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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 28 juin 1995, n° 19698-93

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Motocom (SARL), Michel (ès qual.), Dumoulin

Défendeur :

Honda France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mme Jaubert, M. Potocki

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Gaultier Kistner

Avocats :

Mes Fourgoux, Juillet, Dufour.

T. com. Meaux, du 22 juin 1993

22 juin 1993

Après avoir eu le 22-11-1990 un entretien avec le responsable de secteur de la société Honda France, (la société Honda), M. Regnier a reçu un courrier de cette société en date du 27-11-1990 qui lui confirmait son accord pour une concession dans un local situé rue des Etats généraux à Versailles à quatre conditions (l'aménagement intérieur de ce local et de l'atelier ainsi que la remise d'un dossier de nomination et d'une caution bancaire), fixait le secteur attribué pour 1991 " en commun de droit avec les Etablissements Mayer " et précisait que dans le cas où l'exploitation de la concession durant cette année 1991 se révélerait satisfaisante, ce secteur lui serait concédé en exclusivité en 1992.

Dans un courrier du 11-12-1990 M. Regnier faisait part de son accord sur les quatre conditions mais manifestait le souhait d'être assuré dès à présent d'avoir l'exclusivité à compter du 1-1-1992 " compte tenu des investissements qu'il envisageait " et d'obtenir confirmation sur trois mesures (la mise en dépôt pendant un délai de cinq mois du stock des véhicules neufs, l'identification gratuite de la façade, l'engagement d'Honda à prendre toutes mesures pour reconstituer les marges usuelles du secteur au cas où le marché serait détérioré du fait du comportement du deuxième concessionnaire) ;

Le 18-10-1990 la société Honda répondait à son interlocuteur sur ces points en précisant qu'elle pourrait lui garantir l'exclusivité sur Versailles au 1-1-1992 " mais uniquement en fonction " du respect d'engagements, préalablement écrits, sur les investissements et la qualité de la structure qu'il lui proposait, que la mise en dépôt d'une gamme de véhicule durant l'année où un deuxième concessionnaire était en place lui semblait un avantage excessif par rapport aux autres concessionnaires Honda ce qui devait lui permettre de travailler dans de bonnes conditions quelque soit le comportement de l'un de ces concessionnaires et qu'à titre exceptionnel il bénéficierait de l'identification à titre gratuit de sa façade.

Le local situé rue des Etats généraux n'ayant pas été finalement retenu, M. Regnier a acquis le 12-12-1991 le fonds de commerce appartenant à M. Meyer et à écrit le 21-12-1991 à M. Guio un des responsables de la société Honda pour lui rappeler qu'au cours d'une entrevue du 3-12 il avait reçu son accord sur " la reconduction du contrat de concession Honda pour l'année 1992 " et lui demander de lui confirmer qu'il lui concédait l'exclusivité de la marque Honda sur Versailles " conformément à l'engagement du 18-12-1990 " ;

Le 10 janvier 1992 M. Guio déclinait la candidature de M. Regnier, contestait l'interprétation donnée par ce dernier aux courriers échangés entre eux depuis le 27-11-1990 et l'informait avoir retenu une autre candidature.

Le contrat de concession a été conclu en définitive avec M. Dhouailly.

C'est dans ces conditions que la société Motocom représentée par son gérant, M. Regnier, a assigné la société Honda devant le Tribunal de commerce de Meaux qui par jugement du 22 juin 1993 assorti de l'exécution provisoire a condamné cette société à payer à la société Motocom les sommes de 288 750 F en réparation du préjudice subi et de 12 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Motocom a interjeté appel de cette décision, Maître Michel est intervenu volontairement à la procédure le 22-3-1994 en tant qu'administrateur judiciaire de la société Motocom, Maître Dumoulin le 7-4-1994 en tant que représentant des créanciers, toutefois des conclusions du 2 décembre 1994 ayant été déposées au nom seulement de la SARL Motocom la Cour a par arrêt du 1-3-1995 ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de faire valoir leurs explications sur la recevabilité de ces conclusions.

La société Motocom, Maître Michel et Maître Dumoulin ont conclu à l'existence d'une erreur matérielle, Maître Michel et Maître Dumoulin ont en outre demandé à la Cour de leur donner acte de ce qu'ils faisaient en tout état de cause leurs écritures du 2-12-1994.

La société Honda a conclu à l'irrecevabilité de ces conclusions.

Au soutien de leur appel, les appelants font valoir que :

- la société Motocom qui a été créée en vue de l'acquisition du fonds litigieux et de l'exploitation de la concession, vient aux droits de M. Regnier et a qualité pour agir,

- il résulte de l'échange des courriers intervenus à la fin de l'année 1990 que la société Honda a, par un acte unilatéral préparant un contrat synallagmatique définitif de concession exclusive, accordé à M. Regnier une concession exclusive pour 1992 à la seule condition du choix d'une structure correspondant à ses critères ; par voie de conséquence, M. Regnier, en faisant de bonne foi l'acquisition du fonds exploité par M. Mayer, concessionnaire Honda depuis 1967 auquel il n'était reproché qu'un manque d'investissement résultant de son état de santé, avait incontestablement rempli l'unique condition posée par Honda, l'emplacement et la structure des locaux ayant toujours convenus au concédant.

- en refusant de donner à la société Motocom l'exclusivité sur Versailles, la société Honda a donc commis une faute de nature contractuelle ce d'autant qu'il n'y avait aucune raison pour qu'elle revienne sur son accord ;

- la société Honda ne peut valablement soutenir 1) qu'elle n'a commis aucune faute dans " la rupture des pourparlers " mais qu'il y a eu simplement abandon par M. Regnier des offres qui lui avaient été faites " ce dernier n'ayant rien fait pour Honda durant tout le courant de l'année 1991 " alors qu'elle a manifesté sa volonté de maintenir l'offre d'exclusivité pour l'année 1992 en gardant des contacts avec M. Regnier en 1991 et en l'ayant incité à acquérir le fonds appartenant à M. Mayer à qui elle avait fourni le nom de M. Regnier, 2) que ce dernier savait que l'offre qui lui avait été faite était caduque au motif qu'il menait à l'époque des pourparlers avec les sociétés Triumph et Kawasaki alors qu'il n'a eu aucun contact avec Kawasaki, qu'il n'est entré en contact avec Triumph qu'après la défaillance de Honda et qu'il n'a distribué Suzuki qu'à partir du 1-1-1994.

- le tribunal a retenu à bon droit le caractère fautif du comportement adopté par la société Honda en considérant que celle-ci 1) avait agi avec une parfaite mauvaise foi en laissant croire jusqu'au jour du rachat par M. Regnier du fonds Mayer que cette concession exclusive lui serait attribuée, 2) avait eu un comportement parfaitement blâmable d'une part en ne faisant pas savoir à M. Regnier pendant tout le déroulement des pourparlers et de la recherche d'un nouveau local que ses recherches seraient vaines et que l'engagement de décembre 1990 était caduque d'autre part en ayant encouragé M. Dhouailly à tenter de traiter avec M. Mayer.

- la société Honda qu'il s'agisse d'une responsabilité contractuelle déjà démontrée ou d'une responsabilité délictuelle fondée sur la rupture abusive des pourparlers d'une promesse de concession est tenue de réparer le préjudice subi par la société Motocom qui s'élève à la somme de 2 996 000 F décomposée de la façon suivante : 798 000 F au titre de la perte du fonds de commerce, 300 000 F au titre du coût du licenciement du personnel et 1 898 000 F à titre de manque à gagner.

Ils demandent à la Cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de Honda ;

- de l'infirmer en ce qui concerne le montant du préjudice et de condamner Honda France à payer à la société Motocom la somme de 2 996 000 F ;

- subsidiairement de :

condamner la société Honda France au paiement à titre provisionnel de la somme de 500 000 F,

nommer un expert aux fins de fournir à la Cour les éléments d'appréciation du préjudice définitif subi par la société Motocom,

- de condamner la société Honda France au paiement de la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Honda France réplique :

- à titre principal que les pourparlers n'ayant eu lieu qu'entre elle et M. Regnier personnellement, la société Motocom n'a aucune qualité pour agir ;

- à titre subsidiaire qu'elle n'était liée avec M. Regnier par aucun engagement contractuel de quelque nature que ce soit dans la mesure où son offre de contrat de concession exclusive à partir du 1-1-1992 était directement conditionnée par les résultats de l'activité que M. Regnier pouvait déployer durant l'année 1991 et où celui-ci ne s'est plus manifesté auprès d'elle d'avril 1991 au mois de décembre 1991 et au contraire mené des pourparlers aussi bien avec M. Mayer dont il voulait reprendre le fonds de commerce qu'avec des sociétés concurrentes dont il est d'ailleurs devenu le concessionnaire ;

- à titre plus subsidiaire, 1) qu'elle n'a commis aucune faute de nature délictuelle dans la reprise des pourparlers au motif que ceci supposerait une intention de nuire, 2) qu'il ne peut donc lui être fait valablement grief d'avoir conclu un contrat de concession avec M. Dhouailly.

- à titre encore plus subsidiaire que la société Motocom est mal fondée à solliciter la réparation d'un préjudice dont elle a calculé le montant sur la base d'une rupture du contrat alors que celui-ci ne pourrait être évalué que sur le fondement de la perte d'une chance et des frais exposés pour agir en justice ;

- il y a lieu de débouter la société Motocom de ses demandes, de la condamner ainsi que Maître Michel ès qualités à lui rembourser la somme de 288 750 F avec intérêts de droit à compter du 22-10-1993 date du règlement et à lui payer les sommes de 50 000 F à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi de ce chef, de 100 000 F à titre de dommages et intérêts en raison du caractère abusif des demandes présentées devant la Cour et de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Cela étant exposé,

I- Sur la recevabilité des conclusions signifiées le 2-12-1994 par la société Motocom :

Considérant qu'à l'examen des explications de la société Motocom, de Maître Michel et de Maître Dumoulin il apparaît que c'est par suite d'une erreur purement matérielle que les noms de l'administrateur judiciaire et du représentant des créanciers ne figurent pas en tête des dites conclusions ;

Que celles-ci sont donc déclarées recevables ;

II- Sur l'irrecevabilité tirée du défaut de qualité pour agir de la société Motocom :

Considérant que le 21-12-1991 M. Regnier a écrit à la société Honda en qualité de gérant de la société Motocom.

Que la société Honda a adressé sa réponse à " M. Regnier Motocom " ;

Que de plus elle a conclu en première instance à l'encontre de la société Motocom " venant aux droits de M. Regnier " ;

Que l'exception n'est pas fondée ;

III- Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société Motocom :

Considérant que par son courrier du 27-11-1990 la société Honda s'est engagée à attribuer à M. Regnier pour l'année 1991 une concession Honda non exclusive dons un local situé rue des Etats généraux à Versailles sous quatre conditions dont l'aménagement de ce dernier et pour l'année 1992 une concession exclusive à la condition que durant l'année 1991 l'exploitation de concession se soit révélée satisfaisante ;

Que dans son courrier du 11-12-1990 M. Regnier a accepté les quatre conditions, demandé à la société Honda de lui accorder pour 1991 certaines facilités notamment le dépôt pendant 5 mois de véhicules neufs et de lui adresser dès à présent l'exclusivité à compter du 1-1-1992.

Que la société Honda dans son courrier en réponse du 18-12-1990 a fait droit partiellement à la demande relative aux aménagements réclamés (dont le dépôt des véhicules) et précisé sur l'exclusivité " nous pouvons vous garantir l'exclusivité sur Versailles au 1-1-1992 mais uniquement en fonction du respect d'engagements préalablement écrits, sur vos investissements et la qualité de la structure que vous nous proposez " ;

Que la conclusion d'un contrat de concession exclusive était donc subordonnée à celle d'un contrat de concession non exclusive pour l'année 1991 et pour le local situé rue des Etats généraux et à un engagement écrit préalable du futur concessionnaire portant sur les investissements et l'aménagement de ce local auxquels il entendait procéder;

Qu'il est constant qu'aucune de ces conditions n'a été remplie;

Que de plus la société Motocom se borne à produire un courrier de la banque La Henin en date du 4-12-1991 qui établit seulement qu'à cette époque M. Dhouailly s'était porté acquéreur du fonds de commerce de vente de motos Honda et un courrier de M. Mayer adressé le 29-1-93 à M. Regnier qui indique que les établissements Honda lui avaient imposé les candidatures de M. Mayer et de M. Dhouailly pour l'achat de son fonds ;

Que ce dernier courrier est peu circonstancié et ne suffit pas plus que celui de la banque à établir que la société Honda et M. Regnier avaient fixé les nouvelles bases d'une future collaboration ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Honda n'était pas contractuellement tenue de concéder en 1992 à M. Regnier l'exclusivité de sa marque sur Versailles du seul fait de l'acquisition par ce dernier du fonds litigieux et que par ailleurs la société Motocom ne rapporte pas la preuve que la société Honda a manqué aux règles de la bonne foi dans les relations commerciales en rompant de façon abusive des pourparlers avancés;

Que les appelants seront en conséquence déboutés de l'ensemble de leurs demandes.

IV- Sur les demandes formées par la société Honda France :

Considérant que la société Honda France a exécuté le jugement déféré qui était assorti de l'exécution provisoire ;

Qu'elle a déclaré sa créance au représentant des créanciers du redressement judiciaire de la société Motocom à hauteur du montant de la condamnation principale soit la somme de 288 750 F outre les intérêts ;

Que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire arrête le cours des intérêts légaux ;

Que la demande en paiement de la somme de 50 000 F est fondée sur une cause antérieure audit jugement et n'a pas fait l "objet d'une déclaration de créance ce qui la rend irrecevable ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la créance de la société Honda au règlement judiciaire de la société Motocom sera fixée à la somme de 288 750 F ;

Considérant par ailleurs que la société Honda ne démontre pas que les appelants aient abusé de leur droit d'agir en justice ;

Qu'elle sera débouté de sa demande de dommages et intérêts ;

Considérant qu'il n'est enfin pas inéquitable de lui laisser supporter ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Qu'elle sera déboutée de sa demande formée à ce titre ;

Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevable l'action introduite par la société Motocom ainsi que les conclusions du 2-12-1994, Fixe à la somme de 288 750 F le montant de la créance de la société Honda au redressement judiciaire de la société Motocom. Déboute les parties de leurs demandes de dommages et intérêts et celles fondées sur l'article 700 du NCPC ; Condamne Maître Michel ès qualités et la société Motocom aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du NCPC.