu qu'il convient cependant, pour résumer le litige, de rappeler ce qui suit :

Un contrat de franchise a été signé en septembre 1988 entre la Sté San Marina, franchiseur, et la SARL Via Sabatiri gérée par M. André Delrieu.

Pendant deux ans, ce contrat s'est exécuté sans difficulté notable.

Fin 1989, la SARL Via Sabatiri a connu des difficultés de paiement, la Sté San Marina lui a alors repris une partie de son stock et accordé un prêt de 300 000 F par contrat du 26 février 1990.

Le prêt épongeait les difficultés de paiement de la société franchisée, il a été cautionné par M. Delrieu.

Par lettre du 18 avril 1990, la SARL Via Sabatiri a dénoncé le contrat de franchise, non daté, comme étant nul et non avenu et a reproché à la Sté San Marina une attitude anti-commerciale.

Cette dernière a assigné la SARL Via Sabatiri et M. Delrieu devant le tribunal de commerce de Marseille qui a pris la décision rappelée ci-dessus.

A l'appui de leurs recours, les appelants exposent que :

- l'engagement de caution de M. Delrieu est nul car il a été pris sous la pression du prêteur, il est en outre incomplet et non conforme aux articles 1326 et 2015 du Code civil,

- la dette s'élève à 285 000 F, le premier versement ayant été effectué,

- le contrat de franchise est nul, car :

* le franchiseur n'a pas rempli ses obligations, ainsi il n'a pas communiqué son savoir-faire, il n'a fourni ni formation ni assistance,

* l'objet du contrat est indéterminé notamment en ce qui concerne la chose et le prix,

- la Sté San Marina n'a pas subi de préjudice,

- le franchisé a subi des préjudices du fait des travaux d'aménagement, des pertes d'exploitation, de la rupture de stock et de la mauvaise foi de la Sté San Marina.

Ils demandent en conséquence :

- l'infirmation du jugement entrepris,

- l'annulation de l'engagement de caution,

- subsidiairement la réduction de la dette à la somme de 285 000 F,

- l'annulation du contrat de franchise,

- la condamnation de la Sté San Marina à leur payer :

* 71 160 F au titre de ce contrat,

* 174 527,90 F au titre des aménagements,

* 200 000 F de pertes d'exploitation,

* 200 000 F pour le préjudice à l'image de marque,

* 100 000 F à titre de dommages-intérêts,

* 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Sté San Marina demande en ce qui la concerne :

- la confirmation du jugement dans son principe,

- la condamnation des appelants à lui payer les sommes de :

* 285 000 F avec intérêts au taux contractuel de 12 % à compter du 26 février 1990,

* 100 000 F de dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat et concurrence déloyale,

* 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Après avoir soutenu que :

- la Sté Via Sabatiri a violé le contrat de franchise en ne payant pas les marchandises, en rompant abusivement ce contrat et en violant la clause d'exclusivité,

- l'engagement de caution de M. Delrieu est valable,

- le contrat de franchise n'est pas nul car le savoir-faire existe, la formation et l'assistance ont été offertes, la chose et le prix sont déterminés ou déterminables,

- les appelants sont seuls responsables de leur mauvaise gestion, leurs préjudices ne sont ni justifiés ni fondés.

Les appelants ont répliqué que la demande de dommages-intérêts supplémentaires de la Sté San Marina était nouvelle en cause d'appel et complété leur argumentation sur la nullité du contrat de franchise qui, en l'espèce, s'assimile à un contrat d'approvisionnement exclusif, et qui est lié au contrat de prêt.

Maître Mariotti est intervenu volontairement ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sté Via Sabatiri pour régulariser la procédure et reprendre à son compte les écritures de cette société.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 1994.

Sur ce,

Attendu que la régularité formelle de l'appel n'est pas discutée et que rien au dossier ne permet à la cour de le déclarer irrecevable d'office ;

Sur le contrat de franchise

Attendu que ce contrat prévoit qu'il prend effet au plus tard le 30 septembre 1988, qu'il est donc daté ;

Attendu que l'objet de la franchise est définie au deuxième paragraphe : commercialisation des gammes de chaussures et accessoires de marque San Marina ;

Attendu que le savoir-faire que doit apporter le franchiseur existe et s'identifie avec un concept tant de fabrication que de commercialisation ; qu'il est en outre matérialisé par un manuel opératoire qui existait déjà fin 1984 et qui n'a donc pas été établi pour les besoins de la cause ;

Attendu que les appelants ne contestent pas avoir reçu l'assistance et les conseils de la Sté San Marina pour l'aménagement du magasin et pour sa campagne publicitaire de lancement ;

Attendu que la formation est offerte par le contrat et que force est de constater que les appelants n'ont pas demandé à en bénéficier, estimant fort valablement que leur expérience commerciale rendait cette formation inutile pour vendre des chaussures ;

Attendu que l'assistance du franchiseur a également été offerte et a été fournie notamment en ce qui concerne la mise à disposition d'un système informatique, la communication des gammes de prix conseillés, la fourniture des modèles graphiques de la marque et les visites d'étalagistes ;

Attendu que les choses vendues et leur prix étaient déterminés et déterminables par la diffusion de catalogues au début de chaque saison que les appelants avaient la possibilité de discuter, le contrat de franchise comportant une clause d'approvisionnement exclusif qui est donc parfaitement licite en l'espèce;

Attendu qu'aucun des motifs avancés par les appelants pour demander l'annulation du contrat de franchise ne résiste à l'analyse, qu'ils seront donc déboutés de cette demande ;

Sur le contrat de prêt

Attendu que ce contrat est lié au contrat de franchise ; qu'il entre, au même titre que la reprise d'une partie du stock, dans les devoirs d'assistance du franchiseur ; qu'il est donc parfaitement régulier tout comme le contrat qui lui sert de cause ;

Sur le cautionnement

Attendu que M. Delrieu s'est porté caution de la Sté Via Sabatiri dont il était le gérant dans l'acte de prêt ; que son engagement, auquel il avait un intérêt évident, est de nature commercial ; qu'il était parfaitement informé de la portée et de l'étendue de son engagement à savoir : emprunt de 300 000 F, intérêts de 12 %, mensualités de 15 000 F à compter du 20 mars 1990 ; qu'il est d'une parfaite mauvaise foi quand il prétend avoir ignoré ces engagements qui figurent en tête de l'acte du 26 février 1990 ;

Attendu qu'un cautionnement, sans lequel le prêt ne serait pas accordé, est parfaitement toujours donné sous une certaine pression économique ; que M. Delrieu ne peut dès lors utiliser cette circonstance, qui est le lot commun des cautions, pour voir déclarer nul son engagement ;

Attendu que l'acte de caution suscité est donc parfaitement régulier ;

Attendu qu'il ressort des discussions qui précèdent qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise en son principe, sauf à fixer la dette des appelants à la somme de 285 000 F comme demandé par les parties augmentée des intérêts conventionnels à compter du 20 avril 1990 date du 1er impayé ; jusqu'au 20 janvier 1992 date d'échéance du prêt et des intérêts légaux ensuite, à défaut de clause contractuelle ;

Sur la résiliation du contrat de franchise

Attendu que celui-ci a été résilié unilatéralement et brutalement par le franchisé par lettre du 18 avril 1990 ;

Attendu que cette lettre n'a pas été précédée d'une mise en demeure invitant le franchiseur à exécuter ses obligations ; que bien plus, elle a été adressée alors que le franchisé venait d'obtenir une reprise de la moitié de son stock et un prêt à un taux d'intérêt des plus raisonnables ;

Attendu que les motifs avancés dans le courrier suscité ne sont pas établis de façon certaine, le franchisé se plaignant tant de livraisons pléthoriques et ensuite de livraisons insuffisantes sans établir que toutes les livraisons n'aient pas correspondu strictement à ses commandes et en quantité et qualité ;

Attendu qu'il soutient factures à l'appui, qu'après l'octroi du prêt, le franchiseur a exigé un paiement comptant ;

Attendu que cette affirmation est inexacte, l'examen des factures émises en mars 1990 permettant de constater que le paiement intitulé " contre-remboursement " est en fait prévu par traite à 30 jours comme stipulé à l'article 9-2° du contrat de franchise ; que le franchiseur, qui pouvait d'ailleurs selon le même article modifier sans préavis les conditions de paiement, a strictement appliqué le contrat de franchise, la Sté s'étant révélée un mauvais payeur ;

Attendu que la lettre du 18 avril 1990 apparaît plutôt motivée par le désir du franchisé et de M. Delrieu d'échapper à leurs engagements, comme ils le proposent expressément à la fin de celle-ci ;

Sur le préjudice de San Marina

Attendu que cette société a demandé et obtenu des dommages-intérêts en première instance, que sa demande d'augmentation de ceux-ci en cause d'appel est donc recevable, puisqu'elle soutient que son préjudice s'est accru en cours d'instance ;

Attendu qu'il est certain que la résiliation unilatérale et injustifiée du contrat de franchise par les appelants qui n'ont pu établir la réalité des griefs allégués dans la lettre du 18 avril 1990 a causé à la Sté San Marina un préjudice commercial que les premiers juges ont équitablement réparé ;

Attendu que cette société soutient en outre que les appelants lui ont fait de la concurrence déloyale et ont porté atteinte à son image de marque ;

Mais attendu que le contrat de franchise étant résilié à compter du 18 avril 1990 aux torts exclusifs du franchisé qui a été condamné à des dommages-intérêts pour cela, il était parfaitement libre de s'adresser à la concurrence après cette date ; que la demande de dommages-intérêts supplémentaires de la Sté San Marina, qui n'établit d'ailleurs pas la réalité de son préjudice commercial sera en conséquence rejetée ;

Attendu que Me Mariotti, ès qualités ne soutient pas que les créances de la Sté San Marina soient non déclarées et éteintes ;

Attendu que les demandes de dommages-intérêts des appelants n'est ni motivée, ni justifiée, vu la décision prise ; qu'ils en seront donc déboutés ;

Attendu qu'aucune considération d'équité ou tirée de la situation économique des parties ne permet de faire application en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; l'équitable décision du premier juge à ce titre devant par contre être confirmée ;

Attendu que les appelants, qui succombent, doivent être condamnés solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP Aube-Martin - Bottai & Gereux, qui devra justifier en avoir fait l'avance sans avoir reçu provision, les dépens de la charge de la Sté Via Sabatiri devant être inscrits en frais privilégiés de sa liquidation judiciaire ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort; Reçoit en la forme l'appel de la Sté Via Sabatiri et de M. André Delrieu, et y faisant droit uniquement sur le montant et la fixation de la dette; Reçoit l'intervention volontaire de Me Mariotti, et vu les articles 47 et suivants de la loi du 25 janvier 1985, Fixe la créance de la Sté San Marina sur la Sté Via Sabatiri aux sommes de : - 285 000 F (deux cent quatre vingt cinq mille francs) augmentée des intérêts conventionnels à compter du 20 avril 1990 jusqu'au 20 janvier 1992 et des intérêts légaux ensuite ; - 10 000 F (dix mille francs) à titre de dommages-intérêts ; - 5 000 F (cinq mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne M. André Delrieu à payer les mêmes sommes à la Sté San Marina; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel ; Vu les articles 696 et 699 du nouveau Code de procédure civile, condamne solidairement les appelants aux dépens, ceux d'appel recouvrés par la SCP Aube-Martin - Bottai & Gereux, Avoués. Rejette toute demande des parties contraires à la présente décision.