CA Paris, 5e ch. A, 25 janvier 1995, n° 17113-93
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Polyfilla (SA)
Défendeur :
Consortium SPSA (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vigneron
Conseillers :
Mme Jaubert, M. Potocki
Avoués :
Me Olivier, SCP Bernabe Ricard
Avocats :
Mes Bertrand, Courtois.
Par déclaration remise au Secrétariat-Greffe le 7 juin 1993, la société Polyfilla a interjeté appel du jugement du 13 mai 1993, par lequel le Tribunal de Commerce de Bobigny l'a condamnée à payer à la société Consortium SPSA la somme de 3.300.700 F, dont 280.000 F pouvant être réglés par reprise de stocks, ainsi que celle de 20.000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Polyfilla expose que :
- elle est spécialisée dans la vente d'enduits destinés au bâtiment et à la réparation des carrosseries automobiles,
- ayant décidé de ne plus assurer elle-même la distribution des produits automobiles, elle a confié l'exclusivité de cette distribution à la société Consortium SPSA, spécialisée dans ce secteur, par un contrat qui a pris effet le 1er janvier 1991, pour une durée initiale de 5 ans,
- la société Consortium SPSA avait affirmé que le volume des ventes augmenterait de 50 % en 1991 et de 30 % en 1992,
- dans ce but, la présentation des produits a été modifiée, à frais partagés entre les partenaires,
- à la suite de la chute catastrophique du volume des ventes, une réunion s'est tenue le 28 mai 1991 et que, le 27 juin 1991, la société Consortium SPSA a demandé une prorogation de 30 jours des échéances de paiement, pourtant déjà fixées à 90 jours au lieu de 60 jours,
- en raison de la faiblesse des commandes de la société Consortium SPSA, les stocks de la société Polyfilla ont augmenté de façon considérable, et que de nouvelles promesses d'augmentation du volume des ventes faites par la société Consortium SPSA n'ont pas été tenues,
- le 26 décembre 1991, un amendement au contrat initial était établi, aux termes duquel la société Polyfilla reprenait la distribution des produits dans les grandes et petites surfaces, la société Consortium SPSA recevant en contrepartie une somme de 400.000 F, représentant des dépenses de promotion, et 6 % du chiffre d'affaire réalisé par la société Polyfilla sur ces produits à partir du 1er janvier 1993,
- les dernières commandes de la société Consortium SPSA ont été passées le 18 février 1992, pour un montant de 283.000 F HT, et le 30 avril 1992, pour un montant de 64.000 F HT,
- lors d'une réunion tenue le 6 mai 1992, la société Polyfilla était informée de l'imminence d'une restructuration de la société Consortium SPSA et d'une augmentation de capital,
- par courrier du 11 juin 1992, la société Consortium SPSA réduisait son estimation de chiffre d'affaires pour l'année à 1,7 MF et subordonnait sa réalisation à une remise supplémentaire de 20 %,
- le 7 septembre 1992, la société Consortium SPSA informait la société Polyfilla de la réalisation d'une modification supérieure à 25 % de son actionnariat,
- le 8 septembre 1992, la société Polyfilla notifiait à la société Consortium SPSA la résiliation du contrat, avec effet au 23 septembre 1992,
- la société Consortium SPSA a saisi le Tribunal de Commerce de Bobigny qui a rendu le jugement déféré.
La société Polyfilla soutient que :
- l'article 12.2.b du contrat, ainsi rédigé :
" Chacune des parties aura le droit de résilier le présent contrat pour une raison importante, par lettre recommandée avec accusé de réception 15 jours avant la prise d'effet de la résiliation. Une raison importante sera, entre autres :
b) Changement (à la suite d'un ou plusieurs événements ou transactions) de 25 % au moins des actions en circulation avec droit de vote du Consortium SPSA ou modification importante de ses statuts ; le Consortium SPSA s'engage à informer immédiatement Polyfilla de ce changement " ;
constitue une clause résolutoire de plein droit que la société Polyfilla n'a fait qu'appliquer,
- lors de la signature du contrat initial, M. Bled détenait 63 % des actions de la société Consortium SPSA, alors que, à l'issue de la restructuration du capital, sa participation n'était plus que de 49 % et cela indirectement à travers une holding dénommée " BM SA " ,
- ainsi, une société anonyme avec conseil d'administration pleinement contrôlée par M. Bled a été transformée en une société anonyme avec directoire et conseil de surveillance sous le contrôle paritaire de M. Bled et de M. Martinez,
- le Tribunal, par son interprétation, a dénaturé une clause claire et précise,
- l'augmentation de capital, ayant servi à renflouer la société Consortium SPSA, n'a eu aucune retombée positive sur les produits de la société Polyfilla,
- à partir du changement d'actionnariat, plus aucune commande n'a été enregistrée,
- la société Polyfilla n'a été officiellement informée de cette modification que le 7 septembre 1992,
- la société Consortium SPSA a commis de nombreuses autres infractions contractuelles, donnant autant de motifs de résiliation en application de l'article 12.2.c du contrat : absence de diligences pour promouvoir et vendre les produits, équipe commerciale et les stocks, délais excessifs de paiement, absence de programme prévisionnel pour l'année 1992,
- la société Consortium SPSA n'a pas conservé les clients que possédait la société Polyfilla, n'en a pas gagné de nouveaux et a porté atteinte à la renommée de la marque Polyfilla,
- la demande d'indemnisation de la société Consortium SPSA se heurte à l'article 12.4 du contrat qui exclut expressément tous dommages-intérêts consécutifs à une résiliation, aucun dol, ni aucune faute lourde ne pouvant être reproché à la société Polyfilla,
- les chiffres avancés par la société Consortium SPSA pour justifier l'évaluation de son préjudice ne sont ni vérifiés, ni pertinents.
En conséquence, la société Polyfilla demande à la Cour d'infirmer le jugement et de juger que la société Polyfilla a régulièrement résilié le contrat par application de son article 12.2.b, subsidiairement que ce contrat est résolu par application de l'article 12.2.c, plus subsidiairement que l'article 12.4 exclut toute demande de dommages-intérêts.
En outre, la société Polyfilla demande l'allocation de 200.000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Consortium SPSA fait valoir que :
- le contrat signé avec la société Polyfilla n'a jamais précisé de réalisations minimales de chiffre d'affaires,
- la société Polyfilla n'a pas présenté correctement ses clients à la société Consortium SPSA, ce qui a constitué un grave handicap pour le secteur des magasins de bricolage,
- en revanche, la société Consortium SPSA a fait progresser les ventes de 58 % dans le commerce du marché moderne, c'est-à-dire " hyper, super et centres auto ", justifiant ainsi que la société Polyfilla renégocie seulement la reprise dans le secteur bricolage avec une contrepartie,
- la société Consortium SPSA, qui connaissait une croissance rapide, a été amené à envisager l'apport de capitaux supplémentaires, ce dont elle a toujours tenu informée la société Polyfilla,
- l'augmentation de capital n'a été arrêtée définitivement que le 3 novembre 1992, date à laquelle le commissaire aux comptes a donné son accord,
- dès le 7 septembre 1992, la société Consortium SPSA en informait la société Polyfilla qui a notifié la résiliation le 8 septembre 1992,
- la société Polyfilla ne peut se fonder sur une inexécution quelconque du contrat par la société Consortium SPSA car, d'une part, elle n'a pas fait usage de l'article 12.2.c et, d'autre part, les inexécutions invoquées sont fallacieuses,
- la clause résolutoire de l'article 12.2.b ne peut pas plus être utilisée car l' " intuitus personae " ne se conçoit pas avec une personne morale et la clause ne pouvait opérer de plein droit mais seulement sous le contrôle du juge,
- au surplus, cette clause est ambiguë dans sa rédaction,
- la résiliation est intervenue de façon brutale et sans examen de la nouvelle structure que la société Consortium SPSA exposait dans son courrier du 7 septembre 1992,
- cette manœuvre n'avait pour but que de reprendre la totalité de la distribution sans négocier, comme cela avait été fait pou les centres de bricolage,
- la clause de l'article 12.4.a pour effet de limiter la responsabilité et non de l'exclure,
- de toute façon, cette clause doit être écartée, la société Polyfilla ayant eu un comportement dolosif,
- le préjudice subi par la société Consortium SPSA s'élève à 639.820 F pour les matériels détruits, 799.645,38 F pour les dépenses de publicité, 280.000 F pour la reprise du stock, 3.204.826,29 F pour la perte de chiffre d'affaires, 416.700 F pour l'indemnité de chiffre d'affaires, 500.000 F pour la perte de clientèle, 1.000.000 F pour le préjudice commercial, 55.000 F pour le coût financier de la marchandise pendant 11 mois et 3.300 F pour le coût de la caution bancaire mise en place pour permettre l'exécution provisoire.
La société Consortium SPSA demande donc à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a jugée abusive la résiliation du contrat liant les parties et de condamner la société Polyfilla à payer à la société Consortium SPSA 6.899.291,67 F à titre de dommages-intérêts, ainsi que 100.000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Polyfilla réplique notamment que les comptes sociaux de la société Consortium SPSA font apparaître qu'elle n'a subi aucun préjudice et qu'elle a même réalisé un bénéfice supérieur en 1992, malgré un chiffre d'affaires en net recul.
Sur quoi,
Considérant que la société Polyfilla, spécialisée dans la production d'enduits utilisés dans les secteurs du bâtiment et de l'automobile, a décidé de confier à la société Consortium SPSA la distribution de ses produits destinés à l'automobile qu'elle assurait jusque là elle-même,
Considérant qu'à cette fin, les parties ont signé, le 31 octobre 1990, un contrat de distribution exclusive d'une durée de 5 ans renouvelable à compter du 1er janvier 1991,
Considérant que ces deux sociétés estimaient que la complémentarité de leurs activités permettrait une forte relance de la vente des produits de la société Polyfilla dans les boutiques de bricolage, où celle-ci était déjà implantée, et dans les grandes surfaces et les " centres-auto " avec qui la société Consortium SPSA, spécialisée dans la vente des produits d'entretien pour voitures, travaillait régulièrement,
Considérant que les résultats de cette coopération se sont révélés décevants dans le domaine des surfaces de bricolage, mais qu'une percée s'esquissait dans le secteur des magasins à grande surface,
Qu'en conséquence, les parties ont arrêté un avenant au contrat initial, aux termes duquel la société Polyfilla reprenait la distribution dans les centres de bricolage, à compter du 1er janvier 1992, et indemnisait la société Consortium SPSA en lui versant 400.000 F et en lui assurant 6 % des ventes à venir dans ce secteur,
Considérant que, au cours de l'année 1992, les commandes de la société Consortium SPSA ne se sont élevées qu'à 346.752,12 F, soit moins que les 400.000 F qui lui avaient été alloués à titre d'indemnité pour la perte du secteur bricolage,
Que cette faiblesse des résultats a conduit la société Polyfilla à envisager de mettre fin aux relations contractuelles, ainsi que cela résulte notamment d'une lettre adressée le 14 février 1992 à la société Consortium SPSA, où il est fait mention d'un engagement qu'aurait pris M. Bled, dirigeant de la société Consortium SPSA, de réaliser un chiffre d'affaires d'au moins 2,5 millions HT en 1992, " la non réalisation de ce quota pouvant constituer une cause de rupture de contrat ",
Que cette menace conduisait la société Consortium SPSA à répondre, le 24 février 1992, dans les termes suivants : " En conclusion, l'impression qui se dégage de votre courrier dans la forme aussi bien que dans le fond, après seulement six semaines d'activité, me fait penser que vous essayer de saisir toutes opportunités dans le but d'une éventuelle négociation de rupture de contrat. Si effectivement vous êtes animés par une telle idée, je pense qu'il serait plus judicieux de discuter de vos intentions franchement, et comme à notre habitude, d'être positifs et de prendre les décisions dans les intérêts des deux sociétés. ",
Considérant que, le 8 septembre 1992, la société Polyfilla a résilié le contrat qui la liait à la société Consortium SPSA,
Considérant que la lettre de résiliation fait expressément et exclusivement référence à l'article 12.2.b pour fonder cette mesure,
Que ce texte fait du changement de plus de 25 % au moins des actions, ou de la modification importante des statuts, une cause de résiliation,
Considérant que la société Consortium SPSA soutient que cette clause serait nulle car l'intuitus personae ne se conçoit pas avec une personne morale,
Considérant cependant que, si la personnalité morale est la traduction des droits et obligations reconnus à tout groupement pourvu d'une expression collective pour la défense d'intérêts licites, le caractère social de ce concept n'est nullement exclusif de relations conclues " intuitu personae ",
Qu'en effet, la personne des dirigeants, la forme d'organisation, les objectifs sociaux, les alliances, les stratégies et les méthodes de la personne morale peuvent constituer autant d'éléments regardés comme déterminants par ses cocontractants,
Que la licéité des stipulations tendant à s'assurer de la permanence de ces caractéristiques doit s'apprécier en recherchant si les contraintes qu'elles prescrivent sont nécessaires et proportionnées au regard de l'activité à l'occasion de laquelle elles ont été convenues ou si, à l'inverse, elles imposent, en elles-mêmes ou par l'usage qui en est fait, un contrôle superflu ou abusif,
Que de telles clauses ne sauraient conférer aux partenaires d'une personne morale un droit d'agrément arbitraire, mais peuvent trouver leur cause légitime dans le souci d'assurer la sécurité et la loyauté des transactions ;
Considérant que la clause litigieuse, qui pouvait avoir notamment pour objet d'éviter que l'entreprise chargée d'assurer la distribution des produits de la société Polyfilla ne soit reprise par un concurrent direct de celle-ci, n'était pas nulle en elle-même;
Considérant que la clause, comme toute obligation contractuelle, devait être exécutée de bonne foi ;
Considérant que le 21 août 1992 la société Polyfilla a écrit une lettre à la société Consortium SPSA ainsi libellée : " Pour la bonne tenue de notre dossier, nous vous demandons de bien vouloir nous confirmer, par écrit, les modifications intervenues au niveau du capital de votre société quant à son montant et à sa répartition par rapport à la date de signature du contrat, soit le 31.10.1990 " ;
Que le texte de ce courrier révèle que, sous une forme volontairement anodine, la société Polyfilla cherchait à faire écrire des informations qu'elle connaissait déjà, puisqu'il s'agissait de la " confirmer ", dans le seul but de faire jouer la clause résolutoire;
Que les indications demandées ont été obtenues de façon détaillée dès le 7 septembre 1992, ce qui écarte les allégations de réticences formulées par la société Polyfilla ;
Que la lettre de résiliation a été envoyée le 8 septembre 1992, excluant tout délai de réflexion et d'analyse des explications fournies par la société Consortium SPSA ;
Que pourtant, l'opération réalisée par la société Consortium SPSA renforçait ses moyens financiers, sans pour autant recourir à un concurrent de la société Polyfilla, et ne pouvait qu'être bénéfique, à terme, à la commercialisation des produits de celle-ci ;
Considérant que l'ensemble de ces éléments établissent que la société Polyfilla a abusé de son droit de résiliation en l'utilisant de mauvaise foi pour mettre fin aux relations contractuelles qui l'unissaient à la société Consortium SPSA dont elle estimait les résultats insuffisants;
Que cela est encore confirmé par le fait que, à titre subsidiaire, la société Polyfilla invoque diverses autres infractions contractuelles pour demander la résolution de la convention ;
Que cependant, la société Polyfilla n'a jamais fait valoir ces fautes auparavant, alors qu'en application de l'article 12.2.c. il lui appartenait, ainsi qu'elle l'indique, de mettre en demeure son cocontractant de faire cesser ces manquements dans un délai de trente jours;
Considérant que l'article 14.4 du contrat invoqué par la société Polyfilla pour rejeter tout principe d'indemnisation, prévoit que : " la résiliation du présent contrat, quelqu'en soit la raison, ne donnera pas le droit à une partie d'exiger une indemnité ou une compensation de l'autre, à l'exception de ce que prévoit la législation en la matière. "
Que ce dernier membre de phrase renvoie purement et simplement au droit commun de l'indemnisation du préjudice causé par une résiliation abusive ;
Considérant que les parties sont en contradiction sur le montant subi par la société Consortium SPSA du fait de la résiliation du contrat de distribution qui la liait à la société Polyfilla ;
Que la Cour ne trouve pas dans les pièces versées aux débats les éléments suffisants pour chiffrer de façon précise et certaine ce préjudice ;
Qu'il convient donc de recourir à une expertise.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement en ce qu'il a dit abusive la résiliation opérée le 8 septembre 1992 par la société Polyfilla du contrat de distribution exclusive qui la liait à la société Consortium SPSA ; Sursoit à statuer pour le surplus et, avant dire droit, Ordonne une expertise, aux frais avancés par la société Consortium SPSA ; Commet pour y procéder Monsieur Philippe Kalvarisky, 100, avenue Aubert - 94300 Vincennes - Tél. : 48.08.75.54, avec pour mission, après avoir pris connaissance du dossier et entendu contradictoirement les parties, de : - décrire et analyser les différents postes de préjudice que la société Consortium SPSA a pu subir résultant directement de la résiliation du contrat de distribution exclusive qui la liait à la société Polyfilla, - fournir tous éléments de nature à permettre à la Cour de chiffrer chacun de ces postes de préjudice, Dit que l'expert déposera son rapport avant le 15 mai 1995 au service des expertises du greffe de la Cour, Ordonne à la société Consortium SPSA de consigner au service des expertises du greffe de la Cour la somme de 10.000 F à valoir sur la rémunération de l'expert, Réserve les dépens.