CA Paris, 5e ch. B, 8 décembre 1994, n° 93-24941
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Meiko Maschinebau GmbH and C (Sté)
Défendeur :
Établissements Joliva (SARL), Meiko Paris (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
MM. Bouche, Le Fevre
Avoués :
SCP Bommart Forster, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Lutz, Bloch.
Considérant que la société de droit allemand Meiko Maschinebau GmbH and C dite ci-après Meiko GmbH a fait appel d'un jugement contradictoire du 23 septembre 1993 du Tribunal de Commerce de Bobigny qui a rejeté son exception d'incompétence, l'a condamnée à verser à la société de droit français Etablissements Joliva ci-après nommée Joliva la somme de 1 500 000 F à titre de dommages-intérêts et à reprendre le stock de la société Joliva et ses obligations de service après vente à première demande de l'intimée, a rejeté sa demande reconventionnelle, l'a condamnée à verser 20 000 F au titre de l'article 700 à la société Joliva et a ordonné l'exécution provisoire des condamnations ;
Que la société Joliva a assigné devant la Cour la société Meiko Paris, filiale de la société Meiko GmbH afin que l'arrêt à intervenir soit déclaré commun et qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle se réserve le droit de demander ultérieurement à cette société la réparation des préjudices qui lui ont été causés ;
Considérant que la société Meiko GmbH expose :
- qu'elle a concédé par simple lettre du 19 juin 1972 à la société Joliva l'exclusivité de la vente dans douze départements français des éléments de cuisine industrielle qu'elle fabrique,
- qu'en octobre 1992 Raymond Chanteau, gérant de la société Joliva, l'a informée de son intention de prendre sa retraite et lui a proposé de lui céder la totalité du capital de la société Joliva,
- qu'en réponse à sa demande de formulation d'une offre chiffrée de cession faite au cours d'une entrevue du 19 novembre 1992, elle a reçu une proposition qui se chiffrait entre 3 300 000 et 3 600 000 F sur la base de l'actif net et d'une évaluation à 1 500 000 F de la valeur du fonds de commerce, qu'elle a rejetée ;
- que Raymond Chanteau, ayant confirmé son intention de prendre sa retraite, elle a résilié le contrat du 19 juin 1972 par lettre recommandée du 17 février 1993 à effet du 31 août 1993 et s'est engagée à reprendre le stock de pièces détachées de son concessionnaire à son prix d'achat et à exécuter aux conditions préexistantes les commandes qui seront prises par la société Joliva jusqu'au 31 août 1993 ;
- qu'elle n'a reçu aucune réponse à sa lettre du 17 février 1993 mais a appris en avril 1993 que la société Joliva avait notifié à la clientèle avec effet immédiat qu'elle ne pouvait plus prendre de commande en raison d'un refus de livraison de la société Meiko GmbH, et tenait des propos malveillants à son égard,
- qu'en réponse par contre à une demande d'explication du concédant du 26 avril 1993 rappelant que la concession n'était résiliée qu'à effet du 31 août 1993, la société Joliva a soutenu que la résiliation du 17 février 1993 la mettait dans l'impossibilité immédiate de continuer à vendre le matériel Meiko, et a maintenu cette position malgré l'envoi de deux télécopies de mise au point,
- que l'avocat de la société Meiko avait pris acte, par lettre du 30 avril 1993, de ce refus de poursuivre l'exécution du contrat et avait " constaté " la résiliation à effet immédiat de la concession ;
Considérant que la société Meiko GmbH reprend en appel son exception d'incompétence territoriale fondée sur les articles 2 et 5 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, soutient que le tribunal de son siège social allemand a seul compétence pour connaître d'une action concernant l'obligation " autonome " qui lui serait faite de verser des dommages intérêts quérables en Allemagne, et rejette toute application de la convention de Rome du 19 juin 1980 qui ne concerne pas la compétence des juridictions ;
Qu'elle observe qu'un contrat de concession à durée indéterminée peut être dénoncé sans motif et à tout moment par l'une des parties sous la seule réserve d'un préavis conforme aux usages et prétend que le délai de plus de six mois qu'elle avait choisi, respecte les usages, s'agissant d'une entreprise n'ayant que trois salariés et travaillant dans un " secteur moyennement technique " ;
Qu'elle conteste que la lettre de résiliation du 17 février 1993 soit ambiguë et puisse être interprétée comme une notification de rupture à effet immédiat, et s'étonne de ce que la société Joliva n'ait pas demandé d'explications et n'ait pas donné suite à ses tentatives d'éclaircissements destinées à dissiper un éventuel malentendu ; qu'elle en conclut que l'intimée avait " délibérément choisi de ne pas comprendre " les termes de la lettre du 17 février 1993 afin de justifier une demande de dommages-intérêts ;
Qu'elle soutient que la société Joliva, par son refus obstiné de poursuivre l'exécution du contrat jusqu'au terme du préavis, est seule responsable de la rupture que son avocat n'a fait que contester par la lettre du 30 avril 1993 ; qu'elle conteste par ailleurs toute tergiversation au cours des pourparlers de cession du capital de la société Joliva puisqu'elle a rejeté l'offre chiffrée de Raymond Chanteau dès que celle-ci a été formulée ; qu'elle prétend enfin que le préjudice allégué a fait l'objet d'une évaluation " désinvolte et abusive " ;
Qu'elle sollicite de la Cour qu'elle infirme le jugement déféré, qu'elle constate que le Tribunal de grande instance d'Offenburg est seul territorialement compétent, subsidiairement qu'elle déboute la société Joliva de ses demandes, qu'elle lui donne acte de ce qu'elle se réserve de réclamer ultérieurement réparation du préjudice qu'elle a subi, et qu'elle condamne la société Joliva à lui verser 30 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que la société Etablissements Joliva réplique que la société Meiko GmbH " maîtrisant complètement le marché " a imposé le 17 février 1993 la reprise immédiate du stock de pièces détachées et l'exécution désormais des commandes " à la commission, abandonnant définitivement le système, de la concession " ; qu'elle ajoute que dès cette rupture d'accords exécutés sans accroc depuis vingt et un ans, la société Meiko s'est " comportée en maître sur le marché ", lui imposant contrairement le paiement comptant des pièces détachées nécessaires contrairement aux usages antérieurs, prospectant sans retard la clientèle grâce au débauchage du seul salarié conservé et d'un des fils du gérant et rendant ainsi impossible toute activité du concessionnaire " fusillé " ;
Qu'elle ajoute qu'elle était concessionnaire exclusif de la société Meiko GmbH, qu'elle se consacrait entièrement à la représentation du concédant et qu'elle avait décuplé en vingt ans le chiffre d'affaires de son secteur ; qu'elle prétend que les pourparlers de cession conduits à l'initiative de la société Meiko GmbH n'ont été qu'une manœuvre qui a permis au concédant de choisir en connaissance de cause la meilleure façon d'imposer une rupture destinée à lui assurer, sous couvert de la société Meiko Paris nouvellement créée, la captation de la clientèle qu'elle s'était constituée ;
Qu'elle soutient que son action se fonde sur les obligations résultant du contrat de concession et sur la rupture de ce contrat qui s'exécutait en France, et que le Tribunal de son siège social était compétent pour en connaître ; qu'elle s'étend longuement sur son préjudice, forme un appel incident, et demande à la Cour de :
- confirmer le jugement déféré sur la compétence et la condamnation de la société Meiko GmbH à reprendre le stock et à assurer le service après-vente,
- constater que la société Meiko GmbH a rompu unilatéralement et abusivement le contrat de concession le 17 février 1993,
- condamner la société Meiko GmbH à lui verser 6 118 000 F de dommages-intérêts et 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la société Meiko Paris et lui donner acte de ce qu'elle se réserve de demander aux sociétés Meiko GmbH et Meiko France des dommages-intérêts pour leurs agissements illicites ;
Considérant que la société Meiko Paris, constatant qu'aucune demande de paiement n'est formulée à son encontre, demande à la Cour de déclarer l'appel en intervention forcée dont elle a été l'objet, mal fondé et abusif et de lui accorder 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant qu'en réponse aux conclusions de la société Joliva les sociétés Meiko GmbH et Meiko Paris maintiennent leurs positions et soutiennent que le refus de continuer à vendre du matériel Meiko dont la société Joliva a pris l'initiative, a contraint la société Meiko à constituer son propre réseau de commercialisation que les faits dénoncés par la société Joliva se situent après la rupture du 30 avril 1993, et que la défaillance du concessionnaire justifierait à elle seule que le concédant vende directement à la clientèle ; qu'elles demandent à la Cour de déclarer irrecevable l'appel incident de la société Joliva mais sans en préciser la raison ce qui dispense la Cour de l'obligation d'une réponse ;
Sur la compétence :
Considérant que l'article 5 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 donne en matière contractuelle compétence, alternative à celle de la juridiction du domicile du défendeur, au tribunal " du lieu ou l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée " ;
Considérant qu'il n'est nullement contesté par la société Meiko GmbH que le contrat la liant à la société Joliva portait sur une concession de vente d'appareils Meiko en région parisienne et en particulier en Seine Saint Denis où la société Joliva a son siège ;
Que la demande de dommages-intérêts formulée par la société Joliva constitue l'objet de l'action mais non sa " base " qui est la rupture brutale et abusive de la concession opérée par l'une ou l 'autre des lettres expédiées les 17 février et 30 avril 1993 au siège de la société Joliva à Aulnay-Sous-Bois,
Qu'il importe peu dès lors que les dommages-intérêts demandés soient quérables en Allemagne ; que les premiers juges ont eu raison de se déclarer compétents ;
Sur la résiliation
Considérant que les sociétés Meiko GmbH et Joliva s'accordent à reconnaître que depuis le 19 juin 1972 la seconde bénéficiait pour une durée indéterminée d'une concession exclusive de vente du matériel de cuisine industrielle Meiko que la première lui avait accordée, que la société Joliva consacrait en fait toute son activité à la vente des appareils Meiko, que les relations des deux entreprises était harmonieuses et que la rupture a suivi l'échec de brefs pourparlers de cession à la société Meiko GmbH du capital de la société Joliva dont le gérant, Raymond Chanteau, voulait prendre sa retraite ;
Considérant qu'une concession exclusive de vente à durée indéterminée peut être unilatéralement résiliée sans grief pour peu qu'un délai raisonnable de préavis soit respecté; que cette exigence conforme à l'obligation légale de loyauté, a pour but de permettre au cocontractant qui n'a pas pris l'initiative de la rupture, de faire face à ses conséquences économiques et financières;
Que l'appréciation du caractère raisonnable du préavis dépend ainsi de l'objet de l'activité exercée, en particulier de la durée habituelle des pourparlers précontractuels et des délais de livraison qui pèsent sur les opérations initiées, et de la spécificité des biens vendus qui peut rendre plus difficile la recherche d'un nouveau concédant ou d'un nouveau concessionnaire;
Qu'elle dépend aussi de la façon dont le concessionnaire évincé exerce son activité, la reconversion s'avérant plus mal aisée s'il consacre toute son activité à la commercialisation des produits du concédant;
Considérant qu'en reprochant à la société Meiko GmbH de lui avoir imposé une résiliation brutale et abusive, la société Joliva ne met pas seulement en cause l'absence selon elle de préavis sur laquelle elle s'étend longuement dans ses conclusions, mais reproche la trop grande brièveté du préavis dont elle soutient incidemment qu'il aurait dû être d'au moins douze mois ; que l'appréciation du caractère raisonnable du délai de préavis choisi par la société Meiko GmbH se trouve au surplus au coeur même du débat du fait que les premiers juges ont fondé leur décision de condamnation sur l'impossibilité d'une reconversion du concessionnaire dans les six mois accordés ;
Considérant que la société Meiko GmbH a écrit le 17 février 1993 à Raymond Chanteau en sa qualité de gérant de la société Joliva la lettre suivante :
" Cher Monsieur Chanteau,
Nous nous permettons de référer à notre conversation à Offenburg du 16 février 1993, au cours de laquelle vous nous avez encore une fois confirmé que vous avez l'intention de prendre votre retraite à partir du 1er juillet 1993. Nous regrettons vivement ce départ, étant donné que nous avons eu pendant 21 années une coopération étroite et harmonique ayant portée ces fruits aux deux parties. Malheureusement nous avons dû vous exprimer qu'une participation de notre part ou même une reprise de la société Joliva n'entrait pas en considération pour des raisons différentes.
A cause de votre départ de la vie professionnelle, nous nous soyons obligés à notre grand regret de résilier en bonne forme et terme au 31 août 1993 l'accord de vente (voir notre lettre du 19 juin 1972), qui avait toujours le caractère d'un accord " concessionnaire ".
Nous vous offrons :
1) si vous le désirez, de reprendre votre stock de pièces détachées originales Meiko, en bon état de fonctionnement, aux prix nets facturés.
2) de dûment exécuter toutes les commandes passées et confirmées à nous de Joliva jusqu'au 31 août 1993. Si de telles commandes sont transmises avec l'accord du client final de Joliva à Meiko pour règlement et facturation directes, nous vous offrons par retour une rémunération appropriée.
En espérant sur votre compréhension pour cette, à notre avis, décision inévitable et en vous remerciant encore une fois pour la bonne coopération de longue durée, nous vous prions d'agréer, Monsieur Chanteau, nos salutations les plus sincères. "
Considérant que la société Meiko GmbH n'était nullement tenue de notifier une résiliation dont elle prenait l'initiative ; qu'il lui suffisait de rejeter l'offre qui lui avait été faite, d'une cession du capital de la société Joliva au prix de 3 300 000 à 3 600 000 F et de prendre acte de l'intention que Raymond Chanteau manifestait de prendre sa retraite à partir du 14 juillet 1993 et d'informer la société Joliva de ce qu'elle était prête à accepter une résiliation consensuelle à cette date ou à tout autre qui serait choisie par les cocontractants ; qu'il lui appartenait, dès lors qu'elle procédait unilatéralement à la résiliation et en imposant la date, d'assurer à la société Joliva, partenaire durant vingt et une années, la possibilité d'une reconversion et de la faire dans des termes d'autant moins ambigus que la lettre du 17 février 1993 n'avait été précédée d'aucune négociation des conditions de la rupture ;
Considérant que cette lettre de résiliation ne comporte que la fixation au 31 août 1993 de l'arrêt " inévitable " des relations contractuelles, une offre de reprise du stock aux prix nets facturés sans précision de la date de cette reprise, l'engagement d'exécuter les commandes qui lui seraient " confirmées " avant le 1er septembre 1993, et l'offre d'une " rémunération appropriée " si le client demande une facturation directe de la société Meiko GmbH, hypothèse plausible s'il est parallèlement informé de la fin imminente de la concession ;
Qu'il convenait au moins que la société Meiko GmbH définisse la " rémunération appropriée " en s'engageant, si elle entendait éviter une novation unilatérale des accords du 19 juin 1972 qui autoriseraient la société Joliva à déterminer ses prix de vente et par conséquent sa marge bénéficiaire, à facturer directement le client qui en ferait la demande, au prix directement par la société Joliva et à rétrocéder à celle-ci la différence entre ce prix et celui de son propre tarif ;
Considérant qu'au lieu de demander des éclaircissements et des engagements complémentaires qui s'imposaient, la société Joliva a informé certains de ses clients à partir du 10 mars 1993 de la rupture " brutale " et " sans raison plausible " de la concession dont elle bénéficiait, a annulé une commande et mis fin à des pourparlers précontractuels , ajoutant que " le comportement " de la société Meiko GmbH " n'était en aucune façon le reflet de la propre éducation " de son gérant " ; que cet ajout témoigne du dépit et de l'amertume compréhensibles de Raymond Chanteau qui sont probablement à l'origine de son refus des offres ultérieures d'apaisement de la société Meiko GmbH ;
Considérant qu'il résulte des correspondances versées aux débats que la société Meiko GmbH a écrit le 26 avril 1993 à la société Joliva pour " éclaircir un malentendu ", lui demander d'expliquer l'absence de traitement d'une commande Bultel Location du 4 mars 1993, le rejet en avril 1993 d'une demande de la société IDFC et le dénigrement du matériel Meiko auprès du client Servair, lui rappeler que toute demande ou commande reçue jusqu'au 31 août 1993 devait lui être transmise et la menacer d'une rupture immédiate de la concession à défaut de réponse ;
Que la société Joliva a répondu le jour même en expliquant que l'exigence d'une facturation et d'un paiement directs était impraticable et inacceptable, que les dispositions imposées par la lettre du 17 février 1993 ne lui permettaient plus de continuer à vendre le matériel Meiko et qu'elle démentait tout dénigrement ;
Que le 27 avril 1993 la société Meiko GmbH a répliqué, pour effacer " le malentendu majeur " qu'elle regrettait, qu'elle continuait à accepter les commandes de la société Joliva et que l'exigence d'une " confirmation " de sa part avait pour but de lui permettre de contrôler les possibilités d'exécution, les conditions de vente et les délais promis de livraison ; qu'elle paraissait par la même apporter une seconde novation aux accords antérieurs en se réservant la faculté d'un refus unilatéral des commandes que la société Joliva lui transmettrait ;
Que le 29 avril 1993 la société Joliva a écrit par lettre recommandée à la société Meiko GmbH que la " rupture unilatérale " du 17 février 1993 la mettait dans l'impossibilité de continuer les ventes, que " la solution provisoire proposée pour le préavis " était impraticable, que la cessation de travail de la concession " était la mort de la société Joliva " compte tenu de ce qu'elle ne vendait que du matériel Meiko et que la société Meiko GmbH l'avait voulue radicale en imposant des conditions facilitant les liens directs avec ses clients ;
Que le 28 avril 1993, avant donc d'avoir reçu cette lettre, la société Meiko GmbH a exigé par téléfax un engagement de la société Joliva avant le lendemain 16 heures de traiter toute nouvelle commande et notamment celle de la société Servair ; que le 30 avril 1993 l'avocat allemand de la société Meiko GmbH notifiait une résiliation à effet immédiat, en raison du refus de poursuite des rapports contractuels qu'impliquait la lettre du 29 avril 1993 ;
Considérant qu'il était parfaitement déraisonnable pour un concédant de résilier unilatéralement avec un préavis d'à peine plus de six mois une concession de vente qui avait duré vingt et une années, dont l'exploitation constituait la seule activité du concessionnaire et qui portait sur un matériel aussi particulier que celui équipant les cuisines industrielles; qu'il n'est contesté ni que les fabricants d'un tel matériel sont peu nombreux et en conséquence que la recherche d'une concession de remplacement est aléatoire, ni que les commandes ne sont obtenues qu'au terme d'études et de pourparlers précontractuels dont la durée même implique que le concessionnaire dispose du temps nécessaire pour les obtenir sans avoir à les compromettre en informant le client de la fin imminente de sa concession, ni que le service après vente constitue une prestation essentielle qui ne peut qu'inciter le client à traiter directement avec le fabricant s'il sait que son interlocuteur va incessamment perdre sa concession;
Que la société Joliva est en droit de reprocher à la société Meiko GmbH, à défaut de la prolongation dolosive de pourparlers de cession retenues par les premiers juges, de lui avoir soudainement imposé le 17 février 1993 une résiliation de la concession exclusive dont elle bénéficiait sans avoir discuté des modalités d'achèvement de leur collaboration, sans avoir offert le délai de poursuite temporaire de la prospection commerciale et la recherche d'une activité de remplacement, et sans avoir recherché le moindre accord sur les dispositions novatrices qu'elle entendait imposer pour la trop courte période de préavis qu'elle avait choisie ;
Que la société Meiko GmbH peut d'autant moins le contester qu'elle a envisagé dès la rupture l'hypothèse de l'exigence de relations directes avec elle émanant des clients de la société Joliva sans il est vrai y rapporter une réponse appropriée ; qu'elle a feint dans les derniers jours d'avril 1993 de dissiper ce qu'elle présentait comme un regrettable malentendu, sans toutefois laisser grande place à la discussion, et que son avocat allemand s'est empressé de notifier le 30 avril 1993 une résiliation à effet immédiat avec une hâte qui témoigne du peu de sincérité des tentatives bien tardives d'éclaircissements ;
Considérant qu'à l'inverse Raymond Chanteau s'est par trop empressé de considérer comme irrévocable la résiliation dont était victime la société Joliva ; qu'elle lui permettait sans doute de substituer une demande d'indemnisation à son offre rejetée de cession du capital social ;
Que la société Joliva n'a demandé aucun des éclaircissements, aucune des modifications qui s'imposaient, avant de mettre un terme à la prospection commerciale et de refuser des commandes ou demandes de proposition ; qu'elle n'a guère manifesté d'empressement à répondre par téléfax aux correspondances de fin avril 1993 de la société Meiko GmbH ; qu'elle s'est bornée à opposer au concédant une interprétation peu convaincante de la lettre du 17 février 1993 sans offrir les aménagements nécessaires et sans solliciter l'allongement du délai de préavis ;
Qu'elle a contribué ainsi que la société Meiko GmbH le soutient pour en conclure au rejet de la demande d'indemnisation, à rendre immédiate une rupture inéluctable certes puisque la société Meiko GmbH était en droit d'en prendre l'initiative, mais qui aurait pu se concrétiser sans qu'il en résulte un préjudice aussi important que celui dont elle fait état ;
Considérant en définitive que la société Meiko GmbH a abusé de son droit de résilier la concession qu'elle avait accordée à la société Jolivacependant que celle-ci a contribué à l'aggravation de son préjudice ; qu'il convient de condamner la société Meiko GmbH à réparer ce préjudice dans la proportion de trois quarts ;
Sur le préjudice
Considérant que la société Joliva chiffre ainsi son préjudice :
- 4 000 000 F de perte de marge sur la base d'un préavis d'au moins douze mois en ce compris la commande Servair traitée directement par la société Meiko GmbH,
- 118 000 F de frais de licenciement de salariés,
- 1 500 000 F de frais improductifs de publicité et de prospection,
- 500 000 F de préjudice moral et commercial,
Considérant toutefois que la faute de la société Meiko GmbH ne réside pas dans la résiliation elle même mais dans la brutalité de celle-ci ; que le préjudice qui en résulte, est une perte des résultats qui pouvaient être escomptés d'une poursuite des relations commerciales jusqu'au terme du délai raisonnable de préavis et une perte de chances convenables de réorganisation à laquelle peuvent être rattachées les frais de licenciement et le préjudice commercial allégué ;
Que le préjudice moral n'est pas justifié ; qu'il ne pourrait être propre qu'à Raymond Chanteau ; que la société Meiko GmbH n'a pas qualité pour le demander ;
Considérant que les résultats d'exploitation de la société Joliva ont été de 842 154 F, 456 855 F et 1 142 201 F en 1990, 1991 et 1992 , ; qu'il n'est pas contesté que le montant de la commande Servair approchait à lui seul le total du chiffre d'affaires annuel moyen ce qui impliquait que si la société Joliva avait pu exercer son activité dans les conditions s'apparentant aux années antérieures, le résultat net obtenu d'une très sensible augmentation du chiffre d'affaires aurait été beaucoup plus élevé que la moyenne des résultats antérieurs ;
Que la cour dispose d'éléments suffisants pour chiffrer à 2 400 000 F l'évaluation du préjudice subi par la société Joliva qui est ainsi fondée à demander que la société Meiko GmbH lui verse 1 800 000 F de dommages intérêts ;
Considérant qu'il serait inéquitable que la société Joliva conserve la charge de ses frais irrépétibles ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de donner acte de réserves d'actions ultérieures dont la recevabilité ne dépend pas de l'existence de telles réserves ;
Considérant que la société Meiko Paris a été immatriculée en octobre 1993 alors que le délai raisonnable de préavis n'était pas expiré ; qu'elle est concernée à ce titre par le présent arrêt ; que la société Joliva était fondée à l'appeler en déclaration d'arrêt commun ; qu'il n'est pas inéquitable qu'elle conserve la charge de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs : Confirme la décision déférée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence territoriale ; L'infirmant pour le surplus, condamne la société Meiko Maschinebau GmbH and C à verser à la société Etablissement Joliva 1 800 000 F de dommages intérêts ainsi que 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à reprendre le stock de son ex concessionnaire aux prix nets d'achat et ses obligations de service après vente à première demande, Déclare le présent arrêt opposable à la société Meiko Paris en ce qu'il a fixé à douze mois le délai minimum de préavis qui aurait dû être respecté par la société Meiko Maschinebau GmbH and C ; Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne la société Meiko Maschinebau GmbH and C en tous les dépens de première instance et d'appel. Admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.