CA Paris, 4e ch. B, 26 janvier 1995, n° 92-12190
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
General Motors France Automobiles (SA), Opel France
Défendeur :
Ligérienne de vente automobiles (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerrini
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Roblin Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Mollet-Vieville, Bourgeon.
La société General Motors France Automobiles, actuellement dénommée Opel France (ci-après Opel) a conclu le 1er juillet 1988 avec la société Salva, un contrat à durée déterminée prenant effet le 1er janvier 1988 et expirant le 31 décembre 1991 selon lequel lui était concédé le droit de vendre des véhicules Opel neufs ainsi que des pièces et accessoires et de se présenter en qualité de concessionnaire de voitures Opel sur une zone principale de responsabilité correspondant à l'agglomération de Tours et à différent cantons de l'Indre et Loire ; le 1er janvier 1989, cette zone a été étendue à sept autres cantons dans le secteur de Loches ;
Estimant que les résultats étaient très insuffisants par rapport aux objectifs convenus et se référant aux dispositions de l'article 2-10 des dispositions supplémentaires du contrat de concession, Opel a notifié à Salva la désignation d'un autre concessionnaire sur sa zone principale de responsabilité à compter du 18 juillet 1990 et a notifié 6 mois avant la date d'expiration du contrat son intention de ne pas renouveler le contrat de concession ;
C'est dans ces circonstances qu'après la fin des relations contractuelles, Salva a assigné devant le Tribunal de commerce de Paris, Opel pour obtenir paiement de dommages-intérêts en raison de l'implantation sur sa zone d'un autre concessionnaire, de l'inexécution par le concédant de ses obligations contractuelles dans le dernier semestre 1991 et de la faute commise par Opel qui lui a fait croire qu'elle agréerait le " racheteur de l'entreprise ", ce qu'en fait, elle n'a pas réalisé.
Par décision du 9 avril 1992, Opel a été condamnée à payer la somme de 2 500 000 F à titre de dommages-intérêts provisionnels et un expert a été désigné ;
Opel a interjeté appel de cette décision ;
Par écritures récapitulatives, d'une part, elle conclut à la nullité de la mesure d'expertise qui est contraire aux dispositions des articles 146, alinéa 2 et 238 du nouveau Code de procédure civile, la mission confiée à l'expert portant sur des questions de droit, d'autre part, elle demande de dire que le règlement 123-85 de la Commission de Bruxelles ne saurait établir de prescription contraignante, de dire conforme à l'ordre public les dispositions du contrat litigieux, dire qu'aucune faute de nature contractuelle ne peut être relevée à son encontre, de débouter en conséquence Salva de l'intégralité de ses prétentions et de la condamner au paiement de la somme de 75 000 F HT en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Salva conclut au contraire à titre principal à la nullité de l'article 2-10 des " dispositions supplémentaires " au contrat de concession de vente et de service du 1er juillet 1988 ; à titre subsidiaire, elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que l'appelante avait désigné de manière injustifiée et abusive un concessionnaire supplémentaire sur la zone de responsabilité et en ce qu'une indemnité provisionnelle lui a été allouée ; elle sollicite encore la confirmation du jugement en ce qu'il a dit, et en tout état de cause dire et juger, qu'Opel a fait obstacle à sa reconversion en entravant commercialement et financièrement son activité au cours de l'exercice 1991 et en lui faisant croire qu'elle agréerait M. Baillou comme repreneur de la concession, pour finalement rejeter sa candidature tardivement et sans motif, de confirmer en conséquence l'intégralité de la mission d'expertise ordonnée, de condamner Opel au paiement de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR, qui pour un plus ample exposé se réfère à la décision critiquée et aux écritures d'appel,
Considérant qu'il n'est discuté par aucune des parties que le règlement communautaire n° 123-85 invoqué en l'espèce, relatif à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après vente de véhicules automobiles n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles mais se limite à établir des conditions qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l'interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévue par l'article 85 paragraphes 1 et 2 du traité de Rome et que des clauses autres que celles du règlement sont nulles au regard des dispositions susvisées s'il est démontré qu'elle révèlent des pratiques anti concurrentielles au sens de l'article 85-1 du traité susvisé ;
Considérant qu'Opel soutient d'une part, sans cependant en tirer des conséquences de droit sur l'application dans ce cas de l'article 85-1 du traité susvisé que le contrat de concession n'est pas exclusif, contrairement à ce qu'ont dit les premiers juges et ne contient aucune clause limitant la liberté de son distributeur de représenter d'autres marques, d'autre part, que le défaut d'énumération de ce qui est considéré comme des justifications objectives n'entraîne pas la nullité du contrat, ni même la nullité de plein droit de cette clause, qu'il doit en effet être démontré en quoi cette clause contraire aux dispositions de l'article 85-1 du traité de Rome, que ne rapportant pas cette preuve, et dès lors qu'il n'a pas été démontré que cette clause a été mise en jeu en l'espèce de manière abusive sans se référer à des données objectives, la demande de Salva doit être rejetée ;
Considérant qu'au contraire, Salva soutient que le contrat n'est pas un courant de distribution sélective comme paraît le soutenir Opel mais entre dans le champ d'application du règlement n° 123-85 ; que la clause litigieuse n'est pas conforme aux dispositions du règlement puisqu'il n'est prévu aucun liste des critères objectifs contrairement aux exigences des articles 5-2-1 et 5-3 du règlement, et qu'enfin, cette clause a un effet restrictif de concurrence et est donc incompatible avec l'article 85-1 du traité ;
Considérant cela exposé, que le débat sur la nature et la portée du contrat passé entre les parties exclusif ou non exclusif, est en l'espèce sans intérêt ; qu'en effet, que le contrat soit exclusif ou non, il est susceptible de porter une entrave au libre jeu de la concurrence au sens de l'article 85-1 du traité de Rome et en conséquence est, s'il répond aux dispositions du règlement d'exemption n° 123-85, de plein droit conforme au traité de Rome ; qu'il ne peut en outre être sérieusement soutenu que le contrat soit un contrat de distribution sélective ; qu'en effet, l'admission dans le réseau Opel dépend non pas de critères purement qualitatifs qui s'imposent au fournisseur dès lors que ces critères qualitatifs sont remplis mais seulement du choix du fournisseur de réserver la distribution de ses produits sur un secteur géographique à un certain nombre seulement de distributeurs répondant aux critères requis ; que le contrat liant les parties par lequel Opel s'est engagé à fournir ses produits à un seul distributeur sur un secteur territorial déterminé entre bien dans le champs de l'article 1 du règlement 123-85 qui s'applique aux accords dans lesquels " une partie s'engage vis à vis de l'autre à ne livrer à l'intérieur d'une partie définie du marché commun :
1- qu'à celle-ci
ou
2- qu'à celle-ci ou à un nombre déterminé d'entreprise du réseau de distribution ".
Considérant que la clause 2-10 contestée du contrat stipule seulement que le concédant effectuera " une analyse approfondie des facteurs de commercialisation significatifs dans le voisinage de l'emplacement de la nouvelle concession et ne nommera un ou des distributeurs que s'il y a des justifications objectives pour le faire " et ne prévoit donc contrairement aux dispositions du règlement d'exemption en son article 5-1-2 b) et 5-3, aucune liste des critères objectifs qui permettent l'implantation sur le secteur concédé d'un autre concessionnaire ;
Considérant que l'absence de définition des critères objectifs dans le contrat est, selon Salva, nécessairement prohibée par le traité susvisé puisqu'ainsi, les pratiques discriminatoires sont favorisées, le concessionnaire n'ayant aucune possibilité de contrôler le critère qui lui est appliqué par rapport aux autres concessionnaires du réseau fournissant des prestations équivalentes ; qu'elle soutient encore que la dépendance économique du distributeur est accrue au-delà des limites prévues par l'exemption catégorielle, la clause litigieuse étant susceptible de permettre au concédant d'amener un distributeur à renoncer a priori à des actions concurrentielles qu'il peut en soi entreprendre, au motif qu'elles iraient à l'encontre des intérêts du constructeur ou d'autres entreprises du réseau ;
Considérant toutefois que les allégations du concessionnaire tendant à démontrer que la clause tombe dans le champ d'application de l'article 85-1 du traité de Rome ne sont pas étayées par des faits démontrant que cette absence de définition a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ; qu'en effet, cette absence de définition ne prive pas le concessionnaire du droit de contester les justifications invoquées lors de la notification de la nomination d'un autre concessionnaire sur sa zone de responsabilité ; qu'une telle clause est donc valable ;
Considérant qu'en l'espèce, Opel avait la possibilité de nommer un autre concessionnaire sur la zone principale de Salva à condition que des données objectives dénoncées au concessionnaire le justifient; qu'il résulte des pièces mises aux débats qu'Opel a seulement prix prétexte d'une contestation par son concessionnaire sur l'objectif de vente de véhicules pour l'année 1990 plus limité que celui proposé par Opel qui n'a d'ailleurs pas spécifié pourquoi elle estimait que le potentiel de vente aurait été d'un montant supérieur sur la région de Tours ; qu'elle n'a en effet dans sa lettre de notification du 18 juillet 1990 pas exprimé quelles étaient ses données objectives contrairement aux dispositions contractuelles; que par les lettres envoyées ultérieurement, Opel se réfère aux mauvais résultats de vente et à la mauvaise organisation de l'équipe commerciale (lettre du 7 juin 1990), et au taux de pénétration insuffisant de 2,7 % pour les quatre premiers mois de 1990 (lettre du 26 juin 1990) mais n'exprime pas en quoi ces résultats justifient l'implantation d'un autre concessionnaire, après " analyse approfondie des facteurs de commercialisation significatifs dans le voisinage de la nouvelle concession " comme le contrat lui en fait l'obligation ; que la décision des premiers juges sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a décidé que l'implantation d'un second concessionnaire était fautive;
Sur la mesure d'expertise :
Considérant qu'Opel conclut à la nullité de l'expertise ordonnée par les premiers juges ; qu'elle fait valoir que ceux-ci, en confiant aux experts la recherche du préjudice subi par Salva non seulement en raison de l'implantation d'un autre concessionnaire mais également pour les autres manquements invoqués sans s'être au préalable prononcés sur leur réalité, ont violé les dispositions des articles 146 alinéa 2 et 238 du Code de procédure civile ;
Considérant que Salva réplique que les premiers juges ont implicitement admis en désignant un expert qu'Opel s'était rendue coupable des fautes invoquées et que de plus Opel en cause d'appel n'en discute pas la matérialité ;
Considérant qu'il ne saurait être tiré argument d'un mission d'expertise impliquant la recherche de préjudice pour conclure que le tribunal a tranché sur le fond les questions en litige alors que ces questions n'ont pas fait l'objet d'une motivation des premiers juges ; qu'en conséquence, la Cour ne peut que constater que le tribunal a sursis à statuer sur ces questions qui ne sont pas soumises à l'appréciation de la Cour par la voie de l'évocation, Opel ne s'étant nullement expliquée sur les fautes qui lui sont reprochées entendant que le tribunal se prononce en premier lieu sur ces questions ;
Considérant qu'aucune disposition ne sanctionne à peine de nullité l'inobservation des obligations de l'article 238 du nouveau Code de procédure civile selon lequel notamment le technicien ne doit jamais porter d'appréciation juridique et de l'article 146 susvisé selon lequel la désignation d'un expert ne doit pas être effectuée pour suppléer la carence des parties, ce qui d'ailleurs n'est pas justifié ; qu'en conséquence ces moyens de nullité seront rejetés ; que, cependant, la mission confié à l'expert sera modifiée dans les termes du dispositif ci-dessous énoncé ;
Considérant que la provision allouée par les premiers juges n'étant pas discutée à titre subsidiaire dans son montant, sera confirmé ; qu'en effet, la Cour n'a pas d'éléments d'appréciation autres que ceux invoqués devant les premiers juges de nature à en modifier le chiffre ;
Considérant que l'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : Confirme la décision des premiers juges excepté sur la mission d'expertise, Statuant de nouveau, modifie la mission d'expertise en ces termes : Dit que l'expert désigné par les premiers juges devra entendre tous sachants, se faire remettre tous documents et consulter tous livres comptables afin de recueillir tous éléments permettant de : - déterminer le préjudice subi par la société Ligérienne de Vente Automobiles Salva du fait de la désignation d'un deuxième concessionnaire sur le territoire qui lui était alloué par le contrat du 1er juillet 1988, - vérifier la réalité des circonstances de fait invoquée par Salva au titre des entraves et déterminer le préjudice actuellement subi à ce titre à partir du 2ème semestre 1991, - déterminer la valeur du fonds de commerce de Salva et dire si ce fonds a ultérieurement été négocié et dans quelles conditions, - faire les comptes entre les parties concernant notamment les sommes que Salva resterait devoir à Opel ainsi que celles que la société Opel devrait encore à la société Salva, Confirme la mesure d'expertise dans toutes ses autres dispositions ; Dit que le Tribunal de commerce de Paris reste saisi du bien fondé des fautes invoquées autres que celle ci-dessus retenue et des dommages-intérêts, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Opel France aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Roblin, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.