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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 5 octobre 1994, n° 91002681

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Borie-Manoux (SARL)

Défendeur :

Société d'exploitation des Etablissements Hubert "Caves des franciscains"

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouscharain

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

SCP Labory-Moussie-Andouard, SCP Casteja-Clermontel

Avocats :

Mes Tosi, Vital Mareille

T. com. Bordeaux, du 2 mai 1989

2 mai 1989

Par un précédent arrêt du 23 novembre 1992, statuant sur l'appel formé par la Société Borie Manoux à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Commerce du 2 mai 1989, la Cour a rappelé que le 28 janvier 1971 la Société Borie Manoux et la Maison Hubert avaient signé un contrat sous seing privé suivant lequel la Maison Hubert devenait dépositaire et distributeur exclusif des produits de Borie Manoux, contrat annulé amiablement le 12 novembre 1971, la Maison Hubert redevenant client grossiste acheteur des vins Borie Manoux, que le tribunal, statuant sur la demande de la Société d'Exploitation des Etablissements Hubert en paiement de 950 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat d'agent commercial, a condamné la Société Borie Manoux à lui payer 300 000 F à titre de dommages-intérêts, outre 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

La Cour a constaté que la distinction faite par le Tribunal est justifiée, la Société d'Exploitation des Etablissements Hubert ayant eu les qualités de distributeur et d'agent par des actes séparés, que la qualité de distributeur ne comportait pas d'exclusivité l'acte du 12 novembre 1971 n'en prévoyant pas, a approuvé les premiers juges d'avoir rattaché à cette qualité les ventes de 1987, a considéré avec l'appelante que la rupture des relations entre un acheteur et un vendeur n'est pas indemnisable, déduit que les ventes en question ne peuvent donner lieu à indemnisation de l'une ou l'autre des parties, non plus que la perte éventuelle de la qualité de distributeur, ces ventes ayant été seulement l'occasion d'un litige qui a conduit à la rupture du mandat laquelle seule peut donner lieu à indemnisation, rupture dont la Société Borie Manoux a prix l'initiative à la suite du refus de la Société d'Exploitation des Etablissements Hubert d'ajouter au contrat du 12 novembre 1971 une exclusivité, refus non critiquable et qui ne peut donc fonder la rupture ; toujours selon la Cour, adoptant la motivation du Tribunal, si l'intimée a cédé la carte à la Société MRC, cette seule société est victime de la rupture et peut demander des dommages-intérêts, la société d'exploitation des Etablissements Hubert ayant pris l'initiative de cette session sans pouvoir se plaindre d'y avoir été contrainte ; la Cour en a déduit que, " sous réserve de circonstances qui n'apparaissent pas dans les conditions échangées le préjudice de la Société d'Exploitation des Etablissements Hubert se limite au prix convenu avec la Société MRC, si celle-ci n'a été en mesure de faire jouer la garantie d'éviction envers l'intimée, et qu'il est inexistant dans le cas contraire " ;

La Cour n'étant pas renseignée sur les termes de cette alternative, a renvoyé les parties devant le Conseiller de la Mise en Etat pour qu'il soit plus amplement conclu par elles sur le préjudice de la Société des Etablissements Hubert, compte tenu de la difficulté exposée et que la Société MRC soit appelée en la cause, si l'une ou l'autre des parties le juge bon.

Par conclusions du 19 mai 1993 complétées le 17 août 1994, la Société d'Exploitation des Etablissements Hubert précise qu'elle fonde sa demande d'indemnisation en raison de son activité de distributeur sur le caractère brutal de la rupture qui revêt ainsi un caractère fautif, que la rupture du contrat ne serait pas critiquable si elle ne reposait pas sur ce caractère brutal et l'aspect intentionnellement abusif de la motivation tenant à l'activité d'agent, elle soutient qu'ayant annulé la cession du contrat de représentation consentie à la société MRC, à la suite de la décision de Borie Manoux de rompre le contrat, elle seule a subi le préjudice correspondant qu'il serait injuste que Borie Manoux reprenne sans indemnité une carte acquise 100 000 F en 1981, alors que le chiffre d'affaires a été multiplié par 3,5 grâce à son activité ; elle demande à la Cour de réformer le jugement en ce qu'il a considéré qu'elle pouvait poursuivre une activité de grossiste, de dire que la rupture est fautive et doit entraîner réparation de son préjudice à hauteur de la somme forfaitaire de 350 000 F ; elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit abusive la rupture du mandat d'agent, le quantum du préjudice correspondant étant toutefois évalué à la somme forfaitaire de 400 000 F avec intérêts de droit ; elle demande 50 000 F à titre de dommages-intérêts et 25 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par conclusions du 13 juillet 1994 la Société Borie Manoux demande l'entier bénéfice de ses conclusions du 4 juin 1991, par lesquelles elle a conclu au débouté de la Société d'Exploitation des Etablissements Hubert seule responsable de la rupture du mandat d'intérêt commun qui les liait, à la condamnation de cette société à lui payer 300 000 F à titre de dommages-intérêts, outre 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; au vu de l'arrêt du 23 novembre 1992 elle observe que la rupture du contrat d'agence commerciale a été partiellement, seulement, envisagée par la Cour, la discussion de l'indivisibilité de la confiance caractérisant le contrat de mandat restant entière, n'étant pas possible de considérer que les faits dénoncés par elle en 1987 restent sans influence sur les relations mandant-mandataire ; au surplus elle soutient que la rupture est consécutive à la cession sans agrément de la carte Etablissements Hubert à la Société MRC, l'agence commerciale étant un mandant à la Société MRC, l'agence commerciale étant un mandat non cessible, sauf agrément du cessionnaire par le mandant ;

Sur les deux branches de l'alternative posée par la Cour, elle dit : - ou bien la Société MRC, cessionnaire non agréé, a demandé à la Société Hubert le remboursement du prix de la carte Borie Manoux, et la Société Hubert s'étant exécutée est fondée dans sa demande de réparation - ou bien MRC n'a rien demandé à la société Hubert dont le préjudice est dès lors inexistant ; elle observe l'absence d'indication précise donnée par la Société Hubert dont la demande de réparation est donc infondée.

Attendu que la Société Hubert exerçant son activité sous la dénomination " caves des Franciscains " à Sélestat était d'une part grossiste acheteur des vins de Borie Manoux et d'autre part représentant mandataire de cette société sur les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin depuis le 1er octobre 1980, après rachat de la carte d'agent commercial du précédent mandataire pour le prix de 100 000 F ;

Que dans le cadre de ces deux contrats, les relations se sont poursuivies entre les deux sociétés jusqu'en 1987 ; que Borie Manoux envoyait des Bordeaux Génériques en vrac à la Maison Hubert, qui les mettait en bouteilles et les étiquetait avec les mention " Bordeaux - Borie Manoux négociant à Bordeaux (Gironde) France - Mise en bouteille par JH... " ;

Que Borie Manoux s'étant rendue compte en septembre 1987 de la présence de grande crus provenant d'autres sociétés dans les entrepôts de la Maison Hubert, a par courrier du 2 octobre 1987 informé la Maison Hubert des résultats de l'analyse de l'échantillon prélevé lors de sa visite, Bordeaux Borie-Manoux mis en bouteille à Sélestat, révélant un degré de 11°2 alors que ses deux dernières expéditions avaient des degrés de 11°5 et 11°7, une acidité total supérieure à celle des vins expédiés, un goût différent, une couleur dénotant une évolution étonnante ; qu'à un télex du 28 octobre 1987 par lequel Borie Manoux demandait le pourcentage de vin Borie Manoux dans le vin livré, différent du vin expédié, la Maison Hubert répondait par télex du même jour : " avons fait achat vrac ailleurs, Assemblage environ 50/50 " ;

Qu'ainsi la Maison Hubert a reconnu sans équivoque avoir mélangé le vin expédié en vrac par Borie-Manoux avec des vins d'autres provenances avant de le livrer sous l'étiquette Borie Manoux ; que par courrier du 13 novembre 1987 elle a donné sa position " sur la polémique engagée à propos de nos achats de vin en vrac et de nos mises en bouteilles d'un litre, destinés à la restauration ", regrettant le manque de soutien de Borie Manoux à laquelle elle demandait un meilleur respect des délais de livraison et la confirmation par écrit des conditions négociées verbalement, ajoutant : " Ceci étant précisé, sachez que nous sommes prêts à nous assumer et que s'il nous est arrivé d'agir un peu légèrement en matière de vrac, nous voulons bien faire notre mea culpa et faire sorte que cela ne se reproduise plus " ; que la faute commise par la Maison Hubert est ainsi caractérisée et reconnue dans le cadre du contrat de distribution ;

Qu'un courrier du 24 novembre 1987, par lequel Borie Manoux confirmait à la Maison Hubert un accord établi entre eux lui était renvoyé après annotations portées en marge de certaines clauses par Monsieur Bahl pour la Maison Saint Hubert qui ajoutait que ces clauses ainsi exprimées par Borie Manoux étaient difficilement acceptables dans leur intégralité ;

Que Monsieur Bahl par lettre du 9 décembre 1987 donnait son accord à Borie Manoux pour que celle-ci lui fournisse avec les livraisons de vins en vrac les quantités correspondantes d'étiquettes imprimées et l'informait de sa décision de transférer leur carte à une agence commerciale créée à cet effet par lui, afin qu'il n'y ait plus d'interférences entre l'activité de distributeur d'une part et celle de représentant mandataire d'autre part ;

Que Borie Manoux, dans un courrier du 30 décembre 1987 faisant état d'un entretien et de diverses correspondances, confirmait " l'accord que nous avons établi ensemble ", puis le 11 janvier 1988 interdisait à la Maison Hubert d'utiliser les étiquettes Borie Manoux pour quelque destination que ce soit, interdiction valable " tant que vous ne nous aurez pas fourni un moyen de contrôle et donné votre accord sur les termes de notre lettre du 3 décembre 1987 ", la motivation donnée de cette interdiction étant " les écarts de qualités constatés sur les mises en bouteilles de nos vins sous notre étiquette (qualité absolument non conforme) " ;

Attendu que le 31 décembre 1987, la Société Cave des Franciscains représentée par Monsieur Bahl avait cédé à l'Agence MRC, SARL constituée après établissement des statuts le 31 décembre 1987, la convention d'exclusivité de représentation des vins produits par la Société Borie Manoux à compter du 1er janvier 1988, moyennant le prix de 300 000 F ;

Qu'informée de cette cession Borie Manoux écrivait le 15 janvier 1988 à Monsieur Bahl que son contrat en tant que mandataire avait pris fin à la date du 1er janvier 1988, date de la cession, qu'il restait son distributeur hors les effets du mandat ; que le même jour Borie Manoux écrivait à Mademoiselle Catherine Bahl, gérante de l'agence MRC, qu'elle n'acceptait pas la cession ;

Attendu que l'indépendance des deux contrats, contrat de concession d'une part et convention de représentation d'autre part, est certaine, non contestée par les deux parties lesquelles sont également d'accord sur le principe que le contrat d'agent commercial est un mandat d'intérêt commun ; qu'en effet les intérêts respectifs du mandant et du mandataire se servent réciproquement de cause, tous deux espérant par ce contrat voire la clientèle s'accroître et par voie de conséquence les profits aussi ;

Que ce mandat d'intérêt commun ne peut être unilatéralement résilié sans motif légitime ; que la cession de la carte d'agent commercial à une autre société constitue un motif légitime, si l'acte de cession ne réserve pas au mandataire la reprise de son contrat par le cessionnaire, car le contrat d'agence a un caractère intuitu personae; qu'en conséquence, sauf clause contraire, l'agent ne peut céder son mandat en se contentant de signifier au mandant la cession réalisée et l'identité du cessionnaire ; que l'opposabilité de la cession au mandant est subordonnée au consentement de ce dernier; que Borie Manoux n'ayant pas consenti à la cession, celle-ci lui est inopposable ; que le fait que l'agence MRC soit en fait constituée entre les époux Bahl et leur fille est sans incidence dès lors que cette SARL a une personnalité juridique différente de la Maison Saint Hubert à laquelle Borie Manoux a accordé sa carte ;

Qu'en admettant la thèse de la Maison Saint Hubert quant à l'identité des personnes physiques composant les deux sociétés, l'agence créée étant en fait un prolongement de la Société Maison Saint Hubert, la perte de confiance légitime de Borie Manoux à l'égard de son cocontractant, justifiée par les fautes commises par celui-ci dans le cadre de son activité de grossiste distributeur, affecte nécessairement les relations dans le cadre du contrat d'agent commercial, contrat intuitu personae nécessitant une confiance réciproque que Borie Manoux ne pouvait plus avoir ;

Que sa rupture est donc légitime et ne peut donner lieu à indemnité au profit de la Société Maison Saint Hubert puisqu'elle est une réplique à une cession non agréée par le mandant, motif suffisant pour justifier la cessation du contrat d'agent commercial ;

Attendu ainsi que ni la rupture du contrat de distribution, qui ne comportait pas d'exclusivité, l'acte du 28 janvier 1971 régissant les relations contractuelles entre les parties n'en prévoyant pas ainsi que l'a dit la Cour dans son premier arrêt, ni la rupture du contrat d'agent commercial ne peuvent donner lieu à indemnisation de la Maison Saint Hubert par Borie Manoux ; que le jugement est réformé ;

Attendu que Borie Manoux demande 300 000 F à titre de dommages-intérêts, aux motifs qu'elle a perdu l'important réseau qu'elle avait constitué dans un secteur touristique à forte potentialité commerciale, ce que traduit son chiffre d'affaires dans ce secteur, qu'elle a dû faire les frais importants d'une réimplantation de sa marque, que les infractions à l'exclusivité et l'usurpation de marque, fautes établies contre son agent avant la prétendue cession à l'agence MRC, ont aggravé son préjudice ;

Que toutefois Borie Manoux ne produit aucun justificatif à l'appui de sa demande ;

Que la SA Borie Manoux ne produit aucun justificatif à l'appui de sa demande ;

Que la SA Caves des Franciscains et l'Agence MRC par un acte du 20 janvier 1988 ont annulé rétroactivement au 31 décembre 1987 l'acte de cession de contrat de représentation passé à cette date, puisque Borie Manoux avait résilié le contrat de représentation consenti par elle à la Société Caves des Franciscains, avec effet rétroactif au 1er janvier 1988,

Qu'au vu des pièces versées aux débats par la Maison Hubert, Borie Manoux a rapidement réimplanté sa marque dans le secteur ; que sa demande d'indemnité est rejetée ;

Attendu que la Maison Hubert, partie perdante, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ;

Que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR : - vu l'arrêt du 23 novembre 1992, - réforme en toutes ses dispositions le jugement et statuant à nouveau, déboute la Société d'Exploitation des Etablissements Hubert de leurs demandes, déboute la Société Borie Manoux de sa demande d'indemnisation, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la Société d'Exploitation des Etablissements Hubert aux entiers dépens, application étant faite des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.