CA Rouen, 2e ch. civ., 20 octobre 1994, n° 9204180
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Javelot
Défendeur :
Arachequesne (Époux), Roger Arachequesne (Sté), Banque La Henin, Finalion (Sté), Perception d'Offranville, Recette principale des impôts
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Credeville
Conseillers :
Mme Masselin, M. Dragne
Avoués :
SCP Marin-Greff-Curat, Me Couppey
Avocats :
Mes Capitaine, Beuvin.
Suivant acte sous seing privé en date du 30 novembre 1978, Madame Javelot a consenti aux époux Arachequesne un bail commercial portant sur un immeuble sis à Quiberville à usage de café restaurant hôtel dénommé " L'Huîtrière ".
Ce bail comporte une clause aux termes de laquelle " les preneurs ne pourront céder leur droit au bail ni sous-louer, sauf pour leurs besoins commerciaux, les locaux en dépendant en totalité ou en partie, qu'avec le consentement exprès et par écrit des bailleurs, sous peine de nullité de cession ou sous-location consenties au mépris de cette clause et même de résiliation du bail si bon semble aux bailleurs. Toutefois, ils pourront sans avoir besoin de consentement, consentir une cession du bail à leurs successeurs dans leur commerce ou une sous-location totale au locataire de fonds de commerce, en cas mise en gérance libre de celui-ci ".
Apprenant au mois de mars 1991, à la suite d'un sinistre, que le fonds de commerce était exploité par une SARL Arachequesne Roger, Madame Javelot faisait délivrer aux époux Arachequesne une sommation interpellative d'avoir à lui donner tous renseignements concernant cette exploitation, à laquelle il n'a pas été répondu.
Par ordonnance de référé du 13 juin 1991, il a été donné acte à Monsieur Arachequesne de ce qu'il a déclaré que les lieux loués par Madame Javelot étaient toujours exploités par lui-même et son épouse, conformément aux dispositions contractuelles, la SARL Arachequesne exploitant les locaux de l'hôtel restaurant " Les Falaises " situé en face de " L'Huîtrière ".
Cependant, Madame Javelot constatant, au vu notamment de la publicité concernant le fonds de commerce, que celui-ci était bien exploité par la SARL Arachequesne, a assigné les époux Arachequesne devant le Tribunal d'instance de Dieppe pour voir prononcer la résiliation du bail.
Le Tribunal d'instance, après avoir déclaré irrecevable l'intervention de la SARL Arachequesne, a débouté Madame Javelot de sa demande et les époux Arachequesne de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts au motif qu'il résulterait des écrits des époux Arachequesne qu'un contrat verbal de location-gérance avait été conclu en avril 1988 confiant à la SARL Arachequesne la gestion de l'hôtel de " L'Huîtrière ".
Madame Javelot, appelante, s'attache en premier lieu à démontrer que les époux Arachequesne l'ont trompée en dissimulant une location-gérance qui ne lui était pas opposable faute de satisfaire à la clause du bail relative à la cession du droit au bail et de sa notification subséquente (article 1690 du Code civil). Elle souligne à ce sujet qu'il y a contradiction entre les déclarations des époux Arachequesne devant le juge des référés selon lesquelles ils exploiteraient le fonds conformément aux dispositions contractuelles et leurs déclarations subséquentes selon lesquelles le fonds aurait été donné en location-gérance à la SARL Arachequesne depuis le 1er avril 1988.
L'appelante rappelle ensuite que les époux Arachequesne ont la charge de la preuve de l'opposabilité du contrat de location-gérance du fonds de commerce de la bailleresse. Or, cette preuve n'étant pas rapportée dès lors que l'absence de tout écrit fait obstacle à l'enregistrement et à la publicité du contrat, le contrat n'est donc pas valable et ne correspond en tous cas pas aux conditions du bail.
Elle soutient enfin que l'abandon de l'exploitation du fonds par les titulaires du bail constitue un motif de résiliation de celui-ci. Ses conclusions tendent donc à l'infirmation du jugement, à la résiliation judiciaire du bail et à la condamnation in solidum des époux Arachequesne à lui payer la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les époux Arachequesne demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris, en rappelant que le bail dispense les locataires de l'obtention du consentement de la bailleresse en cas de mise du fonds en location-gérance. Ils font observer que la disposition contractuelle relative à l'exigence d'un acte ne vise que l'hypothèse d'une cession du bail ou une sous-location de l'immeuble. Ils soutiennent que, nonobstant l'absence d'un écrit, la location-gérance est valable puisqu'elle peut être verbale et que le défaut d'enregistrement et de publicité entraîne des sanctions indépendantes de la validité du contrat.
En tout état de cause, la location-gérance a été régularisée par un acte notarié du 2 juin 1993 et la prise d'effet de cette location-gérance au 1er avril 1988 est rapportée par les attestations de l'administration fiscale.
Les intimés forment en outre à l'encontre de Madame Javelot une demande en paiement d'une indemnité de 100 000 F au titre du préjudice moral subi par eux et d'une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL Arachequesne, la banque La Henin, le Crédit Lyonnais, la société Finalon, la Perception d'Offranville et la Recette Principale des Impôts, régulièrement assignés devant la Cour par exploit des 20 et 21 janvier 1993 et 22 juin 1994, n'ont pas constitué avoué.
Sur ce, LA COUR,
Attendu que, s'agissant d'une action en résiliation, pour non respect des clauses du bail, il convient de se reporter à l'acte du 30 novembre 1978 liant les parties pour déterminer quelles étaient les obligations du preneur ;
Attendu que le bail comporte une clause " cession sans location " aux termes de laquelle ces deux opérations sont soumises, pour leur validité, à une double condition : l'existence d'un acte comportant les clauses de garantie classiques au profit du bailleur et le consentement exprès et tacite de ce dernier, la sanction du non-respect de ces conditions étant soit la nullité de la cession ou de la sous-location, soit la résiliation du bail ;
Mais attendu qu'il est expressément stipulé qu'en cas de cession de bail ou de sous-location, dans le cadre d'une location-gérance, le consentement du bailleur n'est pas nécessaire ;
Attendu d'autre part qu'aux termes de l'alinéa 2 de la même clause, un acte n'est exigé qu'en cas de cession ou de sous-location et ce pour permettre au bailleur d'obtenir l'engagement solidaire du preneur et du cessionnaire ou du sous-locataire au paiement du loyer ;
Mais attendu que cette exigence d'un écrit n'est pas requise, aux termes de l'acte, dans le cas d'une location-gérance, ne serait-ce que parce que le loueur est tenu de plein droit d'assumer les obligations résultant du bail, dont le paiement du loyer ;
Attendu qu'à supposer même qu'un acte ait été nécessaire, il résulte de l'examen de la clause du bail que la sanction ne porte que sur la validité du contrat, ce qui n'autorise pas le bailleur à poursuivre la résiliation du bail ;
Attendu que, pour se mettre plus qu'à devoir, les époux Arachequesne et la SARL Arachequesne ont d'ailleurs régularisé la location-gérance du fonds de commerce par acte passé par devant Me Paumier, notaire, le 2 juin 1993 ; que, pour les raisons sus rappelées, Madame Javelot ne peut se prévaloir ni du caractère tardif de cette régularisation ni de son défaut de notification à la bailleresse ;
Attendu que ni l'absence d'acte, au moment de l'introduction de la procédure, ni le défaut de consentement du bailleur ne peuvent donc être invoqués au soutien d'une demande en résiliation de bail ;
Attendu que le grief tiré de la non exploitation du fonds par les locataires eux-mêmes est tout aussi dénué de fondement dès lors que la possibilité de donner le fonds en location-gérance est expressément prévue par le bail ;
Attendu enfin que le défaut d'enregistrement et de publicité de la location-gérance, dont l'existence depuis 1988 est attestée par les pièces émanant de l'administration fiscale, sont sans effets sur la validité du contrat et n'ont de conséquences que dans les relations du locataire-gérant et du bailleur de fonds avec les tiers;
Attendu que le jugement doit être confirmé, non seulement en ce qu'il a débouté Madame Javelot de ses demandes, mais également en ce qu'il a débouté les époux Arachequesne de leur demande en dommages-intérêts ;
Attendu en effet que ces derniers sont mal fondés à invoquer le préjudice moral qu'ils auraient subi alors que leur réponse à la sommation interpellative était de nature à induire en erreur la bailleresse et qu'ils ont, volontairement ou non, laissé cette dernière dans l'ignorance de la situation nouvelle créée par la mise en gérance du fonds de commerce ;
Attendu qu'il serait cependant inéquitable de laisser aux intimés la charge des frais irrépétibles de la présente procédure qui seront arbitrés à 5 000 F ;
Par ces motifs : Dit Madame Javelot recevable mais mal fondée en son appel du jugement rendu le 17 septembre 1992 par le Tribunal d'instance de Dieppe, Confirme ledit jugement en toutes ses dispositions, Condamne Madame Javelot à payer aux époux Arachequesne la somme de 5 000 F (cinq mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Madame Javelot aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés par les avoués de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.