Cass. com., 9 mai 1995, n° 93-16.211
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
VAG France (Sté)
Défendeur :
Crouzet (ès qual.), Becker
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Grimaldi
Avocat général :
Mme Piniot
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Lesourd, Baudin.
LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Pau, 28 avril 1993), que, le 11 juillet 1979, Mme Drault-Becker, a pris en location-gérance un fonds de commerce de garage, et que la société VAG France lui a consenti, par des contrats annuels successifs, la concession de la vente de ses véhicules ; que, le 2 mai 1984, le concédant a informé le concessionnaire qu'il mettait fin à leurs relations commerciales ; que, le même jour, Mme Drault-Becker a déclaré cesser ses paiements et que, le 9 mai suivant, elle a été mise en règlement judiciaire, ultérieurement converti en liquidation des biens, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er février 1983 ; que Mme Drault-Becker et le syndic de son règlement judiciaire ont assigné la société VAG France afin que celle-ci soit déclarée responsable de l'ouverture de la procédure collective de Mme Drault-Becker et condamnée à réparer le préjudice subi par les créanciers ;
Attendu que la société VAG France reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer au syndic, à titre de dommages-intérêts, l'insuffisance d'actif de la liquidation des biens de Mme Drault-Becker alors, selon le pourvoi, d'une part, que la société VAG France faisait valoir à l'appui de ses écritures d'appel que le renouvellement de la convention, comme les facilités accordées au garage Drault, avaient toujours été subordonnés au renforcement des fonds propres de l'entreprise et à l'obtention de soutiens bancaires ; qu'en ne recherchant pas si la confiance ainsi accordée par les banques n'était pas de nature à abuser la société VAG France elle-même et à justifier sa propre confiance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui relève que le garage Drault obtenait d'excellents résultats commerciaux, ne pouvait se borner à affirmer que sa situation était désespérée dès février 1982, sans rechercher si, ainsi que l'avançaient l'expert judiciaire et la société VAG France, ces résultats commerciaux eux-mêmes n'interdisaient pas de désespérer du redressement de l'entreprise ; que la cour d'appel ne pouvait simultanément, sans autre explication et sans priver derechef sa décision de base légale au regard des dispositions précitées, constater que la situation du garage était désespérée mais qu'il continuait à obtenir d'excellents résultats commerciaux ; alors, ensuite, que la société VAG France soutenait que son intervention avait toujours été subordonnée à la justification préalable de cautions bancaires ; que la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que le crédit ainsi accordé avait créé une apparence trompeuse pour les créanciers, sans s'expliquer sur ce point dont il résultait que les crédits accordés " par partie de ceux-ci " seraient antérieurs et non postérieurs aux crédits-fournisseurs incriminés ; qu'en ne s'expliquant pas à cet égard, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; et alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait condamner la société VAG France à payer la totalité de l'insuffisance d'actif du garage Drault sans déterminer précisément la date à compter de laquelle elle ne pouvait, sans faute, continuer à accorder quelque crédit à celui-ci et sans préciser l'état, à cette date, de l'actif et du passif de celui-ci ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a de plus fort privé sa décision de base légale au regard de ces mêmes dispositions ;
Mais attendu qu'après avoir écarté diverses fautes alléguées contre la société VAG France, dont celle portant sur la violation des dispositions contractuelles relatives au renouvellement des contrats de concession, l'arrêt retient que le concédant, qui avait une connaissance parfaite de la situation économique et financière de l'entreprise de Mme Drault-Becker " depuis son origine " et notamment de ses difficultés " chroniques " de trésorerie, a laissé les retards de paiement se multiplier au point que les impayés étaient supérieurs aux concours bancaires, de telle sorte qu'en 1982, " comme l'année précédente ", c'est surtout la société VAG France qui finançait l'entreprise; que l'arrêt retient encore qu'en septembre 1983, malgré un dépôt normalement limité à 30 véhicules, le concessionnaire avait 84 véhicules en dépôt, dont 52 avaient été vendus sans que prix ait été reversé au concédant ; que l'arrêt retient enfin que la société VAG France a fourni à Mme Drault-Becker, par ce crédit, les moyens - et en particulier une trésorerie totalement fictive - de poursuivre une activité " déjà précaire dès 1979, et en tout cas irrémédiablement compromise depuis le 1er février 1983 ", " dans le seul but de profiter de la force de vente de ce concessionnaire "; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu estimer que la société VAG France avait, eu égard à " l'ampleur " du crédit-fournisseur consenti, notamment en 1983 et qui " a causé à l'ensemble des autres créanciers un préjudice certain en favorisant l'accroissement du passif de la concession ", " commis une faute en relation directe avec la création du passif de Mme Drault-Becker, le soutien artificiel ainsi accordé ayant créé une apparence trompeuse pour les créanciers ", et, par un motif non critiqué, décider que la société VAG France devait être condamnée au paiement de l'insuffisance d'actif" qui correspond à l'exacte réparation du préjudice subi par la masse des créanciers par la faute de la société VAG France " ; qu'ainsi la cour d'appel a légalement justifié sa décision et que le moyen n'est fondé en aucune de ses quatre branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.