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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 2 juin 1995, n° 93-5462

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dassa (SARL)

Défendeur :

Mobil Oil Française (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

MM. Bouche, Le Fèvre

Avoués :

Me Ribaut, SCP Parmentier Hardouin

Avocats :

Mes Jourdan, Alterman.

T. com. Paris, 8e ch., du 16 déc. 1992

16 décembre 1992

Considérant que la société à responsabilité limitée Dassa, Raymond Dassa et Ghislaine Grandjean Joyeux son épouse ont fait appel d'un jugement contradictoire du 16 décembre 1992 du Tribunal de commerce de Paris qui a rejeté leurs demandes d'annulation du contrat d'exploitation de station service du 12 juin 1985 conclu entre les sociétés Dassa et Mobil Oil Française ci-après Mobil et subsidiairement d'application des dispositions des accords interprofessionnels ainsi que les demandes en découlant, et a condamné avec exécution provisoire la société Dassa à payer à la société Mobil Oil un solde de 281 699,05 F avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1989, 5 000 F de dommages intérêts et 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant que la société et les époux Dassa exposent que la société Mobil, désireuse d'éviter que la dépendance à son égard des couples gérant ses stations services ne leur vaille la protection du droit du travail, a demandé aux époux Dassa de constituer la société Dassa sous couvert de laquelle ils exploiteraient, en tant que cogérants, une station-service de la société Mobil sise à Montgeron sous les régimes juridiques d'un mandat pour la distribution des carburants et de la location-gérance pour la vente des autres marchandises dont les lubrifiants ainsi que pour les prestations ;

Qu'ils ajoutent que l'exploitation de la station-service du 12 juin 1985 au 13 novembre 1986 s'est avérée structurellement déficitaire sans que la responsabilité des époux Dassa ne soit engagée et qu'il en a été de même de l'exploitation de leurs successeurs ;

Considérant que par conclusions signifiées le 15 juin 1993 la société et les époux Dassa demandent à la Cour de déclarer le contrat du 12 juin 1985 nul parce qu'il impose à la société Dassa de s'approvisionner en carburants et en lubrifiants auprès de la société Mobil à des prix relevant de tarifs qu'elle fixe unilatéralement, de " remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat de telle sorte que ni l'une ni l'autre n'ait souffert ou profité de l'exécution du contrat, d'ordonner à cette fin une expertise en demandant à l'expert de retenir les coûts de revient des produits Mobil et à défaut le cours international des carburants sur le marché de Rotterdam, de condamner la société Mobil à supporter les frais de transfert de siège social et de dissolution de la société Dassa, de constater que la société Mobil ne justifie d'aucune créance certaine sur la société Dassa, d'annuler la caution hypothécaire consentie par les époux Dassa et de condamner la société Mobil à verser au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile une somme de 70 000 F portée par la suite à ce qu'ils ont réellement versé à leur avocat soit 14 202,38 F ;

Que les appelants reprennent en appel leur moyen de nullité du contrat du 12 juin 1985 en raison de la présence d'une clause d'approvisionnement exclusif en lubrifiants au tarif potestatif du fournisseur et prétendent qu'ils sont en droit de demander que la nullité de cette clause indivisible soit étendue à l'ensemble de la convention et qu'il convient en conséquence d'établir un compte de " restitutions réciproques " incorporant l'équitable rémunération du travail des époux Dassa, heures supplémentaires incluses, qui ne peut être définie selon eux par référence à des accords interprofessionnels léonins dictés par les compagnies pétrolières et dépourvus de toute valeur contractuelle ;

Que par conclusions signifiées le 12 octobre 1994 la société et les époux Dassa explicitent leurs demandes, par référence expresse à des arrêts Da Costa c/ Mobil et Bertron c/ Esso de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en prétendant que la société Mobil ne saurait conserver pour elle " la marge qu'elle a tirée de la vente des carburants " et qu'en conséquence les deux sociétés doivent se partager le montant d'un " compte de restitution " auquel la société Mobil reverserait les bénéfices qu'elle a réalisés sur la vente des carburants et lubrifiants ainsi que la valeur du service rendu par la société Dassa incluant l'équitable rémunération des époux Dassa évaluée hors application jugée désormais illégitime des accords interprofessionnels, " l'entretien de la marque Mobil " et le " risque d'entreprise " pris par la société Dassa, tandis que la société Dassa n'aurait rien à reverser puisqu'elle n'a tiré ni bénéfice ni avantage du contrat ;

Considérant que la société Mobil Oil Française demande à la Cour, par conclusions signifiées les 3 septembre 1993 et 16 novembre 1994 de constater la nullité de l'assignation introductive d'instance et de l'appel de la société Dassa pour mention d'un siège social fictif, de confirmer le jugement déféré, de débouter la société Dassa de ses demandes et de condamner solidairement la société et les époux Dassa à lui payer 281 699,05 F avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1989, 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle reproche à la société Dassa de n'avoir pas transféré son siège social à l'issue de la location-gérance ainsi qu'elle s'y était engagée, et de faire état ainsi d'un siège social fictif ; qu'elle ajoute que les époux Dassa n'avaient pas qualité pour se substituer à la société Dassa ; qu'elle en déduit qu'assignation et appel sont nuls ;

Qu'elle soutient que la convention du 12 juin 1985 constitue un " contrat cadre " comportant des " obligations synallagmatiques de vente susceptibles d'être soumises aux dispositions des articles 1129 et 1591 du Code civil ; qu'elle conteste au surplus que les prix des lubrifiants aient été laissés à sa discrétion puisqu'ils relevaient de facteurs économiques ou aient varié d'un service à l'autre ;

Qu'elle ajoute que même si la nullité de la clause litigieuse concernant les seuls lubrifiants était prononcée, rien ne justifierait qu'elle soit étendue à l'ensemble du contrat et que s'il en était tout de même ainsi, la remise des parties dans l'état antérieur à la conclusion de la convention impliquerait que les marchandises livrées soient payées à leur valeur pour que la société Dassa ne s'enrichisse pas sans cause et que la caution hypothécaire fournie par les époux Dassa subsisterait parce qu'indépendante du contrat annulé ;

Qu'elle conteste que l'exploitation de la station-service ait été structurellement déficitaire et qu'une expertise soit nécessaire d'autant que la société Dassa n'a jamais été propriétaire des carburants ni même des lubrifiants si la convention est annulée, que le prix tiré de la vente de la chose d'autrui ne peut appartenir, marge incluse, qu'à son propriétaire, que la société Dassa a expressément renoncé à se prévaloir des dispositions de l'article 2000 du Code civil et qu'il appartient à la société Dassa d'apporter elle-même la preuve de ce qu'elle avance ; qu'elle soutient que si un expert était commis, il conviendrait qu'il examine aussi les avantages retirés par la société Dassa de l'exclusivité accordée et des " tarifs préférentiels " appliqués et qu'il applique les accords interprofessionnels du 1er mars 1983 acceptés par la société Dassa ;

Considérant que Raymond Dassa intervient volontairement par conclusions signifiée le 27 octobre 1994 au nom de la société Dassa en précisant qu'il est désormais le liquidateur amiable et qu'il en confirme les demandes ; que la société Dassa est depuis lors domiciliée 246 boulevard Gabriel Péri à Noisy-le-Sec, domicile de son liquidateur ; que le grief de nullité d'assignation et d'appel est réparé ; que la société Dassa a au surplus participé à tous les actes de la procédure ; qu'il n'est justifié d'aucun préjudice qui ait pu résulter de l'absence d'indication d'un siège social intermédiaire ;

Considérant qu'alors que la mise en état pouvait paraître achevée, la société et les époux Dassa ont fait signifier le 22 novembre 1992 des conclusions pour incriminer le caractère potestatif selon eux des prix des carburants et de la rémunération de la société Dassa dès lors qu'une partie de la commission lui revenant sur les ventes des carburants était calculée en fonction du nombre de litres vendus ;

Que la société Mobil conteste toute potestativité de la clause régissant la rémunération du mandat de distribution des carburants en soutenant que celle-ci dépend de divers facteurs étrangers à la compagnie pétrolière ;

Considérant enfin que par conclusions signifiées le 1er mars 1995 la société Mobil demande à la Cour de faire application d'arrêts de la première chambre de la Cour de cassation du 29 novembre 1994 qui ont refusé de sanctionner de la nullité la référence au tarif du fournisseur pour d'éventuelles modifications ultérieures de contrats d'installations téléphoniques ;

Que les appelants répliquent que ces arrêts novateurs concernent des contrats de location de matériels téléphoniques d'une durée de quinze ans et ne sont pas transposables dans le domaine de la distribution des carburants et lubrifiants ;

Considérant que par contrat du 12 juin 1985 à durée indéterminée et résiliable unilatéralement avec préavis de trois mois, la société Mobil Oil Française a confié à la société à responsabilité limitée Dassa l'exploitation de sa station service de Montgeron sous le régime juridique du mandat ducroire rémunéré au moins pour partie par une commission proportionnelle au litrage débité pour la distribution des carburants et sous celui de la location-gérance pour toutes les autres activités et notamment la revente des lubrifiants que le locataire-gérant ne pouvait acheter qu'à la société Mobil et " au prix de cession du tarif revendeur Mobil " dont le dernier en date était déclaré annexé à l'acte et approuvé par les parties ;

Considérant que les appelants demandent à la Cour de confirmer la nullité de cette convention au motif qu'une fraction importante de la rémunération du mandat et surtout le prix des lubrifiants distribués dans le cadre de la location-gérance dépendraient de la seule volonté de la société Mobil ; qu'axant leur critique essentiellement sur l'acceptation des prix des lubrifiants, les appelants, faisant preuve d'une logique quelque peu déconcertante, entendent en définitive voir annuler un contrat pour imprévisibilité et potestativité de l'évolution d'un " tarif revendeurs " qui a été accepté, concerne au surplus une partie infime de l'activité concernée et à l'encontre de l'évolution duquel ils ne formulent pas la moindre critique à supposer même qu'il ait évolué ;

Que l'annulation d'une convention est rétroactive ; que la nullité du contrat du 12 juin 1985 ne saurait justifier qu'une remise des parties en l'état où elles se trouvaient avant de contracter ce qui reviendrait pour la société Dassa qui avait été constituée pour cette opération, à lui rembourser ses éventuelles pertes pour peu qu'elles ne soient pas imputables à des fautes ;

Qu'au lieu de cantonner ainsi leurs prétentions, les appelants qui exigent une reconstitution des comptes sur la base du " prix coûtant " pour la société Mobil des carburants et lubrifiants distribués, entendent s'approprier la marge bénéficiaire de la société Mobil sur des produits dont ils n'étaient pas propriétaires ou sont censés ne l'avoir jamais été et qu'ils n'ont de ce fait pu revendre licitement qu'en tant que mandataires apparents de la société Mobil ;

Qu'ils ne fournissent aucune explication de leurs exigences autre que la nullité du contrat ; qu'ils se bornent en effet à soutenir que la remise des parties en l'état antérieur implique que ni l'une ni l'autre ne tire un profit ou ne subisse un préjudice, ce qui :

- excède les effets juridiques d'une annulation limitée, sauf incidence d'une faute qui n'est pas alléguée, à de simples restitutions réciproques,

- revient en réalité à entériner l'exécution du contrat en dépit de son annulation en substituant à la commune intention des parties, contrairement en particulier à la volonté de l'une au moins d'entre elles, soit une vente léonine si la marge du fournisseur était attribuée à l'exploitant, soit une société en participation si cette marge devait être partagée,

- ne peut légitimer sans spolier le bailleur mandant l'attribution au locataire-gérant mandataire d'une marge appartenant au premier qui n'a jamais cessé d'être propriétaire des produits distribués, bien que cette marge ait été incluse dans le prix de revente perçu par le second,

- s'avère d'autant plus abusif que la société Dassa exclut qu'à titre de réciprocité la société Mobil se voit attribuer tout ou partie des marges qu'elle a elle-même pratiquées sur les produits qu'elle a revendus et les services qu'elle a fournis dans le cadre de la location-gérance nulle, et n'offre pas d'avancer les frais considérables d'une détermination d'un " prix coûtant " dont les coûts de prospection, d'extraction, de raffinage et de transport sont des éléments essentiels ;

Considérant cependant que le fait que la rémunération du mandat de distribution des carburants ait été assise, quelqu'en soit la proportion, sur le litrage débité n'introduit dans la convention du 12 juin 1985 aucune indétermination ou potestativité dont la société Dassa puisse se plaindre; que la société Mobil avait trop d'intérêt à vendre le plus de carburant possible, se trouvait trop soumise à la concurrence des autres réseaux de distribution et pratiquait de ce fait des marges d'une amplitude trop faible pour pouvoir exercer unilatéralement une quelconque influence sur le niveau de la rémunération de sa mandataire par le biais des prix qu'elle déterminait;

Que les appelants ont attendu plus de deux ans après leur appel pour énoncer ce grief sans apporter la moindre justification d'une anomalie des prix des carburants et d'une quelconque contestation des comptes contemporains des livraisons ; que si l'une des parties au mandat était à même d'influer unilatéralement sur le litrage débité et par conséquent sur la fraction proportionnelle de la rémunération du mandataire, c'était la société Dassa par son comportement commercial et en particulier par le développement d'activités attractives relevant de la location-gérance ;

Considérant que la société Dassa a accepté le 12 juin 1985 que les lubrifiants lui soient vendus au " tarif revendeurs Mobil " et a approuvé le tarif alors en vigueur daté du 21 décembre 1985 qui a été annexé au contrat; que les prix étaient déterminés et convenus entre les parties; qu'ils étaient de surcroît déterminables pour l'avenir puisqu'il suffirait de se reporter pour chaque commande au tarif alors en vigueur et qu'il n'est pas contesté que ce tarif était appliqué à tous les locataires-gérants du réseau Mobil;

Que ni la société Dassa ni les époux Dassa n'ont jamais prétendu que la société Mobil ait majoré de mauvaise foi son " tarif revendeur " par rapport à celui qui avait été approuvé par les parties au contrat du 12 juin 1985, et abusé ainsi de l'exclusivité qui lui était réservée, pour imposer unilatéralement à la société Dassa libre de majorer elle-même ses prix de revente, des prix d'achat de lubrifiants sensiblement différents de ceux convenus et de ce fait indéterminables à la date de la convention; qu'il n'est même pas fait mention dans les conclusions d'appel d'une quelconque modification du tarif approuvé ;

Considérant qu'il n'est en définitive pas fait grief à la société Mobil d'avoir altéré les engagements souscrits ni abuse de son droit d'adaptation de son " tarif revendeur " dans les limites envisageables à la conclusion du contrat et par là même suffisamment déterminables et de surcroît acceptés;

Que la société Mobil est ainsi fondée à demander que soit confirmé le rejet des demandes de la société et des époux Dassa ;

Considérant que la créance de la société Mobil n'est contestée qu'en ce que les appelants entendent obtenir une compensation avec la créance de restitution qu'ils allèguent et qui n'existe pas ;

Considérant que la société Mobil ne justifie par contre d'aucun préjudice autre qu'un retard de paiement réparé par l'octroi des intérêts au taux légal et des frais irrépétibles compensés par l'octroi à ce titre de l'indemnité demandée de 10 000 F pour l'ensemble de l'instance ;

Considérant que la société Mobil Oil Française ne justifie pas de la solidarité qu'elle allègue entre la société Dassa et ses cogérants excepté pour les frais irrépétibles et pour les dépens résultant d'un appel conjoint ;

Par ces motifs : Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle comporte des condamnations à des dommages-intérêts et à une indemnité de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute la société Mobil Oil Française de sa demande de dommages-intérêts, Déboute la société Dassa et les époux Dassa de leurs demandes, Les condamne solidairement à payer 10 000 F à la société Mobil Oil Française au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel. Admet la SCP Parmentier Haudoin, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.