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Décisions

CA Paris, 1re ch. C, 6 juillet 1995, n° 93-15311

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pigadis (SARL)

Défendeur :

Prodim (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Durieux

Conseillers :

Mmes Garban, Pascal

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Gaultier-Kistner

Avocats :

Mes Levi, Baudesson.

T. arb., du 25 févr. 1993

25 février 1993

Par acte du 28 février 1990, la société Prodim et M. Touboul ont signé un accord de franchise en vue de l'exploitation d'un magasin de distribution alimentaire dit de " proximité ", situé 58 rue Pigalle à Paris (11°), sous l'enseigne Shopi. La société Prodim s'engageait à fournir un certain nombre de prestations en échange d'une redevance . Une clause compromissoire étant insérée au contrat.

Le 28 février 1990 était également constituée la société Pigadis dont l'objet social est l'acquisition et l'exploitation du fonds de commerce sous l'enseigne Shopi, à l'exclusion de toute autre. La société Profidis, qui appartient au même groupe que la société Prodim, détient une participation de 26 % dans la capital de la société Pigadis.

Le fonds de commerce a été cédé à la société Pigadis par la société Sael, autre société apparente à la société Prodim.

Des difficultés ont surgi entre le fournisseur et le franchisé, la société Prodim ayant indiqué à la société Pigadis en juin 1991 qu'à la suite d'engagements pris avec le conseil supérieur de l'Ordre des Experts Comptables elle ne pourrait plus assurer la gestion comptable du magasin.

En octobre 1991, la société Pigadis a mis en œuvre la procédure d'arbitrage.

Un compromis d'arbitrage a été signé le 18 mars 1992.

Par sentence du 25 février 1993, le tribunal arbitral a notamment :

Dit n'y avoir lieu à prononcer ni la résolution, ni la résiliation, ni la nullité du contrat de franchise ;

Condamné la société Prodim à rembourser à la société Pigadis les sommes de 15 000 F TTC et de 18.027,80 F, ainsi qu'à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 150 000 F et à titre de frais irrépétibles la somme de 15 000 F HT ;

Condamné la société Pigadis à payer à la société Prodim la somme de 177.798,80 F selon le décompte arrêté au 30 juin 1992 ;

Ordonné la compensation entre les sommes allouées.

La société Pigadis a formé un recours en annulation contre cette sentence. Elle soutient que le contrat de franchise est nul, et partant la clause compromissoire contenu dans ce contrat, en raison d'une part du caractère perpétuel de la convention portant atteinte à l'ordre public, d'autre part de la violation de l'article 85-1 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté Economique Européenne. Elle ajoute que si la Cour avait quelques doutes sur la validité de l'accord de franchise, il y aurait lieu de renvoyer l'instance pour question préjudicielle devant la Cour de Justice des Communautés Européennes, par application des dispositions de l'article 177 du traité.

Elle poursuit également l'annulation de la sentence pour non-respect par les arbitres du délai conventionnel dans lequel ils devaient accomplir leur mission.

La Société Prodim soulève l'irrecevabilité du recours en faisant valoir que la convention d'arbitrage est autonome par rapport au contrat et que par conséquent, à supposer qu'une cause de nullité affecte le contrat, la clause compromissoire n'en est pas nulle pour autant. Elle ajoute que les parties ont signé un compromis d'arbitrage également autonome par rapport au contrat de franchise.

Sur le moyen tiré du caractère perpétuel du contrat de franchise, elle soulève d'une part le défaut d'intérêt pour agir, de la société Pigadis qui, si elle obtenait satisfaction serait obligée de constater l'impossibilité de réaliser son objet social et serait contrainte à la dissolution, d'autre part le défaut de capacité du représentant de la société à faire valoir ce moyen contraire à l'intérêt social.

Subsidiairement, elle soutient que le contrat de franchise ne revêt aucun caractère perpétuel, que l'article 85-1 du Traité CEE ne lui est pas applicable et que, même si cet accord affectait le commerce entre les Etats membres de la CEE, il bénéficierait du règlement d'exemption du 30 novembre 1988 relatif aux contrats de franchise.

Très subsidiairement, si la Cour annulait la sentence, elle demande la condamnation de la société Pigadis à lui payer la somme de 420.713,28 F , en contrepartie des prestations dont celle-ci a bénéficiées.

Elle sollicite l'allocation d'une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Chacune des parties réclame une indemnité en application de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile.

LA COUR,

Sur la recevabilité de la demande d'annulation de la sentence

Considérant que la clause compromissoire ou le compromis peuvent être frappés de nullité lorsque celle-ci est la conséquence de la nullité du contrat principal ; qu'en effet, la répercussion de la nullité du contrat principal sur celle de la convention d'arbitrage n'est pas paralysée par le principe d'autonomie, seulement partiel, de la convention d'arbitrage énoncé par l'article 1466 du Nouveau code de Procédure Civile qui permet aux arbitres de statuer sur la validité et l'étendue de leur investiture ; qu'ainsi ce moyen d'irrecevabilité du recours doit être rejeté ;

Sur la demande d'annulation

1er moyen d'annulation : nullité de la clause compromissoire en raison de la nullité du contrat de franchise fondée sur le caractère perpétuel de celui-ci. La société Pigadis soutient que, la société Prodim détenant par l'intermédiaire de la société Profidis une minorité de blocage, le contrat de franchise ne peut être dénoncé sans son accord préalable ; que la société Prodim est ainsi en mesure d'imposer à son franchisé un contrat à caractère perpétuel contraire à l'ordre public et partant nul.

La société Prodim soulève l'irrecevabilité de ce moyen en faisant valoir, d'une part que la société Pigadis n'a aucun intérêt à invoquer le moyen exposé ci-dessus qui, s'il y était fait droit, la contraindrait à constater l'impossibilité de réaliser son objet social et à la dissolution, d'autre part que le représentant légal de la société Pigadis n'a pas la capacité aux termes des articles 13 et 49 de la loi du 24 juillet 1966 pour agir dans un but contraire à l'intérêt social ;

Considérant que la société Pigadis ne poursuit pas actuellement sa dissolution mais la nullité d'une sentence qui l'a déboutée de certaines de ses demandes et condamnée à certains versements ; que son intérêt à agir est par conséquent établi et qu'il lui appartient de faire valoir les moyens d'annulation de son choix ;

Considérant que le contrat de franchise a été conclu pour une durée de 10 ans renouvelable par tacite reconduction par période de 3 ans à défaut de dénonciation, qu'il n'a donc pas en lui-même un caractère perpétuel ; que même si, en fait, la société Profidis détient 26 % du capital social de la société Pigadis, rien ne permet d'affirmer que cette société, entité distincte de la société Prodim, s'opposerait systématiquement à toute modification de l'objet social ; que le fait que lors de l'assemblée générale extraordinaire tenue le 30 mai 1995 elle ait par son vote mis en échec la modification de l'objet social, ne peut suffire à démontrer que son vote interviendrait toujours dans le même sens dans l'avenir ; qu'au demeurant la résiliation du contrat de franchise peut toujours intervenir quitte à ce qu'elle entraîne la dissolution de la Société ; que la nullité du contrat principal n'étant pas établie de ce chef, ce premier moyen d'annulation doit être rejeté ;

2e moyen d'annulation : manquement aux dispositions de l'article 85 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne et du règlement du 30 novembre 1988.

La société Pigadis fait valoir que sont interdites au regard de la législation communautaire les clauses d'un contrat qui portent atteinte à la liberté commerciale du franchisé, telle que les clauses restreignant la liberté de fixer les prix ou de s'approvisionner auprès d'autres franchisés. Elle soutient, en l'espèce, que l'impossibilité prévue par le contrat de franchise pour le franchisé de s'approvisionner auprès d'autres franchisés porte atteinte aux dispositions du traité et du règlement susvisés et entraîne la nullité des accords de franchise.

Elle ajoute que le fait que la société Prodim ait conditionné la signature du contrat à l'acceptation par le franchisé de la prise en charge de sa gestion comptable directement par elle-même constitue une violation de l'article 85-1 du traité devant être sanctionnée par la nullité du contrat.

Elle demande, si la Cour avait des doutes sur la validité du contrat de franchise, que soit introduite une question préjudicielle auprès de la Cour de justice des Communautés européennes tendant à voir examiner la conformité du contrat aux dispositions du Traité CEE et au règlement du 30 novembre 1988.

La société Prodim rétorque que l'accord de franchise Shopi ne relève pas du droit communautaire qui n'est applicable qu'à un système affectant sensiblement le commerce entre les Etats membres, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Elle ajoute que le contrat bénéficie du règlement d'exemption du 30 novembre 1988 relatif aux contrats de franchise, d'approvisionnement concernant l'assortiment minimum n'étant édictée que pour maintenir l'identité commune et la réputation du réseau dans un secteur où il était en pratique impossible de définir des critères objectifs de qualité.

Considérant que l'article 85-1 du Traité CEE dispose :

" Sont incompatibles avec le Marché Commun et interdits tous accords entre entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres, et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à :

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,

d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats ".

Considérant que, pour que le droit communautaire soit applicable au contrat, la condition d'affectation du commerce entre Etats membres doit être satisfaite ; que sont exclues du champ d'application de l'article 85-1 du Traité, les pratiques qui n'affectent pas de façon sensible ce commerce, même si les seuils quantitatifs fixés par la commission sont dépassés.

Considérant que les accords de franchise affectent le commerce entre États membres lorsqu'ils sont conclus entre des entreprises de différents États membres ou lorsqu'ils forment la base d'un réseau qui s'étend au-delà des limites d'un seul État membre ; que les accords de franchise Shopi ne rentrent pas dans ces prévisions, qu'en effet ce réseau de franchise reste exclusivement français et ne comporte aucun point de vente établi sur le territoire d'un autre État.

Considérant que le commerce entre États membres peut également être affecté par des clauses restreignant les importations et, dans des conditions exceptionnelles, par des clauses d'approvisionnement exclusif imposées aux franchisés ; qu'à supposer qu'il existe une telle limitation de la liberté du franchisé, ce qui est contesté par la société Prodim, le commerce entre Etats membres ne pourrait être affecté que dans le contexte économique et juridique précis, à savoir l'existence, dans le même État de réseaux d'accords similaires dont l'effet cumulatif rendrait l'accès au marché de cet État très difficile pour des fournisseurs étrangers ; que la société Pigadis ne justifie pas que les accords de franchise Shopi entraînent des restrictions de concurrence de nature à affecter les courants d'échange entre États membresalors d'une part que la société Prodim soutient, sans être contredite, que le réseau Shopi ne représente qu'une part de marché de 1,25 % dans le secteur du commerce alimentaire et d'autre part que le caractère banalisé des produits alimentaires et la sévérité de la concurrence par les prix entre enseignes dans ce secteur ne permettent pas d'établir, au niveau des sources d'approvisionnement, une quelconque affectation du commerce entre Etats membres.

Considérant, sur la clause du contrat prévoyant la tenue de la comptabilité du franchisé par le franchiseur qu'il apparaît que cette prestation présente un lien avec l'objet du contrat et que par conséquent cette clause ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 85-1 du Traité CEE ; qu'au demeurant la société Pigadis est mal venue à prétendre que cette clause lui ait été imposée alors que devant le tribunal arbitral elle a poursuivi la résolution du contrat pour retrait par Prodim de son engagement relatif à la tenue de la comptabilité.

Considérant ainsi que l'article 85-1 du Traité CEE ne s'applique pas au contrat de franchise Shopi et cela sans qu'il soit nécessaire de rechercher si les conditions d'application posées par le règlement d'exemption du 30 novembre 1988 relatif aux accords de franchise sont réunies; que le moyen d'annulation de la sentence tirée de la violation par le contrat de franchise des dispositions communautaires doit être rejeté.

3ème moyen d'annulation : sentence rendue sur convention expirée.

La société Pigadis fait valoir, sur la violation du délai d'arbitrage, que le compromis d'arbitrage prévoyait que la sentence devait être rendue avant le 18 octobre 1992 et qu'elle n'a été rendue que le 25 février 1993, soit au-delà du délai conventionnel, sans qu'aucune prorogation n'ait été décidée par les parties ;

Mais considérant qu'il résulte du procès-verbal en date du 11 décembre 1992, signé par les parties, que celles-ci ont convenu de proroger jusqu'au 1er mars 1993 le délai dans lequel la sentence serait rendue ; que par conséquent la sentence est bien intervenue dans le délai conventionnel ; que ce moyen d'annulation doit donc également être rejeté ;

Sur la demande de dommages-intérêts

Considérant que la société Prodim ne démontre pas que la société Pigadis ait fait dégénérer en abus son droit de poursuivre l'annulation de la sentence ; que sa demande de dommages-intérêts doit donc être rejetée ;

Par ces motifs, Rejette le recours en annulation de la Sté Pigadis ; Condamne la société Pigadis à payer à la société Prodim une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile ; Rejette toute autre demande des parties ; Condamne la société Pigadis aux dépens et admet la Société Civile Professionnelle Gaultier-Kistner avoués, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile.