CA Toulouse, 2e ch., 11 janvier 1995, n° 5434-93
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Union des coopératives agricoles alliance agro-alimentaires 3A (Sté)
Défendeur :
Union des laiteries coopératives, Union des coopératives agricoles
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Milhet
Conseillers :
M. Bensoussan, Mme Ignacio
Avoués :
SCP Boyer-Lescat, SCP Nidecker-Prieu
Avocats :
Me Hutin, SCP Camille-Sarramon-Vincenti.
La société Union de Coopératives Agricoles Alliance Agro Alimentation (dite 3 A) a concédé, par contrat du 24 décembre 1970, la fabrication et la distribution de lait à la société Union de Laiteries Coopératives (dite ULC).
La société 3 A, considérant que ce contrat avait fait l'objet d'une résiliation conventionnelle à la suite du traité d'apport partiel d'actif intervenu entre la société ULC et la coopérative " Yoplait Charentes ", a décidé de mettre un terme aux relations contractuelles des parties.
La société ULC, contestant les modalités de cette rupture, a sollicité, en justice, la réparation du préjudice qu'elle prétendait avoir subi.
La société 3 A a conclu au rejet de cette demande et reconventionnellement au paiement du montant des factures dues par son contradicteur.
Le Tribunal de Grande Instance de Toulouse, a, par jugement du 8 octobre 1993, condamné la société 3 A à payer la somme de 2 360 476,85 F en réparation du préjudice résultant du caractère brutal de la rupture du contrat, rejeté les autres demandes de la société ULC et condamné celle-ci au paiement de la somme de 5 071 451 F 18 avec les intérêts au taux légal à compter du 14 février 1991, date de la mise en demeure, sur la somme de 4 659 369,55 F et à compter du 13 janvier 1993, date de notification des conclusions rectificatives, dus depuis plus d'un an à compter de la demande en justice, selon les modalités prévues par l'article 1154 du Code civil.
La société 3 A et la société ULC ont successivement et respectivement interjeté appel de cette décision et les deux instances d'appel ont été jointes par ordonnance du Conseiller de la Mise en Etat du 10 février 1994.
La société 3 A sollicite, à titre principal, le rejet des demandes de la société intimée, à titre subsidiaire, la désignation d'un expert à l'effet de déterminer le préjudice effectivement subi par la société ULC du fait du caractère brusque de la rupture alléguée, et en tout état de cause, l'allocation de la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts outre celle de 50 000 F au titre des frais irrépétibles.
La société appelante fait valoir que le contrat, dont l'article 22 prévoyait sa résiliation de plein droit et sans préavis en cas de dissolution, fusion ou absorption du concessionnaire, avait un caractère " Intuitu Personae ", que si la société ULC n'a pas été dissoute ou absorbée, celle-ci n'en pas moins transféré à la société Yoplait Charentes la totalité de ses éléments corporels immobiliers ainsi que la totalité de sa branche d'activité collecte de lait et fabrication de produits et n'a plus, ainsi, aucune existence sur le plan économique, que le traité d'apport partiel d'actif n'est en fait qu'une absorption déguisée, que la résiliation de plein droit est, donc, acquise conformément à l'article susvisé, qu'en tout état de cause la résiliation judiciaire du contrat doit être prononcée (dès lors que le traité d'apport partiel déroge aux stipulations du contrat de concession en ce qu'il a été porté à sa connaissance plus de dix mois après sa signature et en ce que la société ULC a directement proposé à la vente des produits concurrents et a communiqué les procédés et techniques de fabrication), et que si la marge brute (dont il n'est pas justifié) sert de base d'évaluation en cas de rupture d'un contrat de concession il en va différemment, en l'espèce, du fait de l'existence du traité d'apport partiel d'actif qui a transféré à la coopérative Yoplait Charentes, non seulement, la totalité des actifs immobiliers, mais encore, toute l'activité de fabrication de produits frais.
Elle maintient, par conclusions responsives, que les conditions de la résiliation conventionnelle sans préavis sont, ici, remplies (dès lors que l'activité de la société ULC a été réduite à celle de collecteur de lait, que ladite société n'a pas exécuté de bonne foi la convention des parties et qu'il doit être fait application de l'adage " Fraus Omnia Corrumpit), que si les conditions de la résiliation conventionnelle ne sont pas réunies il est possible d'y substituer une résiliation judiciaire, qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être imputé et que la demande au titre du caractère abusif de la rupture doit être rejetée, et produit un avis officieux quant au préjudice.
La société ULC sollicite le rejet des demandes de la société 3 A ainsi que l'allocation de la somme de 2 360 476, 85 F au titre de la rupture abusive, outre celle de 500 000 F au titre du préjudice commercial et celle de 50 000 F au titre des frais irrépétibles.
Ladite société soutient que l'apport partiel d'actif ne peut être assimilé, en la cause, à une fusion ou à une absorption (dès lors qu'il n'y a pas eu création d'une société nouvelle, ni absorption d'une société par une autre ou dissolution de l'ULC et qu'elle a conservé l'ensemble de son activité de distribution ainsi qu'une partie de son activité de collecte), que la rupture du contrat n'a pas été causée par une impossibilité de l'ULC de poursuivre son exécution, que l'hypothèse de l'apport partiel n'étant pas prévue comme cause de résiliation conventionnelle il convenait de respecter un préavis de six mois, que la société 3 A, qui désirait, en fait, reprendre la zone géographique de collecte concédée, a accompli des actes de concurrence déloyale, que la résiliation conventionnelle est non seulement brutale mais abusive, que la société ULC ne peut, après avoir mis en œuvre la procédure de résiliation conventionnelle, solliciter la résiliation judiciaire en application de l'article 1184 du Code civil, qu'aucune expertise n'est nécessaire pour démontrer l'étendue du préjudice calculé sur la base de principes constants énoncés par la jurisprudence (montant de la marge brute dont le concessionnaire a été privé) et que son préjudice commercial et pour rupture abusive doit, également, être réparé.
Sur quoi, LA COUR,
Attendu qu'il est constant que les parties (qui avaient stipulé une faculté de résiliation du contrat de concession à tout moment sous réserve d'un préavis de six mois et de notification par lettre recommandée) avaient, toutefois, prévu que les effets du contrat cesseraient, de plein droit et sans préavis, en cas de dissolution du concessionnaire, et de fusion ou d'absorption de ce même concessionnaire, si la société absorbante, ou la nouvelle société résultant de la fusion, ne recevait pas l'agrément du concédant;
Attendu, en droit, que la fusion, qui est l'opération par laquelle deux ou plusieurs sociétés se réunissent pour n'en former qu'une seule, peut résulter soit de la création d'une société nouvelle par les sociétés existantes, soit de l'absorption d'une société par un autre (procédé dit de la " fusion absorption ") et entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, tandis que l'apport partiel d'actif consiste pour une société (qui subsiste) à faire apport à une autre société d'une partie de ses éléments d'actif ;
Attendu, en l'espèce, qu'il résulte de l'analyse du document intitulé traité d'apport partiel d'actif, qui a été établi le 29 janvier 1990, que la société ULC a apporté à la société Yoplait Charentes l'ensemble de ses activités industrielles de fabrication de produits laitiers;
Attendu, cependant, que la société ULC a conservé (outre sa personnalité juridique) l'ensemble de son activité de distribution et une partie de son activité de collecte, ce qui est d'ailleurs confirmé par l'examen des comptes sociaux de ladite société afférents aux années 1990 et 1991 et qui font apparaître la poursuite de l'existence et de l'activité économique de celle-ci après la signature du traité d'apport ;
Attendu, ainsi, que l'opération réalisée le 29 janvier 1990 ne peut être assimilée aux hypothèses, prévues contractuellement, de résiliation de plein droit et sans préavis du contrat de concession ;
Attendu que les clauses de ce contrat relatives à la résiliation sont claires, non équivoques et dépourvues de toute ambiguïté, qu'aucune discordance n'apparaît entre la volonté réelle exprimées des parties et la formulation de cette volonté et que la faute imputée à la société ULC n'est pas, à suffisance, caractérisée ;
Attendu, en conséquence, qu'il convient de considérer que la société 3 A ne pouvait rompre le contrat de concession liant les parties sans respecter le délai de préavis contractuel de six mois (les conditions de la résiliation conventionnelle n'étant pas, ici réunies), sauf à démontrer la faute grave et caractérisée de son cocontractant ;
Attendu, à cet égard, que la société 3 A sollicite le prononcé de la " résiliation " judiciaire du contrat de concession sur le fondement de l'article 1184 du Code civil en faisant état des graves manquements de la société ULC qui excipe de l'irrecevabilité de cette demande ;
Mais, attendu que la mise en œuvre de la clause de résiliation de plein droit insérée à un contrat ne prive pas une partie, en dehors d'une renonciation non équivoque de sa part qui n'est pas en la cause établie, du droit de demander la résolution judiciaire de ce contrat, alors surtout que les manquements allégués par la société 3 A sont différents des cas visés par la clause résolutoire que ladite société entendait voir appliquer ;
Attendu qu'aux termes du contrat le concessionnaire s'était interdit de communiquer à quiconque les procédés et techniques de fabrication mis à la disposition par le concédant (et ce même après la résiliation du contrat) et de proposer à la vente, de vendre, de s'intéresser directement ou indirectement à la distribution de laits identiques ou similaires à ceux vendus sous les marques de la Sodima, et s'était engagé à ne pas prendre dans l'avenir, sans accord préalable du concédant, des accords, participations directes ou indirectes avec (ou dans) des entreprises concurrentes fabricant ou distribuant des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels la concession était accordée ;
Or, attendu qu'il apparaît, ce qui n'est pas formellement dénié, qu'à la suite du traité d'apport partiel d'actif à la société Yoplait Charentes, la société ULC qui était directement intéressée du fait de sa participation dans ladite société à la fabrication de produits concurrents de ceux vendus par la société 3 A, n'a pas respecté les obligations susvisées qui soulignaient le caractère intuitu personae du contrat liant les parties ;
Attendu, en effet, que ladite société a communiqué à un tiers les procédés et techniques de fabrication, et a directement proposé à la vente des produits concurrents, (ce que d'ailleurs la société ULC revendique à l'effet de démontrer la poursuite de son " existence " sur le plan économique) et que la société 3 A n'a eu connaissance de l'existence du traité d'apport qu'au mois de novembre 1990 et n'a été informée de son contenu qu'au cours de la présente procédure ;
Que la violation de ces obligations, qui est la conséquence de la signature de l'acte d'apport partiel d'actif, justifie, compte tenu de la gravité de l'inexécution constatée, le prononcé de la résiliation judiciaire sollicitée ;
Attendu que les actes de concurrence déloyale invoqués par la société ULC ne sauraient être retenus dès lors que le sieur Bellamy était connu de la clientèle en tant que distributeur de la marque Candia ( et non comme préposé d'un employeur particulier), que le susnommé n'était plus salarié de ladite société lorsqu'il a été embauché par la société 3 A et que la société ULC n'était plus en droit de vendre les produits distribués sous les marques de la Sodima sur le territoire concédé après la rupture des relations contractuelles ;
Attendu, ainsi que la société ULC, qui n'établit pas le caractère abusif de la rupture du contrat et qui par ses manquements graves et caractérisés est seule responsable de l'inexécution, ne peut solliciter la réparation du préjudice dont elle fait état au titre du non respect du délai de préavis ;
Qu'il convient, pour le surplus, de confirmer la décision dont appel en ses dispositions relatives à la demande reconventionnelle de la société 3 A, qui ne font l'objet d'aucune critique pertinente ;
Que la société 3 A ne produit aucune pièce probante et circonstanciée à l'appui de sa demande de dommages intérêts dont elle sera, en conséquence, déboutée,
Que la cour estime, par contre, équitable de lui allouer la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Que les dépens seront supportés par la société ULC qui succombe ;
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges ; LA COUR : Reçoit, en la forme, les appels jugés réguliers ; Confirme la décision déférée en ses dispositions relatives à la demande reconventionnelle de la société Union de Coopératives Agricoles Alliance Agro Alimentaire (3 A) et à la condamnation y afférente de la société Union de Laiteries Coopératives (ULC) ; L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau : Prononce, pour les causes sus énoncées, la résiliation judiciaire du contrat de concession du 24 décembre 1970 aux torts de la société Union de Laiteries Coopératives (ULC) ; Déboute la société Union de Laiteries Coopératives (ULC) de ses demandes ; Déboute la société Union de Coopératives Agricoles Alliance Agro Alimentaire (3 A) de sa demande de dommages-intérêts ; Rejette comme injustifiées ou mal fondées toutes conclusions contraires ou plus amples des parties et les déboute du surplus de leurs demandes ; Condamne la société Union des Laiteries Coopératives (ULC) à payer à la société Union Coopératives Agricoles Alliance Agro Alimentaire (3 A) la somme de 10 000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Boyer-Lescat, Avoués, conformément à l'article 699 dudit code.