CA Paris, 5e ch. C, 24 mars 1995, n° 94-002748
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
United Factories Corporation France (Sté), United Factories Corporation Belgique (Sté)
Défendeur :
Ader (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Besançon
Conseillers :
Mme Cabat, M. Betch
Avoués :
SCP Gibou-Pignot, Grappotte-Benetreau, SCP Duboscq, Pellerin
Avocats :
Mes Azoulai, Bensoussen.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société UFC du jugement rendu le 4 novembre 1993 par le Tribunal de commerce de Paris (9e Chambre), qui notamment a dit le contrat de franchise signé entre les sociétés Ader et UFC en date du 27 août 1991 nul en application de l'article 1129 du code civil, a condamné la société UFC à payer à la société Ader les sommes de 70 000 F correspondant au droit d'entrée, 150 000 F au titre des redevances et 214 256 F au titre des travaux de mise en conformité à la franchise, soit au total 434 256 F, a condamné la société Ader à payer à la société UFC 589 218 F en deniers ou quittances valables et a ordonné la compensation des sommes.
La Cour se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties au jugement déféré et aux conclusions d'appel.
UFC est affiliée à la société américaine Fashion Promotion LTD, ayant son siège à New-York, laquelle lui a consenti les droits exclusifs pour accorder des franchises sur ses marques Baby Cool et Kid Cool et lui a donné mandat pour accorder des licences et s'assurer du respect des normes d'utilisation.
Ader a signé le 27 août 1991 avec UFC, ayant son siège social, 35, rue de Turbigo paris, un contrat de franchise de distribution pour l'exploitation d'un magasin de prêt-à-porter pour enfants à l'enseigne Kid Cool, 17 rue Tronchet 75008 Paris. Ce contrat, conclu pour une durée de cinq ans, prévoit notamment le paiement par le franchisé d'un droit d'entrée de 70.000 F. et des royalties égales à 7,5 % du prix de vente en gros hors TVA. Le magasin a été ouvert le 31 août 1991 après que des travaux de mise en conformité aient été effectués pour 214.256 F.
Par acte du 31 mai 1992, la société Ader a assigné UFC aux fins d'annulation du contrat de franchise, et subsidiairement de résolution judiciaire du contrat pour inexécution des obligations du franchiseur.
Concomitamment, en raison du refus de Ader de payer les vêtements de la collection hiver 1992 d'un montant de 589.118 F, UFC a présenté une requête aux fins de nantissement sur le fonds de commerce et a assigné Ader en paiement.
C'est dans ces conditions que le tribunal, après avoir joint les procédures, a rendu la décision déférée à la Cour.
Les sociétés UFC France et UFC Belgique prient la Cour, vu les dispositions conventionnelles du 9 avril 1992 aux termes desquelles la SA UFC France a été subrogée dans les droits que possédaient la SA UFC Belgique envers la société Ader, de dire que UFC Belgique n'est plus concernée par la présente procédure.
UFC France demande à la Cour d'infirmer partiellement le jugement en ce qu'il a dit que le contrat de franchise signé le 24 août 1991 est nul, de débouter la société Ader de l'ensemble de ses moyens de nullité et de résiliation, et de confirmer le jugement pour le surplus. Par voie d'appel incident, elle sollicite la condamnation de la société Ader au paiement de 2 MF à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et de 30.000 F. au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle soutient qu'elle a parfaitement respecté l'ensemble de ses obligations pré-contractuelles et contractuelles et que le contrat de franchise est valide. Elle réfute longuement les quatre moyens de nullité invoqués par la société Ader.
Elle prétend qu'elle a subi un préjudice très important du fait de la rupture brutale par Ader des relations commerciales. Elle évalue à 400.000 F. par an la perte de sa marge annuelle par suite de l'atteinte à son image de marque.
Intimée, la société Ader prie la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de franchise et a condamné la société UFC à lui payer différentes sommes, de prononcer la main levée du nantissement du fonds de commerce obtenu par UFC à hauteur de 589.118 F, de l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts et de condamner l'appelante à lui payer à ce titre la somme de 1.381.597,02 F (conclusions signifiées le 8 février 1995) ; subsidiairement, de constater que le contrat de franchise a été résiliée aux torts exclusifs du franchiseur sur le fondement des articles 1184 et 1134 du Code civil et de condamner UFC à lui verser (conclusions signifiées le 8 février 1995) 1.601.597,02 F à titre de dommages-intérêts. Elle sollicite en outre 25.000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Elle fait valoir que le contrat de franchise est nul pour non respect de la loi Doubin et de son décret d'application, pour dol au sens des articles 1116 et 1117 du code civil, pour indétermination du pris au sens de l'article 1129 du code civil et pour absence de cause au sens des articles 1108 et 1131 du code civil.
Elle prétend qu'il faut déduire la totalité de la marge bénéficiaire du franchiseur du prix des marchandises qui lui ont été livrées en exécution du contrat-cadre et que la demande de dommages-intérêts présentée par l'appelante doit être rejetée, faute par celle-ci de démontrer une faute de sa part, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
UFC France et Ader ont fait signifier ultérieurement des conclusions en réponse et additionnelles auxquelles il convient de se reporter.
SUR QUOI,
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande de mise hors de cause présentée par UFC Belgique, titulaire des licences Kid Cool et Baby Cool, qui a subrogé UFC France dans ses droits vis-à-vis de la société Ader, subrogation qui en l'espèce ne cause aucun préjudice à l'intimée dans la mesure où sa seule interlocutrice est UFC France par l'effet du contrat de franchise ;
Sur la nullité du contrat.
Considérant, sur le non-respect de la loi du 31 décembre 1989 et de son décret d'application invoqué comme premier moyen de nullité, que Ader soutient que les documents prévus par l'article 1er du décret du 4 avril 1991, qui était applicable, ne lui ont pas été fournis par UFC, et que la violation des dispositions d'ordre public de cette loi affecte la validité du contrat de franchisage ;
Considérant que le décret du 4 avril 1991, qui a fixé le contenu du document que doit fournir, vingt jours au minimum avant la signature du contrat, la personne qui met à disposition d'une autre personne une marque en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, conformément aux dispositions d'ordre public de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, étant d'application immédiate, la société UFC ne peut valablement prétendre qu'elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour se mettre en conformité avec la réglementation en vigueur ;
Que UFC, à qui incombe, en vertu des textes susmentionnés, l'obligation de communiquer par écrit l'ensemble de ces informations, au minimum vingt jours avant la signature du contrat de franchise, n'est pas fondée à soutenir qu'il appartenait à la société Ader de rechercher par ses propres moyens ou de réclamer les informations manquantes ;
Que la société UFC ne prétend pas avoir communiqué à l'intimée, avant la signature du contrat litigieux, le document prévu au 1er alinéa de la loi susmentionnée, ni d'ailleurs le projet de contrat, et ne démontre pas par les productions, dont certaines ne sont pas datées, avoir fourni, ainsi qu'elle le soutient, les informations dont la loi susmentionnée a imposé au franchiseur la communication préalable afin de permettre à l'autre partie de s'engager en toute connaissance de cause ;
Qu'en particulier elle ne justifie pas avoir communiqué dans le délai légal, les informations mentionnées aux 5 et 6 de l'article 1er du décret du 4 avril 1991 relatives à la date de création de l'entreprise et au rappel des principales étapes de son évolution, à la présentation du réseau d'exploitant, laquelle doit comporter l'adresse des entreprises établies en France avec lesquelles elle était liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée et s'il y a lieu la présence dans la zone d'activité de l'implantation prévue pour le contrat proposé, de tout établissement dans lequel sont offerts, avec son accord exprès, les produits faisant l'objet du contrat ;
Que le document intitulé " présentation de l'entreprise du franchiseur " a incontestablement été établi postérieurement à la signature du contrat de franchise puisqu'il contient des renseignements concernant la période postérieure à sa signature ; qu'à défaut d'autres éléments précis, il ne prouve pas que la société UFC a fourni à la société Ader les informations écrites prévues aux 5 et 6 de l'article 1er du décret concernant en particulier la liste et l'adresse des entreprises faisant partie du réseau de l'exploitant et la présence à proximité de l'implantation prévue de stands Kid Cool au Printemps et aux Galeries Lafayette, qui lui étaient indispensables pour s'engager en toute connaissance de l'état général et local du marché des produits devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ;
Considérant que le contrat de franchise est nul pour non respect par le franchiseur des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989;
Considérant, au surplus, en ce qui concerne le moyen de nullité du contrat invoqué pour indétermination du prix, que la société franchisée était tenue d'acheter l'ensemble des vêtements qu'elle destinait à la revente auprès de UFC ; que, selon l'article 9.4 du contrat de franchise, elle devait acquérir des marchandises pour une valeur d'au moins 1 MF par an, à raison de 50 % par saison minimum ;
Que, encore, il est stipulé aux articles 9.1, 9.2 et 9.3 que le franchiseur devra vendre les articles au franchisé selon les termes et conditions prévus aux présentes, que les prix prévus seront départ magasin 35 rue de Turbigo Paris et que les termes et conditions stipulés sur les factures de vente prévaudront " pourvu qu'elles ne soient pas incompatibles avec les termes et conditions de la présente convention " ; que le contrat litigieux ne prévoyant aucune possibilité de contester les prix mentionnés sur les factures ;
Qu'ainsi par l'effet des stipulations contractuelles, Ader devait toujours se servir chez UFC, la quantité et la qualité des marchandises à acheter dépendaient de la seule volonté de cette société, qui en fixait unilatéralement le prix ; que dans ces conditions les premiers juges ont, à bon droit, annulé le contrat de franchise pour indétermination du prix ;
Que pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de nullité invoqués par la société Ader, le jugement sera confirmé en ce qu'il a annulé le contrat de franchise signé entre les sociétés Ader et UFC le 27 août 1991 ;
Sur les conséquences de la nullité
Considérant que la nullité d'une convention impose qu'aucune des parties ne fonde ses prétentions sur les dispositions contractuelles annulées et que chacune d'elles soit replacée dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant que le contrat ne soit conclu, sans qu'elle puisse tirer profit ou subir un préjudice du fait de l'activité de son cocontractant ;
Considérant que les condamnations prononcées contre la société UFC au titre du droit d'entrée et au titre des redevances versées au franchiseur ne sont critiquées ni dans leur principe, ni dans leur quantum par les parties ; que Ader justifie avoir réalisé des travaux de mise en conformité prononcées de ces chefs seront donc confirmées, étant précisé que ces sommes devront être payées par UFC France ;
Considérant, en ce qui concerne le prix des marchandises vendues par UFC à Ader, que la société franchisée soutient que la nullité du contrat-cadre a pour conséquence que ces marchandises doivent être payées à leur valeur réelle, et réclame, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, la restitution des marges bénéficiaires réalisées par la société UFC sur les marchandises qu'elle a déjà réglées et la déduction des marges bénéficiaires du franchiseur du montant restant dû sur les marchandises de la collection hiver 91/92 (589 118 F) ;
Mais considérant que l'annulation du contrat-cadre impliquant que les parties soient replacées dans la situation dans laquelle elles se trouvaient toutes deux avant la signature, UFC est fondée à demander que dans l'évaluation de la marge bénéficiaire qu'elle devrait restituer, il soit tenu compte de la valeur des prestations qu'elle a fournies à sa franchisée au cours de l'exécution du contrat ;
Que, si comme le soutient à juste titre UFC, Ader ne peut s'attribuer le bénéfice provenant de la vente des vêtements dont elle est censée n'avoir jamais été propriétaire, elle est en doit de réclamer une rémunération conforme aux services qu'elle a rendus et le remboursement de ses frais ;
Que la Cour ne trouve pas dans les pièces versées au débat les éléments suffisants pour chiffrer de façon précise et certaine les restitutions auxquelles les parties peuvent prétendre ; qu'il convient d'ordonner une expertise et de surseoir en l'état à statuer sur la demande de UFC en paiement du solde du prix des marchandises livrées à Ader ;
Sur les autres demandes
Considérant que la société franchisée réclame, à titre de dommages-intérêts, la somme de 1 228 050 F correspondant à la différence entre le chiffre d'affaires prévisionnel établi par le franchiseur pour la première année d'exploitation et le chiffre d'affaires qu'elle a effectivement réalisé ;
Mais considérant que, s'il est exact que la marge sur le chiffre d'affaires réalisée par Ader au cours de la période du 31 août 1991 au 30 avril 1992 n'a été que de 28,13 % alors que le compte d'exploitation prévisionnel prévoit un bénéfice de 55,55 % sur un an, il n'est pas établi que UFC, qui n'avait pas d'obligation de résultat, ait sciemment fourni à son futur franchisé des chiffres erronés ; que, en tout état de cause, ce seul élément est insuffisant pour caractériser son préjudice ; qu'elle ne fournit aucune indication sur le chiffre d'affaires qu'elle réalisait antérieurement à la commercialisation de la marque Kid Kool sous l'enseigne Chistera, ni sur celui qu'elle réalise aujourd'hui sous l'enseigne Floriane ; que, encore, il résulte des pièces 12 et 15 régulièrement communiquées que, dans le magasin exploité par Ader, la présentation des vêtements et l'accueil de la clientèle n'étaient pas satisfaisants, " peu propices à une bonne communication client/vendeuse " ; que l'intimée n'établit pas davantage le lien de causalité entre la faute reprochée à UFC et son préjudice prétendu ; que sa demande de dommages-intérêts ne sera donc pas accueillie ;
Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que UFC France ne peut prétendre à des dommages-intérêts pour rupture brutale par Ader des relations commerciales ;
Qu'il n'y a pas lieu, en l'état de statuer sur les demandes des parties fondées sur l'article du 700 nouveau code de procédure civile ;
Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges, Donne acte à la SCP Gibou Pignot - Grappotte Benetreau de sa constitution aux lieu et place de Me Gibou Pignot ; Met hors de cause la société UFC Belgique ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit nul le contrat de franchise, en ce qu'il a condamné la société UFC à payer à la société Ader les sommes de 70 000 F, 150 000 F et 214 256 F et en ce qui concerne les dépens ; L'infirme en ce qu'il a condamné la société Ader à payer à la société UFC ; la somme de 589 118 F ; Déboute les sociétés Ader et UFC France de leurs demandes de dommages-intérêts ; Surseoit à statuer pour le surplus, et avant-dire droit, Ordonne une expertise, aux frais avancés par la société UFC France ; Commet pour y procéder M. Jean-Louis Martin, 2 villa des Pyrénées - 75020 Paris (Tel / 43.70.74.47), avec pour mission, après avoir pris connaissance du dossier et entendu contradictoirement les parties de : - déterminer les dates auxquelles les marchandises ont été livrées par UFC à Ader, les prix auxquels elles ont été facturées, les dates auxquelles les factures ont été réglées par Ader et le solde encore dû par Ader à UFC au titre de la collection hiver 91/92 ; - fournir tous éléments techniques et de fait permettant de déterminer les marges bénéficiaires brutes réalisées par UFC sur chacune de ces livraisons et chiffrer la valeur des prestations que cette société a fourni à Ader pendant l'exécution du contrat, dont le franchiseur pourrait demander qu'elle soit déduite de sa marge bénéficiaire brute ; - fournir tous éléments techniques et de fait permettant de déterminer les marges bénéficiaires brutes réalisées par Ader sur les ventes des vêtements commandés à UFC, la rémunération à laquelle elle peut prétendre pour les services qu'elle a rendus (salaires, mise à disposition d'un point de vente notamment) ainsi que les frais divers dont elle serait justifiée à demander le remboursement ; - fournir tous éléments de nature à permettre à la Cour de chiffrer les demandes en restitution au titre des marchandises livrées par UFC à Ader ; Ordonne à la société UFC France de consigner au service des expertises du greffe de la Cour la somme de 10 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert, avant le 1er avril 1995 ; Dit que l'expert déposera son rapport avant le 1er septembre 1995 au service des expertises du greffe de la Cour ; Réserve les dépens.