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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 31 mars 1995, n° 93-010057

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Parfumerie ICI Paris XL (SA)

Défendeur :

CFEB Sisley (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Besancon

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

SCP Dauthy Naboudet, SCP D'Auriac Guizard

Avocats :

Mes Muller, Mille

Paris, du 6 oct. 1994

6 octobre 1994

Suivant une précédente décision du 6 octobre 1994 à laquelle le présent arrêt se réfère pour l'exposé des faits de la cause, de la procédure et des moyens et demandes des parties, la Cour de ce siège a déclaré applicable au litige la loi française, à savoir l'ordonnance du 1er décembre 1986 en son titre IV ; elle a en outre renvoyé les parties à conclure :

1°) sur les relations contractuelles exactes qui sont nées entre elles depuis la rupture du contrat ayant lié la société Sisley à la société Royale Distribution ;

2°) sur l'existence ou non d'une demande de la société ICI Paris XL tendant à son intégration au réseau, et sur les conséquences juridiques d'une telle demande ;

3°) sur la possibilité pour la société Sisley de reprocher à la société ICI Paris XL l'absence de respect du contrat l'ayant antérieurement liée à la société Royale Distribution jusqu'au 30 juin 1990 aux fins de légitimer le refus de vente opposé en août 1990 ;

A la première de ces questions, la société ICI Paris XL répond que les parties avaient été en relation au mois d'août 1990 et que c'est dans ce cadre que la Société Sisley lui avait opposé le refus de vente litigieuse ; la société Sisley y répond par la négative en précisant que ne s'étaient alors pas même nouées des relations commerciales.

A la deuxième de ces questions, la société ICI Paris XL répond qu'elle n'a cessé de réclamer la reprise des livraisons par la double voie amiable et judiciaire ce qui, d'après elle, s'assimile à une demande d'intégration au réseau Sisley ; elle déclare ignorer si la société Sisley disposait d'un contrat-type et rappelle que le fait pour un fabricant de refuser de vendre à des commerçants non agréés constitue en principe une atteinte à la libre concurrence et dès lors, une infraction à l'article 85, paragraphe 1er, du Traité de Rome.

La société Sisley répond par la négative en soulignant qu'il n'y a pas de conséquence juridique à tirer de l'absence de demande d'ICI Paris XL en vue de son intégration au réseau. Elle rappelle que la distribution sélective de ses produits de luxe doit être faite dans le strict respect par le distributeur de critères qualitatifs objectifs déjà définis, ces critères résultant soit de dispositions contractuelles soit de conditions générales de vente, voire de la conjugaison de ces deux documents.

A la troisième et dernière question, la société ICI Paris XL répond qu'à l'issue du contrat ayant lié la société Royale Distribution et la société Sisley, cette dernière ne pouvait lui reprocher que des agissements se situant dans le cadre de leurs relations directes nouvelles et qu'elle devait lui laisser un délai raisonnable pour y remédier ; elle dénie en outre avoir contrevenu au contrat l'ayant lié à la SA Royale Distribution.

La société Sisley rappelle pour sa part que la société ICI Paris XL reproche aux premiers juges d'avoir retenu à son encontre le grief de défaut de présentation de la totalité de la gamme Sisley et celui né de l'introduction de ses produits dans des points de vente autres que ceux antérieurement agréés ; elle en déduit que, même si ICI Paris XL n'a pas été partie au contrat de dépositaire agréé ayant lié Sisley à la société Royale Distribution, les critères concernant le stock outil et la localisation des points de vente sont opposables à la société ICI Paris XL en tant que conditions générales de vente.

La société Sisley soutient enfin qu'il est juridiquement indifférent de se préoccuper de savoir si ICI Paris XL a ou non sollicité son intégration au réseau puisque elle avait déjà contrevenu à deux des conditions générales de vente de la société Sisley ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'il résulte des réponses des parties aux questions posées par la Cour qu'hormis la demande de livraison du mois d'août 1990 à laquelle la société Sisley a opposé un refus, la société ICI Paris XL n'a noué avec Sisley aucun nouveau rapport commercial ou contractuel à l'issue du contrat expiré le 30 juin 1990 ayant lié la société Sisley à la société Royale Distribution ;

Considérant que la société Sisley soutient que, eu égard aux relations indirectes antérieurement nouées sous l'empire de ce dernier contrat, point n'était besoin pour elle en l'espèce de recueillir de la société ICI Paris XL une demande officielle d'agrément ou d'intégration à son réseau de distribution ou même d'accorder à cette société un délai suffisant lui permettant de se conformer aux règles de ce réseau ;

Considérant que la dispense de telles formalités n'apparaît possible qu'à la double condition pour la société Sisley ;

1°) de démontrer l'existence de griefs suffisamment graves commis par la société ICI Paris XL sous l'empire du contrat passé avec la société Royale Distribution, de nature à démontrer que l'intéressée n'était pas capable de respecter ou ne respecterait pas ses conditions générales de vente et ses critères de sélection qualitatifs ;

2°) de justifier de la légitimité de son réseau ;

qu'il y a donc lieu de procéder à l'examen des griefs retenus par les premiers juges après avoir vérifié la légitimité du réseau de distribution sélective ;

I°) SUR LA LEGITIMITE DU RESEAU DE DISTRIBUTION SELECTIVE

Considérant que la Cour constate que comme pour le contrat de distribution sélective soumis à la Commission des Communautés Européennes par la société Yves Saint Laurent, qui a rendu une décision le 16 décembre 1991, postérieurement, aux faits litigieux, le système de distribution sélective de la société Sisley constitue un élément de concurrence conforme à l'article 85-1 du Traité de Rome ; qu'en effet, les propriétés des produits cosmétiques en cause nécessitent pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, la mise en place d'un tel système et le choix des revendeurs s'opère en l'espèce en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur et de son personnel ainsi qu'à ses installations, et que ces critères sont fixés de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de manière non discriminatoire ;

Considérant que d'ailleurs, la Cour observe que, hormis l'exigence du référencement ci-dessous examiné, la société ICI Paris XL ne fait pas reproche à la société Sisley de proposer des clauses contractuelles susceptibles d'affecter le commerce entre Etats Membres et qui auraient pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché Commun ;

Considérant qu'il échet d'examiner la pertinence des griefs de la société Sisley susceptibles de légitimer le refus de vente opposé à la société ICI Paris XL ;

II°) SUR LA PERTINENCE DES GRIEFS

a) SUR LE GRIEF CONCERNANT L'EVENTAIL DES PRODUITS SISLEY

Considérant qu'il n'apparaît pas nécessaire en l'espèce de vérifier si la société ICI Paris XL a ou non respecté l'article II du contrat qui concerne ce point du litige ; qu'en effet, en imposant la détention à tout moment et dans chacune des boutiques, de l'ensemble des exemplaires de chacune des références et coloris, la société Sisley excède l'exigence normale du large éventail des produits Sisley qui pourrait se limiter aux deux tiers des référencements et qui est propre à répondre à l'attente d'un consommateur de produit cosmétique de luxe relative à l'accès à l'essentiel de ces référencements et à la certitude d'une mise à disposition rapide du produit désiré; considérant qu'une exigence supplémentaire et notamment celle de la disposition de l'ensemble des produits Sisley dans chacun des points de vente, constituerait une restriction à la concurrence ;

Considérant qu'en l'espèce, la lettre adressée le 7 avril 1993 par la société Royale Distribution ancienne importatrice des produits Sisley, à la société ICI Paris XL montre que " à l'une ou l'autre exception près, l'ensemble des produits Sisley étaient référencés en la centrale de la société ICI Paris XL " et la société Sisley ne rapporte ni la preuve contraire ni celle du non-respect par la société ICI Paris XL du référencement minimum des deux tiers des produits par point de vente ;

Qu'il y a donc lieu de constater que contrairement à ce qu'ont dit les premiers juges, le grief susvisé ne pouvait légitimer le refus de vente opposé par la société Sisley ;

b) SUR LE GRIEF RELATIF A L'OUVERTURE DE NOUVEAUX POINTS DE VENTE ET SUR CELUI TENANT A LA PRESENTATION DES PRODUITS SISLEY

Considérant qu'il apparaît nécessaire d'étendre à ce dernier grief l'examen du comportement de la société ICI Paris XL puisque la société Sisley l'a repris devant la Cour ;

Considérant que si les éléments de preuve de ce grief n'apparaissent pas suffisants eu égard au fait que les photographies ont été prises durant la période de soldes en Belgique, et que les produits Sisley sont vendus dans des boutiques dont l'apparence et la tenue ont permis leur agrément par la plupart des autres parfumeurs de prestige français, il n'en est pas de même pour ce qui concerne le reproche relatif à l'ouverture de nouveaux points de vente ; qu'en effet, comme l'ont constaté à bon droit les premiers juges et comme le reconnaît d'ailleurs la société ICI Paris XL dans ses conclusions du 9 juillet 1993 en soulignant que " la création de ces nouveaux points de vente est consécutive aux efforts accomplis par la société SA ICI Paris XL pour développer la marque Sisley et a donc largement profité au fabricant ", la société de droit belge appelante a introduit les produits Sisley dans d'autres points de vente que ceux qui avaient été expressément agréés par la société Royale Distribution laquelle était alors l'importateur exclusif des produits Sisley pour la Belgique et donc était la représentante de la société Sisley pour ce pays ;

Considérant que contrairement aux assertions de la société ICI Paris XL, point n'est besoin d'exiger de la société Sisley une quelconque mise en demeure préalable au refus de vente dès lors que les infractions au contrat ont été commises, sont reconnues et qu'elles sont comme en l'espèce d'une gravité suffisante pour légitimer le refus opposé par la société Sisley ; qu'en outre, depuis la manifestation par la société Sisley de son intention de commercialiser directement en Belgique ses produits en rompant le contrat d'importation exclusive avec la société Royale Distribution, la société ICI Paris XL ne justifie pas avoir formulé pour ces points de vente non antérieurement agréés une quelconque demande d'agrément auprès de la société Sisley, ce qui aurait permis la vérification par cette dernière du respect des critères objectifs ci-dessus définis ;

Considérant que les pièces versées aux débats par la société ICI Paris XL depuis le prononcé de l'arrêt du 6 octobre 1994, n'ont en l'espèce aucun rapport avec le grief présentement examiné par la Cour puisqu'elles concernent les conditions de présentation des produits Sisley ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer la décision des premiers juges du chef de la légitimité du refus de vente opposé par la société Sisley en 1990 et ultérieurement en raison de l'ouverture de points de vente non agréés et n'ayant pas fait l'objet depuis cette époque, d'une demande d'agrément ;

Considérant que pour le même motif, la Cour constate que la société Sisley n'a pas rompu abusivement des relations commerciales ou contractuelles ; que la société ICI Paris XL sera donc déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef ;

Considérant que la société Parfumerie ICI Paris XL, qui succombe dans ses demandes à l'exception de celle concernant la loi applicable et qui sera condamnée aux dépens, ne peut utilement prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

Considérant en revanche, que l'équité commande de faire au profit de l'intimée une application de ce texte, en fixant une indemnité de 15 000 F qui constitue le plein de sa demande de ce chef ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : Confirme par substitution partielle de motifs, en toutes ses dispositions la décision déférée ; Et y ajoutant, Condamne la SA Parfumerie ICI Paris XL à payer à la société CFEB Sisley la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ; Déboute les parties de leurs demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue ; Condamne la SA Parfumerie ICI Paris XL aux dépens d'appel ; Admet la SCP D'Auriac Guizard, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.