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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 14 avril 1995, n° 93-8334

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Phonepermanence (SARL)

Défendeur :

Lebreton, L2 (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

MM. Bouche, Lefevre

Avoués :

SCP Narrat Peytavi, Me Ribaut

Avocats :

Mes Bessis, Bensoussan.

T. com. Paris, 8e ch., du 17 mars 1993

17 mars 1993

Faits et procédure

Le 17 septembre 1989 Philippe Lebreton, au nom de la société à responsabilité limitée L2 en formation, a conclu avec la société Phonepermanence un contrat de franchise portant sur une méthode de marketing téléphonique. Cette activité n'a pas donné les résultats escomptés.

Philippe Lebreton et la société L2 estimant que le franchiseur n'avait pas rempli ses obligations notamment en matière de transmission de savoir-faire, l'ont assigné le 17 septembre 1991 en annulation du contrat et allocation de dommages et intérêts.

Par jugement du 17 mars 1993, le Tribunal de Commerce de Paris a prononcé la nullité du contrat de franchise, a condamné Phonepermanence à payer à Monsieur Lebreton et à la société L2 la somme de 135 043,93 F avec intérêts au taux légal " à compter du 10 septembre 1991, date de l'assignation ", 100 000 F de dommages et intérêts et 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, a ordonné à Philippe Lebreton et à la société L2 de cesser d'utiliser la dénomination Phonepermanence ou toute autre semblable sous contrainte de 5 000 F par jour à compter de la signification du jugement et a ordonné l'exécution provisoire.

La société Phonepermanence a fait appel par acte du 30 mars 1993. L'exécution provisoire a été suspendue par ordonnance du 18 juin 1993 moyennant la consignation de 235 043,93 F.

Demandes et moyens des parties

Par conclusions signifiées les 29 juillet 1993 et 21 février 1995 la société Phonepermanence demande à la Cour d'infirmer le jugement " sauf en ce qui concerne l'astreinte qu'il convient de liquider à la somme de 150 000 F en condamnant les intimés à ce montant ", d'ordonner le remboursement de la somme de 235 044 F consignée entre les mains de Maître Ribaut avec intérêts au taux légal depuis le 2 juillet 1993, date de la consignation, de dire le contrat rompu aux torts et griefs des intimés, de les condamner à lui verser 500 000 F de dommages et intérêts et 60 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, de leur faire interdiction d'exploiter le savoir-faire de la société Phonepermanence et de démarcher sa clientèle sous astreinte de 20 000 F par infraction constatée.

La société Phonepermanence prétend que la demande présentée au Tribunal était irrecevable, l'article 36 du contrat du 17 septembre 1989 excluant toute action en nullité. Elle soutient que sa dénomination est originale et fait l'objet d'une publicité nationale, qu'elle a mis au point une méthode de démarchage par téléphone présentant l'originalité d'être associée à des relations contractuelles de sous traitance et donc un " assemblage d'éléments " constituant le savoir-faire dont bénéficient ses franchisés, et que Philippe Lebreton et la société L2 n'ont ni protesté ni résilié le contrat pendant la période probatoire d'une année et ont attendu quatre ans pour agir.

Elle ajoute que les intimés ont cessé unilatéralement et sans autorisation judiciaire de payer les redevances ce qui justifie la résiliation du contrat à leurs torts alors qu'elle même a rempli toutes ses obligations. Elle reproche à la société L2 intimée d'avoir utilisé son enseigne jusqu'au 13 mai 1993 alors que le jugement a été signifié le 16 avril 1993 et aux intimés de continuer leur activité au mépris d'une clause de non-concurrence.

Par conclusions contenant appel incident signifiées le 2 février 1995 Philippe Lebreton et la société L2 demandent à la Cour de débouter la société Phonepermanence de toutes ses demandes, de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat et condamné la société Phonepermanence à leur rembourser le droit d'entrée et les redevances, de condamner la société Phonepermanence à leur verser 1 200 000 F de dommages et intérêts et 25 000 F au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.

Ils soutiennent qu'il n'est pas possible de se soustraire contractuellement aux règles d'ordre public concernant la validité des conventions, que le contrat du 17 septembre 1989 est dépourvu de cause dès lors que la société Phonepermanence ne disposait pas d'un savoir-faire spécifique original, élément essentiel du contrat de franchise, que le fait de confier au franchisé du travail en sous-traitance n'est pas un élément de savoir-faire et que la marque Phonepermanence n'a jamais été déposée et était inconnue lors de la conclusion du contrat litigieux et l'est toujours en province où la société L2 exerce ses activités. Ils prétendent que la carence de la société Phonepermanence a mis la société L2 dans de graves difficultés financières qui, cumulées avec la perte de valorisation de la marque, justifient leur demande de dommages et intérêts ;

Sur quoi, LA COUR,

Sur la recevabilité

Considérant que l'article 36 de la convention du 17 septembre 1987 dispose que " la nullité de l'une des clauses du contrat, quelqu'en soit la cause ou la date de prise d'effet, n'entraînera pas la nullité du contrat " ; que cette stipulation constitue une simple affirmation de principe de l'autonomie des clauses du contrat, dans la mesure ou cette autonomie est compatible avec la cohérence de l'ensemble de la convention et n'enfreint pas des dispositions légales ou réglementaires d'ordre public ; qu'elle ne peut être interprétée, sauf à être illicite et réputée non écrite, comme une renonciation à toute action en nullité du contrat pour dol, vice du consentement ou défaut de cause ; qu'il s'ensuit que l'action en nullité est recevable ;

Sur le fond :

Considérant que le règlement CEE n° 4087/88 auquel se réfère la société Phonepermanence et que les intimés versent aux débats, n'est entré en vigueur que le 1er février 1989, postérieurement à la conclusion du contrat litigieux mais reprend les principes posés par les juridictions françaises en l'absence de définition par un texte de droit interne du contrat de franchise et de l'ensemble des obligations du franchiseur ;

Que ce règlement définit la franchise comme un ensemble de droits de propriété industrielle ou intellectuelle et son article 1er impose au franchiseur au moins les obligations suivantes :

- assurer au franchisé " l'utilisation d'un nom ou d'une enseigne communs et une présentation uniforme des locaux et/ou moyens de transport visés au contrat ",

- communiquer au franchisé un savoir-faire,

- fournir au franchisé une assistance commerciale ou technique continue pendant la durée de l'accord " ;

Considérant que la société Phonepermanence ne conteste pas l'affirmation des intimés selon laquelle la marque " Phonepermanence" n'a jamais été déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle; qu'elle ne fournit aucune justification d'un tel dépôt ; qu'elle ne justifie de surcroît d'aucune notoriété de cette appellation;

Qu'elle se borne à verser aux débats la photocopie d'une page de deux revues identiques dans lesquelles elle est citée parmi dix sept entreprises de " marketing téléphonique classée en cinquième position dans la liste des vingt cinq premières sociétés françaises de Marketing Téléphonique sur le seul critère du chiffre d'affaires de l'activité Marketing téléphonique ; qu'elle ne produit en dehors de factures bien insuffisantes de publicité et de participation à des manifestations commerciales aucun document susceptible de démontrer l'existence d'un réseau structuré susceptible de conférer à ce qui n'est qu'un simple nom d'entreprise une notoriété ou une valeur susceptible d'en faire une marque;

Considérant que la société Phonepermanence ne justifie pas plus de ce qu'elle ait assuré une quelconque formation à son franchisé et lui ait apporté un savoir-faire et une assistance technique ou commerciale ; qu'il importe peu que dans le contrat le franchisé ait délivré quittance de ce chef ; qu'il ne pouvait le faire sciemment dès lors que " savoir-faire " et assistance ne pouvaient se juger qu'en cours d'exécution, après signature de la convention ; que la société Phonepermanence ne verse pas aux débats le " manuel opérationnel du franchisé spécifiant les procédures et spécifications d'aménagement, organisation, exploitation et gestion et résumant l'ensemble du savoir-faire du franchiseur " ; qu'elle s'était contractuellement engagée à remettre à son franchisé ce manuel, qui constitue la base documentaire essentielle de toute relation de franchise au point d'être familièrement appelée " bible " et dont la société L2 affirme qu'il n'a jamais existé ;

Considérant que la société Phonepermarnence n'apporte aucun élément à l'appui de son affirmation selon laquelle sa méthode de démarchage par téléphone état originale; que son activité ainsi que celle de toutes les entreprises similaires repose sur un acte banal de la vie quotidienne, l'appel téléphonique;

Que les intimés produisent quatre attestations d'Axelle Lyonnet Delorme, Michèle Madjar et Yocemnie Maameri qui affirment toutes quatre qu'elles ont été successivement salariées de la société Phonepermarnence et d'autres entreprises de marketing téléphonique et que les méthodes de travail étaient partout identiques; qu'ils versent également aux débats trois brochures intitulées " l'entretien téléphonique ", mieux utiliser le téléphone et " l'utilisation du téléphone dans la relation commerciale ", manuels d'approche psychologique à l'usage des vendeurs, qui proviennent toutes d'organismes étrangers à la société Phonepermanence et dont ceux au moins datés de 1984 et 1985 sont antérieurs à la conclusion du contrat litigieux,

Qu'enfin confier des travaux en sous traitance à ses franchisés ne peut être considéré comme une prestation relevant du contrat de franchise ou une manifestation d'un quelconque " savoir-faire " transmissible aux franchisés ;

Considérant en définitive que la seule réelle prestation dont la société Phonepermanence est à même de justifier, se limite à la fourniture d'un modèle de conversation téléphonique de quatre pages à la rédaction fort aérée et dépourvue de toute originalité ; que les intimées sont ainsi fondés à soutenir que l'inanité des éléments mis à leur disposition par la société Phonepermanence ôtait toute cause à leurs engagements et que le contrat de franchise du 17 septembre 1989 est nul;

Considérant que l'action en nullité a été intentée quatre années après la signature du contrat de franchise ; qu'elle se prescrivait par cinq ans selon l'article 1304 du Code Civil ; que la société Phonepermanence est la dernière qui puisse reprocher aux intimés d'avoir par trop attendu pour réaliser qu'ils avaient été grugés et qu'elle ne leur apportait pratiquement rien en contrepartie des engagements rémunérateurs pour elle seule qu'ils avaient souscrits ;

Que la société Phonepermanence ne peut davantage reprocher aux intimés de n'avoir pas usé de la faculté de résiliation sans indemnité que leur ouvrait jusqu'au 1er janvier 1988 l'article 6 du contrat de franchise ; qu'un aussi court délai ne pouvait permettre au franchisé de se rendre compte d'une absence de contrepartie de son engagement qui ne pouvait se révéler qu'à l'usage ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Phonepermanence a reçu de la société L2 un droit d'entrée et des redevances s'élevant à 135 043,93 F dont les intimés sont fondés à demander la restitution avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, en tant que conséquence de la nullité du contrat de franchise ;

Considérant que les intimés demandent 1 200 000 F de dommages-intérêts pour valorisation d'une marque dont ils perdent l'usage et pour pertes financières du fait de la carence de la société Phonepermanence ; que celle-ci sollicite 500 000 F pour utilisation de l'enseigne pendant près d'un mois au moins après la signification du jugement ;

Que l'annulation du contrat pour inexistence des prestations promises par la société Phonepermanence exclut que celle-ci reçoive la moindre réparation d'une rupture de cette convention ; que les intimés ne peuvent demander rétribution d'une valorisation d'une marque dont ils prétendent qu'elle n'avait pas et n'a toujours pas de notoriété ; qu'ils justifient d'autant moins d'une relation de cause à effet entre les pertes de la société L2 et la carence du fournisseur qu'ils ont poursuivi leurs activités de franchisés durant quatre ans et qu'ils utilisaient encore l'enseigne quelques semaines après une décision le leur interdisant ;

Que les premiers juges ont accordé à juste titre aux intimés 100 000 F de dommages-intérêts en réparation du trouble d'exploitation subi auxquels la Cour ajoutera, au besoin à titre de complément d'indemnité, le rejet de la demande présentée par la société Phonepermanence, d'indemnisation des quelques semaines de conservation de l'enseigne dès lors qu'il se concevait qu'ayant commercé durant plusieurs années sous le nom de Phonepermanence et n'étant connue de sa clientèle que sous ce nom, il aurait été souhaitable que la société L2 dispose d'un délai plus conséquent pour adopter un autre nom ou une autre enseigne ;

Considérant qu'il est équitable d'accorder aux intimés la somme de 15 000 F au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a ordonné une astreinte ; Condamne la société Phonepermanence à payer à la société L2 et à Philippe Lebreton la somme de 15 000 F au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la société Phonepermanence aux dépens d'appel ; Admet Maître Ribaut, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.