CA Paris, 5e ch. B, 29 juin 1995, n° 94-280
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lavidis (SARL), Laviec (Consorts)
Défendeur :
Promodes (Sté), Prodim Paris-Est (SNC), Profidis (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
MM. Bouche, Le Fevre
Avoués :
SCP Bernabe Ricard, SCP Roblin Chaix de Lavarenne
Avocats :
Mes Beaujard, Turbeau Ducote.
Le 15 avril 1989 la société Sael contrôlée par le groupe Promodes a vendu à la société à responsabilité limitée Lavidis constituée pour l'occasion entre les consorts Laviec et la société Profidis, filiale du groupe Promodes, un fonds de commerce de vente au détail de produits alimentaires à l'enseigne " Shopi " situé à Chilly-Mazarin. La société Profidis possédait 26 % des parts sociales, minorité de blocage puisque les articles 13 et 17 des statuts prévoient que les actes importants tels que la cession de parts à des tiers ou la vente du fonds de commerce requièrent le consentement de la majorité des associés représentant au moins les 3/4 du capital,
Le 18 avril 1989 un " accord de franchise " a été signé pour dix années entre la société Prodim-Paris-Est dite Prodim et la société Laviec. Son article 4 reconnaissait au franchiseur un droit de préférence à prix et conditions égaux en cas de cession de fonds.
Des pertes importantes ont été constatées dès l'exercice clos le 31 décembre 1990. La société Laviec a déposé son bilan le 11 juin 1992 et sa liquidation judiciaire a été prononcée le 15 juin suivant.
Prétendant que le groupe Promodes se serait abusivement opposé à la cession du fonds pour lequel Daniel Laviec, le gérant, avait trouvé un acquéreur, et que les contraintes exercées par le franchiseur auraient largement concouru à ses difficultés financières, la société Lavidis à laquelle s'est joint Maître Horel es-qualités de mandataire liquidateur, et les consorts Laviec avaient assigné le 2 juin 1992, quelques jours avant l'ouverture de la procédure collective, le groupe Promodes et les sociétés Profidis et Prodim en responsabilité.
Par jugement contradictoire du 30 septembre 1993 le Tribunal de Commerce de Corbeil-Essonnes a mis hors de cause la société Promodes, a dit qu'il n'y a pas eu d'abus de pouvoir ou de pressions inadmissibles des sociétés Prodim et Profidis vis-à-vis de la société Lavidis et des consorts Laviec de leurs demandes de dommages-intérêts et les a condamnés à payer aux deux sociétés 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La société Lavidis, représentée par son mandataire liquidateur Maître Horel ainsi que ses associés Daniel Laviec, son épouse et ses enfants ont fait appel de cette décision.
Ils demandent à la Cour de reconnaître que la société Promodes exerçait indirectement sur la société Lavidis une domination justifiant sa mise en cause et soutiennent que les sociétés intimées ont abusé de leurs pouvoirs et engagé leur responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil en bloquant abusivement la cession projetée du fonds de commerce. Ils imputent à la gestion de fait du groupe Promodes la déconfiture de la société Lavidis.
Ils demandent en réparation 1 368 000 F correspondant à la part du prix de cession offert qui leur serait revenue si la vente du fonds de commerce n'avait pas échoué ainsi que 500 000 F de dommages-intérêts et 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Ils demandent en outre à être garantis de tout le passif existant de la société.
Les sociétés Promodes-Prodim SNC et Profidis concluent à la confirmation du jugement déféré y compris à la mise hors de cause de la première d'entre elles. Les sociétés Prodim et Profidis demandent 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Les intimées imputent à Daniel Laviec lui-même, trop occupé par son activité au sein de la société SM 2D dont il assure également la gérance à Paris, une véritable incurie dans la gestion de la société Lavidis. Ils reprochent aux appelants d'avoir entretenu la confusion volontairement entre la cession des parts sociales et la vente du fonds de Chilly-Mazarin, sans régler la question du passif social accumulé. Elles contestent enfin avoir exercé une domination abusive sur la société Lavidis.
MOTIFS DE LA COUR
Considérant que la mise hors de cause de la société Promodes au motif qu'elle n'a jamais été partie au contrat de franchise ou qu'elle n'a souscrit aucune part du capital de la société Lavidis ne saurait être à priori confirmée ; qu'en effet les appelants ont fondé leur action en responsabilité à l'encontre de la société Promodes tant en première instance que devant la Cour sur l'article 1382 du Code Civil en lui reprochant de s'être immiscée dans la gestion de la société Lavidis et d'y avoir abusé de son autorité au point de mettre en péril l'existence de la société franchisée.
Considérant que la société Prodim, en sa qualité de franchiseur, a fourni à la société Lavidis divers éléments de savoir-faire et des conseils, une image de marque, une enseigne, une formation, un support publicitaire et des prévisions budgétaires qui ne sont pas l'objet de critiques ; qu'en échange de ces prestations la société Lavidis devait notamment accepter de s'approvisionner en quantités minimales auprès de fournisseurs agréés selon des tarifs qui eux aussi ne sont pas contestés, et verser une cotisation de 0,40 % de son chiffre d'affaires dans les conditions prévues par l'article 3 de l'accord de franchise ;
Considérant que le chiffre d'affaires annuel de la société Lavidis a progressé favorablement au début de l'exploitation passant de près de 10 300 000 F en 1989 à 14 618 000 F en 1990 ; qu'il a par contre régressé pendant les deux derniers mois de 1990 et durant le premier semestre de 1991 ; que la société Prodim s'en est inquiétée et dès le 28 mars 1991 a prodigué à sa franchisée des conseils de tenues de comptabilité et de gestion rigoureuse pour lui permettre de réaliser les objectifs convenus ;
Que le contrôle qui en est résulté de la gestion du franchisé par le franchiseur par l'intermédiaire de sa filiale, la société Profidis porteuse minoritaire de parts de la société franchisée, n'avait rien en soit d'une position dominante génératrice d'abus; que la société Lavidis et son gérant restaient en effet maîtres de leur approvisionnement au-delà des limites contractuelles minimales et du choix de leur personnel; qu'il leur appartenait d'assurer une saine gestion tenant compte des conseils susvisés et de valoriser le fonds de commerce par leurs propres compétences et par la meilleure utilisation possible du savoir-faire, de l'enseigne et du support publicitaire dont ils n'ont jamais contesté la réalité et la qualité;
Considérant que Daniel Laviec qui exploitait avant et pendant d'autres fonds de commerce, ne pouvait ignorer les contraintes de gestion du supermarché Shopi de Chilly Mazarin ; qu'il ne peut imputer l'échec de la société Lavidis à la présence parmi les porteurs de parts d'une société filiale du groupe Promodes dont la minorité de blocage était sans portée sur la gestion du fonds de commerce ; que les multiples demandes et rappels de l'expert-comptable la société Precoges, adressées en 1992 afin d'obtenir les documents permettant d'établir les comptes sociaux sont révélateurs d'une négligence personnelle du gérant ;
Considérant que le contrat de franchise ne comportait pas de condition draconienne ; que la société Prodim même a fait preuve d'une certaine tolérance à l'égard de sa franchisée en lui accordant une année de délai sans intérêt pour s'acquitter de sa dette d'approvisionnement et de redevance qui atteignait le 30 juin 1991 près de 470 000 F et qu'elle n'a qu'à peine réduite avant que n'intervienne le dépôt de bilan ;
Qu'en l'absence de contestation des termes du contrat et de preuve d'une participation de la société Prodim franchiseur ou de tout autre société du groupe Promodes à la gestion de la société Lavidis et à plus forte raison d'un abus de position dominante allégué, les appelants ne sont pas fondés à imputer aux sociétés intimées une responsabilité dans les résultats déplorables d'exploitation du fonds de commerce;
Considérant que les consorts Laviec ne sauraient contester la présence prévue dès l'origine d'une filiale du groupe Promodes parmi les porteurs de parts de la société Lavidis ni reprocher à cet associé d'avoir usé d'un droit de veto que les statuts de la société prévoyaient expressément à l'occasion d'actes graves de disposition susceptibles de modifier l'activité de la société Lavidis et ses rapports avec le franchiseur ;
Qu'il revient aux consorts Laviec de prouver que la société Profidis a exercé son droit de blocage d'associé minoritaire de manière anormale et contraire aux intérêts communs du franchiseur et du franchisé ;
Qu'ils se sont gardés lorsqu'ils ont été confrontés au refus d'agrément qu'ils dénoncent, de leurs projets de cession de parts sociales du fonds de commerce lui même, de mettre en œuvre la procédure régie par l'article 30 du décret du 23 mars 1967 qui leur aurait permis de passer outre ;
Que les consorts Laviec ont d'ailleurs longtemps entretenu la confusion dans leurs projets entre une cession de parts sociales qui affectait non pas l'existence de la société mais les rapports entre franchiseur et franchisé, et une vente du fonds de commerce qui entraînait la disparition de l'objet social et de la franchise elle-même et la dissolution anticipée de la société ; que l'une et l'autre des solutions impliquaient qu'il soit tenu compte des dettes sociales ; que les parts sociales pouvaient ne rien valoir si les dettes excédaient l'actif ; que la dissolution anticipée de la société impliquait que les dettes soient réglées ou puissent l'être au besoin par apports des associés pour peu que ceux-ci entendent éviter d'avoir à faire déclarer la cessation des paiements ;
Que la souscription par le franchiseur en une société alliée au franchiseur d'une minorité de blocage, en l'espèce 26 % des parts sociales, et la possibilité ainsi offerte au franchiseur de contrôler de telles cessions et au besoin de s'y opposer, ne relèvent pas d'une pratique exorbitante du droit commun ; qu'elles s'inscrivent en réalité dans le droit fil de la législation régissant les sociétés à responsabilité limitée qui prévoit que toutes les décisions entraînant une modification statutaire doivent se prendre en assemblée générale extraordinaire à la majorité des 3/4 des parts sociales ;
Considérant que la société Profidis a expliqué sans être démentie son refus d'agréer la reprise des parts sociales par une société contrôlée par Monsieur Benhaim, assortie d'une garantie de passif de Daniel Laviec de 300 000 F sur deux années, par l'existence d'un procès qui l'opposait à Monsieur Benhaim et par le caractère assez obscur de l'offre de Monsieur Benhaim ; que les consorts Laviec n'ont pas usé de la faculté qu'ils possédaient, s'agissant de cessions de parts, d'user de la procédure d'agrément forcé pour contrer le blocage qu'ils dénoncent tardivement ;
Considérant que la société Profidis a finalement accepté dans le cadre de la liquidation judiciaire la vente du fonds de commerce de la société Lavidis le 30 décembre 1992 à la société Mazidis dirigée par Monsieur Compagnon ; qu'au début de l'année 1992, à une époque où la société Lavidis était encore in bonis, elle avait soumis son acceptation d'un projet de cession, à ce même Monsieur Compagnon à la condition que soient réglés les problèmes que les consorts Laviec avaient volontairement occultés de l'avenir de la société Lavidis et des dettes sociales qui atteignaient, toutes origines confondues, 2 816 000 F au 30 juin 1991 selon le bilan arrêté à cette date et dépassaient largement le prix d'achat du fonds de commerce ;
Qu'en effet contrairement à ce que prétendent les consorts Laviec, le prix de 1 400 000 F offert aurait dû entrer dans la trésorerie de la société cédante et n'aurait pu être distribué aux associés puisqu'il n'aurait pas suffi à régler les différents créanciers prioritaires ;
Considérant que de son côté la société Profidis communique une lettre de Monsieur Delemos du 27 novembre 1992 offrant courant 1991 d'acheter l'ensemble des parts sociales des consorts Laviec pour 1 francs et de rembourser les comptes courants, afin de prendre leur succession dans l'exploitation du magasin de Chilly-Mazarin tout en conservant le cadre de la franchise Shopi ; que c'est Daniel Laviec qui a refusé l'issue qui lui était proposée, mécontent de ne recevoir que ce franc symbolique qu'expliquait parfaitement l'importance des dettes sociales ; que Daniel Laviec a réitéré son refus à l'occasion d'une offre similaire de Monsieur Timsit ;
Considérant que la note d'information et de synthèse transmise par la société Lavidis au Tribunal de Commerce en vue du dépôt de bilan témoigne de la même confusion, volontaire ou par ignorance, entre la vente des parts sociales et la cession du fonds de commerce lui-même et d'une surestimation évidente de ce fonds dont Daniel Laviec soutient encore à cette occasion qu'il veut 2 500 000 F nonobstant les pertes constatées ;
Que les consorts Laviec ne sauraient reprocher enfin à la société Profidis d'avoir refusé de céder pour 1 F en septembre 1991 à Daniel Laviec les 26 % des parts qu'elle détenait ; que cette cession à un prix symbolique qu'expliquait déjà le passif considérable accumulé au cours d'une assez brève période de gestion de Daniel Laviec, offrait sans doute aux consorts Laviec la possibilité de se " dégager du contrôle du groupe Promodes " et de céder le fonds à un groupe concurrent ; qu'elle ne garantissait nullement par contre au groupe Promodes le recouvrement de sa créance autrement qu'en faisant jouer la caution personnelle de Daniel Laviec, limitée à 500 000 F ;
Considérant que les appelants n'apportent donc pas la preuve tant sur le plan quasi-délictuel à l'égard de la société Promodes que sur le plan contractuel à l'égard des sociétés Prodim et Profidis, de l'abus d'une position dominante ou d'une ingérence coupable dans la gestion de la société Lavidis ;
Que le jugement doit être intégralement confirmé ;
Qu'il n'est pas inéquitable cependant que les sociétés intimées conservent la charge de leurs frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement du 30 septembre 1993 en toutes ses dispositions ; Déboute les parties de toutes demandes contraires ou complémentaires ; Condamne les consorts Laviec aux dépens ; Admet la société civile professionnelle Roblin-Chaix de Lavarene, avoué, au bénéfice du recouvrement direct contre les appelants dans les conditions prévues par l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.