CA Versailles, 3e ch., 19 mai 1995, n° 3231-94
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Nutrition et Succès (Sté)
Défendeur :
Anezo
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sempere
Conseillers :
Mme Simonnot, Mme Prager
Avoués :
SCP Jullien-Lecharny-Rol, SCP Lissarrague-Dupuis
Avocats :
Mes Bussery, Stasi.
Faits et procédure
Par courrier du 11 décembre 1992, la société Nutrition et Succès a mis fin au contrat d'agent commercial de Michel Anezo et l'a fait assigner le 13 avril 1993 devant le Juge des Référés du Tribunal de Saint-Nazaire aux fins de lui voir interdire sous astreinte de cesser ses pratiques de dénigrement à son égard.
Par ordonnance du 25 mai 1993, sa demande a été jugé irrecevable.
Par acte du 15 mars 1993, Michel Anezo a fait assigner la société Nutrition et Succès devant le tribunal de Grande Instance de Nanterre en paiement de la somme de 1 878 575 F au titre de l'indemnité pour rupture abusive de son contrat d'agent commercial, de celle de 75 000 F au titre de commissions impayées, de 30 000 F à titre de dommages-intérêts et de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 21 février 1994, le Tribunal a fait droit aux deux premiers chefs de demande et lui a alloué la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Nutrition et Succès a interjeté appel le 29 mars 1994.
Elle expose que Michel Anezo était chargé de la commercialisation de l'aliment diététique " All in a glass ", distribué jusqu'en octobre 1991 par une société Nutrisan, dirigée par Marc Cotte, ami de Michel Anezo, avec lequel il avait lancé la marque en 1987 ; que Marc Cotte qui avait contribué à la création de la société Nutrition et Succès, avait en décembre 1991, cédé ses parts, démissionné de sa fonction de gérant et quitté la France ; qu'il a créé au Liechtenstein une société Nekoosa et a consenti pour cinq ans la licence " All in a Glass " à la société Nutrition et Succès ; que, toutefois, il tentait de faire revenir à lui les agents commerciaux de cette dernière.
Elle prétend que Michel Anezo dénigrait la société Nutrition et Succès, avait cessé de s'investir dans son activité et s'apprêtait à rejoindre la société Nekoosa.
Elle soutient que la rupture était justifiée et nécessaire à sa survie.
Elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris et au paiement de la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Michel Anezo conclut à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Nutrition et Succès et, formant appel incident, sollicite la somme de 300 000 F de dommages-intérêts et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il soutient avoir conservé jusqu'à son licenciement une activité soutenue, dépassant régulièrement les quota de commande mensuels et de recrutement d'adhérents.
Il conteste tout dénigrement, admettant, toutefois, avoir adressé un seul courrier à quelques adhérents le 19 janvier 1993, soit après la rupture.
Il soutient avoir vu depuis septembre 1992 son activité systématiquement entravée par la société Nutrition et Succès par des pratiques allant jusqu'au refus de l'approvisionnement.
Il indique que l'indemnité compensatrice qui est demandée correspond à deux années de commissions brutes et que les 75 000 F représentent les commissions du dernier trimestre 1992, restées impayées.
Il justifie sa demande de dommages-intérêts par l'ampleur de son engagement au sein de la société et par le préjudice matériel et psychologique consécutif à la rupture de son contrat.
La société Nutrition et Succès relève que Michel Anezo fait état, pour calculer les indemnités qu'il réclame, de ses activités au sein de la société Nutrisan, antérieurement à sa création ; que ses résultats des derniers mois provenaient du travail d'intermédiaire recrutés auparavant, selon un système pyramidal.
Subsidiairement, elle sollicite une expertise aux fins de déterminer les commissions revenant à Michel Anezo du fait de son propre travail et demande qu'il produise ses déclarations d'impôts.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 mars 1995.
Motifs
Attendu que par lettre du 11 décembre 1992, la société Nutrition et Succès a mis fin au contrat de Michel Anezo au double motif que :
- il ne faisait plus aucun suivi de clientèle et avait perdu plusieurs groupes d'adhérents, en gagnant un seul en 1992 ;
- il déstabilisait le réseau de vente en tenant des propos injurieux sur Messieurs De Vion et Lelaure, respectivement directeur et chef du réseau ;
Attendu que Michel Anezo, en sa qualité d'agent commercial, était tenu de visiter et rechercher un clientèle composée de particuliers, avec la possibilité de se faire seconder par des sous-agents de son choix dont il avait seul la responsabilité et la charge de la rémunération ;
Attendu qu'il justifie avoir recruté trois adhérents occasionnels en novembre 1992 et avoir animé une réunion publique le 11 décembre 1992 ;
Qu'il produit diverses attestations établissant une activité réelle auprès des adhérents ou des responsables de groupe jusqu'à la fin de l'année 1992 ;
Qu'au vu des notes d'honoraires qu'il verse lui-même aux débats, apparaît toutefois une baisse sensible d'activité à partir du mois de juillet 1992 ; que, eu égard, à la structure pyramidale de la société Nutrition et Succès où la majeure partie du chiffre d'affaires d'un agent commercial ayant la qualité de " ambassadeur principal " comme Michel Anezo, est réalisée par les animateurs et adhérents recrutés antérieurement cette baisse de résultat est nécessairement consécutive à une baisse d'activité dans les mois précédents ;
Que toutefois, en l'absence d'éléments sur la conjoncture et les résultats des autres équipes au cours de la période considérée, en l'absence de toute lettre de rappel à l'ordre antérieure à la lettre de rupture du contrat, la société Nutrition et Succès n'établit pas que Michel Anezo n'ait plus fait aucun suivi de clientèle comme elle l'écrit dans ce courrier ou n'ait pratiquement plus travaillé comme elle l'affirme dans ses conclusions ;
Qu'il est en outre établi par un constat dressé le 30 octobre 1992 par Maître Tence, huissier de justice à Reze, à la requête de Michel Anezo que la société Nutrition et Succès refusait de l'approvisionner ; que son activité s'en trouvait donc nécessairement réduite ;
Attendu que le premier grief n'est donc pas établi ;
Mais attendu qu'il est attesté par Michel Thierry, Stéphane Leflamand, Jean-Marie Peleuse, Maurice Lalaure, adhérents ou responsables de la société Nutrition et Succès, que, dès septembre 1992, Michel Anezo émettait publiquement des doutes sur l'honnêteté et la compétence de l'équipe dirigeante ;
Que ces propos, contraires à l'obligation générale de loyauté imposée à tout mandataire à l'égard de son mandant, étaient d'autant plus préjudiciables à ce dernier que Michel Anezo était l'animateur le plus ancien et le fondateur du réseau ;
Que les multiples témoignages de confiance émanant d'adhérents qu'il verse lui-même aux débats, rendent ce comportement d'autant plus dommageable, car susceptible d'entraîner la défection de nombre d'entre eux ;
Attendu que ces dénigrements répétés constituent un manquement grave à l'obligation de loyauté imposée à l'agent commercial par l'article 4 de la loi du 25 juin 1991; que la société Nutrition et Succès était dès lors bien fondée à ne plus souhaiter maintenir leur collaboration et à suspendre ses fournitures, puis à mettre fin au contrat ;
Attendu queMichel Anezo ne saurait dès lors prétendre, son contrat ayant pris fin pour faute grave, au versement d'une indemnité de fin de contrat et de dommages-intérêts;
Attendu que Michel Anezo sollicite par ailleurs 75 000 F au titre de ses commissions pour le dernier trimestre 1992 ; qu'il produit des notes d'honoraires pour les mois de octobre et novembre d'un montant respectif de 79 080,97 F et 77 080 F ; que la société Nutrition et Succès lui a adressé le 26 janvier 1993 un chèque de 196 403,67 F ; qu'il ne justifie pas qu'une somme supérieure doive lui revenir ;
Attendu qu'il y a lieu d'infirmer le jugement rendu le 24 janvier 1994 par le Tribunal de Nanterre et de débouter Michel Anezo de son appel incident ;
Attendu que la situation des parties justifie que chacune observe la charge des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer ;
Par ces motifs : Statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement rendu le 24 janvier 1994 par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, Déboute Michel Anezo de son appel incident, Rejette la demande formée par la société Nutrition et Succès au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Michel Anezo aux dépens dont distraction au profit de la SCP Jullien Lecharny Rol, Acoués conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.