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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 12 septembre 1994, n° 5236-92

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Arban Grosfillex (SARL)

Défendeur :

Loustalot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foulon

Conseillers :

MM. Lebreuil, Milhet

Avoués :

SCP Sorel-Dessart, SCP Nidecker-Prieu

Avocats :

SCP Piot-Vincendon, SCP Faugère

T. com. Toulouse, du 8 oct. 1992

8 octobre 1992

Le 19 novembre 1986, la société Arban Grosfilex a conclu avec Jean-Louis Loustalot un contrat d'agent commercial visant à la représentation sur le secteur Sud-Ouest des productions de menuiseries et fermetures destinées au bâtiment fabriquée par ladite société.

Le 29 août 1991, la société Arban Grosfilex décidait de mettre fin au contrat en cours à l'échéance annuelle du 30 novembre 1991.

Le 18 février 1992, J-L. Loustalot assignait la société Arban devant le Tribunal de commerce de Toulouse et réclamait la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 3 975 591 F représentant tant le solde de commissions impayées que le montant des indemnités dues au titre de la résiliation du contrat.

Par jugement en date du 8 octobre 1992 le tribunal de commerce disait que le contrat avait été rompu et la responsabilité de cette rupture incombait à la société Arban, une expertise était ordonnée aux fins de fixation des sommes dues à l'agent commercial.

PRETENTIONS ET MOYENS DE L'APPELANT

Comme elle l'a fait en première instance, la société Arban Grosfilex soutient :

1°/ que le contrat était renouvelé d'année en année et qu'il est venu normalement à expiration le 30 novembre 1991.

2°/ que le non renouvellement de ce contrat ne peut être qualifié de rupture.

3°/ qu'un préavis de trois mois a bien été accordé à l'intimé.

4°/ qu'il n'y a eu aucun abus de droit dès lors que la société n'a fait que constater le désaccord des parties sur la rémunération de son cocontractant.

5°/ que le contrat était régi par le décret du 23 décembre 1958 et non par la loi du 25 juin 1991.

6°/ que J-L. Loustalot n'a subi aucun préjudice du fait de la société, et qu'il a en réalité utilisé des renseignements commerciaux confidentiels de la société Arban.

7°/ que ces manœuvres déloyales justifient l'octroi d'une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ou la désignation d'un expert aux fins d'apprécier le préjudice ainsi causé.

8°/ que l'intimé devra être débouté de l'ensemble de ces demandes concernant l'application de la clause de ducroire et le solde de commission.

La société appelante demande enfin que soit déclaré satisfactoire le règlement qu'elle a effectué à hauteur de 241 698 F et que J-L Loustalot soit condamné à lui rembourser un trop perçu de 10 674 F et qu'il soit dit qu'il a accepté l'arrêté de compte proposé par la société en retirant sa demande devant le juge des référés.

La société Arban réclame enfin 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

PRETENTIONS ET MOYENS DE L'INTIME

J. Louis Loustalot qui soutient qu'il y a bien eu rupture du contrat et non le simple non renouvellement de celui-ci admet que seul le décret du 23 décembre 1958 est applicable au présent litige et estime subsidiairement que la cour doit faire usage de la directive européenne et indemniser ainsi de son entier préjudice l'agent commercial privé de la poursuite de son contrat à durée déterminée.

Il réclame sur ce point une expertise aux fins de fixation du montant exact du préjudice qu'il a subi du fait de cette rupture ainsi qu'une provision de un million de francs.

En ce qui concerne le montant des commissions dues, il sollicite la confirmation de la décision en ce qu'elle a ordonné une mesure d'instruction à cette fin et également pour rechercher si les commandes pouvaient donner lieu à application de la clause annexe permettant un commissionnement de l'agent commercial sur la moitié de la somme représentée entre le tarif facturation et le tarif client, lorsque le tarif facturation est supérieur au tarif client.

Il demande la réformation de la décision en ce qui concerne l'application de la clause ducroire en soutenant qu'elle n'a pas à s'appliquer aux deux affaires litigieuses (Cadralu et Socreha).

Enfin il sollicite 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur quoi, LA COUR,

Sur la renonciation de J-L. Loustalot à ses demandes (commissions) :

Attendu que J. Louis Loustalot a poursuivi, en même temps, par la même assignation, deux procédures - en référé et en fond - ayant le même objet ;

Que l'abandon de la procédure de référé qui avait notamment pour objet d'obtenir rapidement le versement d'une provision, ne peut, à l'évidence, être analysée comme une renonciation aux demandes qu'elle visait ;

Sur la nature du contrat :

Attendu que les parties s'accordent pour considérer que leurs relations étaient régies, au moment de la cessation de celles-ci par le décret du 23 décembre 1958 ;

Attendu que selon ledit décret, les parties contractantes peuvent conclure un contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée ;

Or attendu en l'espèce que J-L. Loustalot a exercé son activité d'agent commercial pour le compte de la société Grosfilex sans interruption du 19 novembre 1986 au 30 novembre 1991 ;

Que le renouvellement régulier de ce contrat, comme sa durée de cinq années, confèrent à ces relations un caractère indéterminé ;

Que c'est donc à bon droit, que les premiers juges ont satisfait sur ce point à la demande de J. Louis Loustalot et ont considéré que la rupture du contrat pour laquelle aucun motif réel et sérieux n'était allégué était imputable à la seule société Grosfilex, laquelle devait indemniser son cocontractant du préjudice qu'il avait ainsi subi,

Sur les commissions :

Attendu qu'il est de principe que l'agent commercial a droit, au moment de la cessation des relations contractuelles, au paiement de toutes les commissions nées de son activité avant la cessation du contrat ;

Or attendu que les parties sont en désaccord pour l'année 1991 tant sur la réalité des opérations conclues dans de telles conditions, que sur leur mode de calcul en ce qui concerne l'application de l'avenant du 2 mars 1987 lequel prévoit que pour " toutes les affaires traitées au-dessus du prix " devis au tarif client " l'agent commercial sera commissionné en plus sur 50 % de la différence " ;

Qu'il convient de relever que l'intimé prétend, sans apporter de précisions, qu'il lui serait dû 1 267 369 F, alors que la société appelante estime ne devoir que 620 625 F moins les commissions afférentes à deux impayés, soit 241 698 F ;

Que dans ces conditions il apparaît nécessaire de mettre en œuvre une mesure d'instruction aux fins de déterminer les commissions dues par la société Grosfilex pour la période de novembre 1990 à novembre 1991 ;

Sur la clause de ducroire :

Attendu queselon le contrat liant les parties - article 10 - J-L. Loustalot s'engage à ne pas prendre de commandes auprès de clients notoirement insolvables ;

Que l'article 11 du même contrat qui précise qu'une régularisation sera opérée sur les impayés, J-L. Loustalot étant en outre ducroire, ne peut se comprendre qu'au regard des dispositions de l'article 10 susvisé ;

Que les impayés sont donc ceux visés par la convention de ducroire ;

Attendu qu'en l'espèce, cette convention vise deux sociétés qui n'ont pas honoré leurs engagements : la société Cadralu et la société Socreha.

Que pour ces deux clients, la société appelante se borne à constater l'existence d'impayés, mais sans offrir d'établir que la condition prévue à l'article 10 du contrat - état d'insolvabilité notoire - était réalisé ;

Que dès lors il convient de constater que la clause litigieuse ne peut s'appliquer et que l'intimé peut prétendre au paiement des commissions afférentes à ces deux clients soit 378 927 F ;

Sur la demande de provision :

Attendu qu'il n'y a pas lieu, en l'état de la procédure, de faire droit à cette demande ;

Sur la réclamation au titre de la concurrence déloyale :

Attendu que selon le contrat, aucune clause de non-concurrence ne liait les parties dans le cas où la rupture serait imputable à la société ;

Que pour réclamer des dommages-intérêts au titre d'agissements fautifs de son ex agent commercial - et ce d'ailleurs pour la première fois en cause d'appel - la société appelante ne fournit aucune élément pour justifier du bien fondé de sa demande ;

Qu'elle sera donc déboutée de cette réclamation ;

Sur l'article 700 du NCPC :

Attendu qu'il convient de surseoir à statuer sur les demandes des parties à ce titre ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la rupture du contrat était imputable à la société Arban Grosfilex. L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau : Condamne la société Arban Grosfilex à payer à J. Louis Loustalot la somme de 378 927 F (trois cent soixante dix huit mille neuf cent vingt sept francs) au titre des commissions dues sur les clients Cadralu et Socreha. Déboute la société Arban Grosfilex de sa demande au titre de la concurrence déloyale, Déboute J. Louis Loustalot de sa demande de provision, Et sursoit à statuer sur les demandes au titre de l'article 700 du NCPC, Ordonne une expertise aux fins de déterminer le montant des commissions dues contractuellement à J. Louis Loustalot au titre de la période de novembre 1990 à novembre 1991 et aux fins de rechercher si ce dernier pouvait prétendre, pour cette même période, à la commission supplémentaire prévue par l'avenant du 2 mars 1987. Désigne en qualité d'expert Pierre Subra, 20 avenue de Lattre de Tassigny à Muret 31600, Dit que J-L. Loustalot versera au régisseur d'avances de la Cour d'appel une somme de 5 000 F (cinq mille francs) à valoir sur la rémunération de l'expert et ce avant le 12 novembre 1994. Rappelle qu'en cas de non versement de la consignation à la date susvisée, la désignation sera caduque et que l'affaire reviendra à la conférence de mise en état du 25 novembre 1995. Dit que l'expert déposera son rapport écrit avant le 15 mars 1995 et adressera une copie à chacune des parties (y compris la demande de rémunération). Réserve les dépens.