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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 9 juin 1995, n° 93-26.721

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tecmodis (SA)

Défendeur :

Cuisirev (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

MM. Faucher, Weill

Avoués :

SCP Varin-Petit, SCP Dauthy-Naboudet

Avocats :

Mes Laraize, Ferrebouef.

T. com. Paris, 10e ch., du 14 mai 1993

14 mai 1993

LA COUR est saisie de l'appel interjeté par la SA Tecmodis contradictoirement rendu le 14 mai 1993 par le Tribunal de Commerce de Paris (10eme chambre) qui, devant le litige l'opposant à son franchisé, la SARL Cuisirev,

1° - l'a condamnée, outre aux dépens, à verser à celle-ci les sommes de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts et de 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile,

2° - a débouté les parties de toutes autres demandes

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

La Société Tecmodis, propriétaire de la marque " Spacial Cuisines ", a, le 25 avril 1986, conclu un " contrat de franchise " avec la Société Cuisirev dont le siège est situé à Antibes (06600), Quartier des Terriers, route de Grasse.

Ce contrat prévoyait une zone d'exclusivité sur la région d'Antibes, Cannes et Grasse, soit la rive droite du Var, la rive gauche étant dévolue à un autre franchisé, la société Best Price.

Se prévalant du fait que la Société Tecmodis, détentrice de la totalité des actions de cette société depuis le 26 octobre 1988, s'était livrée à son encontre à des actes de concurrence déloyale, la Société Cuisirev a, par acte d'huissier de justice en date du 28 avril 1992, fait assigner sa cocontractante devant le Tribunal de Commerce de Paris pour obtenir paiement de la somme de 784.120 francs avec intérêts de droit à compter " du mois d'octobre 1989 (date moyenne) ", ainsi que celle de 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

La Société Tecmodis a conclu au débouté de la Société Cuisirev et, se portant reconventionnellement demanderesse, a sollicité la condamnation de celle-ci à lui payer les sommes de :

- 291.649,19 francs, montant de ses redevances du mois de juin 1991 au mois de mai 1992,

- 50.000 ,00 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

- 20.000,00 francs en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Pour statuer comme ils l'ont fait les premiers juges ont relevé, d'une part, que par sa prise de participation majoritaire dans la société Best Price la défenderesse, qui se plaçait en position de concurrente de la Société Cuisirev, avait causé à celle-ci un préjudice d'un montant de 100.000,00 francs, d'autre part, que compte tenu des fautes imputables à la Société Tecmodis, la défenderesse n'était pas fondée en sa demande reconventionnelle.

Poursuivant l'infirmation de cette décision la Société Tecmodis fait valoir que :

- les prétendus actes de concurrence déloyale ayant été accomplis par la Société Best Price, elle ne peut, même en sa qualité d'actionnaire majoritaire de celle-ci, être tenue responsable de ces faits, étant observé que son intervention dans la Société Best Price avait pour objet de " gérer " au mieux un différend existant entre cette société et l'intimée,

- la Société Cuisirev ne rapporte pas la preuve des actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés,

- l'intimée, qui l'a informée le 25 février 1992 de ce qu'elle déposait l'enseigne " Spacial Cuisines " et dénonçait le contrat de franchise, lui est redevable, à titre de redevances, de la somme de 291.649,19 francs,

- en dépit d'une tentative de conciliation due à son initiative, la Société Cuisirev a, en l'absence de preuve, abusivement intenté une procédure afin de se soustraire à ses engagements, agissements qui causent à l'appelante un préjudice de 50.000 francs.

En conséquence la Société Tecmodis demande aux juges du second degré de débouter sa cocontractante de ses demandes et de la condamner, outre aux dépens, à lui payer :

- 291.649,19 francs en principal avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 23 mars 1992,

- 50.000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance et procédure abusive,

- 30.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

La Société Cuisirev réplique que :

- la Société Tecmodis, qui a acquis la totalité des actions de la Société Best Price et placé à la tête de celle-ci un de ses salariés, s'est, comme cela est établi, livrée à son encontre à des actes de concurrence déloyale, ce qu'elle a d'ailleurs reconnu le 5 mars 1992 en lui proposant une transaction au demeurant inacceptable,

- en cas de cessation ou d'interruption du contrat du fait du franchiseur, celui-ci est redevable envers le franchisé d'une somme égale à la redevance équivalente à douze mois d'utilisation de la marque " Spacial Cuisines ", de sorte que, la responsabilité de l'appelante étant démontrée, il convient pour la débouter de sa demande en paiement de la somme de 291.649,19 francs, de faire application en l'espèce de cette clause du contrat de franchise.

Dès lors la Société Cuisirev prie la Cour de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu la responsabilité de la Société Tecmodis, l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une somme de 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile,

- l'infirmer pour le surplus et de condamner en conséquence sa cocontractante à lui payer les sommes de :

* 618.640 francs en réparation de son préjudice avec intérêts de droit à compter de l'assignation,

* 20.000 francs d'indemnité complémentaire au titre de ses frais irrépétibles.

Sur ce, LA COUR :

1° - Sur la forme :

Considérant que, faute pour l'intimée de pouvoir répliquer aux conclusions et à la pièce communiquées le jour des débats, il convient de les en rejeter ;

2° - Sur le fond :

A/ Sur la demande de la Société Cuisirev :

Considérant que les documents versés aux débats par l'intimée établissent que, du mois d'octobre 1989 aux mois d'octobre 1990, des VRP de la Société Best Price, à Nice, ont comme ils le reconnaissent eux-mêmes dans des attestations dont la sincérité ne peut être mise en cause, prospecté par téléphone la zone d'exclusivité géographique dévolue à la Société Cuisirev et pris des rendez-vous avec des clients de ce secteur comme en témoignent certains d'entres-eux ;

Que, suite à ces démarches à domicile la Société Best Price a, durant cette même période, vendu des " cuisines " comme le démontrent les bons de commande " logo rouge " destinés à ses transactions particulières ;

Considérant que la nature et l'importance de ces ventes exclut la pratique dite au " parrainage ", qui déroge à la règle de l'exclusivité en permettant à des clients de mettre des parents ou amis en relation avec un franchisé d'un secteur différent du leur ;

Considérant que les pratiques ci-dessus relevées qui portent à la règle de l'exclusivité inscrite à l'article 3 du contrat de franchise, ont causé en raison des ventes à domicile réalisées par la Société Best Price sur le secteur de l'intimée, un préjudice que celle-ci évalue à la somme de 618 640 F égale à 40 % de ces ventes hors TVA (1 546 600 F, somme établie et non contestée, x 40 %);

Considérant toutefois que si les ventes à domicile sont justifiées, il y a lieu, pour apprécier le manque à gagner de la Société Cuisirev, de prendre en compte non la marge bénéficiaire brute, mais la marge nette, de sorte que compte tenu des pièces versées aux débats, il y a lieu d'évaluer à la somme de 200 000 F le dommage subi par la Société Cuisirev ;

Considérant que la Société Tecmodis ne peut s'exonérer de sa responsabilité aux motifs que les agissements litigieux sont le fait d'un autre franchisé, la Société Best Price, et que la Société Cuisirev s'est pour sa part, livrée elle aussi à des actes de concurrence déloyale ;

Qu'en effet les éléments de la cause établissent que la Société Tecmodis a acquis le 26 octobre 1988 la totalité des parts composant le capital social de la Société Best Price et a placé à la tête de celle-ci un de ses salariés de sorte que, ayant contrôlé et exploité jusqu'au mois de novembre 1990 cette société, elle est responsable des agissements de concurrence de ce franchisé de Nice;

Que le fait que l'intimée se soit elle-même, ce qu'elle a toujours contesté, livrée à de tels actes, ne peut justifier les agissements de la Société Tecmodis qui, au demeurant n'a jamais sollicité la sanction du comportement de sa cocontractante ;

Que dès lors il convient de condamner la Société Tecmodis à verser à la Société Cuisirev une somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement déféré ;

B/ Sur la demande reconventionnelle de la Sté Tecmodis :

Considérant que l'appelante réclame à la Société Cuisirev le paiement de ses redevances pour les mois de juin 1991 à mai 1992 ;

Considérant que si la Société Cuisirev a pris l'initiative de la rupture du contrat de franchise le 25 février 1992, celle-ci est imputable au comportement fautif de la Société Tecmodis, de sorte que pour refuser le paiement des redevances la Société Cuisirev est en droit de se prévaloir de la clause selon laquelle " en cas d'interruption ou de cessation du contrat par le fait du franchiseur en raison d'un manquement de sa part à l'un quelconque des termes des présentes conventions, le franchiseur réglera au franchisé, à titre d'indemnité, une somme égale à la redevance d'utilisation de la marque Spacial Cuisines et du slogan qui y est éventuellement attachée, réglée par le franchisé pour les douze derniers mois précédant la date de dénonciation du contrat par le franchisé " ;

Qu'il convient en conséquence de débouter l'appelante de sa demande ;

- Sur les demandes accessoires :

Considérant que l'équité ne commande pas d'allouer à la Société Cuisirev d'indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile ;

Considérant que la Société Tecmodis, partie perdante, ne peut obtenir ni dommages-intérêts pour résistance et procédure abusives ni indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, Rejette des débats les conclusions et la pièce communiquées le 12 mai 1995 ; Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a évalué le préjudice de la Société Cuisirev à la somme de 100 000 F et, statuant à nouveau de ce chef ; Condamne la Société Tecmodis à payer à la Société Cuisirev la somme de deux cent mille F (200 000 F) avec intérêts au taux égal à compter du prononcé du jugement déféré ; Déboute les parties de toutes autres demandes ; Condamne la Société Tecmodis aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Dauthy & Naboudet, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de Procédure Civile.