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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 30 juin 1995, n° 92-20000

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Nina Ricci (SA)

Défendeur :

Mignot (Époux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

Me Olivier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Camoin, Casalonga.

T. com. Melun, du 6 avr. 1992

6 avril 1992

Suivant acte sous seing privé en date du 23 août 1990, les époux Mignot ont vendu à la SARL " Votre Beauté ", leur fonds de commerce de parfumerie sis à Melun, à l'enseigne " Votre Beauté " ; l'entrée en jouissance était prévue le jour de la vente.

Liée aux époux Mignot par un contrat de distribution sélective, la société Nina Ricci a assigné ceux-ci en résiliation et en payement d'une somme totale de 23 242,76 F correspondant à deux commandes des 24 août et 5 septembre 1990, et de 10 000 F de dommages-intérêts outre une indemnité sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Les époux Mignot s'étaient opposés à ces demandes et avaient sollicité reconventionnellement 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 6 avril 1992, le Tribunal de commerce de Melun a constaté la résiliation du contrat, débouté la société Nina Ricci de ses demandes, condamné cette société à payer aux époux Mignot 2000 F de dommages-intérêts et 5000 F en application de l'article 700 du NCPC.

La société Nina Ricci a relevé appel. Invoquant la méconnaissance par les époux Mignot des obligations découlant de l'article 8-2 des conditions générales de vente, elle conclut à l'infirmation et prie la Cour de prononcer la résiliation du contrat de distribution sélective aux torts des intimés et de condamner ces derniers à lui verser, à titre de dommages-intérêts la somme de 23 242,73 F correspondant aux deux commandes litigieuses avec intérêts aux taux légal à compter du 23 août 1990, ainsi que la somme de 50 000 F, au titre de la désorganisation dans son réseau commercial, outre 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Les époux Mignot, intimés, demandent la confirmation du jugement. Appelant incidemment du chef des dommages-intérêts qui leur ont été alloués, ils demandent l'élévation de leur montant à la somme de 10 000 F et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR, qui pour plus ample exposé, se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

Considérant que l'article 8-2 des conditions générales de vente de la société Nina Ricci stipule qu'" au cas où le distributeur agréé cesserait, pour une raison quelconque, d'assumer la direction effective et constante de son fonds de commerce, notamment par suite de cession (...) le présent contrat sera résilié de plein droit (...). La SA Parfums Nina Ricci devra être immédiatement informée du nom du nouveau contractant (...) " ;

Considérant que cette faculté de résiliation sans intervention du juge, laissée à la seule appréciation de la société Nina Ricci et destinée à lui permettre de sauvegarder les conditions dans lesquelles sont commercialisés ses produits à travers le réseau de distribution sélective qu'elle contrôle, ne saurait interdire à cette dernière de faire sanctionner par la voie judiciaire d'éventuels manquements contractuels de son distributeur et obtenir le prononcé d'une résiliation aux torts de celui-ci;

Considérant qu'il est établi que c'est seulement le 10 septembre 1990 que les époux Mignot ont informé la société Nina Ricci de la cession de leur fonds de commerce ; que les époux Mignot allèguent vainement la négligence prétendue de la société Nina Ricci qui aurait accepté de recevoir des commandes par téléphone alors qu'aucun numéro de code n'avait été attribué au distributeur et qui aurait permis de l'identifier, ou encore la faute qui aurait consisté pour le représentant de la société Nina Ricci qui aurait reçu les commandes, de ne pas s'assurer que son interlocuteur était bien un préposé des époux Mignot ; qu'à juste titre au contraire, la société Nina Ricci fait-elle valoir que le mode de passation des commandes par téléphone n'était pas inhabituel compte tenu des relations suivies entretenues avec les propriétaires de la parfumerie " Votre Beauté ", qu'il s'agisse des époux Mignot ou de leurs prédécesseurs, les deux factures litigieuses mises au débat portant d'ailleurs, contrairement aux affirmations des intimés, le numéro de code client attribué à ces derniers ;

Considérant que les intimés ne sont pas fondés à reprocher à la société Nina Ricci d'avoir refusé le payement de ces factures qu'aurait offert M. Zahad, l'animateur de la société cessionnaire du fonds de parfumerie vendu par les époux Mignot, dès lors que la société Nina Ricci justifie amplement par ses productions de l'existence de différends l'opposant à ce dernier, de nature à justifier le refus qu'elle lui opposait de l'admettre au sein de son réseau de distribution sélective ; qu'il est par ailleurs démontré que l'acquisition de la parfumerie Votre Beauté par la société en formation du même nom, répondait au souci de M. Zahad de contourner les obstacles à l'accès aux produits de la société Nina Ricci ; que les époux Mignot, ainsi que le relève à juste titre la société appelante, n'ignoraient pas qu'en cédant leur fonds de commerce à une société en formation ayant choisi leur enseigne pour raison sociale, la société Nina Ricci livrerait les produits de parfumerie en toute confiance, n'étant pas informée de la cession intervenue, où se trouvait associé un individu avec lequel elle était en conflit au sujet de deux autres points de vente à Paris ; qu'enfin, la stipulation dans l'acte de cession, en ce qui concerne les contrats de distribution sélective, d'un engagement de l'acquéreur d'informer les maisons intéressées, ne saurait suppléer l'exécution de l'obligation d'informer incombant aux époux Mignot en vertu de l'article 8-2 précité du contrat les liant à la société Nina Ricci ;

Considérant que la demande de la société Nina Ricci apparaît donc fondée, sauf en ce qui concerne les dommages-intérêts demandés au titre de la désorganisation prétendue de son réseau de distribution sélective, laquelle n'est pas démontrée ; que par application de l'article 1153-1 du Code civil, les intérêts de l'indemnité allouée courront non point à compter du présent arrêt, mais du jour de l'assignation ;

Considérant qu'il s'ensuit de ce qui précède le rejet de la demande de dommages-intérêts des époux Mignot ;

Considérant qu'il y a lieu, en équité, d'accorder à la société Nina Ricci le bénéfice de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, Infirme le jugement, Statuant à nouveau, Déclare résilié aux torts des époux Mignot le contrat de distributeur agréé signé le 8 mars 1989 ; Condamne les époux Mignot à payer à la société Nina Ricci, à titre de dommages-intérêts, la somme de 23 242,73 F avec intérêts aux taux légal à compter de l'assignation en justice ; Les condamne à payer à cette même société la somme de 15 000 F, en application de l'article 700 du NCPC ; Les condamne aux dépens que Maître Olivier, avoué, pourra recouvrer, pour ceux le concernant, conformément à l'article 699 du NCPC.