CA Paris, 5e ch. B, 12 mai 1995, n° 93-27368
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mulhouse automobiles (SA)
Défendeur :
Seat France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
MM. Bouche, Le Fèvre
Avoués :
SCP Regnier, SCP Barrier Monin
Avocats :
Mes Clément, Vogel.
Faits et procédure :
Selon contrats à durée indéterminée des 1er août 1983 puis 1er juillet 1988 conclus successivement avec la société Sonauto et avec la société Seat France la société Mulhouse Automobiles était concessionnaire de la marque Seat pour la ville de Mulhouse et plusieurs cantons des environs. Elle n'a pas accepté que son territoire d'exclusivité soit réduit à nouveau en janvier 1991 après une première amputation du 1er juin 1989 et la société Seat France a résilié le contrat de concession le 11 janvier 1991 en respectant le préavis contractuel d'un an.
La société Mulhouse Automobiles estime que la société Seat France a fait preuve de légèreté blâmable en résiliant le contrat et a manqué à ses obligations au cours du préavis et en demande réparation.
Par jugement du 1er juillet 1993 le Tribunal de grande instance de Paris a dit que la société Seat France avait commis des fautes au cours de l'exécution du préavis, l'a condamnée à payer à la société Mulhouse Automobiles 400 000 F de dommages et intérêts ainsi que 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a ordonné l'exécution provisoire de la décision à concurrence de la moitié de la condamnation prononcée.
La société Mulhouse Automobiles qui demandait 2 000 000 F de dommages et intérêts a fait appel par acte du 2 novembre 1993.
Demandes et moyens des parties :
Par conclusions signifiées le 2 mars 1994 et 10 mars 1995 la société Mulhouse Automobiles demande à la Cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société Seat France avait commis des fautes durant l'exécution du préavis de résiliation et la condamner de ce fait à lui verser la somme de 1 000 000 F ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Mulhouse Automobiles de ses autres demandes, dire que le contrat signé le 11 juillet 1988 avait été conclu dans l'intérêt commun des parties et ne pouvait être rompu unilatéralement par la société Seat France, déclarer abusive la rupture unilatérale et condamner la société Seat France à régler à la société Mulhouse Automobiles la somme de 1 875 000 F à titre provisionnel ;
- condamner la société Seat France à verser à la société Mulhouse Automobiles la somme de 270 563 F hors taxes soit 320 887,71 F toutes taxes comprises avec intérêts de droit à compter du jour de l'assignation, le 6 novembre 1991, en paiement des primes sur ventes spéciales à l'export,
- subsidiairement dire qu'en tout état de cause le contrat n'a pas été exécuté de bonne foi par la société Seat France qui l'a rompu abusivement et condamner la société Seat France à régler à la société Mulhouse Automobiles la somme arrondie de 1 875 000 F à titre provisionnel,
- désigner un expert pour définir le préjudice définitif,
- condamner la société Seat France à lui payer 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle expose qu'un premier contrat de concession à durée indéterminée signé le 1er août 1983 a été remplacé par un nouveau contrat le 1er juillet 1988, qu'elle a implanté la marque Seat jusque là inconnue dans le secteur concédé, que ce secteur a été amputé de trois cantons à compter du 1er juin 1989, cependant que l'objectif de ventes était ramené de 500 à 400 véhicules, que des projets d'investissements et d'implantation secondaire à Altkirch avaient été par contre approuvés par la direction régionale de la société Seat France mais que le 8 janvier 1991 le directeur régional s'est présenté à la concession dans le but de faire signer un avenant amputant à nouveau le secteur concédé et cette fois de 65 % de son territoire, l'objectif annuel de ventes étant réduit à 255 véhicules, qu'elle a " naturellement " refusé.
Elle soutient que la lettre de résiliation est d'une sécheresse inadmissible et que cette rupture unilatérale lui a causé un très grave préjudice. Elle reproche en outre à la société Seat France, de n'avoir pas rempli ses obligations au cours du préavis et de s'être livrée à des actes de concurrence déloyale, d'avoir réduit sans préavis l'encours autorisé de 3 362 000 F à 1 500 000 F ce qui a déstabilisé sa situation financière, de l'avoir évincée d'un voyage à New York et du salon régional de l'automobile, d'avoir refusé de payer les primes de quotas, d'avoir bloqué les livraisons de voiture neuves et d'avoir débauché son personnel.
Elle prétend que le contrat était conclu dans l'intérêt commun des deux parties et que la loi du 31 décembre 1989 lui était applicable, que l'amputation du territoire a été faite de mauvaise foi et que la résiliation du contrat a été abusive. Elle ajoute que le contrat était incompatible avec le Traité de Rome et un règlement communautaire sur la concurrence.
Elle évalue son préjudice, compte tenu des pertes de chiffre d'affaires, des pertes sur primes et des indemnités de licenciement à 1 875 710,29 F " à titre provisionnel " ;
Par conclusions signifiées le 1er décembre 1994 la société Seat France demande à la Cour de :
- débouter la société Mulhouse Automobiles de l'ensemble de ses demandes et dire que le contrat signé le 11 juillet 1988 a été résilié conformément aux dispositions contractuelles, que la société Seat France avait pour seule obligation de respecter un préavis d'un an, que le contrat de concession exclusive n'est pas un contrat d'intérêt commun et que même si tel était le cas, il n'y a pas à lui appliquer le régime du mandat d'intérêt commun ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société Seat France n'avait pas rompu abusivement le contrat et l'avait exécuté de bonne foi ;
- l'infirmer en ce qu'il a jugé que la société Seat France avait commis des fautes dans l'exécution du préavis et en ce qu'il a condamné la société Seat France à verser à la société Mulhouse Automobiles les sommes de 400 000 F et à 10 000 F au titre de l'article 700,
- dire que la demande tendant à obtenir une somme de 320 887,71 F toutes taxes comprises, avec intérêts de droit à compter du jour de l'assignation du 6 novembre 1991 en paiement de primes sur ventes spéciales à l'export, est une demande nouvelle et la déclarer irrecevable,
- condamner la société Mulhouse Automobiles à lui payer 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Elle nie que la loi du 31 décembre 1989 dite loi Doubin qui prévoit une obligation d'information précontractuelle, soit applicable et que le contrat de concession soit un mandat d'intérêt commun. Elle soutient que le contrat a été exécuté de bonne foi, qu'elle n'a pas encouragé un investissement à Altkirch, que le plafond d'encours qui avait été réduit à la date d'expiration d'une caution, a été rétabli dès qu'une nouvelle caution a été fournie, atteignant même 4 362 KF le 6 mai et que la réduction de l'encours postérieur à juillet 1991 était conforme au contrat, enfin que les retards de livraison n'ont pas causé de préjudice ;
Sur quoi, LA COUR,
Sur la compatibilité du contrat avec le Traité de Rome et le règlement numéro 123-85 :
Considérant que la société Mulhouse Automobiles ne démontre pas en quoi les clauses d'exclusivité, l'allocation de primes et le crédit " captif " accordé pouvaient restreindre sa liberté d'action au point de constituer des limitations de concurrence contraires au droit européen ; qu'elle se borne à l'affirmer sans en tirer la moindre conséquence puisqu'au lieu de demander que le contrat soit déclaré nul, elle sollicite des dommages et intérêts pour résiliation abusive du contrat et manquement aux obligations contractées ; qu'elle n'allègue de surcroît aucun préjudice imputable à l'illicéité dénoncée ;
Sur la résiliation du contrat :
Considérant que le contrat de concession résilié a été conclu le 11 juillet 1988, antérieurement à la promulgation de la loi du 31 décembre 1989 dite " loi Doubin " qui ne lui est pas applicable; que la société Mulhouse Automobiles ne se prévaut de cette loi que parce qu'elle énonce que le contrat aux termes duquel une marque est mise à la disposition d'autrui, est conclu dans l'intérêt commun des parties; qu'il n'en résulte cependant pas que le contrat de concession doive s'analyser en un mandat d'intérêt commun qui ne pourrait être résilié unilatéralement, faute de répondre aux critères du mandat; que la loi du 31 décembre 1989 n'apporte au surplus aucune restriction à la faculté de résiliation des contrats qu'elle régit;
Considérant qu'un contrat de concession est une convention synallagmatique conclue dans l'intérêt de ses cocontractants; que le concessionnaire est un commerçant indépendant qui achète et revend pour son propre compte et n'est donc pas un mandataire de son fournisseur; que l'existence d'une clause d'exclusivité n'y change rien;
Considérant qu'un contrat de concession à durée indéterminée peut être résilié unilatéralement par l'une des parties ; qu'aucune disposition de la législation française ou européenne n'exige de l'auteur de la résiliation qu'il apporte la preuve d'un juste motif; que le règlement CEE n° 123-85 du 12 décembre 1984 fait seulement obligation au concédant de manière alternative soit d'accorder un délai de résiliation d'au moins un an soit de verser une indemnité ;
Considérant que par des motifs appropriés que la Cour adopte, le tribunal a constaté que la société Mulhouse Automobiles n'apportait pas la preuve de ce que la société Seat France avait manqué à ses obligations et fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution du contrat avant de le résilier ou abusé de son droit de résiliation unilatérale ; que la Cour n'est pas saisie d'autres reproches que ceux qui ont été à juste titre écartés ;
Considérant qu'il convient de même d'adopter les motifs pertinents par lesquels les premiers juges ont relevé que la société Seat France avait quelque peu contrarié l'activité de la société Mulhouse Automobiles durant le préavis d'un an par sa précipitation à réduire l'encours, par des retards de livraison et par des assurances d'embauche par le nouveau concessionnaire donnée à certains de ses salariés, et ont à juste titre déduit que la société Seat France avait manqué à la bonne foi et devait réparer les conséquences de ses fautes ;
Considérant que les éléments comptables et notamment les bilans versés aux débats permettent de confirmer l'indemnisation décidée en première instance ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'expertise sollicitée qui ne pourrait se justifier que si la résiliation elle-même pouvait être incriminée ;
Sur les primes afférentes aux véhicules exportés en Allemagne :
Considérant que la demande en appel de primes à l'exportation n'est pas nouvelle ; que les premiers juges ont seulement constaté qu'ils n'étaient pas saisis d'une demande précise c'est à dire chiffrée se rapportant à ce chef d'un préjudice dont la société Mulhouse Automobiles demandait qu'il soit déterminé par expertise ;
Que dans ses conclusions de première instance, la société Mulhouse Automobiles affirmait que la société Seat France avait donné son accord pour qu'elle réalise des ventes à l'exportation et s'était engagée à verser à son concessionnaire l'aide financière correspondante ; qu'elle citait un procès verbal de police dans lequel un représentant de la société Seat France reconnaissait que 270 563 F hors taxes devaient encore être payés ;
Que la créance de primes à l'exportation était incluse dans le débat ;
Que le dispositif des conclusions de première instance se référait aux motifs ; qu'il y était demandé la désignation d'un expert à " l'effet de rechercher le préjudice définitif " sans qu'une distinction soit faite entre les divers chefs de préjudice ; que le tribunal était donc bien saisi d'une demande concernant les primes à l'exportation ;
Que la demande renouvelée en appel de condamnation au paiement de ces primes est recevable ;
Considérant qu'il résulte du procès verbal de police susvisé que le 16 juillet 1991 Serge Julien chef de service développement réseau de la société Seat France, a déclaré à la police de Mulhouse, dans le cadre d'une enquête déclenchée à la demande de la société Seat France :
" Notre société a été avisée je pense vers septembre 1990 par M. Sitter de son intention de vendre des véhicules neufs à une société française qui les exporterait en Allemagne, vente pour lesquelles il sollicitait le bénéfice de l'assistance Seat France pour ventes spéciales...
" Nous lui avons donné notre accord sous réserve que les dossiers qu'il nous présenterait seraient conformes à la procédure en vigueur, à savoir de fournir en documents annexes, photocopies des cartes grises, factures et K Bis de l'acheteur ".
" M. Sitter nous a donc fait parvenir des dossiers de ventes spéciales pour les sociétés Technisol, Auto Ecole Salvator et Spadaro Philippe. Je vous présente ces dossiers et vous pouvez constater qu'ils sont constitués des documents ci-dessus mentionnés, y compris des factures de ventes établies aux noms mentionnés sur les cartes grises.
" Au vu de ces dossiers nous avons réglé à la SA Mulhouse Automobiles les participations prévues, actuellement nous avons payé une somme de 659 252 F hors taxes et nous devions payer encore 270 563 F hors taxes pour les dossiers en cours de règlement, suite à votre intervention, nous avons évidemment bloqué ce paiement en attendant d'y voir plus clair " ;
Que la société Seat France n'a jamais démenti ces propos, ne nie pas cette dette et ne prétend pas l'avoir payée ; qu'il convient de faire droit à la demande de la société Mulhouse Automobiles de paiement de 320 887,71 F toutes taxes comprises ; que les intérêts ne seront cependant dus qu'à compter du 2 mars 1994, date des conclusions qui individualisent explicitement ce chef de demande ;
Considérant qu'il est équitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de paiement de primes sur ventes spéciales à l'exportation ; Condamne la société Seat France à payer à la société Mulhouse Automobiles la somme de 320 887,71 F toutes taxes comprises en paiement de primes sur ventes spéciales à l'exportation avec intérêts au taux légal à compter du 2 mars 1944, Déboute les parties de leurs demandes contraires ou complémentaires, Condamne la société Seat France aux dépens d'appel, Admet la SCP Regnier, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.