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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 15 septembre 1994, n° 92-17858

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mondial Chauffage (SA)

Défendeur :

Barach (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

MM. Bouche, Le Fèvre

Avoués :

Me Blin, SCP Taze Bernard Belfayol Broquet

Avocats :

Mes Garnier, Briand.

T. com. Corbeil-Essonnes, 3e ch., du 1er…

1 juillet 1992

Le 10 février 1989 la société Mondial Chauffage a conclu pour cinq années avec l'EURL Barach un contrat de franchise lui concédant l'usage exclusif dans une partie du Morbihan de l'enseigne " Mondial Chauffage " moyennant une redevance initiale forfaitaire de 110 000 F hors taxes. Cet investissement a été financé à l'aide d'un emprunt de 130 000 F souscrit par le nouveau franchisé auprès de la société d'Etudes et de Crédit (SEC),

Saisi sur assignation en nullité du contrat de franchise délivrée le 8 octobre 1991 à la requête de l'EURL Barach sur les fondements de l'absence de cause et de l'indétermination du prix des marchandises achetées par le franchisé en exécution d'une clause d'approvisionnement exclusif, le Tribunal de commerce de Corbeil Essonne, par jugement contradictoire du 1er juillet 1992, sans se prononcer expressément sur la nullité ou la résiliation, a imputé au franchiseur une carence globale dans le respect de ses obligations et la faute que constituait l'indétermination des prix, et, faisant entièrement droit aux demandes, a en conséquence condamné la société Mondial Chauffage à payer à l'EURL Barach les sommes de :

- 130 000 F correspondant au remboursement du prêt, augmentée des intérêts de droit à compter du 8 octobre 1991,

- 45 000 F de dommages intérêts et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Mondial Chauffage est appelante de cette décision assortie de l'exécution provisoire dont la suspension lui a été refusée par ordonnance du 12 octobre 1992 ;

La société Mondial Chauffage ci-après MC souligne en premier lieu la notoriété de sa marque, la qualité de ses services et l'importance de son réseau de franchisés.

Attribuant la concession négociée de sa collaboration avec M. Barach à l'incapacité du franchisé à faire face à ses obligations contractuelles, l'appelante conclut à l'infirmation totale du jugement critiqué et à la condamnation de l'EURL Barach à lui verser 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle procède à une analyse des services proposés et effectivement rendus : marque, signes distinctifs, communication d'un véritable savoir-faire, assistance technique et commerciale du franchisé. Elle conteste que les prix des articles aient été un élément susceptible d'influer sur la régularité d'un contrat se caractérisant essentiellement pour ce qui la concerne par une obligation de faire et non par des livraisons de marchandises dont elle n'est pas elle-même le fabricant.

Elle réplique aux écritures de l'intimée, la société Mondial Chauffage se prévaut d'arrêts de la Cour d'appel qui ont réformé des jugements dont son contradicteur n'est de ce fait plus fondé à se prévaloir. Elle reprend l'analyse de chacun des éléments offerts par elle à son franchisé ;

L'EURL Barach conclut au contraire à l'entière confirmation du jugement déféré et demande 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle met en doute la notoriété de la marque et procède à une critique systématique des carences du franchiseur dans chacune de ses obligations, notamment en matière de localisation et de conception du magasin, de recrutement du personnel, de techniques commerciales et de formation de ses nouveaux collaborateurs.

Elle maintient son moyen de nullité du contrat tiré de l'indétermination des prix. Enfin par d'ultimes conclusions du 18 mars 1994 elle observe qu'elle n'a pas encore obtenu la preuve du dépôt et de la cession alléguées de la marque, malgré ses sommations de communiquer.

MOTIFS DE LA COUR :

Sur la franchise et sa cause :

Considérant que l'EURL Barach conteste la " qualité " de la franchise sans reprocher pour autant au franchiseur une carence dans son obligation d'information précontractuelle ;

Concession d'une marque :

Considérant que la marque " Mondial Chauffage " a été enregistrée à l'INPI le 22 septembre 1987 par la société EGL et cédée par celle-ci à la société Mondial Chauffage le 11 avril 1988 comme en font foi l'acte de dépôt et l'acte de cession enregistré par l'INPI selon attestation du 15 février 1989 ;

Que le 10 février 1989, la société Mondial Chauffage a concédé l'usage de cette marque à l'EURL Barach, qui a déclaré en préambule du contrat de franchise en connaître l'impact sur la clientèle potentielle ;

Considérant que pour assurer et développer la renommée de sa marque et de ses signes distinctifs, le franchiseur a engagé dès son acquisition des dépenses publicitaires s'élevant à 1 281 432 F pour la seule année 1988; que plusieurs revues datées de 1988-1989 et versées aux débats en font foi ; que s'y ajoutent des opérations promotionnelles et la tenue de stands au Salon du bricolage et à la Foire de Paris ;

Considérant qu'à tort le tribunal a fait grief au franchiseur de n'être titulaire de la marque que depuis avril 1988 et de ne pas pouvoir en conséquence se prévaloir d'un quelconque prestige commercial lorsqu'il a conclu huit mois plus tard le contrat de franchise litigieux; que les associés de la société Mondial Chauffage cessionnaire de la marque était en effet eux-mêmes associés de la société ECL cédante ; que la marque était effectivement exploitée antérieurement à sa cession; que la faible ancienneté de son dépôt ne saurait suffire à interdire à son titulaire toute diffusion par le canal de la franchise;

Transmission du savoir-faire :

Considérant qu'aux termes de l'article 5 du contrat, la société Mondial Chauffage s'engage :

- à porter " à la connaissance du franchisé les normes caractéristiques des magasins franchisés de la chaîne Mondial Chauffage et ce notamment dans les domaines suivants : la localisation et la conception du magasin, le recrutement, les techniques commerciales "

- à " donner aux franchisés toutes explications nécessaires sur l'ensemble des connaissances techniques et commerciales qui composent le modèle original d'exploitation Mondial Chauffage et ce par tout moyen approprié " ;

- à " consacrer la période qui suit immédiatement la signature du présent contrat à la formation du franchisé " ;

Considérant que la transmission d'un savoir-faire a été matérialisée par la remise courant mars 1989, comme en font foi plusieurs bordereaux signés par M. Barach, de six classeurs dont des exemplaires sont versés aux débats : manuels d'instruction, livres des normes, guide de financement, guide des achats, catalogue des produits, tarif de vente ; que le franchiseur a mis au point aussi une méthode de " télénégociation " et des techniques de vente spécifiques exposées dans ses manuels ;

Que la société Mondial Chauffage a défini de façon précise les communes d'exercice de la franchise et le nombre des habitants concernés ; qu'afin de préparer l'ouverture du magasin à Belz, elle lui a remis un bilan, de la papeterie et des tracts ainsi qu'un stock de dépliants publicitaires et l'a inscrit sur le Minitel ;

Qu'en outre un programme précis de stages de formation a été proposé à M. Barach, au titre de l'assistance au franchisé ; que le savoir-faire qui devait être ainsi transmis, était le fruit d'une expérience déjà acquise par les animateurs de la société Mondial Chauffage au sein des sociétés France Chauffage et ECL ; qu'il apparaît de l'ensemble des documents produits que compte tenu de la notoriété rapidement acquise de la marque, " des exigences de la clientèle, de la concurrence " intermarques " et des méthodes de vente propices à chaque produit et à chaque service, ce savoir-faire n'était pas directement accessible même à un professionnel de cette branche d'activité, et revêtait un caractère original et spécifique.

Assistance technique et commerciale :

Considérant que seuls sont communiqués les documents relatifs aux stages et aux réunions nationales et régionales expressément proposés à l'entreprise Barach comme à tous les franchisés en 1989 et 1990 ; que ceux-ci concernaient des domaines variés de la franchise et étaient a priori susceptibles d'apporter au nouveau franchisé des techniques commerciales et administratives utiles au succès de son entreprise : 3 jours en mai 1989 de stage d'intégration, autant en juin, juillet, septembre etc... ; des stages " technique commerciale " ; une réunion nationale d'une journée en juillet ; à partir d'octobre 1989, des stages de secrétaire, de financement et fiscalité, d'animation de point de vente, de gestion informatique, et, plus axés sur les matériels vendus, de condensation, de brûleurs, de bioénergie, de condensation, des visites d'usines etc... ; le tout avec ce rappel : " Aucun de nos stages n'est facturé " ;

Considérant que M. Barach a effectivement participé au stage de vente mis en place du 27 février au 1er mars 1989 puis irrégulièrement, à d'autres stages, réunions, visites, comme en font foi les listes de présence produites ; qu'aucun grief sérieux ne peut être fait à la société Mondial Chauffage en ce domaine de la formation ;

Qu'au contraire, c'est l'EURL Barach qui, dans un courrier du 17 novembre 1990, a écrit au franchiseur " la société EURL Barach n'est pas adaptée à votre système de franchise, et vous acceptez donc notre retrait de votre groupement " ;

Considérant qu'au titre de l'assistance commerciale, l'intimée ne peut pas plus sérieusement soutenir que le franchiseur l'aurait abandonnée ; qu'en effet, des opérations " portes ouvertes " ont été organisées pour l'ensemble des 95 franchisés et l'EURL Barach en a bénéficié en octobre 1989, soutenue à cette occasion par une publicité importante dans les journaux régionaux ;

Considérant en conséquence que l'intimée n'est pas fondée à prétendre que le réseau de franchise auquel elle a adhéré, ne pouvait servir de cause à ses engagements ; qu'elle a pris l'initiative d'en sortir pour des motifs personnels auxquels sa lettre du 17 avril 1990 fait allusion et qui ne reposent pas sur des griefs imputables à la société Mondial Chauffage ; qu'il est enfin surprenant que l'EURL Barach ne puisse justifier des doléances de la part de quelques uns des franchisés parmi la centaine d'adhérents qui auraient dû se plaindre eux aussi de l'inconsistance des éléments concédés et de la carence de la société Mondial Chauffage dans son devoir d'assistance, de conseil et de formation ;

Sur l'indétermination du prix :

Considérant que la société Mondial Chauffage soutient que les articles 1129 et 1591 du code civil concernant l'obligation de détermination de l'objet et du prix de chaque vente seraient inapplicables à un contrat de franchise qui doit s'analyser en une obligation de faire, et non en une obligation de donner ou d'acheter ; qu'elle ajoute que la détermination des prix des articles achetés par l'EURL Barach ne dépendrait pas de la seule volonté du franchiseur qui, n'étant pas leur fabricant, devait se conformer aux prix du marché, et qu'en se bornant à prescrire à son franchisé de s'approvisionner auprès de fournisseurs agréés, la société Mondial Chauffage se bornait à assurer la qualité et l'homogénéité des assortiments offerts dans le réseau, et procurait à ses franchisés des conditions avantageuses d'achat et des remises qu'elle avait négociées et renégociées chaque année auprès de ces fournisseurs ;

Considérant que inapplicabilité des articles susvisés du code civil est réservée aux contrats de franchise qui n'ont pour objet que des prestations de service ou qui ne s'opposent pas à ce que le franchisé puisse librement débattre avec plusieurs fournisseurs entre lesquels il a le choix, du prix des marchandises qu'il doit acheter ;

Qu'en l'espèce, s'agissant d'une activité de vente d'articles de chauffage et de climatisation assortie d'une obligation d'approvisionnement exclusif auprès de fournisseurs imposés par le franchiseur, le contrat signé par l'EURL Barach, tout en lui offrant accessoirement des prestations de services, s'analyse en une concession du droit d'utiliser une marque pour exercer une activité d'achat et de revente soumise aux dispositions de l'article 1129 du code civil ;

Considérant qu'il résulte cependant de la clause d'approvisionnement exclusif litigieuse que le franchisé conservait la liberté de débattre avec les fournisseurs du prix des marchandises dont il constituait ses stocks ; que la société Mondial Chauffage lui a certes prescrit de ne s'adresser qu'à des fournisseurs qu'elle a agréés, mais, en lui en remettant une liste élargie, ainsi qu'un guide étendu des achats, un catalogue des produits et un tarif de vente indicatif elle a laissé à l'EURL Barach la liberté de négocier les prix selon la loi du marché sans souffrir d'une position dominante et arbitraire de la société Mondial Chauffage;

Qu'au contraire, celle-ci offrait à ses franchisés, en échange d'un groupage des achats auprès des fournisseurs agréés, le bénéfice de remises périodiquement ajustées qui ne supprimait pas pour autant la liberté de discussion des prix mais assurait aux franchisés de meilleures conditions d'approvisionnement;

Considérant en conséquenceque la clause d'approvisionnement exclusif ne compromettait nullement la liberté contractuelle, au point de constituer une condition potestative laissée à l'initiative du franchiseur ; que le contrat de franchise signé par l'EURL Barach n'était pas nul;

Sur la responsabilité de la rupture :

Considérant que l'EURL Barach ne conteste pas que c'est à sa demande que le contrat de franchise a été amiablement résilié ; il suffit de se référer à l'échange des courriers de novembre 1990 entre les partenaires pour réaliser " l'inadaptation " de M. Barach au système relationnel pratiqué dans le réseau et comprendre sa décision de retrait du groupement que la société Mondial Chauffage a acceptée non sans une dernière collaboration dans la recherche d'un candidat à la succession ;

Considérant cependant que restait en suspens le sort de la " participation de départ " de M. Barach pour laquelle le franchiseur avait négocié au nom du franchisé auprès de la société SEC un prêt de 130 000 F ; qu'il résulte des courriers échangés que la société Mondial Chauffage offrirait d'acquitter un droit d'entrée limité au solde dû par M. Barach et de le libérer ainsi des échéances à venir ;

Que toutefois il n'a jamais été soutenu que la société Mondial Chauffage renoncerait à une partie quelconque du droit de 110 000 F acquitté grâce à ce prêt ; que l'EURL Barach ne suggère d'ailleurs pas, même à titre subsidiaire, de voir réduire le montant de ce droit proportionnellement à son temps d'activité au sein du réseau Mondial Chauffage ; que la société de financement n'est pas dans la clause ;

Considérant en conséquence que le contrat de cinq années, régulier en droit, s'est trouvé résilié d'un commun accord par anticipation, permettant à chacun de reprendre sa liberté sans indemnité ni restitution ; que le maintien de l'enseigne et des publicités ne fait pas l'objet de litige ;

Considérant que l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et l'accord des parties pour mettre fin aux relations contractuelles permettent en équité d'exclure toute indemnisation des frais irrépétibles de défense exposés par chacune tant en première instance que devant la Cour ; qu'en revanche, l'issue du procès initié par l'EURL Barach permet de lui imputer la charge de tous les dépens ;

Par ces motifs : Infirmant le jugement du 1er juillet 1992 en toutes ses dispositions ; Déboute l'EURL Barach de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Mondial chauffage ; Déboute la société Mondial Chauffage de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne l'EURL Barach aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Admet Maître Blin, avoué, au bénéfice du recouvrement direct contre l'EURL Barach prévu par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.