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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 8 juin 1995, n° 94-1316

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Européenne Automobile (SARL)

Défendeur :

Auto Cité (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

Mme Plantard, M. Torregrosa

Avoués :

SCP Negre, SCP Jougla & Gandini

Avocats :

Me Fourgoux, SCP Hadjadj

T. com. Carcassonne, du 31 janv. 1994

31 janvier 1994

La SA Auto Cité, concessionnaire de la marque automobile Peugeot à Carcassonne, a assigné la SARL Européenne Automobile en concurrence déloyale et en réparation du préjudice subi, en lui reprochant d'avoir, dans le cadre de son activité de vente des véhicules neufs en provenance de la CEE, enfreint les dispositions du règlement n° 123-85 de la Commission Européenne du 12 décembre 1984 et de sa communication interprétative, selon lesquelles, les professionnels extérieurs au réseau de distribution exclusive des automobiles, ne peuvent vendre des véhicules neufs sans avoir été mandatés par un client déterminé, au préalable ;

Par jugement du 31 janvier 1994, le Tribunal de Commerce de Carcassonne, a fait droit à la demande et a condamné la société Européenne Automobile à payer à la société Auto Cité la somme de 200 000 F HT, à titre de dommages et intérêts ; il a, en outre, interdit à la société Européenne d'Automobile d'exposer à la vente des véhicules de moins de trois mois où de moins de 3 000 kms, et de les vendre, sans mandat préalable, sous astreinte de 20 000 F par infraction constatée ;

Il lui a également interdit, toute publication dans la presse, circulaires ou démarches similaires, laissant croire qu'elle vend des véhicules neufs de marque Peugeot, sous astreinte de 15 000 F par infraction constatée ; il l'a enfin condamné à payer à la société Auto Cité, la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a ordonné l'exécution provisoire ;

La SARL Européenne Automobile a relevé appel de cette décision.

Elle considère que les premiers juges ont fait une analyse erronée du procès-verbal de constat dressé le 20 avril 1993, produit par la société Auto Cité au soutien de se demande, ainsi que de la réglementation communautaire ;

Elle soutient que le constat du 20 avril 1993, doit être déclaré nul, et écarté des débats, en faisant valoir que la mesure d'instruction ordonnée avant l'engagement de la procédure au fond, en vertu de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, ne se justifiait pas dès lors, que conformément à la jurisprudence, elle constitue un cas d'investigation forcé et d'immixtion dans les affaires d'autrui, dont le résultat pouvait être recherché par le moyen d'une mesure d'instruction ordonnée dans le cadre d'une procédure au fond ; que selon elle, il importe, bien que ce constat n'apporte aucun élément de fait susceptible de constituer une infraction au règlement européen 123-85, de sanctionner le moyen utilisé qui constitue un véritable espionnage commercial.

Sur le fond, elle fait valoir que le réglementation européenne invoquée par la société Auto Cité au soutien de sa demande de concurrence déloyale, et constituée selon elle par le règlement 123-85 du 12 décembre 1984 et la communication CEE du 4 décembre 1991, n'a pour seule portée que de régir les relations entre concessionnaires et concédants, et ne fait une place particulière aux mandataires libres, que pour empêcher les constructeurs d'interdire à leurs concessionnaires de vendre à des utilisateurs finals, ayant recouru à des intermédiaires, mandatés par eux ; mais que ses rédacteurs n'ont pas eu l'intention de donner aux constructeurs le moyen de concurrencer leurs concessionnaires, de cloisonner le marché en interdisant les importations parallèles, ni d'exercer avec leur concessionnaires un contrôle sur les affaires des commerçants indépendants ;

Elle estime que ce règlement, à le supposer applicable à l'activité des commerçants indépendants, ne permet pas de dire qu'il interdit l'exercice cumulatif de l'activité de négoce pour les importations parallèles et de prestataire de service dans le cadre d'un mandat ; que toutefois, en cas de doute sur cette interprétation, il conviendrait que la Cour interroge la Cour de Justice des Communautés Européennes.

Elle critique encore la décision des Premiers Juges, en ce qu'elle lui a interdit, sans texte, de vendre, des véhicules de moins de 3 000 kms, sous prétexte qu'ils seraient considérés comme des véhicules neufs, et ajoute, qu'elle ne peut lui reprocher d'exposer les véhicules à la vente, et de faire de la publicité, dès lors qu'elle est objective et informative pour les consommateurs.

Enfin, elle soutient que la société Auto Cité ne rapporte pas la preuve d'un préjudice ; mais qu'en revanche, celle-ci lui a causé un préjudice découlant d'actes de concurrence déloyale commis, en procédant à trois saisies attributions pour la déconsidérer auprès de ses banques, et en faisant effectuer un tapage médiatique, la dénigrant, et donnant aux consommateurs de fausses informations sur les contraintes administratives qu'ils subiraient en ayant recours à elle ;

Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré, de dire que le procès-verbal de constat du 20 avril 1993, ne répond aux exigences de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, de constater que la société Auto Cité ne rapporte pas la preuve d'une infraction au règlement 123-85, et de la débouter de sa demande ; de la condamner à lui payer les sommes de 507 000 F à titre de dommages et intérêts, de 50 000 F pour procédure abusive, de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, enfin d'ordonner la publication dans le Midi Libre et l'Indépendant, aux frais de la société Auto Cité, d'un communiqué ; relatant la décision de la Cour. Subsidiairement, de surseoir à statuer jusqu'à la réponse apportée par la Cour de Justice européenne, interrogée par diverses juridictions, ou d'interroger elle-même cette juridiction.

La SA Auto Cité réplique que la demande de nullité du constat d'huissier est nouvelle et irrecevable ; qu'elle est de plus infondée, car le recours à la procédure sur requête était justifié par le souci légitime, d'empêcher la société Européenne Automobile d'avoir le temps de se constituer des fausses preuves ; qu'au demeurant, cette procédure n'a pas été contestée, et n'a pas fait l'objet d'un référé rétractation.

Sur le fond, et sur le cumul possible des activités de négoce de véhicules neufs provenant d'importations parallèles et d'intermédiaires mandataires, allégué par son adversaire, elle considère qu'il s'agit d'une discussion, non seulement dilatoire dès lors que la société Européenne d'Automobile a soutenu tant devant les premiers juges que devant la Cour, qu'elle exerçait son activité en qualité de mandataire, mais encore infondée ; qu'en effet, si le règlement communautaire 123-85, a dérogé aux règles de la libre concurrence, en légalisant les exclusivités de distribution en matière automobile et interdit aux distributeurs exclusifs, de vendre aux revendeurs non agrées, ce n'est pas pour permettre le développement d'un négoce parallèle ; que d'ailleurs la commission de Bruxelles du 18 décembre 1991 et 12 décembre 1984 s'est exprimée en ce sens et qu'il est dès lors inutile de recourir à une interprétation par la Cour de Justice.

Elle soutient que la société Européenne d'Automobiles a transgressé la réglementation européenne, en vendant des véhicules sans mandat comme cela résulte de la déclaration de sa gérante, Madame Roques, faite à l'huissier le 11 mai 1993, que du courrier adressé le 22 janvier 1993 à l'assureur de la société Auto Cité, ainsi que de l'examen des mandats produits et des factures qui font apparaître qu'ils ont été établis pour les besoins de la cause, ou postérieurement à l'acquisition des véhicules par la société Européenne Automobile ; que l'argument selon lequel celle-ci vendrait des véhicules d'occasion est inexact compte tenu du très faible kilométrage, et qu'en fait, il apparaît que la société Européenne Automobile fait partie d'un véritable réseau parallèle.

Elle invoque aussi la violation des règles communautaires relatives au contenu des mandats qui ne mentionnent pas les services offerts, et le mode de facturation pour permettre aux consommateurs de faire la comparaison avec les services proposés par le concessionnaire ; la violation des règles communautaires relatives à la publicité qui imposent aux mandataires de veiller à ce qu'aucune confusion ne puisse être faite par les consommateurs avec les revendeurs autorisés.

Enfin, elle invoque la violation de la réglementation interne sur la publicité comparative en ce que la publicité effectuée ne précisait pas les différences présentées par les produits proposés, la durée des délais de livraison la référence du tarif de comparaison, et la durée de l'application de la réduction de prix.

Sur les dommages et intérêts alloués, elle fait observer que son préjudice est supérieur et ne cesse de s'aggraver, et demande une sensible augmentation ; que sur ceux demandés par la société Européenne Automobile, elle fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute, et que, la preuve d'un lien de causalité entre son attitude et le préjudice allégué n'est pas suffisamment rapportée, et que de surcroît le préjudice ne repose sur aucun élément sérieux.

Elle demande à la Cour de confirmer le jugement sur son principe, mais de l'émender sur le montant de dommages et intérêts en le portant à la somme de 400 000 F, de l'émender sur l'interdiction d'exposer et de vendre des véhicules neufs en indiquant que ces véhicules devront avoir moins de six mois, ou moins de 6 000 kms, conformément à la législation actuelle, sous astreinte de 50 000 F par infraction ; enfin, de porter à 30 000 F, le montant de l'astreinte assortissant l'interdiction faite de publication dans la presse. Elle sollicite la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à titre subsidiaire, de débouter la société Européenne de ses demandes de publication et d'indemnisation.

Sur quoi,

Attendu qu'avant d'engager son procès par assignation du 17 juin 1993, la SA Auto Cité a saisi le Président du Tribunal de Commerce de Carcassonne d'une requête tendant à obtenir la désignation d'un huissier pour se rendre dans les locaux de la société Européenne Automobile, afin de constater les éléments qui pourraient induire en erreur le consommateur, sur la qualité réelle de mandataire, la présence de véhicules neufs de la marque Peugeot, leurs factures d'achat et les mandats y afférents, ainsi que les ventes intervenues ; que le Président a fait droit à cette requête, par ordonnance du 23 avril 1993 ; que des décisions identiques ont été prononcées également par la suite.

Attendu que l'article 145 du nouveau Code de procédure civile permet au juge, sur requête ou en référé, d'ordonner une mesure d'instruction à la demande de tout intéressé, lorsqu'avant tout procès, il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont la solution du litige pourrait dépendre ; que la demande de nullité du constat dressé en conséquence de la mesure autorisée sur ce fondement est recevable, en ce qu'il s'agit non pas, d'une prétention nouvelle, mais d'un moyen de défense tendant à faire écarter la demande adverse ; mais ne l'est pas en ce que, la société Européenne Automobile n'a pas exercé, en son temps, la voie de recours, appropriée à la mesure ordonnée, et a donc perdu la faculté de la contester.

Attendu sur le fond, que la SA Auto Cité est concessionnaire exclusif de la marque Peugeot à Carcassonne ; qu'en 1992, Madame Roques, a créé la société Européenne d'Automobile ayant pour objet, le négoce de véhicules d'occasion et neufs en provenance de la CEE.

Attendu que le règlement de la Commission Européenne portant le numéro 123-85 du 12 décembre 1984, et la communication explicative qui l'a suivi, admet le principe de la distribution exclusive et sélective des véhicules automobiles, tout en permettant aux utilisateurs finals d'acquérir des véhicules dans un autre état membre en ayant recours aux services d'intermédiaires, mandatés par écrit à cette fin.

Attendu que la société Européenne Automobile prétend exercer son activité de vente de véhicules neufs, uniquement sur mandat, comme elle l'affirme expressément dans ses conclusions en indiquant qu'elle entend le démontrer ; que cependant, lorsque l'on relève que Madame Roques la gérante a déclaré à l'huissier le 11 mai 1993 qu'elle n'était pas en possession de mandats parce qu'elle exerce l'activité de négociants en véhicules, que d'autre part, la plupart des factures sont établies au nom de la société Européenne Automobile, et les mandats souvent postérieurs à la vente, il en découle que cette société a bien exercée son activité, au moment de l'engagement de l'action, au moins, sans avoir la qualité d'intermédiaire pour acquérir des véhicules dans d'autres états européens.

Attendu que la société Européenne Automobile, après avoir affirmé sa qualité de mandataire sans contredire les faits constatés et en se contentant de tenter de faire écarter le constat dressé le 11 mai 1993 sur l'ordonnance du 25 avril 1993, soutient en fait qu'elle exercerait cumulativement une activité d'intermédiaire, prestataire de services, et d'importations parallèles, que la réglementation européenne n'interdirait pas ; que cependant, il y aurait lieu de poser la question préjudicielle à la Cour de Justice ou à tout le moins de surseoir à statuer jusqu'à la réponse de la Cour à cette question posée par d'autres juridictions.

Attendu qu'il s'agit donc de savoir, si la société Européenne Automobile, qui vend des véhicules importés sans être membre du réseau de distribution Peugeot, et sans être toujours mandatée par un utilisateur final a commis une faute, constitutive de concurrence déloyale.

Attendu que le règlement de la communauté européenne dont la violation est alléguée, ne fait qu'apporter au principe de la libre concurrence affirmé par ailleurs, une dérogation en matière de ventes de véhicules automobiles, en permettant la possibilité d'accords de distribution exclusive, et sélective, interdisant notamment aux contractants la vente des produits, objets de l'accord, à d'autres que des revendeurs agréés, ou des utilisateurs finals utilisant le service d'intermédiaires mandatés par eux ; qu'il ne saurait donc en être déduit, que cette dérogation exclut toute possibilité de distribution, et le développement d'un marché parallèle, alors qu'elle ne constitue qu'une exception au principe de la libre concurrence, qui subsiste par ailleurs ; qu'une interprétation de ce texte par la Cour de justice européenne, n'est donc pas nécessaire aux yeux de la Cour.

Attendu que par conséquent et dès lors au surplus que la société Auto Cité ne rapporte pas la preuve que la société Européenne Automobile a acquis les véhicules qu'elle détenait, de manière illicite, sa demande tendant à faire admettre l'existence et la réparation d'actes de concurrence déloyale, doit être rejetée, contrairement à la décision des premiers juges.

Attendu sur les dommages et intérêts demandés par la société Européenne Automobile, en réparation de la concurrence déloyale subie par elle, du fait du dénigrement opéré par son adversaire, que l'exercice de voies d'exécution d'une décision exécutoire par provision ne saurait être considéré comme un comportement commercial déloyal et que la déconsidération qui a pu s'ensuivre auprès des banquiers ne peut non plus emprunter cette qualification en l'absence de toute autre circonstance ayant pu participer à sa création ; que le dénigrement médiatique invoqué, représenté par des articles de presse sur les mandataires qui ne font que relater à l'occasion du litige entre la société Auto Cité et la société Européenne Automobile, la situation de celui-ci, et du problème de l'achat de véhicules par des mandataires ; que le seul qui comporte une interview du gérant de la société Auto Cité, et qui pouvait être retenu contre cette société, n'est pas dénigrant dans la mesure où il ne vise pas spécialement la société Européenne Automobile ; que, à titre accessoire la mesure de publication d'un communiqué dans la presse n'est pas justifiée.

Attendu que l'abus de procédure alléguée au soutien d'une autre demande de dommages et intérêts par la société Européenne Automobile, n'est pas caractérisé, étant rappelé que l'exercice d'une action est un droit dont l'exercice n'est pas fautif en l'absence d'autres éléments.

Attendu que la société Auto Cité, qui succombe, doit supporter la charge de frais exposés par son adversaire et non compris dans les dépens à hauteur de 8 000 F.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme la décision déférée, et statuant à nouveau, Déboute la SA Auto Cité de sa demande; La Condamne à payer à la société Européenne Automobile la somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne aux entiers dépens et dit que pour ceux d'appel, il sera fait application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.