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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 28 septembre 1995, n° 94-16710

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Collomb Bernard (SA)

Défendeur :

Honda France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

MM. Bouche, Le Fèvre

Avoués :

SCP Valdelièvre Garnier, SCP Gaultier Kistner

Avocats :

Mes Courteaud, Durand.

T. com. Paris, 4e ch., du 19 mai 1994

19 mai 1994

Considérant que la société Bernard Collomb a fait appel d'un jugement contradictoire du 19 mai 1994 du Tribunal de Commerce de Paris qui a constaté qu'elle n'apportait pas la preuve de ce que la société Honda France lui avait accordé un statut privilégié de concessionnaire et lui avait en particulier promis de lui verser une indemnité de résiliation égale à deux années de marge commerciale brute, a jugé que la résiliation n'avait été ni brutale ni abusive ; l'a débouté de l'ensemble de ses demandes à l'exception de celle concernant la reprise de l'outillage spécifique et des pièces détachées non périmées à la fin du contrat après inventaire et au prix de la date d'achat et l'a condamnée à verser à la société Honda France 25.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que la société Bernard Collomb expose qu'elle était concessionnaire de la société Honda France depuis 1971 pour le département des Alpes-Maritimes, cantons de Menton et de Beausoleil exceptés, qu'à partir du 1er janvier 1989 son territoire concédé a été réduit à l'arrondissement de Nice et à la commune de Saint-Laurent du Var et que la société Honda France qui n'avait cessé d'être exigeante à son égard sous menace de non-renouvellement du contrat temporaire de concession, a résilié les relations contractuelles le 29 juin 1990 à effet du 29 juin 1991 ;

Qu'elle précise qu'elle avait demandé, par lettre du 3 février 1982 confirmé par courriers des 19 février et 11 juin 1982, au Président Directeur Général de la société Honda France de lui confirmer par écrit l'engagement qu'il avait pris pour la décider de réaliser d'importants investissements, d'un versement d'une indemnité égale à deux années de marge bénéficiaire brute en cas de résiliation, et que la société Honda France avait répondu le 29 juillet 1992 sous la double signature de ses directeurs administratif et commercial en confirmant dans un post-scriptum les engagements oraux de son Président et en assurant la société Bernard Collomb qu'elle " entendait les tenir " ;

Qu'elle ajoute que la plainte en faux et usage de faux déposée par la société Honda France concernant la lettre du 29 juillet 1982 a donné lieu à une ordonnance de non lieu confirmée par la Cour le 7 juin 1993 et que le Directeur administratif a reconnu au cours de l'information qu'il avait signé le post-scriptum et qu'il était habilité à le faire ;

Considérant que la société Bernard Collomb observe que le post-scriptum fait référence à ses lettres explicites des 3 et 9 février 1982 et du 11 juin 1982 et qu'il en résulte clairement selon elle un engagement d'indemnisation sur la base de deux années de marge commerciale brute ; qu'elle soutient qu'il entrait dans les pouvoirs du Président Directeur Général de prendre une telle décision qui n'avait aucun caractère inhabituel, répondait à l'intérêt commun des parties d'un développement de la concession grâce aux multiples investissements réalisés par le concessionnaire à la demande du concédant et ne conduisait pas la société Honda France à verser une indemnité exorbitante ;

Qu'elle prétend à titre subsidiaire que si la Cour devait estimer que le post-scriptum de la lettre du 29 juillet 1982 ne constituait pas une confirmation des engagements souscrits, l'absence de réponse aux lettres de février et juin 1982 et la poursuite de mauvaise foi de relations contractuelles ambiguës constitueraient des fautes justifiant réparation ;

Qu'elle ajoute que rien ne justifiait la résiliation du contrat de concession, qu'elle avait satisfait aux exigences de la société Honda France et qu'elle discutait de nouveaux travaux et venait tout juste de signer une promesse d'achat d'un terrain lorsque la société Honda France a pris subitement sa décision de rupture ; qu'elle reproche au concédant d'avoir abusé d'un état de dépendance économique, de l'avoir privée du fruit des importants investissements réalisés et d'avoir provoqué l'arrêt de son activité compte tenu de ce que la concession assurait les trois quarts de son chiffre d'affaires ;

Qu'elle demande à la Cour de condamner la société Honda France à lui verser une indemnité contractuelle de 11.523.214 F ainsi que 5.000.000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive et subsidiairement d'ordonner une expertise comptable afin de vérifier le montant de l'indemnité qui lui est due ; qu'elle se déclare contrainte d'accepter l'offre dérisoire de reprise de stock de 35.018,75 F hors taxes que lui a fait la société Honda France ;

Considérant que la société Honda France réplique que le contrat de concession conclu en 1971 n'accordait initialement aucune exclusivité à la société Bernard Collomb, qu'il avait une durée déterminée et s'est trouvé " renouvelé d'année en année en subissant un certain nombre d'amendements " ; qu'ainsi en 1982 la société Honda France a accordé à la société Bernard Collomb une exclusivité territoriale sur le département des Alpes-Maritimes à l'exclusion de deux cantons, mais qu'en 1986, dans le cadre d'une harmonisation de ses contrats avec la réglementation communautaire, la société Honda France a proposé à tous ses concessionnaires un nouveau contrat à durée indéterminée à tout moment avec préavis d'au moins un an ;

Qu'elle ajoute que les nombreuses réclamations de la clientèle l'ont contrainte le 21 décembre 1987 à notifier une première résiliation à effet du 31 décembre 1988, qu'à la suite de négociations elle a conclu le 1er janvier 1989 avec la société Bernard Collomb un contrat de concession portant sur un territoire réduite et qu'après une amélioration passagère elle a été contrainte à nouveau de résilier ce nouvel accord avec préavis d'un an conforme tant aux dispositions contractuelles qu'à la réglementation communautaire ;

Qu'elle prétend qu'elle n'a eu connaissance du post-scriptum litigieux qu'au cours de la procédure engagée par la société Bernard Collomb et que diverses constatations dont la découverte de l'existence de deux versions de la lettre du 29 juillet 1982 avec et sans post-scriptum n'est pas la moins troublante, lui permettent de persister à douter de l'authenticité du post-scriptum ;

Considérant que la société Honda France conteste toute valeur au post-scriptum litigieux, tout accord même tacite des parties sur le principe d'une indemnisation du concessionnaire en cas de résiliation du contrat, et toute faute dans le comportement qu'elle a adopté ; qu'elle nie de même l'abus d'une situation de dépendance économique, rappelle ses avertissements préalables à la résiliation et soutient que la décision de rupture a pour cause l'incompétence du concessionnaire et les doléances de la clientèle ;

Qu'elle ajoute, dans d'ultimes conclusions, qu'à de nombreuses reprises après 1982 les parties ont signé des contrats ou avenants précisant qu'ils " annulaient toutes les négociations, accords et engagements antérieurs " ;

Qu'elle précise enfin qu'elle a offert 35.018,75 F hors taxes du stock à reprendre et soutient que l'absence d'acceptation de cette offre rend caduques les dispositions prises à ce titre par le Tribunal de Commerce, que les pièces sont désormais périmées et que les dispositions contractuelles n'autorisent pas la société Bernard Collomb à maintenir sa demande de reprise ;

Qu'elle demande à la Cour de déclarer la demande de dommages-intérêts irrecevable sans en préciser la raison ce qui dispense la Cour de l'obligation d'une réponse, de n'infirmer le jugement déféré que sur la restitution du stock, de débouter la société Bernard Collomb de toutes ses prétentions et de lui accorder 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que la société Bernard Collomb verse elle-même aux débats outre dix contrats de concession successifs à durée déterminée antérieurs à la lettre du 29 juillet 1982 dont elle se prévaut, trois contrats annuels de concession des 25 janvier 1983, 2 janvier 1984 et 31 janvier 1985 qui ne comportent aucune clause d'indemnisation à défaut de renouvellement et deux contrats de concession à durée indéterminée des 18 février 1986 et 2 décembre 1988 daté par erreur de 1989 et à effet au 1er janvier 1989 qui autorisent l'un et l'autre la résiliation unilatérale avec préavis d'au moins un an sans prévoir d'indemnisation et comportant un article 38 selon lequel la convention exprime l'intégralité de l'accord des parties et " annule toutes les négociations, accords et engagements antérieurs " ;

Considérant qu'en réponse à la lettre d'envoi pour signature des exemplaires du contrat du 2 décembre 1988, la société Bernard Collomb a certes répondu le 20 décembre 1988, dans sa lettre de renvoi, qu'il était " bien entendu que les engagements qui ont été pris à l'égard de la société Bernard Collomb et qui sont confirmées par la lettre de la société Honda France du 29 juillet 1982 restaient en vigueur ; qu'elle n'a reçu apparemment aucun démenti ;

Qu'il n'en demeure pas moins que ni le contrat du 2 décembre 1988 ni la lettre d'envoi ne font état d'un tel engagement ; que le silence de la société Honda France ne peut en tenir lieu, d'autant que le contrat que la société Bernard Collomb a signé, exprime au moins implicitement le contraire ; que ce silence peut tout au plus constituer une incitation fautive à opérer des investissements inamortissables ouvrant droit non pas à l'indemnité espérée mais à des dommages-intérêts réparant le préjudice que cette faute aurait généré ;

Considérant que la société Bernard Collomb n'est donc pas fondée à se prévaloir de l'échange de lettres de 1982 pour prétendre que la société Honda France serait contractuellement tenue de lui verser une indemnité de résiliation sur la base de deux années de marge commerciale brute au titre d'une résiliation le 29 juin 1990 du contrat du 2 décembre 1988 ; qu'à supposer que les parties aient convenu en 1982 d'une telle indemnisation, cet accord conclu dans le cadre de relations contractuelles annuelles a été au moins deux fois " annulé " et remplacé par deux contrats à durée indéterminée successifs qui ne l'ont pas repris ;

Qu'il est dès lors inutile de se prononcer sur l'authenticité contestée et contestable de la photocopie produite de la lettre du 29 juillet 1982 comportant un post-scriptum ni de définir le sens qu'il convient de donner à cette adjonction insuffisamment explicite ;

Considérant que l'accord allégué de 1982 étant écarté, la Cour constate que la société Honda France avait contractuellement la faculté de résilier unilatéralement la concession, qu'elle a observé un délai de préavis d'un an conforme au minimum convenu et que la société Bernard Collomb ne conteste pas que la société Honda France avait le droit d'agir comme elle l'a fait, mais transposé sans doute à titre subsidiaire sa demande d'indemnisation sur le terrain de l'abus de ce droit ;

Considérant que le contrat du 2 décembre 1988 fixait à " un an au moins " la durée contractuelle du préavis ; que la société Honda France n'a accordé que le préavis minimum d'un an alors qu'elle mettait un terme à des rapports contractuels d'une durée de près de vingt ans ;

Qu'elle peut certes se prévaloir de doléances de plus en plus nombreuses de la clientèle ; que, selon un sondage comparatif opéré parmi les clients français de la marque communiqué " avec plaisir " par la société Honda France à la société Bernard Collomb le 4 octobre 1990, l'appelante avait un indice de satisfaction constamment inférieur à la moyenne des concessionnaires ; qu'elle atteignait tout de même un indice qualifié de bon pour seize des vingt neuf critères retenus ; que la mise à disposition gratuite d'un véhicule de remplacement était le seul critère jugé réellement mauvais ; que l'insatisfaction était donc quelque peut relative ; qu'elle n'a pas amené la société Honda France à diligenter la procédure contractuellement prévue d'une résiliation pour faute ;

Considérant à l'inverse que la société Honda France insuffisamment satisfaite d'avoir obtenu le 6 novembre 1989 que le magasin implanté par la société Bernard Collomb a Saint-Laurent du Var lui soit exclusivement réservé, écrivait trois semaines plus tard à la société Bernard Collomb qu'elle n'entendait pas que des travaux de rénovation soient entrepris dans les locaux niçois de son concessionnaire, vétustes, inadaptés et menacés d'expropriation, demandait à la société Bernard Collomb de la " fixer très rapidement sur ses intentions " de rechercher de nouveaux locaux susceptibles d'être mis aux normes Honda et l'invitait dans l'immédiat à améliorer l'accueil de la clientèle et à recruter un chef d'atelier ;

Que le 2 janvier 1990 la société Honda France confirmait sa demande en offrant deux options, l'acquisition de nouveaux locaux ou la " rénovation complète " des anciens locaux, fixait au 31 décembre 1990 la date limite de réalisation des travaux de mise en conformité avec ses normes imposées et menaçait la société Bernard Collomb d'une résiliation si elle n'obtempérait pas ;

Que le 30 mars 1990 la société Honda France exigeait que ses projets d'aménagement du magasin de Saint-Laurent du Var et de construction d'un nouvel atelier à Nice soient préalablement soumis à son architecte, précisait qu'elle estimait que la surface prévue pour le magasin d'exposition serait rapidement insuffisante et qu'il convenait de recruter un Directeur des ventes et repoussait au 1er janvier 1992 la date limite de mise en conformité ;

Que la société Bernard Collomb est fondée à soutenir qu'elle ne pouvait s'attendre à ce que le 29 juin 1990, en dépit des mises en garde des 21 septembre 1987, 20 mai 1988 et 8 septembre 1989 retenues par les premiers juges, elle reçoive une lettre de rupture ne tenant aucun compte des incitations à des investissements et à des recrutements qu'elle avait reçues dans les six mois précédents ;

Considérant que la société Bernard Collomb est d'autant plus fondée à soutenir que la résiliation ne se justifiait pas que la société Honda France n'apporte aucune explication de son revirement, alors qu'elle même établit que le 21 juin 1990 elle avait l'acquisition, par compromis confirmé le 14 décembre 1990, de deux parcelles à usage industriel sises à Nice au prix d'1.500.000 F ;

Qu'un concédant ne peut user sans motifs graves de son droit de résiliation unilatérale aussitôt après avoir amené son concessionnaire à effectuer des investissements sans lui laisser le temps raisonnable sinon de les amortir, s'agissant de dépenses lourdes amortissables sur une longue période, du moins de rechercher les solutions propres à pérenniser la rentabilité des investissements opérés; que l'exécution de bonne foi d'un contrat de concession à durée indéterminée prévoyant une durée minimale du préavis de résiliation implique que l'auteur de la rupture l'adapte à la durée des relations contractuelles et à l'importance de la concession dans l'activité de son cocontractant;

Considérant en définitive qu'en évitant d'informer clairement la société Bernard Collomb de son intention de ne pas respecter les engagements d'indemnisation dont elle persistait à se prévaloir en dépit d'une clause du contrat d'adhésion qu'elle lui avait fait signer, et en n'accordant à la société Bernard Collomb qu'un an de préavis alors qu'elle mettait un terme à des rapports contractuels d'une durée justifiant un délai de préavis supérieur au minimum contractuel et qu'elle avait amené son concessionnaire à initier des investissements lourds relevant d'un long amortissement, la société Honda France a commis des fautes dont elle doit réparation;

Considérant que la société Honda France ne conteste ni l'achat du terrain ni l'importance de la concession telle qu'elle résulte de la marge commerciale brute prise pour base de réclamation par la société Bernard Collomb ; que la Cour dispose d'éléments suffisants pour chiffrer à 2.400.000 F la réparation du préjudice de perte de marge et de compromission d'investissements engendré par ces fautes ;

Considérant que le comportement abusif de la société Honda France est à l'origine de ce que la reprise du stock contractuellement prévue ait été différée au point de rendre ce matériel périmé ; qu'elle doit les 35.018,75 F hors taxes qu'elle avait offerts et que la société Bernard Collomb s'est résolue à accepter.

Par ces motifs : Confirme la décision déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de la société Bernard Collomb d'une indemnité contractuelle de résiliation, L'infirme pour le surplus, Condamne la société Honda France à payer à la société Bernard Collomb 2.400.000 F de dommages-intérêts pour rupture du contrat dans des circonstances abusives et avec préavis insuffisant ainsi que 35.018,75 F hors taxes au titre du rachat de stock, Déboute les parties de toutes autres demandes ;Condamne la société Honda France en tous les dépens de première instance et d'appel; Admet la société civile professionnelle Valdelièvre Garnier, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.