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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 29 juin 1995, n° 5787-92

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bamak (SARL), Dubois (ès qual.)

Défendeur :

Hédiard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Franck, Boilevin

Avoués :

SCP Lefèvre Tardy, Me Bommart

Avocats :

Mes Zenati, Bacrie.

T. com. Nanterre, 4e ch., du 21 févr. 19…

21 février 1992

I- RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

A l'occasion d'un salon de la franchise en avril 1989, la société Hédiard, négociant en produits d'épicerie fine a proposé à M. Charles Makhlouf de faire partie de son réseau.

Le 6 juillet 1989, un avant-contrat a été souscrit entre les parties aux termes duquel la société Hédiard s'engageait à effectuer une étude de faisabilité, permettant, compte tenu de la localisation du magasin du futur franchisé, de définir la rentabilité de son exploitation future.

M. Makhlouf s'engageait à verser la somme de 20 000 F, coût de cette étude.

M. Makhlouf a constitué une société devant exploiter le futur magasin de la chaîne Hédiard et a recherché en concertation avec le franchiseur un local conforme aux exigences d'une semblable exploitation.

Parallèlement, la société Hédiard faisait connaître à M. Makhlouf les résultats obtenus par des magasins similaires exploités à Paris ou dans d'autres villes de province que Lyon.

Un local ayant été trouvé, la société Hédiard a adressé au mois de septembre 1989 une étude chiffrée constituant un bilan prévisionnel pour l'exploitation d'un magasin Hédiard à Lyon. Simultanément, la société Hédiard proposait de recourir à un contrat de distribution plutôt qu'à un contrat de franchise.

Aux termes de ce contrat signé le 21 décembre 1989, la société Bamak acceptait, contre une exclusivité territoriale, un engagement d'approvisionnement exclusif et s'interdisait de vendre d'autres produits que ceux de la société Hédiard ; elle s'obligeait, par ailleurs, à meubler et aménager ses locaux conformément aux normes du concédant.

En exécution de ses engagements, la société Bamak a effectué d'importants investissements et a commencé son exploitation le 24 avril 1990.

Il devait rapidement s'avérer que les résultats de l'exploitation étaient sans commune mesure avec ceux figurant dans le bilan prévisionnel fourni par la société Hédiard.

Une réunion s'est tenue à ce sujet entre les parties le 18 juin 1990 au cours de laquelle la société Hédiard devait donner des apaisements à son distributeur en indiquant que la discordance s'expliquait par la circonstance que l'activité avait commencé au cours d'une période peu faste. La société Hédiard promettait à la société Bamak que la situation s'arrangerait pour la suite de l'exercice et lui accordait des avantages tarifaires.

A la fin de l'année 1990, nonobstant l'amélioration ponctuelle de la situation liée aux fêtes de fin d'année, les résultats devaient se confirmer insuffisants. Devant une telle situation, la société Bamak a tenté de vendre son fonds et a, parallèlement, demandé à la société Hédiard de racheter le magasin. La société Hédiard n'a finalement pas donné suite à cette proposition.

C'est dans ces conditions que la société Bamak a saisi le Tribunal de commerce de Nanterre afin d'obtenir l'annulation du contrat pour dol et la condamnation de la société Hédiard à lui payer la somme de 2 000 000 F à titre de dommages-intérêts.

En réplique, la société Hédiard a sollicité l'autorisation de pratiquer une saisie-arrêt au détriment de la société Bamak en garantie de prétendues factures impayées, ce qui lui a été accordé vainement le 17 avril 1991.

Par jugement du 21 février 1992 déféré à la Cour, le Tribunal de commerce de Nanterre a :

- Confirmé l'existence du protocole du 6 juillet 1989 et la validité du contrat de distribution du 21 décembre 1989,

- Condamné la société Hédiard du chef de son devoir de conseil à payer à la société Bamak la somme de 586 359 F à titre de dommages-intérêts,

- Condamné également la société Bamak à payer à la société Hédiard la somme de 235 531,03 F, outre intérêts majorés de trois points à compter du 20 février 1991,

- Ordonné la compensation des sommes dues,

- Partagé les dépens par moitié.

Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal de commerce a, tout en retenant la valeur contractuelle du protocole du 6 juillet 1989, estimé qu'il n'y avait pas lieu d'annuler le contrat de distribution du 21 décembre 1989, les manœuvres dolosives n'étant pas établies dès lors que la société Bamak était informée des risques de pertes sur les premiers exercices et que l'étude de faisabilité faisait la loi des parties, dans l'équilibre entre les prestations réciproques définies à l'origine.

Pour sanctionner la société Hédiard sur le fondement de l'article 1147 du code civil, le tribunal de commerce s'est référé au protocole de faisabilité conclu le 6 juillet 1989.

A l'issue de cette instance, la société Bamak a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 12 février 1992, Maître Dubois étant désigné en qualité de liquidateur.

II- EXPOSE DES DEMANDES ET DES PRETENTIONS DES PARTIES :

La société Bamak, appelante, reprend devant la Cour son argumentation de première instance fondée sur le dol. Elle aurait été abusée par des comptes prévisionnels dont les résultats étaient sans commune mesure avec ceux qui ont été révélés par l'exploitation effective.

Elle ajoute que la société Hédiard a, in extremis, juste avant la signature du contrat définitif, transformé le contrat de franchise en un contrat de distribution.

Elle fait enfin valoir qu'au moment de la signature du contrat définitif, la société Hédiard ne pouvait ignorer que ses prévisions étaient illusoires car déjà démenties par les résultats obtenus dans d'autres magasins franchisés du territoire.

Les manœuvres dolosives de la société Hédiard alliées à une désinvolture professionnelle, ont engagé la responsabilité contractuelle et délictuelle de celle-ci ce qui la conduit à solliciter la confirmation du jugement entrepris sur ce principe.

En revanche, sur la définition du préjudice et des dommages-intérêts qui viendraient le réparer, la société Bamak demande d'infirmer le premier juge et de lui allouer une somme de 3 000 000 F équivalente au passif net après imputation du prix de revente du fonds (1 400 000 F).

Enfin, sur la demande reconventionnelle présentée par son adversaire, la société Bamak, tout en reconnaissant devoir un solde de facturation sur les produits livrés par la société Hédiard, demande à ce que celui-ci ramène à la somme de 235 531,03 F et d'en exclure la compensation avec les dommages-intérêts résultant d'une cause distincte, en l'espèce, la sanction de sa responsabilité délictuelle de la société Hédiard et qui en tout état de cause ne pourrait que se heurter au principe de l'article 48 de la loi du 21 janvier 1989 qui limite le pouvoir juridictionnel à fixer la créance.

L'intimée s'attache à réfuter l'argumentation de la société Bamak s'emparant partiellement du raisonnement du tribunal pour affirmer qu'elle n'a pas commis de manœuvre dolosives.

En revanche, elle sollicite l'infirmation de la décision qui l'a déclarée responsable sur un fondement contractuel ou quasi délictuel au motif que la société Bamak avait choisi librement de prendre à sa charge tous les risques en signant le contrat de distribution.

Sur les dommages-intérêts fixés par le tribunal, l'intimée estime qu'ils résultent des calculs arbitraires sur la base du chiffre d'affaires erroné et demande, compte tenu de son argumentation de principe, que la société Bamak soit déboutée de toutes ses prétentions sur ce point.

Pour ce qui la concerne, elle sollicite la condamnation de Maître Dubois, ès qualité, à lui régler la totalité des factures impayées et admises à la liquidation pour un total de 344 579,57 F.

Elle demande, enfin, que le liquidateur lui verse une somme de 1 000 000 F de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial résultant de la déconfiture de son unique distributeur lyonnais, lequel auparavant avait vendu en fraude du contrat de distribution exclusif d'autres produits et avait employé des manœuvres de harcèlement pour faire racheter son fonds par la société Hédiard.

III- SUR CE, LA COUR,

A- Sur la qualification des contrats et leurs conséquences :

A-1- Sur le contrat de faisabilité du 6 juillet 1989 :

Considérant que les parties en cause ont signé ce contrat intitulé " Protocole d'étude de faisabilité " qui stipule à l'article 5 alinéa 4 :

" Si à l'issue de l'étude de faisabilité, celle-ci est positive et M. Charles Makhlouf déclarait vouloir signer le contrat de franchise ; mais que la société Hédiard, pour des raisons qui lui sont propres, et sans avoir à en justifier, décidait de ne pas signer de contrat de franchise avec (celui-ci), la société Hédiard s'engage alors au remboursement de la totalité de la somme versée au titre du protocole " ;

Qu'il est constant que la société Hédiard n'a, à aucun moment, restitué la somme de 20 000 F représentant les prestations prévues dans ce protocole, sans toutefois faire signer, le 21 décembre 1989, un contrat intitulé de " franchise " mais seulement qualifié de " distribution - détaillant " ;

Qu'en ne procédant pas à la restitution du prix et sans respecter le délai d'un mois prévu à l'article 6, la société Hédiard a entendu placer le protocole comme préalable au contrat d'exploitation, finalement signé, quelque soit la qualification que les parties ont accepté de donner à ce dernier ;

Considérant, que cette appréhension correspond à la commune intention des parties, et convient le plus à la matière dudit protocole dès lors que la société Hédiard comme la société Bamak ont entendu tirer des enseignements propres à conclure le contrat suivant, lequel a organisé concrètement leur partenariat ;

Qu'il n'est d'ailleurs pas inutile de rappeler que les conventions, faisant foi de loi des parties, doivent être exécutées de bonne foi (article 1134 du code précité) ; qu'en niant la validité de ce contrat alors qu'elle n'en a pas répété le prix, la maison Hédiard défaille dans cette prescription essentielle qui demeure à la base de tous les rapports de confiance nécessaires aux affaires ;

Considérant, qu'en outre, le tribunal a exactement exposé et répondu à chacun des moyens articulés par les parties sur ce premier point, par des motifs que la Cour adopte ;

Qu'il échet, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris qui a déclaré la société Hédiard mal fondée à demander la caducité du protocole de faisabilité ;

Qu'à bon droit, le tribunal n'a pas manqué d'en tirer toutes conséquences quant à l'influence des informations qui ont été produites par la société Hédiard en exécution de ce contrat, pour l'appréciation des demandes formées par la société Bamak quant à l'inexécution du contrat de distribution qui en est découlé ;

A-2- Sur le contrat de distribution :

Considérant que celui-ci, signé le 21 décembre 1989, met diverses obligations à la charge de chacune des parties avec notamment pour la société Bamak l'obligation d'acheter, selon un calendrier précis, des quantités importantes de marchandises à la société Hédiard ainsi qu'il résulte de l'article 6 de cette convention :

- Du 1er avril 1990 au 31 mars 1991 : 1 000 000 F hors taxes,

- Du 1er avril 1991 au 31 mars 1992 : 1 500 000 F hors taxes,

- Du 1er avril 1992 au 31 mars 1993 : 2 000 000 F hors taxes,

- Du 1er avril 1993 au 31 mars 1994 : 2 500 000 F hors taxes,

- Du 1er avril 1994 au 31 mars 1995 : 3 000 000 F hors taxes.

Que l'intimée estime ces chiffres comme des minimums " particulièrement raisonnables " imposés contractuellement compte tenu de l'exclusivité consentie à la société Bamak " dans la seconde ville de France et des chiffres d'affaires réalisés par la société Hédiard dans Paris et Région Parisienne avec plus de dix points de vente " ;

Que le contrat prévoyait, en outre, diverses dispositions destinées à protéger la marque et l'image de marque de la société Hédiard, la société Bamak s'obligeant à aménager ses locaux selon les normes et sous le contrôle de la société Hédiard ;

Considérant quelle que soit la qualification pouvant être donnée à ce contrat, il est constant que la société Bamak ne s'est engagée dans cette opération qu'à partir des évaluations fournies par la société Hédiard comme d'ailleurs le reconnaît l'intimée ;

Que la société Bamak ayant renoncé, dans ses écritures soumises à la Cour, à solliciter la nullité du contrat de distribution, il y a lieu d'examiner les conséquences de l'exécution du premier contrat pour appréhender le bien fondé de la demande en dommages-intérêts formée par l'appelante ;

A-2-1- Sur l'exécution du protocole de faisabilité :

Considérant que ce protocole n'avait pour but que de prolonger les tractations entre les parties vers la signature d'un contrat de franchise sinon de distribution privilégiée, comme cela s'est réalisé le 21 décembre 1989 ;

Qu'en conséquence, de l'exécution loyale du protocole de faisabilité dépendait la bonne exécution du contrat de distribution ;

Considérant que la société Bamak a commandé, à titre onéreux, une étude de faisabilité de sa future entreprise ; que le protocole du 6 juillet 1989 stipule que les 20 000 F versés par M. Makhlouf, agissant pour le compte de la société Bamak en formation devaient servir à financer cette étude (article 3) ;

Qu'il est notamment prévu que l'étude de faisabilité s'efforcera de définir " quels seront les investissements à réaliser et quelle rentabilité il semble raisonnable d'espérer compte tenu des expériences antérieures " (article5 alinéa 2) ;

Qu'à l'analyse, si cette étude, qui recouvre à la fois une obligation de moyen et de conseil, se trouve déjouée par la réalité des faits, c'est qu'elle révèle nécessairement l'incompétence de la société Hédiard, ou en tout cas, l'exécution défectueuse de ses engagements;

Que la faute en résultant engage la responsabilité contractuelle de la société Hédiard, et non comme l'a cumulé à tort le tribunal avec la responsabilité délictuelle, dès lors qu'il s'agit à l'origine des mêmes faits ;

Que, sur ce point, le jugement devra être réformé ;

Que d'ailleurs, la société Hédiard reconnaît que le protocole constituait un préalable à un éventuel contrat de franchise qui, s'il n'a jamais été conclu sous cette qualification, n'en a pas moins vu les conclusions tirées de l'étude ainsi menée conduire les parties à continuer leurs relations dans le cadre d'un contrat similaire ;

Qu'ainsi l'étude prévisionnelle était même dans l'esprit de la société Hédiard, un acte préparatoire à la passation d'un contrat quelle qu'en soit la qualification ;

Que le fait que les documents comptables tirés de l'étude de faisabilité aient été adressés à la société Bamak en même temps que le contrat dit " de distribution détaillant " (pièces n° 6 et 6 bis) et un mois avant la conclusion du contrat définitif (au 21 décembre 1989), démontre que ces documents étaient destinés à aider la société Bamak dans sa prise de décision ; que de plus, les dispositions du contrat de distribution traduisent la cohérence dans la chronologie et la complémentarité des deux contrats ;

Que le caractère incontestable de l'accord et l'exécution par la société Bamak de son obligation de paiement du protocole de faisabilité, somme conservée par la société Hédiard, engageaient celle-ci notamment à établir un rapport ayant pour objet notamment de définir la rentabilité à laquelle il était raisonnable d'aspirer compte tenu des expériences antérieures et de la localisation précise du commerce ; que c'est en exécution de ce protocole qu'a été établi le compte d'exploitation prévisionnel (pièces n° 6 bis) dont les chiffres énoncés se sont révélés trop largement différents de la réalité, sans que la société Bamak bénéficie des conseils réels et sérieux convenus, lesquels incombaient en tout état de cause à l'intimée ;

A-2-2- Sur la défectuosité des études de la société Hédiard :

Considérant qu'une situation comptable pour l'exercice 1990 fait apparaître que la société Bamak a eu un chiffre d'affaires de 1 066 921 F et un résultat net négatif (perte) de 574 150 F pour une période d'exploitation de huit mois (pièces n° 9) alors que le bilan prévisionnel de la société Hédiard prévoyait pour la première année un chiffre d'affaires de 3 500 000 F ; qu'il en résulte que la société Hédiard a, dans le cadre de son étude de faisabilité, fait une évaluation anormalement optimiste des résultats susceptibles d'être obtenus puisqu'elle dépasse de plus du double les résultats de l'exploitation effectivement réalisés ;

Que cette inadéquation des études s'est confirmée dès le début de l'année 1991 dès lors que la perte d'exploitation s'est élevée à environ 50 000 et 63 000 F par mois (pièce n° 13 bis) ;

Considérant que la société Hédiard soutient que le compte prévisionnel qu'elle a fourni à l'époque, ne serait pas relatif à la ville de Lyon et ferait état des postes comptables inapplicables à la configuration des lieux ;

Qu'il y a lieu de relever que ce compte (pièce n° 6 bis) contient en haut et à gauche du recto de la première page, la mention apparente " Lyon " ;

Que son courrier du 22 novembre 1989 (pièce n° 6) comporte une référence au titre de pièces jointes au " CEP Lyon " ; que les postes comptables, figurant dans le compte prévisionnel, concernent donc bien le local dont s'agit;

Considérant par ailleurs que les parties sont entrées en relation au salon de la franchise qui s'est tenu à Paris, Porte de Versailles, en avril 1989 (pièce n° 14) ; qu'ainsi, la société Hédiard était en situation d'offre publique de conseil ;

Que la société Hédiard ne peut soutenir utilement que les documents comptables prévisionnels ont été établis en commun avec la société Bamak dès lors que la société Bamak, qui n'a été créée qu'au moment de la signature du contrat de distribution, ne pouvait être impliquée dans la réalisation de l'étude prévisionnelle ;

Que de même, M. Makhlouf, fondateur de la société Bamak, n'a pas pu quant à lui apporter son concours à l'étude de faisabilité, l'intéressé n'étant ni caviste, ni confiseur, ni épicier, ni traiteur, ce qui est confirmé par le fait que le protocole d'étude de faisabilité du 6 juillet 1989 prévoyait, dans son article 2, qu'il suivrait un stage d'initiation préliminaire (pièce n° 1) ; qu'il n'avait dès lors aucune compétence pour effectuer, même conjointement, un tel travail ;

Qu'en versant une somme de 20 000 francs (pièce n° 15), affectée à " l'évaluation de la valeur commerciale du local " et toutes autres prévisions incombant à la société Hédiard, M. Makhlouf démontre qu'il n'aurait pas rétribué l'intimée si lui-même avait été en état d'accomplir les études de faisabilité ;

Qu'il n'est pas contesté, même par la société Hédiard, que M. Makhlouf a seulement apporté son concours dans le choix du lieu d'établissement du local, la décision finale appartenant à la seule société Hédiard ; que d'ailleurs, la société Hédiard reconnaît, dans les conclusions, que le choix de l'emplacement n'est pas en cause ;

Que la société Hédiard dénie toute pertinence aux documents prévisionnels qui lui sont opposés au motif qu'ils n'auraient été établis qu'en vue de l'établissement d'une franchise alors que n'a été retenu qu'un contrat de distribution beaucoup moins contraignant, basé sur une simple obligation d'achat et une exclusivité territoriale ;

Que ces documents ont été adressés à la société Bamak, le 22 novembre 1989, en même temps que le contrat dit " de distribution détaillant " (pièces n° 6 et 6 bis), et un mois avant la signature dudit contrat ; qu'il résulte de ces circonstances que les études prévisionnelles avaient bien pour vocation d'aider la société Bamak dans la décision de contracter qu'il lui appartenait de prendre en un temps très court ;

Que d'ailleurs les premiers juges ont justement relevé que le contrat dit de distribution a été envoyé à la société Bamak, sans autre explication quant à l'abandon de la franchise (pièces n° 6 et 6 bis) ;

Considérant qu'en tout état de cause, la complémentarité des études préalables et du contrat de distribution rend sans intérêt la discussion sur la nature réelle du second contrat dès lors que la société Hédiard ne dénie pas le lien fondamental qui l'unissait à la société Bamak depuis le 6 juillet 1989 ;

Qu'il convient dès lors de constater que le chiffre d'affaires de la société Bamak, pour la première année, n'est que de 1 483 296 F HT, ce qui équivaut à 60 % du chiffre d'affaires estimé, pour la deuxième année de 630 000 F HT, pour neuf mois soit moins de 840 000 F HT extrapolés sur douze mois, ce qui représente moins de 25 % des 3 750 000 F HT estimés par la société Hédiard ; que le raisonnement de la société Hédiard, basé sur des chiffres contractuels, ne fait ainsi que confirmer le caractère excessif des prévisions au vu desquelles la société Bamak a cru pouvoir sereinement s'engager ;

Que d'ailleurs, le tribunal a estimé avec pertinence que la société Bamak s'est engagée " sur les seules hypothèses erronées qui lui avaient été communiquées avec l'indication d'un chiffre d'affaires trop optimiste de 3,5 millions de francs pour la première année que certaines succursales de la société Hédiard n'atteignent pas " ;

B- Sur la responsabilité :

B-1- Sur la faute reprochée à la société Bamak

Considérant que la société Hédiard attribue à la société Bamak des carences commerciales dans lesquelles elle voit la source de la faiblesse de ses résultats d'exploitation ;

Que, toutefois, non seulement les qualités de la société Bamak en matière de gestion n'ont jamais été mises en doute devant le procès, mais au contraire, la société Hédiard a exprimé à ce sujet sa satisfaction de manière non équivoque, dans une lettre du 13 juillet 1990, où l'intimée félicite le dirigeant de la société Bamak de sa volonté et de son dynamisme (pièces n°8) ;

Considérant que la société Hédiard reproche à la société Bamak une prétendue inaptitude à ajuster ses frais généraux en fonction de son chiffre d'affaires ;

Que l'expert comptable de la société Bamak atteste, au contraire, (pièce n° 56), que les charges d'exploitation de la société Bamak ont été réduites au plus bas niveau, et, partant, étaient inférieures aux prévisions de la société Hédiard (compte d'exploitation prévisionnel pièce n° 2 bis) ; que l'expert comptable précise même que dès le 1er janvier 1991, les charges ont été réduites à un niveau proche du minimum incompressible ;

B-2- Sur la mauvaise foi de la société Hédiard :

Considérant en revanche que la société Hédiard avait connaissance de l'impossibilité d'atteindre les résultats par elle prévus ; qu'en effet un jugement du 16 avril 1991 (pièce n° 7), a annulé un contrat de franchise de la société Hédiard conclu avec une société Epica ; qu'il résulte de cette décision que la société Hédiard avait commis de graves erreurs en remettant au franchisé un compte d'exploitation prévisionnel dont les chiffres se sont révélés bien supérieurs à la réalité, que le tribunal a considéré que la société Epica, qui avait fait confiance à la réputation de la société Hédiard et à son devoir de conseil, n'aurait pas contracté si ses dirigeants avaient eu connaissance de cette réalité ;

Que les difficultés de la société Hédiard avec ses franchisés, s'avèrent contemporaines aux négociations menées avec la société Bamak ;

Que les difficultés judiciaires de la société Hédiard ne sont pas étrangères à son changement de stratégie ayant consisté à changer le contrat de franchise d'origine par la conclusion du contrat dit de " distribution détaillant " signé le 21 décembre 1989 ;

Que, par ailleurs, la connaissance qu'avait la société Hédiard de l'impossibilité d'atteindre les résultats qu'elle avait prévus est établie par les résultats du réseau de distribution de la société Hédiard en 1989, à l'issue de laquelle a été conclue la convention litigieuse ; qu'ainsi les magasins de Sèvres, Chambéry et Bordeaux n'ont pu, cette année là atteindre les chiffres prévisionnels (pièces n° 36 à 36-5 et 50) ; que dès lors la société Hédiard ne pouvait en décembre 1989, au moment où elle s'engageait, ignorer que les prévisions seraient démenties par la réalité ;

Que la société Hédiard, en qualité de professionnel averti, ne peut ignorer que la superficie, la renommée, les habitudes d'une ville telle que Paris n'ont strictement rien à voir avec une ville de province ;

Que la société Hédiard soutient sans le démontrer qu'un engagement d'achat annuel de 1 000 000 F était réaliste dans une ville de 3 000 000 d'habitants ;

Que l'intimée a commis là une erreur grossière sur le nombre d'habitants de Lyon qui est inférieure à 500 000 (ou 1 260 000 banlieue comprise) révélant qu'elle ne pouvait que se tromper en annonçant des résultats dans les documents, sur la base desquels le contrat a été négocié ;

Que le fait pour la société Hédiard de prendre comme référence les chiffres constatés à Paris pour déterminer ceux devant être réalisés en province et notamment à Lyon constitue également une erreur majeure surtout que le comportement de la population de province à l'égard des produits de luxe est très différent de celui de la population de la capitale ; que la société Hédiard ne s'est pas renseignée avec application sur les capacités d'achat des habitants de Lyon pour évaluer de manière sérieuse et fiable le chiffre d'affaires réalisable dans cette localité au lieu de se livrer à des extrapolations qui se sont révélées hasardeuses ;

Qu'au surplus à travers un club dit " club H ", composé de distributeurs ayant réalisé un chiffre d'affaires méritant, il est intéressant de constater que les chiffres d'affaires réalisés par les membres du club sont nettement inférieurs aux prévisions effectuées pour la société Bamak (pièce n° 52) ;

Qu'il est donc établi à la fois que la société Bamak ne pouvait raisonnablement pas atteindre les chiffres prévus et que la société Hédiard le savait ;

Que cette difficulté à maîtriser ses études sont corroborées par l'issue judiciaire scellée par la Cour de céans qui a, par arrêt du 29 octobre 1992, confirmé en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre du 16 avril 1991 dans l'affaire Epica ; qu'en observant que cette instance a commencé le 16 novembre 1989, la société Hédiard ne pouvait pas ignorer en signant le contrat litigieux, le 21 décembre 1989, que l'authenticité de ses prévisions était douteuse ;

Que la société Hédiard prétend, à tort, que le procès intenté par la société Epica ne peut véritablement être assimilé à l'instance en cours, dès lors que dans les deux affaires, les chiffres d'affaires qu'elle avait proposés se sont avérés disproportionnés par rapport à la réalité ;

Considérant que la société Hédiard ne peut dénier toute valeur aux comptes prévisionnels qu'elle a fournis alors qu'ils ont constitué l'un des éléments majeurs de la viabilité du projet de la société Bamak, et de la prise de décision d'entreprendre ;

Que si les chiffres calculés par la société Hédiard ont un caractère prévisionnel, la société Bamak ne pouvait mettre en doute leur sérieux et leur fiabilité eu égard au prestige et au renom dont jouissait la société Hédiard ;

Qu'en conséquence, la société Bamak est fondée à être indemnisée des conséquences préjudiciables dont elle a été la victime de par l'exécution hasardeuse du protocole de faisabilité effectué par la société Hédiard pour l'amener délibérément à conclure ;

C- Sur le préjudice :

Considérant que Maître Dubois, ès qualités de mandataire liquidateur de la SATL Bamak, fait grief au jugement d'avoir réduit trop sensiblement la réparation de son préjudice à 586 000 F alors que la demande de première instance était de 2 000 000 F ;

Que devant la Cour, l'appelante actualise sa demande au motif que depuis le jugement la société a été mise en liquidation et elle sollicite la somme de 3 000 000 F, total du passif net, après déduction du prix de vente du fonds de commerce ;

Que si ce passif est certifié par le liquidateur (lettre du 28 septembre 1992) à partir de la liste des admissions de créances, la société Bamak ne justifie pas qu'il provienne entièrement des carences fautives de la société Hédiard ;

Considérant que la société Hédiard a failli dans ses études qui se sont révélées peu fiables face aux réalités locales autour desquelles elles devaient être les plus proches ;

Que ses conseils n'ont pas eu la pertinence qui était nécessaire en présence d'études incomplètes, générales et approximatives ; que la société Hédiard n'a pas eu la loyauté d'en tempérer l'influence sur un candidat peu rompu aux affaires et formé trop rapidement ;

Que sans l'exécution approximative, dangereuse et alléchante du protocole de faisabilité par la société Hédiard, M. Makhlouf n'aurait pas contracté ;

Qu'en conséquence, et malgré la part de risque inhérente à tout commerce qui intègre nécessairement le coefficient personnel du gestionnaire, lequel est en tout état de cause indirect au litige, la société Hédiard, dont l'influence exercée sur le gérant de la société Bamak, a été proportionnelle à sa renommée, doit supporter une part significative du dommage qui ne saurait être inférieure de 50 % du déficit net justifié, soit 1 500 000 F ;

D- Sur la demande reconventionnelle de la société Hédiard :

Considérant que le liquidateur de la société Bamak, qui a enregistré la créance de la société Hédiard à hauteur de 344 579,57 F, représentant des factures impayées outre les intérêts de retard, ne discute ni le principe, ni le quantum de l'actualisation de la demande ;

Que cette créance a été régulièrement produite le 20 mars 1991 ;

Qu'il y a lieu toutefois de limiter la décision à la constatation de cette créance et à sa fixation en application des articles 47 et 48 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Considérant que la société Hédiard qui sollicite toujours la somme de 1 000 000 F au titre d'un préjudice commercial qu'elle invoque, est, d'une part, irrecevable parce que ce préjudice n'a pas été produit régulièrement, alors que la demanderesse pouvait le déclarer même à titre provisionnel ; que d'autre part, l'intimée se contente d'affirmer l'existence de ce dommage mais sans toutefois le démontrer, ou le justifier ;

Qu'en tout état de cause, ce préjudice prétendu est infondé dès lors que la société Hédiard ne peut s'en prendre qu'à elle-même si le fonctionnement de son système " franchise - distribution " est défectueux ;

Considérant que le lien de connexité résultant, d'une part des obligations de paiement du distributeur agréé, la société Bamak, et, d'autre part, du règlement de l'indemnité pour inexécution contractuelle du groupe de contrats dans lesquels l'obligation d'achat du même distributeur trouve son origine, justifie la compensation judiciaire des sommes liquides et certaines résultant des obligations réciproques sous le régime des intérêts qui sont propres à chacune des créances compensées ;

Considérant enfin, que l'intimée, qui succombe au principal de l'action, ne peut voir sa demande sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile prospérer ;

Qu'en revanche, dès lors que sans la dégradation de la situation de la société Bamak à laquelle la société Hédiard a concouru de manière déterminante, le défaut de règlement des factures n'auraient pas eu lieu, il serait inéquitable de laisser à la charge de Maître Dubois ès qualités, les frais non compris dans les dépens que celui-ci a dû engager pour soutenir les intérêts de la société Bamak en cause d'appel qui lui seront remboursés par la société Hédiard à hauteur de 20 000 F ;

Que cette dernière, pour les mêmes raisons, sera condamnée aux dépens d'appel ;

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges ; Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit l'appel de Maître Dubois, ès qualités de liquidateur de la société Bamak, régulier en la forme ; Le dit bien fondé ; Confirme le jugement entrepris sur le principe de l'indemnisation de la SARL Bamak par la société Hédiard, sauf à préciser que c'est la responsabilité contractuelle qui fonde l'indemnisation ; Réformant sur le montant de l'indemnisation et la demande reconventionnelle de la société Hédiard ; Fixe l'indemnisation due par la société Hédiard à la société Bamak la somme de 1 500 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 15 avril 1995 ; Fixe la somme due par la société Bamak à la société Hédiard à la somme de 344 579,57 F avec intérêts au taux légal majoré de trois points à compter du 20 février 1991 ; Vu la connexité des créances résultant de l'exécution du groupe de contrats du 6 juillet et 21 décembre 1989 ; Ordonne la compensation des deux condamnations dont le solde positif sera versé par la société Hédiard à la société Bamak ; Confirme le jugement entrepris pour le surplus ; Condamne la SA Hédiard à verser à Maître Dubois, ès qualités, la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires comme irrecevables ou mal fondées ; Condamne la SA Hédiard aux entiers dépens de la procédure d'appel conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile qui seront recouvrés par la SCP Lefevre Tardy, avoués.