Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 11 octobre 1995, n° 17743-94

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Audreco Conceptions (SARL)

Défendeur :

Atlantique formation (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mme Jaubert, M. Potocki

Avoués :

Mes Melun, Kieffer Joly

Avocats :

Mes Even, Duminy.

T. com. Paris, 1re ch., du 30 mai 1994

30 mai 1994

Au terme du contrat qu'elle a conclu le 4-7-1991 avec la société Audreco Conception, la société Atlantique Formation s'engageait à verser à cette société une redevance annuelle égale au tiers de son chiffre d'affaires hors taxes. Faute d'avoir réglé la somme de 326 137,24 F qui lui était réclamée à ce titre, elle a été assignée par sa cocontractante devant le Tribunal de commerce de Paris qui après avoir fait droit à l'exception de nullité du contrat qu'elle avait soulevée en se prévalant du non respect de l'article 1er de la loi du 31-12-1989 dite loi Doubin a :

- Débouté la société Audreco Conception de l'ensemble de ses demandes,

- Dit nul le contrat de franchise du 4-7-1991,

- Condamné la société Audreco Conception à payer à la société Atlantique Formation la somme de 154 000 F (correspondant au montant des redevances versées déduction faite du coût des prestations effectuées) avec intérêts au taux légal à compter du jugement et celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- Débouté la société Atlantique Formation du surplus de ses demandes reconventionnelles.

Au soutien de l'appel qu'elle a interjeté de cette décision, la société Audreco Conception fait valoir que :

- La loi du 31-12-1989 n'est pas applicable aux motifs qu'elle sollicite essentiellement le paiement de prestations de services et de livraisons de matériel effectuées dans le cadre de relations entre fournisseur et client et que la société Atlantique Formation dont Audreco Conception est associée à 30 % connaissait parfaitement les conditions de la création de cette société intervenue exclusivement pour lui permettre d'utiliser le savoir-faire et le matériel pédagogique de la société Audreco Conception et, ce, sans avoir à se constituer de clientèle puisqu'elle bénéficiait de celle créée par cette société à Nantes (siège de sa propre activité) ;

- M. Furnari, actionnaire majoritaire et gérant de la société Atlantique Formation (aujourd'hui dénommée ATC Nantes) connaissait la société Audreco Conception ainsi que l'activité qu'elle exerçait dans la mesure où elle était composée des mêmes associés et dirigeants que la société Audreco Conception avec laquelle il entretenait des relations de longue date pour avoir reçu ses élèves dans le cadre de contrats de qualification alors qu'il gérait des sociétés de toilettage canin et avoir lui-même assuré la formation de ses propres salariés avec les cours et le matériel de cette société puis l'avoir approchée pour une activité de formation professionnelle ce qui a abouti à la création de deux sociétés Audreco Conception et Atlantique Formation et à la conclusion entre ces deux sociétés du contrat de partenariat du 4-7-1991, en conséquence ayant contracté en pleine connaissance de cause il ne saurait se prévaloir de la nullité de ce contrat pour vice du consentement,

- L'opération souscrite par la société Atlantique Formation était réalisable matériellement (la méthode pédagogique et le matériel étaient ceux utilisés depuis plus de 10 ans à Paris par la société Audreco Conception, étaient appréciés par l'AFPA et de nombreux partenaires et faisaient l'objet de mises à jour régulières, l'encadrement était composé de formateurs et de professeurs qualifiés), juridiquement (l'activité de formation en alternance exercée jusqu'en 1992 par la société Atlantique Formation ne nécessitait aucune formalité particulière, l'école technique privée ouverte en 1992 dans le respect de la loi Astier n'a connu aucune difficulté administrative) et financièrement (le nombre de contrats de qualification conclu a été tel que la société Atlantique Formation a dû déménager dans des locaux plus spacieux) ;

Si la Cour devait considérer que le consentement de la société Atlantique Formation a été vicié elle ne saurait prononcer la nullité du contrat avec effet rétroactif celui-ci comportant des prestations qui ont bénéficié de sa partenaire et qui sont insusceptibles d'être restituées ;

Elle a rempli l'ensemble de ses obligations et n'a reçu aucune critique de la part de sa partenaire, la livraison d'un jeu de cassettes défectueux immédiatement remplacé ne pouvant être tenue comme constitutive d'un manquement ; en conséquence la société Atlantique Formation doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Elle prie la Cour :

- De condamner la société Atlantique Formation à lui payer la somme de 326 137,24 F avec intérêts au taux légal à compter du 23-4-1993.

- Subsidiairement d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à restituer la somme de 154 000 F.

- De condamner la société Atlantique Formation à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Atlantique Formation oppose que :

- En l'absence du respect des formalités prévues à l'article 1 de la loi du 31-12-1989, le franchisé est réputé n'avoir pas conclu en connaissance de cause et le contrat doit être déclaré nul pour vice du consentement en vertu des articles 1108 et suivants du Code civil ;

- De plus il disposait d'une expérience dans le service du toilettage animalier et dans la vente mais aucunement dans le domaine de la formation professionnelle hormis la formation pratique de quelques stagiaires dans le cadre de contrats de qualification et s'était vu proposer par la société Audreco Conception de développer une école de formation à Nantes sous forme de franchise d'où création des deux sociétés Audreco Conception et Atlantique Formation et la conclusion du contrat de franchise du 4-7-1991.

- Ce projet s'est révélé irréalisable aussi bien matériellement (l'utilisation des téléviseurs ne pouvait suffire à l'enseignement et le recrutement de professeurs s'est avéré nécessaire) que juridiquement (la loi Astier exigeait pour l'ouverture d'une école privée diverses formalités et un directeur avec une expérience de 5 ans dans l'enseignement ce qu'il ignorait) et que financièrement (le taux de la redevance était très largement supérieur à celui pratiqué habituellement et les charges plus élevées que prévues compte tenu notamment des salaires à verser aux enseignants) ;

- Le franchisé avait des obligations disproportionnées par rapport à celles du franchiseur ce qui est incompatible avec le régime de la franchise,

- L'indépendance des parties, essentiel à la franchise était contredit par la participation importante du franchiseur dans le capital du franchisé ;

- Le savoir-faire de la société Audreco Conception est à mettre sérieusement en doute puisque le contrat de franchise constituait la seule et première occasion pour cette société d'expérimenter ce prétendu savoir-faire consistant en la mise au point de cassettes audiovisuelles et de " modules " qui se sont avérés d'un intérêt très limité et en tout cas insuffisant à la formation professionnelle ;

- M. Furnari a formulé de nombreuses critiques auprès du franchisé lorsqu'il a été en mesure de s'apercevoir de son manque de sérieux et du caractère irréalisable du contrat de franchise ;

- La conséquence de la nullité du contrat est la remise en état des parties sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les contrats à exécution successive et les autres en conséquence le tribunal a à bon droit jugé que la remise en état ne pouvait être opérée par la restitution pure et simple des redevances puisque le franchisé avait bénéficié des prestations, notamment des modules de formation, à hauteur de leur valeur compte tenu des nombreux défauts et du peu de valeur de ces fournitures ;

- Au cas où la Cour n'entendrait pas prononcer la nullité du contrat, il y a lieu de prononcer la résiliation aux torts exclusifs de la société Audreco Conception pour manquements à ses obligations contractuelles compte tenu de la mauvaise qualité du matériel, de l'inadéquation des modules aux programmes d'examen qu'ils étaient censés traiter.

Elle demande à la Cour :

- De confirmer le jugement déféré,

- A titre subsidiaire de constater la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Audreco Conception et de lui allouer la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts,

- De condamner la société Audreco Conception à lui payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Cela étant exposé :

Sur la nature du contrat conclu le 4-7-1991 entre les sociétés Audreco Conception et Atlantique Formation :

Considérant qu'il est stipulé à l'article 1 du contrat du 4-7-1991 dénommé Charte que la société Audreco Conception concède à la Société Atlantique formation le droit d'utiliser la marque Audreco Conception à titre d'enseigne, à l'article 2 qu'elle lui transfère à l'aide d'une bible une méthode pédagogique originale ainsi qu'un savoir-faire commercial et administratif en permanence actualisé, à l'article 4 qu'elle assure de façon informelle mais continue la formation des animateurs, à l'article 9 que sa cocontractante devra respecter les normes dégagées par la bible, à l'article 11 que celle-ci se voit réserver l'exclusivité de la qualité de bénéficiaire Audreco Conception pour la ville de Nantes ainsi que dans un rayon de 150 KM à " vol d'oiseau " autour des limites de cette ville, à l'article 12 que la société Atlantique Formation pourra réaliser une quote-part de son chiffre d'affaires égale à 10 % à l'aide de " produits " et " supports " provenant d'une source autre qu'Audreco Conception, à l'article 13 que le bénéficiaire devra réaliser un quota annuel de 1 MF HT en contrepartie de l'exclusivité qui lui est accordée enfin à l'article 16 qu'il devra, en contrepartie de la charte et des différents avantages qui lui sont accordés ou mis à sa disposition, verser une redevance égale au tiers de son chiffre d'affaires hors taxes ;

Qu'il s'ensuit que la société Audreco Conception a mis à la disposition de la société Atlantique Formation une enseigne en exigeant d'elle une quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité;

Qu'elle était donc tenue, en application de l'article 1 de la loi du 31-12-1989 et de son décret d'application du 4-4-1991 de fournir à sa cocontractante, préalablement à la signature du contrat qui a été conclu dans l'intérêt commun, un document donnant des informations sincères qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause;

Considérant qu'il est acquis aux débats que ces documents n'ont pas été fournis, que M. Furnari principal actionnaire avait pour activité préalablement à la signature du contrat litigieux, la gérance de salons de toilettage et que la société Atlantique Formation avait pour objet la création, l'exploitation de tous centres de formation et d'enseignement, toutes activités contribuant à l'enseignement et à la formation de toutes disciplines et toutes activités se rapportant directement ou indirectement à la formation professionnelle continue ;

Que dans ces conditions en produisant quatre contrats de qualification conclu en 1989, 1990 et 1991 par M. Furnari, l'attestation de M. Maréchal qui indique que ce dernier connaissait la méthode Audreco pour l'avoir vu appliquée et l'avoir utilisée avec ses employés et celle de M. Boubrouck qui précise avoir suivi une journée de formation au sein d'Atlantique Formation en compagnie de M. Furnari qui s'est présenté comme le principal partenaire d'Audreco Conception parfaitement au courant de la méthodologie Audreco, la société Audreco Conception ne rapporte pas la preuve que préalablement à la signature du contrat litigieux la société Atlantique Formation avait eu connaissance des informations prévues à l'article 1 du décret du 4-4-1991 et notamment de celles précisant la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l'enseigne qu'elle devait engager avant de commencer l'exploitation ainsi que l'état général et local du marché des services devant faire l'objet du contrat et les perspectives de développement de ce marché ;

Que le non respect par la société Audreco Conception de son obligation d'information précontractuelle est constitutif du dol prévu à l'article 1116 du Code civil;

Que l'action en nullité est donc fondée;

Considérant que par l'effet de l'annulation, les parties doivent en principe être replacées dans la situation dans laquelle elles étaient avant d'avoir contracté ;

Qu'il s'ensuit que la société Audreco Conception doit restituer les redevances qu'elle a perçus et la société Atlantique Formation le matériel pédagogique qu'elle a reçu et que la société Audreco Conception n'est pas fondée en sa demande en paiement des redevances non réglées ;

Mais considérant qu'en l'espèce la société Audreco Conception à en outre fourni des prestations qui ne peuvent être effacées et que la société Atlantique Formation a utilisé le matériel dans le cadre d'actions de formation pour lesquelles elle a été rémunérée ;

Qu'il convient donc de tenir compte de cette situation de fait ;

Considérant que les premiers juges ont justement apprécié le montant des sommes dues à ces titres par la société Atlantique Formation à la société Audreco Conception.

Que le jugement sera confirmé ;

Que de plus la Cour ordonnera la restitution du matériel ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré y ajoutant : Ordonne la restitution à la société Audreco Conception par la société Atlantique Formation actuellement dénommée ATC Nantes du matériel pédagogique que lui a livré cette société ; Condamne la société Audreco Conception à payer à la société Atlantique Formation dénommée ATC Nantes la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC. La déboute de sa demande formée à ce titre ; La condamne aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du NCPC.