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Décisions

CA Grenoble, ch. soc., 28 juin 1995, n° 1543-94

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

France Acheminement (SARL)

Défendeur :

Robert

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Blohorn-Brenneur

Conseillers :

Mmes Robin, More

Avocats :

Mes Matheu, Clement-Cuzin, Derrida.

Cons. prud'h. Grenoble, du 8 mars 1994

8 mars 1994

Par jugement du 5 novembre 1991, le Conseil de Prud'hommes de Grenoble s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes présentées devant lui par M. Patrick Robert et a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de Commerce de Toulouse.

Par arrêt du 7 septembre 1992, la Cour de ce siège a dit le contredit sur la compétence formé par M. Robert bien fondé ; elle a dit que les relations juridiques entre la SARL France Acheminement et M. Robert étaient régies par l'article L. 781-1 du code du travail et a déclaré le Conseil de Prud'hommes de Grenoble compétent pour connaître du litige.

Par jugement du 8 mars 1994, ledit Conseil a

- dit que la rupture du " contrat de travail " liant les parties était imputable à la SARL France Acheminement,

- condamné ladite société à verser à M. Patrick Robert les sommes de

* 45 000 F, outre intérêts légaux à compter du 4 décembre 1989 en remboursement du " droit d'entrée ",

* 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- condamné la même à remettre à M. Robert divers documents (lettre de licenciement, certificat de travail, feuilles de paie),

- donné acte à la société France Acheminement de ce qu'elle " proposait la remise à M. Robert des bulletins de paie correspondant aux sommes perçues par lui à condition qu'il lui verse les cotisations sociales à la charge du salarié, ainsi que d'un certificat de travail pour sa période de travail effectif ", le tout sous réserve du pourvoi par elle formé à l'encontre de l'arrêt sus-mentionné,

- débouté M. Robert du surplus de sa demande.

La société France Acheminement a interjeté appel de cette dernière décision par lettre recommandée expédiée au greffe de la juridiction sus-désignée le 30 mars 1994. A l'appui de son recours, elle fait valoir, par des conclusions écrites soutenues oralement à l'audience et auxquelles il est renvoyé pour complet exposé des moyens développés, que M. Robert

- a perçu, au titre de leur collaboration, la somme totale de 148 572,13 F,

- ne rapporte pas la preuve de l'exécution d'heures supplémentaires,

- a démissionné de la société.

Elle demande en conséquence à la Cour de

- dire que M. Robert a été rempli de ses droits en matière de rémunération,

- dire que la rupture est imputable à M. Robert,

- constater que la somme de 45 000 F versée par M. Robert au titre du droit d'entrée constitue pour elle de justes dommages-intérêts et doit être conservé par elle,

- en conséquence, débouter M. Robert du surplus de ses demandes et le condamner à lui verser une indemnité de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

M. Robert a également interjeté appel de cette décision par déclaration faite au greffe du Conseil de Prud'hommes le 15 avril 1994 (le jugement lui ayant été notifié le 22 mars précédent). A l'appui de son recours, il expose ne pas avoir été réglé de l'intégralité des sommes lui revenant et avoir, pour cette raison, été contraint d'arrêter d'exécuter son contrat. Au terme de ses conclusions écrites soutenues oralement à l'audience et auxquelles il est renvoyé pour complet exposé des moyens développés, il demande en conséquence à la Cour de condamner la société France Acheminement à lui verser les sommes de

- 49 877,31 F à titre de rappel de salaires nets (déduction faite de la somme de 125 271,31 F HT déjà reçue), outre intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 1991 et à tout le moins du 4 février 1991,

- 51 856,80 F et 5 185,68 F nets à titre de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents, et ce, avec les mêmes intérêts de retard,

- 5 397,86 F bruts et 579,78 F à titre d'indemnité de préavis et congés payés afférents,

- 80 000 F à titre de dommages-intérêts pour conclusion d'un faux contrat de franchise et rupture abusive par défaut d'exécution de ses obligations,

- 5 397 F à titre d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,

- 45 000 F au titre de remboursement du " droit d'entrée ", outre intérêts au taux légal à compter de décembre 1989 et capitalisation des intérêts à partir de décembre 1990,

- 18 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC

Il demande également à la Cour de dire que la société France Acheminement devra lui remettre ses fiches de paie et son certificat de travail, le tout sous astreinte.

Il demande enfin qu'il lui soit donné acte de ce qu'il " est entièrement d'accord pour subroger, dans tous ses droits et actions pour recouvrer le remboursement des charges qu'il dû verser aux différents organismes sociaux, et qui sont récapitulés pour un total de 14 741,50 F, la société France Acheminement, après paiement de toutes les sommes qu'elle reste lui devoir ".

MOTIFS

Sur la rémunération

Au vu des pièces versées aux débats par les parties, le contrat signé par elles le 21 novembre 1989 a reçu exécution du 4 décembre 1989 au 17 janvier 1991.

En l'absence de faute lourde de sa part, M. Robert, dont les relations juridiques avec la société France Acheminement (SFA) sont régies, ainsi que jugé par la Cour de ce siège, par l'article L. 781-1 du code du travail, ne peut être privé du droit de conserver une rémunération au moins égale au salaire minimum de croissance.

M. Robert ne fournissant pas tous les relevés de compte que lui adressait la SFA, le contrôle du respect de ce droit sera opéré - cette façon de procéder, adoptée par l'intéressé lui-même, ne préjudiciant pas aux droits de la SFA - de façon globale, pour toute la période de collaboration.

A l'examen des lettres et attestations versées aux débats, il apparaît que M. Robert était au service de la SFA, dans le cadre d'horaires par elle imposés, de 6 H à 13 H et de 14 H à 19 H, du lundi au vendredi ainsi que le samedi de 7 H à 12 H et qu'il a travaillé sans interruption du 4 décembre 1989 au 17 janvier 1991.

Sur la base d'un Smic horaire brut de 29,91 F du 4 décembre 1989 au 31 mars 1990, de 30,51 F du 1er avril au 30 juin 1990, de 31,28 F du 1er juillet au 30 novembre 1990, enfin de 31,94 F pour les mois de décembre 1990 et janvier 1991, la rémunération minima due à M. Robert pour toute sa période d'activité s'élève en conséquence, compte étant tenu des jours fériés non travaillés en ce qui concerne les heures supplémentaires, à

- 69 902 F bruts au titre du salaire de base (pour 169 H de travail par mois),

- 63 941,80 F bruts, somme demandée, au titre des heures supplémentaires (cette somme n'excédant pas celle réellement due),

- soit un total de 133 843 F bruts.

Or M. Robert n'a perçu que la somme totale de 148 572,13 F TTC, soit, selon ses propres indications non contestées par son adversaire, 125 271,61 F HT. Il a en conséquence droit à un complément de rémunération de 8 572,19 F bruts ainsi qu'à la somme de 13 384,38 F à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.

M. Robert, qui effectuait ses tournées à l'aide de son véhicule personnel, est par ailleurs fondé à demander remboursement des frais de déplacement par lui exposés, en relation directe avec son activité (frais de carburant, d'entretien du véhicule, de location d'un véhicule de remplacement pendant immobilisation de son véhicule et d'assurance). Au vu des justificatifs versés aux débats, la Cour dispose des éléments suffisants pour évaluer forfaitairement la partie professionnelle de ces frais à la somme de 53 000 F.

La demande en remboursement de " frais bancaires " et de " frais divers " doit par contre être rejetée, M. Robert ne justifiant pas de ce que ces frais soient en relation directe avec son activité.

En ce qui concerne les charges sociales par lui acquittées pendant sa période d'activité, il appartient à M. Robert de se rapprocher lui-même, s'il l'estime opportun, des organismes sociaux (étant observé que, dans le cadre d'un contrat de travail de droit commun, il y aurait eu précompte de la cotisation salariale).

Sur l'imputabilité de la rupture et ses conséquences

Les deux parties sont d'accord pour considérer que M. Robert a travaillé jusqu'au 17 janvier 1991.

La SFA ne peut valablement prétendre à une démission de M. Robert, l'analyse des correspondances échangées par les parties en novembre 1990 et janvier 1991 ainsi que celle du compte existant entre elles, établissant que cette cessation d'activité a eu pour seule origine le non règlement à M. Robert de l'intégralité des sommes qui lui étaient dues, l'importance de la somme restant impayée (plus de 60 000 F) rendant impossible pour M. Robert la poursuite du contrat (y compris pendant le temps du préavis).

Conséquence d'un manquement par la SFA à une de ses obligations essentielles, la rupture des relations juridiques liant les parties est imputable à cette société et l'oblige à régler à M. Robert

- une indemnité compensatrice de préavis de un mois, soit 5 397,86 F bruts, outre 539,78 F au titre des congés payés afférents,

- 10 000 F à tire de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice liées aux conditions de la rupture confondues.

Sur la demande en remboursement de la somme de 45 000 F

M. Robert, dont les relations juridiques avec la société SFA ont été déclarées régies par les dispositions de l'article L. 781-1 du code du travail (et n'ont donc pas été qualifiées de contrat de travail de droit commun), n'est de ce fait pas fondé à réclamer remboursement de la somme de 45 000 F par lui versée à titre de " droit d'entrée ".

Sur les autres demandes

Il n'y a pas lieu à remise d'une lettre de licenciement, le présent arrêt, qui statue sur l'imputabilité de la rupture, en tenant lieu.

La SFA devra par contre remettre à M. Robert des fiches de paie et un certificat de travail, sous réserve de la décision à intervenir sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour de ce siège du 7 septembre 1992.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La SFA, qui succombe, supportera la charge des dépens.

Elle versera par ailleurs à M. Robert, au titre des frais par lui exposés tant en première instance qu'en appel et non compris dans les dépens, une indemnité de 12 000 francs.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a dit que la rupture des relations juridiques liant les parties était imputable à la SARL France Acheminement ; L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la SARL France Acheminement à payer à M. Patrick Robert les sommes de : - Huit Mille Cinq Cent Soixante Douze Francs, Dix Neuf (8 572,19 F) bruts à titre de complément de rémunération, - Treize Mille Trois Cent Quatre Vingt Quatre Francs Trente Huit (13 384,38 F) bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, - Cinquante Trois Mille Francs (53 000 F) à titre de remboursement de frais, - Cinq Cent Trente Neuf Francs Soixante Dix Huit bruts (539,78 F) au titre des congés payés afférents, - Dix Mille Francs (10 000 F) à titre de dommages-intérêts, - Douze Mille Francs (12 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Ordonne à la SARL France Acheminement de remettre à M. Patrick Robert ses bulletins de paie et un certificat de travail, sous réserve de la décision à intervenir sur le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la Cour de ce siège en date du 7 septembre 1992 ; Rejette toutes autres demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires ; Condamne la SARL France Acheminement aux entiers dépens.