CA Douai, 2e ch., 6 octobre 1994, n° 93-07328
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Prodim Groupe Promodes (SNC)
Défendeur :
Loeuille (ès-qual.), Colart-Bulte (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Courdent
Conseillers :
Mme Rossignol, M. Dequidt
Avoués :
Mes Carlier-Regnier, Le Marc'Hadour-Pouille-Groulez
Avocats :
Mes Bednarski, Debacker.
Attendu que le 9 juillet 1993 la SNC Prodim groupe Promodes a relevé appel du jugement rendu le 8 juin 1993 par le Tribunal de Commerce de Valenciennes qui, se déclarant compétent, a dit que la SNC Prodim s'est immiscée dans la gestion de l'entreprise des époux Colart et a exercé les pouvoirs de direction de celle-ci, et qu'en sa qualité de gérante de fait, elle a commis une faute en prolongeant artificiellement et abusivement l'exploitation de cette entreprise en cessation de paiements de telle sorte qu'elle est entièrement responsable du passif commercial existant au jour de la liquidation ; qui l'a condamnée en conséquence, à payer à Me Loeuille, ès-qualités de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire des époux Colart, la somme de 432 113,47 F à titre de dommages intérêts ; qui a donné acte à Me Loeuille, ès-qualités, de ce qu'il se réserve d'agir contre la SNC Prodim en réparation des paiements abusifs effectués par elle sur le compte des époux Colart après le 15 février 1989, date de la cessation des paiements et qui a dit la SNC Prodim mal fondée en sa demande reconventionnelle et l'en a déboutée ;
Qu'elle sollicite la réformation du jugement ;
Qu'elle demande de faire droit à l'exception d'incompétence soulevée par elle au profit de la juridiction arbitrale sur le fondement de l'article 11 du contrat de franchise ou, à tout le moins, de faire droit à l'exception d'incompétence à raison du lieu, soulevée par elle au profit du Tribunal de Commerce de Lille, de débouter Me Loeuille, ès-qualités de ses prétentions ;
À titre subsidiaire, d'ordonner la compensation parfaite entre la créance de la SNC Prodim telle qu'elle a été déclarée au passif des époux Colart et la créance de dommages intérêts invoquée par Me Loeuille, ès-qualités, et en tout état de cause, de condamner Me Loeuille, ès-qualités, au paiement de 5 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et de 15 000F à titre de dommages intérêts,
Qu'elle fait valoir que de leur plein gré, les époux Colart, qui ont gardé la parfaite maîtrise de leur fonds, lui a donné certaines délégations notamment pour régler, après avoir pris leur accord, les factures de fourniture de marchandises, qu'ils ont conservé la maîtrise de l'embauche de leur personnel, de l'horaire de travail ; que s'ils étaient tenus de respecter un assortissement minimum puisqu'ils étaient franchisés, les tarifs de vente leur étaient recommandés et non imposés, le prix de leurs fournitures étant déterminable à dire d'experts (art. 11 du contrat de franchise) ; que commerçants indépendants, ils décidaient eux-mêmes du montant de leur rémunération, et ont commandé les marchandises livrées par Prodim pour poursuivre leur activité, la Sté Prodim n'ayant pas le pouvoir de leur conseiller d'arrêter l'exploitation ; que le Tribunal s'est fondé sur l'exécution du contrat de franchise pour condamner Prodim à payer à Me Loeuille, à titre de dommages-intérêts, le montant même des condamnations prononcées à titre définitif par le Tribunal de Commerce à l'encontre des époux Colart et au profit de Prodim ; que le jugement déféré n'ordonne même pas la compensation entre les deux créances ; que le contrat de franchise et son exécution étant le fondement de la réclamation de dommages-intérêts, il y avait lieu d'appliquer la clause d'arbitrage prévue au contrat ;
Attendu que Me Loeuille, ès-qualités, sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de la Sté Prodim au paiement de 1 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Qu'il soutient que la clause compromissoire insérée à l'article 11 du contrat de franchise vise les litiges nés de l'interprétation de l'exécution ou de l'inexécution du contrat, qu'elle n'a pas été soulevée in limine litis et qu'elle ne peut s'appliquer, pas plus que la convention d'attribution de compétence aux Tribunaux de Lille, à la présente espèce, car il agit comme représentant des époux Colart et représentant des créanciers, non pas en vertu d'une convention ayant lié les parties, mais sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, pour obtenir réparation, par des dommages intérêts, du préjudice causé à tous les intéressés, par les fautes lourdes commises par la SNC Prodim en sa qualité de gérante de l'entreprise et particulièrement en prolongeant abusivement et artificiellement, dans son seul intérêt, l'existence de cette entreprise en état de cessation de paiements ; que si la dette contractuelle des époux Colart envers Prodim n'est plus discutable puisqu'elle a été consacrée par un jugement définitif, cela n'empêche pas le représentant des créanciers, non présent dans le premier procès, d'introduire une action ayant un fondement différent ;
Qu'il ne s'agit pas d'une action en comblement de passif, mais une action en responsabilité de droit commun contre Prodim qui s'est immiscée abusivement dans la gestion de l'entreprise au point que la conduite de celle-ci était entièrement entre ses mains ; que bailleur et franchiseur, elle détenait la maîtrise du fonds de commerce et celle de la politique commerciale et de l'organisation générale de l'activité du magasin ; qu'elle avait exigé, le 4 octobre 1988, disposer seule de la gestion du compte en banque des époux Colart et leur en interdisait l'accès, accomplissant seule toutes opérations, les gérants ne pouvant que verser sur le compte les recettes du magasin ; qu'elle imposait son système de comptabilité, fournissait les livres comptables, adressait chaque mois au gérant, le relevé des factures de fournitures ; qu'elle se payait elle-même tous les dix jours sur le compte, qu'elle payait les autres fournisseurs et les salaires sur " bons à payer " signés par les gérants, lesquels prélevaient leur rémunération sur la caisse avec l'accord et sous le contrôle de Prodim ; que les gérants établissaient les livres, que le compte de gestion mensuel de l'entreprise n'était porté à la connaissance des gérants que tous les deux mois, Prodim établissant pour 1989 un compte de gestion prévisionnel fixant les objectifs à atteindre et procédant plusieurs fois par mois à des contrôles du magasin ; que Prodim avait la maîtrise du personnel, donnait son accord préalable à toute embauche, qu'elle a licencié un boucher et un pompiste ; qu'elle imposait les horaires de travail, même en ce qui concerne les gérants : 200 heures par mois pour le mari, 174 heures pour la femme ; que les gérants ne pouvaient que vendre à des prix fixés par Prodim des produits Prodim ou provenant de fournisseurs agréés, et enregistrer les recettes ; qu'ils étaient donc des salariés en fait, et que Prodim les a laissés dans l'entreprise et a continué à les fournir alors que les pertes devenaient de plus en plus lourdes, et ce sans exiger le paiement comptant des fournitures ;
Que Me Loeuille soutient encore qu'aucune compensation ne peut intervenir après le jugement d'ouverture, sauf le cas de connexité ou d'indivisibilité, qu'en l'espèce, la compensation serait impossible.
Sur ce
Attendu que Me Loeuille reproche à Prodim de s'être comportée en gérante de fait de l'entreprise et d'avoir en cette qualité, commis de lourdes fautes de gestion ;
Que ce faisant, même s'il constate que Prodim a profité des conventions de location-gérance et de franchise pour s'immiscer dans la gestion du fonds, Me Loeuille ne conteste ni la validité des conventions, ni leur exécution ; que dès lors il n'y avait pas lieu de recourir à l'arbitrage prévu et que le Tribunal pouvait retenir sa compétence ;
Attendu toutefois qu'il ne suffit pas d'alléguer des faits, qu'encore faut-il les prouver ;
Attendu en l'espèce, que franchiseur, Prodim a recommandé des tarifs de vente ;que le contrat de franchise permettait aux époux Colart de discuter les prix des fournitures de Prodim et exiger le recours à des experts, qu'ils pouvaient également s'approvisionner ailleurs que chez Prodim pour une partie des produits, qu'ils prélevaient dans la caisse de leur magasin leur rémunération, et dans le magasin, ce dont ils estimaient avoir besoin pour leur consommation personnelle ;que si les époux Colart ont confié la tenue de leurs comptes et ont donné délégation à Prodim pour payer grâce à leur compte bancaires, jamais Prodim n'a eu pouvoir et n'a pris sur elle de payer quoi que ce soit sans un bon à payer, sans l'accord des époux Colart ;qu'ainsi, si les franchisés étaient conseillés et assistés par Prodim, celle-ci ne s'est jamais immiscée dans la gestion du fonds ;qu'il a été mis fin aux conventions d'un commun accord et que Prodim a continué à livrer les époux Colart sur les commandes de ceux-ci ; que si elle ne l'avait pas fait, elle aurait pu être recherchée en justice ; que si elle n'a pas fait payer, immédiatement ses livraisons à compter du 5 février 1990, l'on ne saurait le lui reprocher car jusqu'à cette époque, elle avait reçu régulièrement paiement des commandes ; qu'il s'agissait de commandes faites par les époux Colart et non de livraisons imposées ;
Qu'ainsi, les époux Colart étaient commerçants, indépendants ; qu'ils font d'ailleurs l'objet de la procédure collective ouverte par le Tribunal de Commerce de Valenciennes ; qu'ils n'établissent pas que Prodim ait pris une quelconque initiative pour les empêcher de gérer leur fonds à leur guise dans le respect du contrat de franchise les liant à Prodim ;
Que Prodim aurait au contraire commis une faute en imposant des commandes, en refusant de les livrer, en exigeant que les époux Colart déposent leur bilan, en ne remplissant pas les obligations de la délégation donnée par les époux Colart, en empêchant les époux Colart de se servir comme ils l'entendaient, dans leur fonds, pour leurs besoins personnels ;
Attendu que de ces faits, il résulte que les époux Colart n'établissent pas que Prodim se soit immiscée dans la gestion de leur magasin, les ait empêchés de gérer librement celui-ci dans les limites du contrat de franchise ou ait commis une faute quelconque à l'origine du passif actuellement constaté ;
Que le jugement doit donc être réformé ;
Que les demandes réciproques de dommages intérêts ou d'indemnités ne sont pas justifiées ;
Par ces motifs, LA COUR : Réforme le jugement entrepris sauf en ce que le Tribunal s'est déclaré compétent ; Déboute les parties de leurs demandes réciproques de dommages intérêts ou d'indemnités ; Tire les dépens en frais irrépétibles de procédure collective Colart, avec distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Carlier-Regnier, avoués, conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.