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Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 28 septembre 1995, n° 9403203

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lebourgeois (Époux)

Défendeur :

Prodim (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Credeville

Conseillers :

M. Dragne, Mme Masselin

Avoués :

Me Couppey, SCP Galliere-Lejeune

Avocats :

Me Cosse, Me Boniface.

T. com. Louviers, du 2 juin 1994

2 juin 1994

Le 10 avril 1991 un contrat de franchise était signé entre la SNC Prodim et les époux Lebourgeois ; en relation directe avec ce contrat, les époux Lebourgeois se portaient acquéreurs d'un terrain et faisaient construire un magasin devant être exploité dans le cadre de ladite franchise ; leur apport personnel était finalement moindre que celui initialement prévu au projet ;

Le 22 avril 1992 six modifications intervenaient dans la gestion du magasin Shopi suivant un document signé par chacune des parties ;

Le 8 avril 1993 la société Prodim rappelait aux époux Lebourgeois les dispositions contenues le 22 avril 1992 et constatait des impayés pour près d'un million de francs ; elle constatait une dégradation de la situation avec un dépassement des frais de personnel, des frais généraux excessifs concernant l'importance du magasin ;

Le 19 juin 1993 les époux Lebourgeois dénonçaient tous les accords et toutes les relations d'affaires et annonçaient qu'ils cesseraient l'utilisation de l'enseigne " Shopi ", ce qu'ils firent le 1er juillet 1993 ;

Le 27 juillet 1993 la SNC Prodim rappelait aux époux Lebourgeois que le contrat de franchise avait été signé pour une période de cinq années et que les marchandises impayées représentaient 958.092,59 F (sous réserve de l'encours) ;

Le 2 septembre 1993, la SNC Prodim assignait les époux Lebourgeois afin de les voir condamnés au paiement des marchandises impayées faisant valoir :

qu'ils exploitaient leur fonds de commerce depuis le 1er juillet 1993, sous une enseigne concurrente " Coccinelle ",

que le décompte définitif des marchandises impayées par eux s'élevait à 1.174.399,91 F,

que cette créance était certaine, liquide et exigible, ni son principe, ni son montant n'étant contestés par les époux Lebourgeois qui sollicitaient simplement l'annulation de leur dette en raison d'une prétendue faute ;

Par le jugement rendu le 2 juin 1994 le tribunal de commerce de Louviers a considéré que la société Prodim s'était immiscée dans la gestion des époux Lebourgeois et a annulé en conséquence sa créance de marchandises du fait qu'elle aurait abusivement soutenu une exploitation déficitaire et commis des fautes dans la réalisation de l'étude de marché. Il a encore retenu que la société Prodim avait joué correctement son rôle de franchiseur et que les époux Lebourgeois avaient rompu abusivement les relations contractuelles en ne respectant pas les clauses relatives à la dénonciation du contrat de franchise et il les a condamnés à payer les pénalités contractuelles prévues en cas de rupture abusive ;

Les époux Lebourgeois, qui ont interjeté appel de cette décision, font valoir :

que la SNC Prodim serait responsable de leur échec en raison principalement d'une étude prévisionnelle qui se serait révélée erronée faute de renseignements précontractuels suffisants,

que le système de distribution mis en place par la SNC Prodim aurait provoqué leur dépendance juridique et économique totale, ainsi qu'une gestion de fait du franchiseur ;

Ils concluent à la condamnation de la société Prodim à leur payer 3.000.000 F à titre de dommages-intérêts et 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; subsidiairement, la désignation d'un expert pour déterminer le préjudice subi à raison des pertes réalisées, des gains perdus et des dépenses d'investissements réalisées en pure perte et la condamnation de la société Prodim à leur payer 1.000.000 F à titre prévisionnel ;

Pour la société Prodim, il convient de réformer le jugement en ce qu'il a retenu que la société Prodim s'était immiscée dans la gestion du commerce des époux Lebourgeois et par voie de conséquence annulé sa créance de marchandises ;

Elle conclut principalement :

que sa responsabilité ne peut nullement être recherchée par application de la clause d'exclusion de responsabilité citée à l'article 9 du contrat de franchise,

subsidiairement, qu'elle n'est pas tenue à une obligation de résultat mais simplement de moyen,

que dans les deux cas, il n'est pas contestable que l'étude d'octobre 1990 contenait des indications objectives exactes, des prévisions raisonnables considérant l'environnement et les capacités généralement reconnues par expérience au magasin du type " Shopi ",

que le décalage s'explique par des circonstances extérieures et imprévisibles comme :

les prix pratiqués par le " Shopi ",

le comportement des habitants de la commune et des environs à l'égard du " Shopi ",

le développement des grandes surfaces voisines et des ouvertures postérieures à l'étude d'octobre 1990 ;

La société Prodim a interjeté appel incident pour voir :

réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement des marchandises livrées,

en conséquence, condamner les époux Lebourgeois au règlement desdites marchandises impayées, dont le montant n'est même pas contesté, soit 1.174.399,91 F,

confirmer le jugement en ce qu'il a condamné les époux Lebourgeois à lui payer les pénalités contractuelles prévues en cas de rupture abusive,

en conséquence, condamner les époux Lebourgeois à lui payer au titre desdites pénalités les sommes suivantes :

154.322,32 F TTC pour la résiliation anticipée du contrat de franchise,

196.680,00 F TTC pour la résiliation du contrat d'approvisionnement ;

condamner les époux Lebourgeois au paiement d'une indemnité de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Sur ce, LA COUR,

Sur la responsabilité de la société Prodim dans l'échec des époux Lebourgeois ;

Attendu que selon la loi du 31 décembre 1989 qui met à la charge du franchiseur une obligation d'information, le document qui la contient doit donner des informations sincères permettant de s'engager en connaissance de cause ;

Attendu qu'il est établi par les différents documents versés aux débats que l'étude préalable réalisée par la société Prodim a dissimulé un facteur important tel que l'existence du centre Leclerc de Louviers ;

Que cette étude présentée comme une certitude contient non seulement des inexactitudes mais des résultats fantaisistes supérieurs de près de 40 % à ceux qui pouvaient être réalisés alors que la société Prodim disposait de toutes les informations nécessaires à l'étude réalisée ;

Attendu que nonobstant l'article 9 du contrat de franchise qui prévoit que le franchisé a eu toutes possibilités de demander à un tiers la confirmation ou l'infirmation de l'étude de marché, ce contrat n'a été signé que le 6 mars 1991 (le 10 avril 1991 selon la société Prodim soit après le décret d'application du 4 avril 1991) le jour de l'ouverture du magasin Shopi par les époux Lebourgeois ;

Qu'il s'ensuit, qu'à cette date où l'implantation était réalisée, l'information préalable des époux Lebourgeois n'était pas faite de leur faculté de demander à un tiers la confirmation ou l'infirmation de l'étude de marché ; que cette clause qui ne pouvait plus être appliquée que tardivement était dès lors inopposable aux franchisés ;

Que d'ailleurs, dans ses écritures, la société Prodim reconnaît l'existence des causes extérieures à l'origine du décalage entre les prévisions faites et la réalité de l'exploitation ;qu'il n'en reste pas moins que ces causes, telle que l'extension des grandes surfaces existantes étaient prévisibles, contrairement à ses allégations ;

Sur le paiement des marchandises

Attendu que la faute de la société Prodim qui a entraîné les époux Lebourgeois dans une opération déficitaire entraîne sa responsabilité ;

Attendu que c'est à bon droit que le tribunal a estimé qu'aucune faute de gestion ne pouvait leur être reprochée et qu'il y avait lieu d'intégrer le montant des marchandises qu'ils lui devaient dans le préjudice subi par eux ;

Sur la rupture du contrat

Attendu que la faute commise par la société Prodim qui remet en cause l'économie générale du contrat justifie sa résiliation sans indemnité ;qu'il y a donc lieu sur ce point de réformer la décision attaquée, les époux Lebourgeois ayant rompu le contrat dans des conditions exclusives d'une quelconque faute ;

Sur le préjudice qu'auraient subi les époux Lebourgeois

Attendu que les époux Lebourgeois soutiennent avoir subi une perte d'exploitation qui ne compenserait pas le gain prévu ni les dépenses d'investissement effectuées ;

Attendu sur l'existence du préjudice qu'il est constant que les époux Lebourgeois qui s'attendaient à ce que l'entreprise qu'ils géraient soit bénéficiaire et pouvaient espérer que leurs relations contractuelles auraient une durée raisonnable ont subi du fait de leur interruption un préjudice ;

Mais attendu que la Cour ne dispose pas des éléments suffisants pour chiffrer ce préjudice ; qu'il y a donc lieu de commettre un expert afin de réunir tous éléments permettant de le chiffrer et de limiter à 50.000 F la somme qui leur sera allouée à titre provisionnel ;

Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge des époux Lebourgeois les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés mais de les limiter à hauteur de 20.000 F ;

Par ces motifs, Rejette les demandes de la société Prodim ; Désigne Monsieur Armand, 4 rue de Chatillon 75014 Paris, Avec mission de déterminer le préjudice subi par les époux Lebourgeois à raison des pertes réalisées, des gains perdus et des dépenses d'investissement effectuées ; Dit que l'expert devra déposer son rapport au Greffe de la Cour d'Appel de Rouen dans le délai de six mois à compter de la consignation ordonnée ci-après, sauf prorogation sur demande justifiée par les difficultés faisant obstacle à l'accomplissement de sa mission ; Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'Expert, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête ; Dit que l'expertise sera exécutée sous le contrôle de Madame Credeville ; Dit qu'une provision de six mille francs (6.000 F) à valoir sur la rémunération de l'Expert devra être consignée entre les mains du régisseur d'Avances et de Recettes de la Cour d'Appel de Rouen dans le délai d'un mois à compter de ce jour par les époux Lebourgeois ; Dit que la société Prodim devra verser une somme de cinquante mille francs (50.000 F) à ce titre provisionnel et une somme de vingt mille francs (20.000 F) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile aux époux Lebourgeois ; Laisse les dépens à la charge de la société Prodim et accorde aux avoués de la cause le droit de recouvrement direct selon l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.