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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 21 décembre 1994, n° 93004168

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Wagner

Défendeur :

Desmazières (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Biecher

Conseillers :

Mme Massieu, M. Petriat

Avoués :

SCP J. Piault & M. Lacrampe-Carraze, SCP Longin

Avocats :

Mes Arpizou, Dissez.

T. com. Pau, du 7 juill. 1993

7 juillet 1993

Attendu que par acte sous seing privé du 7 juillet 1987, la SA Desmazières et Madame Wagner ont convenu d'un contrat qualifié de " contrat de franchise " pour l'exploitation par Madame Wagner d'un magasin à l'enseigne Petit Boy, à Martigues, prenant effet le 29 août 1987 et pour une durée de deux années, renouvelable annuellement ensuite ;

Attendu que par courrier du 14 février 1990, Madame Wagner a dénoncé le contrat pour le 27 août suivant, et le 5 juin 1990, elle a entamé une procédure judiciaire contre la Société Desmazières pour voir prononcer la nullité du contrat et obtenir des dommages et intérêts et subsidiairement pour voir prononcer la résiliation du contrat aux torts du franchiseur ;

Attendu que le Tribunal de commerce de Pau auquel l'affaire a été renvoyée à raison de sa compétence territoriale par la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, a rendu le 7 juillet 1993 un jugement déboutant Madame Wagner de ses demandes, la condamnant au paiement d'une indemnité de 10 000 F pour procédure abusive et d'une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, et déboutant la Société Desmazières de sa demande reconventionnelle au titre du "passif" de Madame Wagner.

Attendu que Madame Wagner est régulièrement appelante de cette décision ;

Qu'elle demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré et en conséquence de constater la nullité du contrat du 7 juillet 1987 pour absence de cause et non-respect de l'article 85 du Traité de Rome et subsidiairement d'en prononcer la résiliation aux torts de la Société Desmazières ; avec pour conséquence la condamnation de celle-ci au paiement d'une indemnité globale de 354 615 F, outre 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Attendu que la société Desmazières conclut à la confirmation du jugement et forme appel incident pour que soit déclarée recevable et bien fondée sa demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 276 393,21 F outre intérêts au taux légal à compter du 5 juin 1990, et 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Attendu qu'en cet état, l'ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 1994 ;

1. La nullité du contrat pour absence de cause

Attendu que Madame Wagner invoque la nullité du contrat du 7 juillet 1987 pour absence de cause ; qu'elle fait valoir que le contrat de franchise doit nécessairement comprendre la transmission, par le franchiseur au franchisé, d'un savoir-faire ; qu'en l'espèce, la Société Desmazières n'est détentrice d'aucun savoir-faire, qu'elle s'est contenté de transmettre des " éléments généraux ne présentant aucune originalité propre et étant facilement accessibles à tous ", qu'en outre " aucun savoir-faire n'est défini dans le contrat et les pièces annexes " que dès lors, la Société Desmazières n'avait rien à transmettre à son franchisé et le contrat synallagmatique est nul pour absence de cause ;

Attendu que la Société Desmazières réplique qu'elle est détentrice d'un savoir-faire spécifique qui a bien été transmis à Madame Wagner, d'abord dans le cadre de leur premier contrat pour un magasin à Mantes-La-Jolie, et ensuite lors de l'exécution du second contrat à Martigues ; qu'il se caractérise par : des journées annuelles de formation à Nay, l'envoi régulier d'un journal " Info-Franchise " à l'ensemble des franchisés, des visites des représentants du franchiseur dans les magasins du franchisé, la réalisation de catalogues chaque saison, la publicité des modèles dans la presse nationale et locale, la participation aux salons de la mode enfantine depuis 1974 ; que cet ensemble d'activités a permis d'acquérir une notoriété reconnue par l'ensemble de la presse nationale ;

Attendu que les parties admettent le principe que le contrat de franchise se caractérise par la transmission tout au long de l'exécution du contrat d'un savoir-faire " secret, substantiel et identifié " résultant de l'expérience du franchiseur et que le franchisé seul n'aurait pu acquérir qu'au prix de longs efforts et qui lui permet d'accéder rapidement à une notoriété certaine ;

Attendu que l'article III du contrat du 7 juillet 1987 énumère les diverses obligations du franchiseur ;

Attendu que, la critique de Madame Wagner s'en tient à des considérations d'ordre général tirées de la jurisprudence, et à l'attestation unique d'une dame Contreras ;

Que la Société Desmazières au contraire justifie de sa propriété sur la marque Petit Boy, inscrite à l'INPI depuis 1965 au moins selon les pièces produites, et de la notoriété de sa marque par des coupures de la presse nationale (Figaro Madame, Parents) et la photographie du joueur de tennis Henri Leconte lors d'un Tournoi à Roland Garros montrant derrière ce joueur un panneau publicitaire de la marque Petit Boy ;

Attendu que la Société Desmazières produit aussi aux débats :

- les catalogues de collection de vêtements édités chaque année depuis 1977, et des affiches du salon annuel de la mode enfantine démontrant sa participation constante à ces manifestations ;

- les copies de sa publication interne " Info-Franchise ", apparemment mensuel, l'exemplaire du 13 avril 1989 portant le n° 195 ;

- les copies des rapports de visite dans le magasin de Madame Wagner des 23 septembre 1987, 18 avril et 7 octobre 1988, 12 avril et 7 octobre 1989,

- des convocations pour des journées régionales de formation ;

Attendu que tous ces documents sont produits en photocopie, incomplets pour la plupart, et la preuve qu'ils aient été adressés à Madame Wagner n'est pas rapportée ;

Attendu toutefois qu'ils ont été communiqués lors des débats devant le Tribunal et la Cour, et Madame Wagner n'a jamais prétendu qu'elle n'en a pas eu connaissance en temps voulu ;

Qu'il se déduit de cette documentation que la Société Desmazières est détentrice d'un authentique savoir-faire en constante évolution qui lui a permis d'acquérir une notoriété nationale et qu'elle a régulièrement transmis ce savoir-faire à Madame Wagner ;

Attendu que celle-ci n'est donc pas fondée à invoquer l'absence de cause du contrat pour absence de savoir-faire ;

Que sur ce point, le jugement déféré sera confirmé ;

2. La nullité du contrat en application de l'article 85-2 du Traité de Rome

Attendu que Madame Wagner prétend ensuite à la nullité du contrat du 7 juillet 1987 au motif que l'article 4 stipule que " le franchisé s'engage à n'acheter et à vendre que des produits de la collection Petit Boy " alors que l'article 85-2 du Traité de Rome rend obligatoire la possibilité d'approvisionnement des franchisés auprès des autres membres du réseau

Que Madame Wagner déduit de l'article 4 du contrat qu'elle ne peut s'approvisionner qu'auprès du distributeur et que le contrat est donc nul ;

Attendu que la société Desmazières réplique que Madame Wagner confond approvisionnement exclusif auprès du fournisseur et approvisionnement exclusif dans la collection, seul visé par le contrat ; que la faculté d'approvisionnement au sein du réseau est possible ainsi que cela résulte des " infos-franchise " versées aux débats et d'un Procès-verbal d'enquête de la DGCCRF concernant un autre franchisé ;

Attendu en effet que l'article 4 du contrat vise l'exclusivité d'approvisionnement dans les collections Petit Boy, et non auprès du franchiseur; et les documents évoqués par la Société Desmazières font état de la possibilité ouverte aux franchisés de s'approvisionner auprès de leur confrères;

Attendu du reste que Madame Wagner ne produit aucun document par lequel elle aurait reçu interdiction de s'approvisionner auprès des autres franchisés;

Qu'ainsi son moyen est dénué de pertinence, et à cet égard la décision sera aussi confirmée ;

3. La résiliation du contrat aux torts de la société Desmazières

Attendu que Madame Wagner fait grief à son cocontractant d'avoir violé son obligation de respecter l'exclusivité de la distribution des produits de la marque Petit Boy, en approvisionnant de ses produits un autre magasin de la ville de Martigues exploité sous l'enseigne Bambi ;

Qu'elle ajoute que si la Société Desmazières n'avait pas su qu'elle ne respectait pas le contrat, elle n'aurait pas obtempéré à son courrier qui faisait état de ce manquement ;

Attendu que la Société Desmazières réplique qu'elle a cédé l'exclusivité de la franchise et non la distribution de ses produits puisqu'elle développe un double réseau de franchises et de magasins " multimarques " ; ce que Madame Wagner n'ignore pas ; et elle se prévaut de son " geste commercial " ayant consisté à ne plus fournir le magasin Bambi au reçu de la lettre de Madame Wagner ; qu'elle conclut au débouté de la demande en résiliation du contrat à ses torts ;

Attendu qu'aux termes de l'article III du contrat, la Société Desmazières a accordé à Madame Wagner " le droit exclusif d'user à titre d'enseigne de la marque Petit Boy et de commercialiser la totalité des produits de la collection Petit Boy... " et elle s'est engagée " à ne pas accorder de droits analogues à ceux résultant du contrat à quelque commerçant que ce soit de la ville de Martigues " ;

Attendu effectivement que la Société Desmazières n'a accordé que l'exclusivité de la franchise et non de la distribution de ses produits, mais elle priverait ses franchisés d'une grande partie des avantages consentis si, parallèlement elle développait un réseau de distribution multimarques venant concurrencer directement les magasins exploités sous l'enseigne Petit Boy tenant à une obligation d'approvisionnement limité;

Qu'au demeurant le fait qu'elle ait arrété ses approvisionnements au magasin Bambi témoigne bien qu'elle est consciente de ces contradictions, et ne résulte pas seulement d'un " geste commercial ";

Attendu cependant que le manquement a cessé sur première injonction de Madame Wagner, et celle-ci ne précise pas l'importance des stocks cédés au magasin Bambi ni l'incidence financière sur sa propre exploitation ; que le préjudice n'étant pas établi, la résiliation n'a donc pas lieu d'être ordonnée aux torts exclusifs de la Société Desmazières ;

4. L'appel incident de la société Desmazières

Attendu que la société Desmazières a formé une demande en paiement des sommes restant dues en vertu du contrat par Madame Wagner, mais les premiers juges l'ont déclarée irrecevable au motif qu' " elle ne pouvait être considérée comme demande reconventionnelle " dans la mesure où elle n'a " pas fait l'objet de l'assignation " ;

Attendu que la Société Desmazières réitère sa demande devant la Cour ;

Attendu que Madame Wagner n'a pas mis à profit la période de plusieurs mois qui s'est étendue entre cette demande (15 mars 1994) et l'Ordonnance de clôture (20 septembre 1994) pour émettre des observations sur la recevabilité ou le bien-fondé de cette demande ;

Attendu selon les articles 64 et 70 du Nouveau code de procédure civile que la demande reconventionnelle est la demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la demande de son adversaire, et elle n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant ;

Attendu que la demande en paiement des sommes dues en exécution d'un contrat, faite en réponse à une demande en résolution du même contrat constitue une demande reconventionnelle recevable ;

Attendu au fond que la demande est justifiée par un relevé de facture de 241 421,31 F pour le magasin de Martigues, daté du 20 juin 1990 ;

Que le surplus de la demande (" magasin de Mantes La Jolie " agios et frais) n'est justifié par aucun élément à l'exception d'un seul simple décompte récapitulatif ;

Attendu que la première mise en demeure de payer est constituée par les conclusions du 7 avril 1993 figurant au dossier, qui sera, en application de l'article 1153 du Code Civil le point de départ des intérêts au taux légal de la dette de Mme Wagner.

4. Les demandes accessoires

Attendu que la société Desmazières ne précise pas en quelle manière la procédure engagée par Mme Wagner aurait un caractère abusif ;

Qu'elle doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef ;

Attendu qu'en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Mme Wagner versera à l'appelante une somme de 10 000 F pour frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Déclare l'appel recevable mais mal fondé ; Confirme le jugement rendu le 7 juillet 1993 par le tribunal de commerce de Pau en ce qu'il a débouté Mme Wagner de sa demande en résolution et en résiliation du contrat du 7 juillet 1987 ; Emendant pour le surplus, Déclare recevable la demande reconventionnelle de la Société Desmazières, Condamne Mme Wagner à payer à la société Desmazières la somme principale de 274 421,31 F, Dit que les intérêts au taux légal sont dus à compter du 7 avril 1993 et jusqu'à complet règlement ; Déboute la société Desmazières de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ; Condamne Mme Wagner à payer à la société Desmazières une somme de 10 000 F pour frais de première instance et d'appel, La condamne aux dépens ; Autorise conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile, la SCP Longin, avoués, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.