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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 20 juillet 1995, n° 2050-94

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Victor (Epoux)

Défendeur :

Centre Ouest Énergies (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boutie (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

MM. Lebreuil, Cousteaux

Avoués :

SCP Rives-Podesta, SCP Boyer-Lescat

Avocats :

Me Commogeille, SCP Matheu-Mariez.

T. com. Toulouse, du 16 mars 1994

16 mars 1994

Par un acte du 20 décembre 1984, les époux Victor donnaient en location-gérance à la SA Montenay Turbo (devenue aujourd'hui la société Centre Ouest Energies dite COE) un fonds de commerce de distribution de carburants exploité au 211, route d'Albi à Toulouse. Dans cet acte il était expressément stipulé :

" le preneur devra exploiter en bon père de famille le fonds de façon à lui conserver la clientèle et l'achalandage y attachés...

Il s'engage à assurer à la station un fonctionnement normal et continu, à la maintenir ouverte de 6 heures à 20 heures tous les jours de la semaine, de manière à conserver au fonds de commerce sa valeur et notamment la clientèle existante...

Le bailleur donne son accord au preneur pour sous-louer le fonds, sous l'entière responsabilité de celui-ci, le bailleur n'ayant à connaître que le preneur actuel...

Le preneur actuel demeurera garant et répondant de son sous-locataire, pour l'exécution des conditions du présent bail ... "

La société COE donnait ce fonds en sous-location mais ce commerce était finalement fermé à compter du mois d'octobre 1991. Le 30 juillet 1992, les époux Victor faisaient commandement à la société COE d'avoir à rouvrir le fonds avec rappel de la clause résolutoire. Aucune suite n'étant donnée à cet acte, les bailleurs assignaient le preneur en résiliation du contrat de location-gérance et en paiement de dommages-intérêts.

Une ordonnance de référé du 22 septembre 1992 confiait à M. Munos une mission d'expertise. Au vu du rapport déposé par cet expert, le juge des référés déboutait les époux Victor de leur demande de provision. Ils saisissaient alors le juge du fond.

Par jugement en date du 16 mars 1994, le Tribunal de commerce de Toulouse :

- Déboutait les époux Victor de leurs demandes tendant à la réparation de leur préjudice lié à l'évaluation du fonds et à la rupture du contrat,

- Les déboutait aussi partiellement de leur demande tendant à la remise en état des éléments corporels de ce fonds mais condamnait la société COE à leur verser la somme de 19 117,72 F,

- Déboutait la société COE de sa demande de compensation avec le solde d'un prêt qu'elle aurait consenti aux bailleurs,

- Condamnait les époux Victor à payer à la société COE la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- Ordonnait la compensation,

- Ordonnait l'exécution provisoire.

Par déclaration en date du 11 avril 1994, dont la régularité n'est pas contestée, les époux Victor relevaient appel de cette décision.

Ils soutiennent :

- Que malgré la résiliation du contrat engagée par la société COE, celle-ci avait l'obligation contractuelle de maintenir le fonds ouvert et qu'elle est redevable de ce chef d'une année entière de loyer soit la somme de 296 253 F,

- Que la société COE doit leur verser la somme de 83 509,74 F représentant selon l'expert le coût de remise en état de fonctionnement normal des éléments corporels du fonds ;

- Qu'il leur est encore dû la somme de 2 142 121 F montant chiffré par l'expert du préjudice lié à la fermeture du fonds et à la perte de la clientèle ; qu'ils offrent de déduire de cette somme celle de 200 000 F obtenue de l'acquéreur du fonds et que leur préjudice de ce chef doit être évalué à la somme de 1 942 121 F ;

Ils concluent à la réformation du jugement et à l'allocation des demandes ci-dessus. Ils réclament enfin la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société COE estime que les premiers juges ont fait une exacte application des règles de droit aux éléments de l'espèce. Elle sollicite donc la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il déboutait les époux Victor de leurs demandes. Par appel incident, elle réclame la compensation que le tribunal lui refusait et sollicite l'octroi des sommes de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 50 000 F en remboursement de ses frais irrépétibles.

Sur quoi,

Attendu que le tribunal a très exactement indiqué les caractéristiques précises du bien objet du contrat et les différents contrats souscrits tant par les bailleurs que par le preneur ; que ces points sont expressément repris par la Cour qui fait siens les attendus des premiers juges sur ce point ; que ne seront examinés que les points en litige ;

Sur la rupture :

Attendu qu'au soutien de leur appel, les époux Victor expliquent tout d'abord que les premiers juges ont considéré à tort que la société COE avait fait usage de sa faculté de résiliation et qu'il n'y avait pas lieu à dommages-intérêts ; qu'ils expliquent en effet qu'ils ont fait commandement au preneur d'avoir à rouvrir le fonds et que, ce commandement n'ayant pas été suivi d'effets, ils sont en droit de considérer que le contrat s'est poursuivi jusqu'à son terme, c'est-à-dire le 31 décembre 1993 et qu'il leur est dû de ce chef la somme de 296 253 F ;

Mais attendu que le contrat de location-gérance signé par les parties était d'une durée de neuf années et prévoyait notamment une faculté de résiliation par le preneur tous les deux ans, à charge de donner un préavis de six mois ;

Qu'en l'espèce il est constant que la société COE, par courrier recommandé du 26 juin 1992, antérieurement au commandement délivré par les appelants, résiliait le contrat pour le 31 décembre 1992 ; que ce faisant, elle respectait les clauses contractuelles et que les époux Victor ne sauraient lui demander maintenant le paiement des loyers jusqu'au 31 décembre 1993, alors même qu'une ordonnance de référé du 22 septembre 1992, non frappée d'appel, condamnait la société COE à payer le loyer du 4ème trimestre 1992 seulement ; que ce premier moyen sera rejeté ;

Sur la remise en état des éléments corporels du fonds :

Attendu que les époux Victor font grief au jugement de les avoir déboutés de la grande partie de leurs demandes de ce chef alors que le rapport d'expertise démontre que " le chiffre global de la remise en état pour permettre la reprise de l'exploitation est de 83 509,74 F " ; que ces estimations n'ont pas été contestées et que ce montant doit leur être alloué ;

Mais attendu que le tribunal relevait à bon droit qu'il était établi qu'après le départ de la société COE, les époux Victor louaient à nouveau le fonds et qu'ainsi, la preuve est apportée que la station était en état de fonctionnement alors, au surplus, que les appelants ne fournissent aucune pièce à l'appui de leur demande établissant la réalité et le montant des dépenses qu'ils ont dû entreprendre de ce chef ;

Que la société COE se reconnaissant toujours débitrice de la somme de 19 117,72 F, le jugement sera seulement confirmé sur ce point ;

Sur la dépréciation du fonds :

Attendu que les appelants font valoir :

- Que le fonds est resté fermé du mois d'octobre 1991 au mois de juillet 1992,

- Qu'il appartenait au preneur de faire usage de la clause de " sauvegarde "s'il estimait que les conditions du marché ne lui permettait plus de satisfaire aux conditions du contrat,

- Que la défaillance du sous-locataire ne leur est pas opposable en vertu des clauses contractuelles,

- Qu'enfin, le nouvel exploitant du fonds dépasse maintenant le volume réalisé par eux en 1984 ;

Qu'ils en déduisent ainsi que leur préjudice doit être fixé à la somme de 2 142 121 F (chiffre évalué par l'expert) - 200 000 F (prix de vente du fonds) = 1 942 121 F ;

Mais attendu que si le contrat faisait obligation au preneur de conserver le fonds ouvert afin d'assurer un fonctionnement normal et continu et de lui conserver la clientèle et l'achalandage, il ne pouvait lui être fait obligation de rendre aux bailleurs un fonds ayant nécessairement la même valeur marchande que celle qu'il avait lors de la conclusion du contrat;

Que la société COE fait justement remarquer que la somme réclamée par les appelants constitue la valeur du fonds en 1984, réévaluée en 1992 et fondée sur le litrage de carburant vendu ; que le rapport de l'homme de l'art indique aussi deux autres méthodes d'évaluation et que la moyenne de toutes ces évaluations aboutit à une somme de 796 894 F ;

Attendu en outrequ'il appartient aux appelants, demandeurs à l'instance, de démontrer que la perte de valeur du fonds de commerce est due à la faute de la société COE ou de ses mandataires;

Que le tribunal retient que cette faute n'est pas démontrée; qu'en effet, s'il y a bien eu fermeture provisoire de la station par suite de la déconfiture de la société Garcia, sous-locataire de la société COE, les époux Victor ont retrouvé un nouveau locataire-gérant qui a fait fonctionner la station sans difficultés, jusqu'à sa propre déconfiture ;

Qu'en outre, la modification des données économiques quant à la distribution des carburants dans le pays ainsi que dans le secteur considéré n'a pu avoir qu'une influence néfaste sur la clientèle de la station et sa fréquentation; qu'il n'est pas contesté en effet que dans un périmètre restreint, de nouvelles stations-service se sont installées et notamment celles dépendant de supermarchés;

Qu'enfin, le prix de vente du fonds par les époux Victor aux nouveaux acquéreurs n'est pas significatif puisqu'il est intervenu après l'exploitation puis la déconfiture d'un locataire-gérant autre que celui de la société COE ;

Attendu en conséquenceque les époux Victor ne font pas la preuve qui leur incombe de la faute commise par la société COE dans l'exécution de son contrat ni du lien de causalité existant avec le préjudice seulement allégué; que le jugement les déboutant de ce chef de demande sera confirmé ;

Sur l'appel incident :

Attendu que reprenant la demande par elle faite en première instance, la société COE soutient qu'une compensation doit être faite entre la somme de 19 117,72 F qu'elle reconnaît devoir aux époux Victor et une somme de 29 250 F, représentant le solde d'un prêt qui lui serait dû par ces derniers ;

Que toutefois, pas plus qu'en première instance, la société COE ne justifie pas de sa créance et que le jugement la déboutant ne peut qu'être confirmé ;

Qu'ainsi la décision déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu que les époux Victor, qui succombent dans leurs prétentions d'appelants principaux, supporteront les dépens,

Que tenus aux dépens, ils devront payer à la société COE la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Attendu sur les dommages-intérêts qu'il n'est pas démontré une faute dans l'exercice de la voie de l'appel ni l'existence d'un préjudice supérieur à celui inhérent à l'exercice de toute action en justice ; qu'ils ne seront donc pas accordés,

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit en la forme l'appel principal et l'appel incident jugés réguliers, Au fond, confirme le jugement rendu le 16 mars 1994 par le Tribunal de commerce de Toulouse, Y ajoutant, Condamne les époux Victor à payer à la société COE la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel, Dit n'y avoir lieu à octroi de dommages-intérêts, Condamne les époux Victor aux dépens et autorise la SCP d'avoués Boyer Lescat Boyer à les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.