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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 14 octobre 1994, n° 91-11560

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie de raffinage et de distribution Total France (SA)

Défendeur :

Bonnefond, Garage Gambetta (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

MM. Bouche, Le Fevre

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Barrier Monin, SCP Fanet

Avocats :

SCP Poudenx Bayle, Mes Pinet, Mortimore, Lartigue.

T. com. Paris, 2e ch., du 12 févr. 1991

12 février 1991

Considérant que la Compagnie de raffinage et de distribution Total France a fait appel d'un jugement contradictoire du 12 février 1991 qui a constaté qu'un accord était intervenu entre elle et la société Garage Gambetta, son ancien concessionnaire, sur la reprise de certains équipements, l'a déboutée de ses demandes à l'encontre de la société Garage Gambetta, a rejeté les demandes de dommages intérêts de ces derniers et l'a condamnée à verser 8 000 F à Georges Bonnefond au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant que les premiers juges ont exposé, par une analyse qu'il convient d'adopter, que la Compagnie Total France avait conclu le 7 janvier 1972 avec la société Garage Gambetta des contrats " d'approvisionnement exclusif " en carburants et lubrifiants assortis de deux prêts sans intérêt de 33.750 et 25.063,92 F remboursables l'un et l'autre par imputation de ristournes sur les achats de la société Garage Gambetta à la Compagnie Total France, que la société Garage Gambetta a vendu son fonds de commerce aux époux Bonnefond le 7 juin 1974 et que si les concessionnaires ont repris à cette occasion les engagements de la société Garage Gambetta envers la Compagnie Total France, la société cédante s'est elle même engagée à payer à cette compagnie à première demande, sans bénéfice de discussion ou de division, tout solde non amorti dû par ses successeurs sur les deux prêts qu'elle avait contractés ;

Qu'ils ont mis hors de cause Georges Bonnefond, seul cessionnaire poursuivi, au motif qu'un arrêt définitif de la Cour d'Appel de Dijon du 26 mai 1989 avait annulé la cession du fonds de commerce et que l'engagement de reprise des obligations contractées par la cédante envers la Compagnie Total France était de ce fait lui même nul ; qu'ils ont rejeté par ailleurs la demande formulée à l'encontre de la société Garage Gambetta faute de certitude concernant le montant des ristournes à imputer et donc sur l'existence même de soldes des prêts à rembourser ;

Considérant que la Compagnie Total France qui conclut désormais sous le nom de Total Raffinage Distribution soutient que l'arrêt du 26 mai 1989 ne lui est pas opposable et conteste au surplus que les conventions initiales soient nulles pour indétermination de prix ainsi que la société Garage Gambetta le prétendait ; qu'elle ajoute que l'indisponibilité du matériel lui appartenant justifie qu'elle reçoive une indemnité de 50 000 F ;

Qu'elle demande en définitive la condamnation solidaire de la société Garage Gambetta et de Georges Bonnefond à lui verser 44 056,56 F avec intérêts au taux contractuel de 8 % à compter du 7 janvier 1972, 10 000 F de dommages intérêts pour rétention abusive de ces fonds, 50 000 F d'indemnité d'utilisation du matériel et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant que la société Garage Gambetta conclut à la nullité des conventions initiales pour indétermination et potestativité des prix imposés par son fournisseur et ajoute que la société Total Raffinage Distribution ne justifie pas des soldes dont elle réclame le paiement ; qu'elle sollicite de la Cour la confirmation du jugement déféré et 10.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que Georges Bonnefond soutient qu'il est réputé n'avoir jamais été propriétaire du fonds de commerce et tenu à des obligations quelconques de paiement ou de restitution envers la société Total Raffinage Distribution, l'inopposabilité de l'arrêt du 26 mai 1989 étant sans portée dès lors qu'il n'existerait aucun lien de droit entre lui même et la société Total Raffinage Distribution ; qu'il s'associe à la critique des soldes allégués et demande à la Cour de confirmer la décision déférée et de condamner la société Total Raffinage Distribution à payer une amende civile de 10 000 F, et à lui verser 10 000 F de dommages intérêts pour abus de procédure et 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur la demande de condamnation de la société Garage Gambetta

Considérant qu'il importe peu que les conventions initiales du 7 janvier 1992 dites contrats d'approvisionnement exclusif soient ou non nulles dès lors que si elles le sont, les sociétés Total Raffinage Distribution et Garage Gambetta doivent être remises dans l'état antérieur à la conclusion de leurs accords annulés et donc les sommes prêtées doivent être restituées et que si elles ne le sont pas, la société Garage Gambetta s'est engagée à verser à première demande les soldes non amortis des prêts;

Que la société Garage Gambetta est ainsi tenue envers la société Total Raffinage Distribution de lui rembourser le solde des prêts s'il en existe;

Sur la demande de condamnation de Georges Bonnefond

Considérant que la société Total Raffinage Distribution n'était pas partie à la procédure qui a abouti à l'arrêt de la Cour d'Appel de Dijon du 26 mai 1989 qui a déclaré nulle la cession de fonds de commerce intervenu entre la société Garage Gambetta et les époux Bonnefond ; que cette nullité prononcée pour vice de consentement des cessionnaires ne lui est pas opposable ;

Considérant que la société Total Raffinage Distribution était par contre partie à la cession du fonds de commerce et en particulier aux engagements souscrits par Georges Bonnefond de poursuivre le remboursement des prêts initiaux grâce à l'imputation des ristournes lui revenant, et par la société Garage Gambetta de payer les soldes à première demande sans bénéfice de discussion et de division ;

Qu'il appartenait à Georges Bonnefond demeuré lié envers la société Total Raffinage Distribution par les contrats d'approvisionnement cédés, de faire juger contradictoirement à l'égard de ce fournisseur que les conventions initiales étaient nulles et à défaut que la cession de fonds de commerce et ses engagements accessoires l'étaient eux aussi ; que la Cour n'est saisie d'aucune demande en ce sens ;

Qu'il s'en suit que Georges Bonnefond demeure tenu envers la société Total Raffinage Distribution des engagements souscrits par la société Garage Gambetta ainsi qu'il en a contracté l'obligation dans un acte sous seing privé du 28 août 1974 signé par les trois parties ; qu'il n'apparaît pas du texte même des accords tripartites que l'engagement de la société Garage Gambetta de payer, en cas de défaillance du cessionnaire et à première demande de la société Total Raffinage Distribution, les soldes non amortis des prêts ait une autre portée que de donner deux débiteurs au créancier pour une même dette ;

Sur le montant de la dette

Considérant que la société Total Raffinage Distribution demande 44 056,56 F en principal dont elle expose qu'ils constituent le solde de deux prêts remboursables par imputation de ristournes ; que la réalité des prêts et le mode de remboursement ne sont pas contestés ; qu'il en est de même du taux des intérêts annuels, 8 % dûs contractuellement, uniquement en cas de défaillance de l'emprunteur, sur le solde non amorti mais rétroactivement depuis le 7 janvier 1972, date des prêts ;

Considérant que la société Total Raffinage Distribution est en droit de soutenir que la preuve du remboursement des prêts incombe à ses emprunteurs successifs ; que ceux ci ne justifient pas de ristournes qui n'auraient pas été imputées, ni de versements susceptibles de diminuer la dette ; qu'ils n'ont contesté ni les arrêtés de compte périodique précisant le montant du capital restant à amortir, ni les mises en demeure ;

Que les intimés sont donc in solidum tenus de payer à la société appelante 44 056,56 F avec intérêts au taux de 8 % à partir du 7 janvier 1972 ;

Sur les autres demandes

Considérant que la société Total Raffinage Distribution qui obtient à compter de la date du prêt des intérêts à un taux proche du taux légal ne justifie d'aucun préjudice résultant de la rétention des fonds à partir des mises en demeure de 1985 ;

Considérant que la société appelante justifie par contre de ce qu'elle a vainement demandé en 1985 et 1986 la restitution de matériels divers mis à la disposition de la société Garage Gambetta puis des époux Bonnefond ; qu'elle ne saurait demander une indemnité d'immobilisation de ce matériel que pour les années qui ont suivi la fin des accords contractuels et aux seuls co-contractants qui les utilisaient et étaient à même de les restituer, les époux Bonnefond ; que la société Total Raffinage Distribution admet que ces matériels étaient mis à disposition gratuitement et qu'ils étaient si vétustes qu'elle a renoncé pour finir à les récupérer ; que la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 6 000 F l'indemnité due à ce titre par Georges Bonnefond ;

Considérant qu'il serait inéquitable que la société Total Raffinage Distribution conserve la charge de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Infirme le jugement déféré, Condamne in solidum la société Garage Gambetta et Georges Bonnefond à verser à la société Total Raffinage Distribution la somme de 44 056,56 F avec intérêts au taux de 8 % à compter du 7 janvier 1972 ainsi que 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Georges Bonnefond à payer à la société Total Raffinage Distribution la somme de 6 000 F, Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne la société Garage Gambetta et Georges Bonnefond en tous les dépens de première instance et d'appel, Admet la société civile professionnelle Fisselier Chiloux Boulay, titulaire d'un office d'avoué à la Cour, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.