CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 2 février 1995, n° 6301-92
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Rent A Car (SA)
Défendeur :
Atelsa France (Sté), Dumoulin (ès qual.), Atelsa Location (SA), Boyer (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Magendie
Conseillers :
MM. Franck, Maron
Avoués :
Mes Treynet, Delcaire
Avocats :
Mes Belignere, Clément
FAITS ET PROCEDURE
La Société américaine Thrifty Rent A Car System INC est propriétaire des droits relatifs au système Thrifty de location de voitures ; elle a cédé ses droits à la Société suisse Trac Système SA pour un certain nombre de pays dont la France ; celle-ci a donné un contrat de licence pour la France à la Société Atelsa France à compter du 1er avril 1988, contrat donnant à Atelsa France la possibilité de sous-franchiser tout ou partie du territoire concédé ce qu'elle a fait avec la Société Rent A Car avec laquelle elle a signé le 1er février 1989, un contrat de franchise donnant à Rent A Car le droit d'exploiter une ou plusieurs agences de location de véhicules sous l'enseigne Thrifty dans le 12ème arrondissement de Paris, ce qu'elle avait fait au 79 rue de Bercy, en rachetant le fonds de commerce de la Société Praxis qui y était installé et qui y pratiquait déjà la location de voitures.
Elle avait le droit d'utiliser l'expérience et le savoir-faire du franchiseur, d'utiliser la marque et l'enseigne Thrifty sur le territoire concédé ; en contrepartie, Rent A Car s'engageait à régler une redevance de système mensuel et une redevance publicitaire.
En juin 1989, un différend est né entre Rent A Car et Atelsa France et Atelsa Location (autre franchisé d'Atelsa France, - sa filiale -, propriétaire d'un parc automobiles et de 7 agences) d'autre part, les deux dernières accusant la première d'utiliser frauduleusement ses véhicules et de ne pas payer les redevances de franchise, la première accusant les deux dernières de ne pas satisfaire aux obligations d'un franchiseur et de pratiquer une politique discriminatoire, notamment par un courrier du 25 juillet 1989.
En suite d'une assignation délivrée à la requête de la Société Atelsa France, et d'une autre délivrée à la requête de Atelsa Location, le Tribunal de Commerce de Nanterre a, par un jugement du 20 mars 1992 présentement soumis à l'appréciation de la Cour, condamné la Société Rent A Car à verser à la Société Atelsa France la somme de 363.021,18 F et celle de 356.000 F au titre de la clause pénale du contrat de franchise, et à Atelsa Location la somme de 63.143,16 F, ordonnant parallèlement la restitution par Atelsa Location des chèques de banque à l'ordre de Rent A Car qu'il pouvait encore détenir, Rent A Car étant encore condamné à payer à Atelsa France 5.000 F et à Atelsa Location 2.500 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le Tribunal sur la cause de la rupture estimait que Rent A Car ne pouvait prétendre avoir été abusé, n'ayant payé aucun droit d'entrée et connaissant le métier ; il considérait qu'il avait recherché le contrat Thrifty en toute connaissance de cause et que, s'il était mécontent de son franchiseur il lui appartenait d'agir immédiatement en résolution du contrat au lieu d'attendre d'être actionné en paiement. Il déclarait le contrat résolu au 12 mars 1990 aux torts de Rent A Car.
Il accordait à Atelsa France les loyers arriérés, une somme correspondant à la déclaration mensuelle d'activité et des factures de fourniture ainsi qu'une clause pénale limitée à 356.000 F en application du contrat ; il rejetait la demande en 300.000 F formée sur le fondement de la clause de non concurrence, ainsi que celle sollicitée à titre de dommages et intérêts.
Il accueillait la demande formée par Atelsa Location, mais rejetait celle relative à des dommages et intérêts.
La Société Rent A Car a relevé appel de cette décision et sollicite son infirmation ; elle soutient qu'Atelsa Location est irrecevable à agir faute d'existence réelle, et conclut que les Sociétés Atelsa France et Location sont responsables de la rupture du contrat aux torts d'Atelsa France et réclame sa condamnation à lui restituer toutes les sommes perçues, avec intérêts et capitalisation, 1.400.000 F en réparation de son préjudice ; elle réclame à Atelsa Location 25.590,69 F correspondant à une somme qu'elle détient indûment, ainsi que 100.000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et la nomination d'un expert pour faire les comptes des parties ; elle sollicite enfin 20.000 F, portée par la suite à 40.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle soutient que la Société Atelsa France avait manqué à toutes ses obligations de franchiseur notamment en ne mettant pas à sa disposition le livre des procédures , ce livre n'ayant d'ailleurs jamais existé ; elle expose qu'elle avait ainsi manqué de toute directive, tant dans les domaines commerciaux que comptables et précise que l'absence d'indication sur le taux des ristournes à appliquer avait été la cause de conflits avec Atelsa Location. Elle soutient qu'aucun savoir-faire n'a été transféré dès lors que le franchiseur avait démontré son incompétence et son absence de maîtrise du procédé proposé aux franchisés.
Elle ajoute sur le plan de la discrimination que si elle n'avait pas pu obtenir l'agrément d'Atelsa pour un repreneur, de son côté Atelsa France avait admis une autre personne qui bénéficiait en outre des véhicules fournis gratuitement par Atelsa Location.
Elle reconnaît avoir utilisé le papier à en-tête d'Atelsa Location qui portait le sigle Thrifty, au début de ses relations contractuelles alors qu'elle ne disposait pas encore d'un papier à en-tête personnel, ce qui n'était pas frauduleux mais avait permis à Atelsa Location de percevoir une somme de 25.590 F qui doit lui revenir.
Elle indique enfin, que par un jugement du 27 octobre 1992, le même Tribunal de Commerce avait reconnu l'incompétence d'Atelsa France dans le cadre du contrat de franchise signé avec une Société Azur Europe Location. Elle ajoute qu'Atelsa France se borne à des affirmations dénuées de toute preuve.
Maître Dumoulin est intervenu à l'instance en qualité de mandataire liquidateur de la Société Atelsa France ; il sollicite la confirmation du jugement la capitalisation des intérêts ; la société Atelsa Location agissant par son liquidateur amiable Pierre Boyer forme un appel incident et sollicite 100.000 F à titre de dommages et intérêts, et les deux intimées 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Atelsa Location précise qu'elle est une Société indépendante d'Atelsa France, propriétaire d'un parc automobiles, de 7 agences et se trouvait franchisée comme Rent A Car d'Atelsa France.
Atelsa France reprend les motifs du jugement et ajoute que Rent A Car avait reçu le manuel de procédure commerciale ainsi que le guide de publicité ; elle expose détenir un savoir-faire acquis tant en France qu'aux Etats-Unis de la marque Thrifty ; elle ajoute que très rapidement le franchisé avait cessé de respecter ses engagements contractuels et ne réglait plus les redevances.
Sur ce, LA COUR
Considérant qu'un accord de franchise doit comporter outre l'utilisation d'un nom ou d'un ensemble communs, la communication par le franchiseur au franchisé d'un savoir-faire, et la fourniture continue par le franchiseur au franchisé d'une assistance commerciale ou technique pendant la durée de l'accord ; que notamment, le savoir-faire doit être substantiel et identifié, généralement décrit dans un manuel d'instruction auquel renvoie le contrat, et remis au franchisé dès la signature de celui-ci ; que le savoir-faire contractuellement promis, doit se distinguer des règles de l'art qu'en sa qualité de professionnel le franchisé connaissait ou était à même d'acquérir par ses propres moyens ;
Que l'assistance technique se traduit notamment par une formation continue du franchisé et de son personnel, par l'élaboration de campagnes de publicité, et des conseils dans l'application des normes commerciales du réseau ;
Considérant qu'il n'est même pas contesté que le livre des procédures n'a jamais été fourni au franchisé lors de la conclusion du contrat, ainsi que cela était contractuellement prévu à la clause 4.2 et même ultérieurement, les intimés se bornant dans leurs écritures à indiquer que la Société Rent A Car ne l'avait jamais réclamé, ce qui même apparaît inexact au vu d'un courrier du 25 juillet 1989 notamment ;
Que si la Société Atelsa France rappelle longuement la valeur et l'intérêt de l'expérience acquise par le groupe américain Thrifty Car Rental, force est de constater qu'en dehors d'affirmations dénuées de preuve, et d'un exposé théorique sur le contrat de franchise, elle est dans l'incapacité de justifier de l'application concrète du contrat et plus précisément, tant de la transmission du savoir-faire que de l'assistance au franchisé au cours de l'exécution du contrat de franchise; que d'ailleurs, Atelsa France ne peut justifier de sa propre compétence, ni comme franchiseur, ni comme master franchisé, ni même en matière de location de véhicules ; que la production tardive effectuée à la fin de la procédure de première instance de deux documents intitulés " sous location inter-franchises Thrifty France " et l'autre " comment traiter les réservations " ne saurait être retenue comme une preuve sérieuse de la transmission d'un savoir-faire ; que d'ailleurs, les difficultés rencontrées par Rent A car avec la Société Atelsa Location ont pour origine l'absence de ces procédures qui auraient permis de résoudre les questions de ristournes entre franchisés lors des sous locations ou de locations croisées ;
Qu'il n'est pas plus établi que le franchiseur ait satisfait aux autres obligations figurant au contrat de franchise à savoir notamment, l'assistance par l'organisation de stages pratiques et théoriques pour le personnel des franchisés, la fourniture d'un outil informatique de gestion, et d'un accord cadre;
Considérant qu'il convient dans ces conditions en infirmant la décision entreprise en toutes ses dispositions, de prononcer la résolution du contrat de franchise, aux torts exclusifs du franchiseur, en notant encore que les fautes reprochées par Atelsa France n'étaient pas justifiées d'une part, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus en raison même de l'absence de la fourniture des procédures et d'autre part, du fait du refus de produire aux débats les audits et constats effectués ; qu'il apparaît encore au contraire, que les Sociétés Atelsa France et Location ont fait preuve d'un comportement discriminatoire en refusant un repreneur proposé par Rent A Car et en préférant une autre Société qui était avantagée en outre, par la mise à sa disposition de véhicules à titre gratuit ; qu'encore Rent A Car justifie par un courrier qu'Atelsa France, après avoir obtenu par son audit communication de la liste de ses clients, les avait directement démarché, alors que l'article 12.1 du contrat de franchise prévoyait une clause de non concurrence durant le contrat ;
Que dès lors, si le principe de la restitution des sommes versées par Rent A Car à Atelsa France doit être retenu, il convient tout droit et moyens des parties réservés tant sur le plan des dommages et intérêts que sur le montant des restitutions, d'ordonner une expertise, aux frais avancés de l'appelante demanderesse à la mesure à l'effet de faire les comptes des parties, tout en accordant d'ores et déjà à la Société appelante une somme de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Infirme la décision entreprise ; Statuant à nouveau : Prononce la résolution du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur ; Avant-dire droit sur le montant des restitutions et des dommages et intérêts ; Ordonne une expertise ; Commet pour y procéder Monsieur Bonnault-Bellerive - 2 Diamant 14/16 rue des Pavillons - 92800 Puteaux ; Lequel aura pour mission : - d'entendre les parties en leurs explications et de répondre à leurs dires, - de se faire communiquer tous documents à charge d'en faire connaître l'origine afin : - de faire les comptes des parties à l'aide, à défaut d'autres éléments des documents considérés comme livre de procédure par Atelsa Location et visés ci-dessus, - donner tous éléments permettant de chiffrer le préjudice éventuellement subi par Rent A Car ; Dit que la Société Rent A Car devra consigner au greffe de la Cour une somme de Dix Mille Francs (10.000 F) à valoir sur la rémunération définitive de l'expert dans un délai de deux mois à compter du prononcé de la présente décision ; Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de quatre mois à compter de la réception de l'avis de consignation ; Condamne Maître Dumoulin es qualité et Monsieur Boyer en qualité de liquidateur amiable de la Société Atelsa Location solidairement au paiement d'une somme de Dix Mille Francs (10.000 F) à la Société Rent A Car et en tous les dépens, autorisation étant accordée à Maître Treynet, Avoué, de les recouvrer en application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.